A l'automne 1915, les Allemands adoptent un nouveau masque à gaz dont la caractéristique essentielle réside dans sa cartouche filtrante, indépendante et interchangeable.
L'appareil fut connut par la Commission de protection en France très rapidement, un rapport provenant d’un espion et daté du 18 septembre 1915 décrivait déjà le nouvel appareil allemand en détail. Vers le 15 octobre 1915, le commandement fit parvenir à la Section de protection un exemplaire de ce nouveau masque récupéré sur le front. Celui-ci fut confié à Lebeau en vue de mener plusieurs essais.
Ci-dessus : appareil allemand récupéré sur le front et analysé par André Kling et Paul Lebeau en ocotbre 1915 ; il s'agit du Gummimaske Premier type (voir : Le Gummimaske).
Il le décrivit comme s’adaptant parfaitement bien au visage et ne semblant pas provoquer de gêne respiratoire. Pour tester son efficacité, un expérimentateur pénétra dans une chambre remplie de chlore où il put rester une heure sans être incommodé. En revanche, sa protection contre le phosgène était nulle et les expérimentateurs rentrant dans l’atmosphère contaminée, durent ressortire immédiatement, très incommodés. Lebeau analysa la matière constituant la cartouche et conclut qu’il s’agissait de charbon végétal imprégné de bicarbonate de soude.
Le charbon présentait un pouvoir absorbant intéressant et Lebeau réalisa rapidement l’intérêt qu’il pourrait avoir dans un nouvel appareil. En effet, en neutralisant les gaz par des compresses imprégnées, on se heurtait rapidement à un problème insoluble : a chaque fois que l’on voulait obtenir la neutralisation d’un nouveau gaz, il fallait rajouter une couche de compresses et la respiration devenait de plus en plus difficile au fur et à mesure que le nombre des couches augmentait. Par contre, la neutralisation physique avec du charbon semblait intervenir sur plusieurs types de gaz. Il restait cependant à déterminer quels étaient les gaz absorbés et comment obtenir le charbon le plus efficace possible. Lebeau se lança immédiatement dans ces recherches avec l’aide de plusieurs de ses collaborateurs et la participation de plusieurs membres de l’ECMCG.
La première constatation concernera la nature des gaz absorbés : presque tous l’étaient, mis à part l’hydrogène arsénié, le monoxyde de carbone et l’acide cyanhydrique. Le phosgène n’était pas entièrement filtré et les fortes concentrations de chlore finissaient également par traverser. Les gaz étaient d’autant mieux absorbés qu’ils étaient peu volatils, persistants, que leur vitesse de passage au travers du charbon était faible et enfin que la température était basse. La nature du charbon avait aussi une importance capitale : il devait être le plus poreux possible pour augmenter la surface de contact avec le gaz et présenter à sa surface le maximum de capillaires, tout en restant très homogène.
Pour obtenir la fabrication de ce genre de charbon, on procéda à de nombreux tâtonnements et de nombreuses expérimentations. On obtenait des charbons efficaces en incorporant aux copeaux de bois un réactif de gélification, puis en menant une oxydation progressive par la chaleur, transformant le bois en une masse poreuse très homogène. Le premier gélifiant utilisé fut l’acide sulfurique et le charbon produit appelé charbon S. Les premiers essais industriels seront menés à l’usine Camus & Duchemin à Ivry-sur-Seine. Le charbon de bois était alors chauffé dans des pots de terre à des températures oscillants entre 800 et 750 °C. Puis, en juin 1917, un nouveau procédé fut mis au point en utilisant des creusets poreux pour l’oxydation. On modifia le traitement à l’acide sulfurique pour le remplacer par une carbonatation au carbonate de soude. Enfin, en portant la température de cuisson de 850 à 900 °C, on obtint un charbon de meilleure qualité, appelé charbon N. Deux granulation seront retenues : une comprise entre le tamis n°8 et le n°16, donnant le charbon 8/16 et utilisée dans l’appareil Tissot ; l’autre comprise entre le tamis n°16 et le n°25, donnant le charbon 16/25, destinée à l’appareil ARS.
Ensuite, il fallut trouver le compromis entre la hauteur de filtration assurant le plus grand contact du gaz avec le maximum de surface de charbon absorbant et entre le volume minimum de la cartouche au travers de laquelle l’effort respiratoire restait confortable. Puis, il fallut ajouter des substances neutralisantes au charbon pour transformer les produits de décomposition chimique provoquée par la vapeur d’eau absorbée par le charbon. Lebeau s’aperçut rapidement que cette décomposition était très précieuse en ce sens que la fixation de ces toxiques devenait alors irréversible, à l’inverse de l’absorption par le charbon qui pouvait se saturer. On ajouta alors de l’eau glycérinée et des alcalis pour neutraliser les gaz facilement hydrolysables.
Ensuite on tenta la réalisation pratique du masque proprement dit. La forme générale sera empruntée au modèle allemand avec quelques modifications. Les viseurs seront enchâssés dans des œilletons proéminents comme sur le masque M2. Le Matériel chimique de guerre annonça à la Commission son projet de proposer le nouveau masque le 20 avril 1916. Lebeau le présenta le 29 à la Commission. Les différents membres seront enthousiastes et 1000 exemplaires du masque baptisé MCG seront commandés.
Masque à gaz MCG
Mais il restait encore quelques points à fixer avant d’adopter le modèle définitif. Des essais seront donc périodiquement réalisés, pour décider en premier lieu de la nature du tissu caoutchouté à utiliser et ensuite le nombre de tailles à fabriquer selon la morphologie des visages. Le compte-rendu de l’ensemble des essais sera discuté le 13 août 1916 à la Commission. Grâce à Lebeau, l’ensemble des points posant des problèmes semblait résolus. On adopta trois tailles différentes et on fixa le nombre de masques à produire dans chacune d’elle : 5% de grande taille, 60% de taille ordinaire et 35% de petite taille. Avant de commencer sa fabrication, on proposa de commander 9000 exemplaires et de les mettre à l’essai dans un corps de troupe.
L’appareil donna de bons résultats, mais deux inconvénients subsistaient. En premier lieu, les oculaires censés empêcher la formation de buée ne fonctionnaient pas. Lebeau décida donc de modifier le masque pour adopter le système du masque Tissot où l’air inspiré arrivait juste en dessous des oculaires et les refroidissait en permanence. Il fallait aussi remplacer la nature de l’enveloppe du masque qui n’était toujours pas imperméable aux lacrymogènes. Dans ce but, on conclut qu’il fallait superposer deux couches de tissus : la première externe sera constituée par un tissu caoutchouté et la deuxième à l’intérieur par une toile enduite d’huile de lin cuite qui absorbait les substances lacrymogènes.
On modifia par la suite le système d’attache en ajoutant, cousu au centre du bord supérieur du masque, un élastique relié aux deux autres qui passait l’un sur le haut de la tête et l’autre sur la nuque. Puis, comme sur les masques M2, on ajouta un élastique serre-nuque avec une attache rapide à crochet. On modifia l’embase métallique pour y loger un système à deux soupapes : une soupape en mica et une en caoutchouc particulièrement ingénieuse pour l’expiration, toutes les deux inventées par le médecin aide-major Saulnier.
Enfin, on arrêta la composition des différentes couches assurant la filtration dans la cartouche métallique :
Au tout début de l’année 1917, le nouveau masque arrivera dans sa forme à peu près définitive. Le 17 janvier, la Commission adopta enfin le masque MCG, rebaptisé appareil respiratoire spécial, et décida de lancer sa fabrication. Sa distribution était souhaitée au printemps de la même année.
Voir également : l'appareil ARS
Le nouveau masque MCG, baptisé ARS, sera adopté le 20 janvier 1917. Mais la mise en route de la fabrication va demander plusieurs mois. La réalisation industrielle de l’appareil se heurtera à plusieurs reprises à des difficultés techniques qu’il faudra surmonter. L’approvisionnement en matières premières, notamment en tissu caoutchouté, sera aussi particulièrement problématique. Chacune de ces difficultés fut résolue avec discernement de manière à éviter les erreurs du passé qui avaient conduit à de nombreuses modifications sur les appareils une fois leur distribution faite. Pour toutes ces raisons, la production prit un retard considérable, si bien que les chaînes de montage du masque ne débutèrent les fabrications qu’au mois de novembre 1917. Les prévisions du début de l’année étaient beaucoup plus optimistes et prévoyaient la distribution au début du printemps.
Puis, on se mit d’accord pour garder en réserve le nouveau masque en stock, pour le distribuer uniquement si l’ennemi employait des substances contre lesquels les masques en dotation ne protégeaient pas. L’année 1917 montrera à plusieurs reprises que le M2 devenait de moins en moins efficace au fur et à mesure de l’apparition des nouveaux agressifs. Le 15 mars 1917, on décida de doter de deux masques le personnel des batteries de tir. En effet, les concentrations de toxiques employées et la durée des attaques arrivaient parfois à épuiser le masque. Le 12 avril 1917, on supposa que les masques retenaient à peine la chloropicrine, puis un mois plus tard, on conclut qu’ils ne laissaient passer que faiblement le toxique et que les hommes en étaient incommodés mais pas intoxiqués… Après l’apparition de l’ypérite puis des arsines, la Commission prit la décision de distribuer l’ARS dès que possible. De nombreux essais seront effectués durant les mois de décembre 1917 et janvier 1918. Le 24 janvier, 50 ARS seront envoyés à titre d’essai dans chaque centre médico-légal. Puis les livraisons débuteront à partir du 18 février ; les masques seront stockés dans des dépôts à l’arrière pour être distribués massivement au début du mois d’avril. Ceci permettait de doter l’ensemble de l’armée, en même temps, du nouvel appareil afin d’éviter de privilégier certains corps. Le masque sera livré dans une boite métallique cylindrique protégeant l’appareil. Au fond et sous un rond cartonné sera fixée une enveloppe contenant un oculaire de rechange. Mais les attaques au gaz étant devenues si fréquentes, le masque M2 sera conservé comme masque de secours, la vie des combattants étant liée, sur le front, au bon fonctionnement de leur appareil et à leur durée de protection.
Les recherches sur l’ARS ne s’arrêteront pas après sa mise au point. Pour augmenter sa protection, Lebeau continua de travailler sans cesse à perfectionner sa cartouche. Dès le début de l’année 1918, il étudia et améliora un système de bonnettes, sortes de sac en toile que l’on fixait sous la cartouche du masque, pour augmenter la protection contre les arsines et l’ypérite. Dans ce but, il mit au point un tissu spécial avec lequel on confectionnait la bonnette que l’on imprégnait d’huile de ricin. Le 10 février 1918, il conclut cependant que la protection de l’ARS était alors satisfaisante contre les toxiques employés par les Allemands. L’apparition des nouvelles arsines au printemps 1918 devait changer cette position. Le premier juillet, la bonnette était prête et on décida de la produire et de la distribuer avant l’hiver, saison pendant laquelle les températures basses faciliteraient l’action des arsines. Mais surtout, de nouveaux agressifs français et américains étaient presque au point et on supposait pouvoir les utiliser d’ici la fin de l’année. Les Français préparaient une nouvelle arsine, la Sternite, un mélange de dichlorophénylarsine et de chlorodiphénylarsine. Les Américains avaient synthétisé l’Adamsite1, un puissant irritant ainsi que la Lewisite2, puissamment vésicante et irritante. Le 31 août, 500 000 bonnettes pour ARS étaient en cours de confection. ‘’Elle est constituée par une gaine cylindrique en molleton, fermée à l’une de ses extrémités, et à l’intérieur de laquelle est cousu un croisillon en ruban, destiné à être appuyé contre la face antérieure de la cartouche. Cette gaine est doublée extérieurement par un pare-pluie en tissu imperméable, sauf au centre du fond de celle-ci, et se prolonge du côté opposé, entièrement ouvert, par une partie tronconique en même tissu pourvue d’œillets métalliques. Un ruban de serrage est cousu sur la partie cylindrique du pare-pluie’’. Vraisemblablement, elles apparurent au début de novembre 1918, mais l’Armistice survenant le 11 novembre, on s’empressa de dissimuler cette avancée de la protection pour la conserver secrète.
Lebeau travailla aussi à rendre le charbon actif plus performant. Le 4 mai 1918, il proposa une nouvelle formule qui augmentait la protection contre le phosgène, et contre le chlorure de cyanogène qui pouvait être utilisé par les Allemands à tout moment. Il substitua la soude à une partie de carbonate de sodium et ajouta du permangante de potassium en petite quantité, selon la formule :
La nouvelle formule sera mise en place immédiatement. On ajoutera également, suite au travail de Lebeau, une couche de coton hydrophile au fond de la cartouche pour arrêter les arsines.
Le travail de Lebeau ne se bornera pas uniquement à la mise au point des substances de protection. En mars 1918, il proposa de mettre au point une pochette de protection permettant de conserver une cartouche de rechange de l’ARS. L’ECMCG en proposera, un mois plus tard, deux types différents confectionnés avec des anciens sacs S2 et des étuis pour tampon TN. Les modèles semblaient satisfaisants, mais le système d’attache fut jugé défectueux. Les études seront reprises par Lebeau et furent menées à bien. L’ECMCG souleva aussi un problème en mai 1918 : les tôles servant à confectionner les étuis métalliques protégeant l’ARS étaient trop fines et la rigidité de la boîte n’était pas suffisante. Lebeau, en coordination avec l’ECMCG, proposa le 31 mai l’ajout d’une ceinture de 35 mm de largeur sur le sommet du cylindre, sur laquelle étaient agrafés les passants des charnières et du couvercle. La modification qui apportait la rigidité nécessaire sera adoptée.
L’ARS fut reconnu comme le meilleur de tous les appareils de protection de l’époque. Pendant la période des hostilités, 5 270 000 exemplaires seront manufacturés, et la production continuera après guerre.
1 Il s’agit en vérité d’un mélange d’acide cyanhydrique, de fumigènes et de chloroforme. L’ensemble est dénommé Vincennite.
1 Charles Moureu, professeur de pharmacie, était le vice-président de la Commission d’agression.
2 Pour cette raison, le sulfure d’éthyle dichloré fut baptisé ‘’ypérite’’ par les Français.
3 Positions défensives établies sur les côtés.
1 Chlorure de diphénylaminarsine, synthétisé à l’Université d’Illinois par l’équipe de Roger Adam.
2 Chlorovinyldichloroarsine, synthétisée par l’équipe de W. Lee Lewis de la Northwestern University.
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