La nécessité de centraliser les informations relatives aux attaques par gaz, ainsi que l’obligation d’utiliser la compétence de spécialistes, pour mettre en œuvre les solutions prises par l’intérieur et concernant les mesures de protection, vont apporter de nombreux changements dans le rôle des médecins et pharmaciens du Service de Santé.
Son rôle fondamental consiste à assurer la relève des blessés sur le front, leur transport, leur hospitalisation ou leur évacuation vers les zones de l’intérieur.
· A l’échelon de l’armée : on trouve en premier lieu les hôpitaux d’évacuation ou H.O.E. (Hôpitaux Origine d’Etape). Il existe aussi, comme nous avons pu le voir en prenant l’exemple de la Xe armée, un laboratoire de chimie et de bactériologie. Il effectue différentes analyses médicales ou médico-légales. Placé sous les ordres d’un médecin, il possède également un pharmacien et quelques aides.
·A l’échelon du corps d’armée : Il existe 8 ambulances, 6 sections d’hospitalisation et une section sanitaire automobile. Existe aussi un G.B.C. (Groupe de Brancardiers de Corps) auquel est rattaché un laboratoire de campagne, sous les ordres d’un médecin.
·A l’échelon de la division : un G.B.D. (Groupe de Brancardiers Divisionnaire) est dirigé par un médecin.
·A l’échelon du régiment : le service de santé régimentaire se charge de la relève des blessés et de leur évacuation sur les postes de secours. Il est complété, si nécessaire, par les G.B.C. et les G.B.D.
Immédiatement après l’attaque sur Ypres, le 22 avril 1915, Paris s’adressera au Service de Santé pour réunir toutes les informations nécessaires concernant la question des gaz de combat. Nous avons vu sommairement, au travers de quelques exemples, le rôle des formations à l’avant. En mai 1915, un pharmacien sera adjoint à chaque laboratoire de corps d’armée pour y effectuer des analyses alimentaires et bactériologiques, mais aussi pour centraliser toutes les informations relatives aux gaz.
Rapidement, le nombre d'attaques chimiques sur le front se multipliant, André Kling ne put assurer sa mission d'enquête sur le front. En vue de compléter les enquêtes menées au front par Kling sur les attaques chimiques, et d’étoffer celles-ci de recherches médicales et médico-légales, on créa dès juin 1915 plusieurs centres médico-légaux. Chaque centre était dirigé par un médecin-chef qui ne dépendait que du général commandant en chef. Après chaque attaque par gaz dans son groupe d’armée et après avoir effectué une enquête et relevé différents échantillons sur place, il rédigeait un rapport qu’il adressait au laboratoire municipal. Pour effectuer son travail, il était en relation constante avec les pharmaciens toxicologues des laboratoires de toxicologie divisionnaire que nous verrons par la suite.
A leur création, seulement trois seront ouverts, un par groupe d’armée. Amiens pour le G.A. Nord, Châlons pour le G.A. du Centre, et Nancy pour le G.A. Est (installé dans les locaux de l'Ecole supérieure de pharmacie avec une annexe au laboratoire d'histologie de la Faculté de médecine, rue Lionnois). Par la suite, il en sera créé également à Toul (en février 1916) , Remirmont (en janvier 1916) et Bar-le-Duc (également en janvier 1916, installé au lycée national).
Le premier novembre 1915, un officier chimiste d’armée sera adjoint au médecin-chef de chaque centre. Ils seront choisis par Kling lui-même parmi ses anciens collaborateurs (sous-lieutenant Sellier du 62e R.A., lieutenant Coinon du 41e B.C.P. affecté à la IVe armée, officier d'administration Duval-Arnould au G.A.N.). Leur rôle, particulièrement délicat et dangereux, était d’étudier les munitions toxiques ennemies, de les recueillir, et de les envoyer au laboratoire municipal. Ainsi, ils constitueront des collections entières de munitions ennemies désamorcées de leurs mains. Certains y laissèrent leur vie, et de nombreux accidents seront à déplorer au sein même des centres médico-légaux, souvent situés en pleine ville. On retrouvera également ultérieurement le lieutenant Boy (Bar-le-Duc), le sous-lieutenant Penot, Bouxin, le lieutenant Leclerc (IIe armée).
Leur rôle est désormais plus précis et étendu à d'autres missions :
Dès qu’une attaque par les gaz est signalée, les Corps d’Armée ou les Divisions isolées qui la subissent avertissent par téléphone le médecin-chef et le chimiste du secteur auquel ils appartiennent. Le chimiste se rend immédiatement au point indiqué. Il se renseigne sur les conditions de l’attaque, recueille toutes données utiles concernant sa durée, la topographie des lieux d’où elle est partie, les influences météorologiques et atmosphériques qui l’accompagnent, l’étendue du nuage gazeux provoqué, les obstacles que ce dernier n’a pu franchir, la nature supposée du gaz employé.
Le Laboratoire Municipal de Chimie de Paris est le seul qualifié pour procéder aux analyses des projectiles et gaz asphyxiants employés par les Allemands. L’officier chimiste opère pour le compte du Directeur du Laboratoire, André. Kling. A cet effet, il est chargé des prélèvements de toute nature (débris de projectiles, échantillons de terre infectée, prélèvements de gaz, etc.) et de la récolte des projectiles non éclatés. Il centralise les prélèvements qui ont pu être faits par les autres services. Il fait le triage de ces objets, ouvre ou détruit les projectiles non éclatés, envoie au Laboratoire Municipal de Chimie ceux qui paraissent intéressants, fait connaître au Directeur du Laboratoire le résultat de ses recherches et lui signale les endroits où il serait utile que le Directeur se rende en personne.
Le médecin-chef du Centre médico-légal se rend compte de l’efficacité des moyens de protection dont les hommes disposent pendant l’attaque ; si la protection paraît insuffisante, il en recherche les causes. Il se met en rapport avec les médecins-chefs des formations sanitaires où sont traités les hommes atteints et recueille tous renseignements, cliniques et autres, utiles à son enquête. Il pratique les autopsies, s’il y a lieu. Il prélève les pièces qui lui paraissent indispensables et en fait deux parts : l’une, destinée à l’étude anatomo-pathologique, l’autre, à l’étude toxicologique. Le deuxième lot est envoyé au Laboratoire Municipal de Chimie, à Paris, accompagné des renseignements capables de guider les analyses de ce dernier.
Le médecin-chef se rend dans les divers corps de troupe des Armées composant son secteur ; il constate si les officiers, sous-officiers et hommes savent appliquer correctement les engins protecteurs mis à leur disposition, et dans quelles conditions ils participent aux exercices pratiques en atmosphère chlorée ; il s’assure que tous les hommes y prennent ou y ont pris part. Il se renseigne, en outre, sur la quantité et la qualité des engins dont les troupes sont approvisionnées ; il se rend compte de l’état d’entretien dans lequel se trouve ce matériel. Il donne aux médecins divisionnaires et médecins des régiments toutes indications utiles à l’application des engins de protection et à l’organisation des exercices pratiques précités.
Le médecin-chef du Centre médico-légal et l’officier chimiste adjoint envoient séparément : Tous les 10, 20 et 30 de chaque mois, un rapport où ils rendent compte des observations qu’ils ont faites dans la décade sur les divers points énumérés plus haut ; un rapport supplémentaire qu’ils établissent et adressent, dans le plus bref délai, après chaque attaque par les gaz, sur leurs constatations, pendant et après cette dernière. Ces comptes-rendus sont établis en double, le première est adressée au Général Commandant en Chef (1er Bureau) par l’intermédiaire de l’Armée et du Groupe d’Armées, le deuxième au Général Commandant en Chef (Direction Générale du Service de Santé) par l’intermédiaire du Général D.E.S..
La mission la plus délicate des centres médico-légaux est certainement le recueil des projectiles chimiques non explosés sur le champ de bataille, puis leur démontage. Ils effectuent ensuite des analyses chimiques sommaires sur le contenu des projectiles. Chaque centre s'organise alors en créant un laboratoire spécifique ou s'organise le démontage des projectiles. Ils conservent sur place des échantillons de chacun des projectiles, qui constituent rapidement un véritable musée. Extrêmement dangereux, ce travail coûte la vie au lieutenant Blombed, chef du centre de Remirmont et au caporal Foex, son assitant, le 3 juin 1916.
"Un accident est survenu à 5 h 00 du soir, qui a coûté la vie à un officier et au caporal qui le secondait dans sa périlleuse mission dans l'ancienne maison Perrin. Un laboratoire qui servait au lieutenant Bombled pour déterminer la nature et la densité des matières renfermées dans les obus ennemis non éclatés et recueillis par lui-même. On ne connaît pas exactement la cause de l'explosion. Le lieutenant, ainsi que le caporal Foex ont succombé à leurs blessures presque immédiatement." Bombled, lieutenant d’artillerie, chimiste du centre médico-légal de la VIIème Armée : « Officier d’un très grand sang-froid, chimiste distingué, a accompli, depuis cinq mois, pour assurer son service spécial, de nombreuses missions périlleuses dans les tranchées de première ligne. Tué le 3 juin, en procédant dans son laboratoire d’analyses et en exécution de la mission qui lui était confiée au désamorçage d’une fusée d’un projectile allemand non éclaté qu’il avait recueilli à la suite d’une attaque ennemie dans un secteur de l’Armée. Est tombé à son poste de combat. » Foex, caporal à la 15ème S.I.M., adjoint à l’officier chimiste : « Caporal très courageux ; en exécution de la mission qui lui avait été confiée, aide depuis cinq mois avec compétence l’officier chimiste du centre médico-légal, dans ses manipulations techniques dangereuses. Blessé mortellement le 3 juin en même temps que son chef au cours d’une de ces manipulations. Est tombé à son poste de combat. »
En janvier 1916, ils déterminent la position des appareils Kling pour prélèvement de gaz dans les vagues gazeuses dérivantes et en assure le fonctionnement, dans leur secteur.
En juin 1916, le nombre de rapports émis à chaque attaque chimique devient problématique ; trops nombreux et parfois contradictoires, André Kling décide que le médecin du centre n'en rédige qu'un seul et uniquement d'ordre médical, les questions d'ordre tactique et relatives au ramassage des munitions chimiques relevant dorénavant de l'officier chimiste.
A partir de juillet 1916, chaque officier chimiste se rend régulièrement au laboratoire municipal et André Kling se déplace de façon périodique aux centres médico-légaux.
A partir de mai 1917, sur proposition de Lebeau, un pharmacien sera joint à chaque centre, en vue notamment d’effectuer différentes expertises sur les appareils de protection et sur leur efficacité restante après chaque attaque. Auparavant, après une attaque chimique, les masques récupérés étaient renvoyés à l'arrière et étudiés au laboratoire de Lebeau. Après un stage effectué au laboratoire, ils sont envoyés sur place pour cette mission et toutes autres concernant les expériences biologiques et expertises médico-légales. Ils vont participer à la vérification des appareils protecteurs et vont très souvent participer aux enqêtes sur le front, au péril de leur vie. En collaboration avec le médecin-chef des centres, ils travaillent à la caractérisation sur le terrain des toxiques ennemis. En janvier 1918, un service d'anatomie pathologique est créé au centre de Toul, pour étudier la nature des lésions chez les combattants soumis aux attaques chimiques.
En vue de surveiller l’hygiène des combattants au front et d’appliquer les mesures de prophylaxie directement au sein même de la troupe, il fut créé au début de l’année 1915 les laboratoires de toxicologie divisionnaire rattachés au GBD et ne dépendant que du médecin divisionnaire. Ils étaient dirigés par un pharmacien choisis parmi les plus brillants, secondé par des aides-chimistes souvent pharmaciens ou étudiants en pharmacie. Quelques mois après leur création, les pharmaciens toxicologues seront chargés de mener également des enquêtes sur les attaques aux gaz. Ils devaient alors, se rendre sur place et y recueillir tous les éléments susceptibles de servir à l’enquête. En outre, ils effectuaient des prélèvements de projectiles intacts, de terre, d’engins de protection ennemies… Leur incombait aussi le prélèvement d’échantillons de gaz à l’aide d’ampoules vides d’air là ou le gaz pouvait s’accumuler (caves, abris souterrains, tranchées profondes…). La création des officiers chimistes des centres médico-légaux en novembre 1915 devait modifier leurs fonctions, mais en réalité, devant le nombre croissant des attaques par gaz, le pharmacien toxicologue restait l’homme de terrain.
Rapport Kling du Laboratoire Municipal, numéro G-763 du 4 juin 1917, signé par Florentin. On voit l'intérêt des prélèvements effectuées par les formations de l'avant, et ici par le pharmacien chef du laboratoire de toxicologie du G.B.D. 57. Les échantillons récoltés sur le terrain sont analysés par le Laboratoire municipal de la préfecture pour déterminer les toxiques utilisés par l'ennemi.
A la fin du mois d’août 1915, sur l’insistance de la Commission de protection, le GQG chargea les médecins divisionnaires de dispenser un enseignement théorique et pratique sur les moyens de protection. Le but de la manœuvre était de donner confiance aux hommes envers leurs tampons qu’ils regardaient souvent d’un œil méfiant. Pour les convaincre de leur efficacité et du danger réel des gaz, chaque homme devait passer dans une atmosphère infectée de chlore et y séjourner pendant une heure. Dans la chambre, on faisait réaliser aux hommes différents exercices et on insistait sur la bonne mise en place des appareils. Dans la pratique, la mise en place de ces exercices sera prise en charge la plupart du temps par les pharmaciens toxicologues qui étaient les plus apte à dispenser cet enseignement.
Les pharmaciens toxicologues s’occuperont aussi de la constitution des ateliers de réfection, de modification et de réimprégnation des appareils protecteurs, en prélevant le plus souvent des brancardiers des GBD comme mains d’œuvre. Ce genre d’initiative, relevant souvent du pharmacien toxicologue et du médecin divisionnaire s’observait déjà depuis le mois de mai 1915, où dans de nombreuses formations, on avait fabriqué sur place des compresses et des cagoules pour pallier au manque d’appareils. Ainsi, on leur confia également l’imprégnation des appareils, la mise en place des compresses C1 et C2 dans les tampons P2, la modification des lunettes…. Les modifications seront interdites au début du mois de novembre 1915, mais les ateliers seront reformés sporadiquement dans certaines formations à la fin du mois de décembre pour modifier les cagoules en leur ajoutant un tampon P2, puis en mars 1916 pour modifier les masques T en leur ajoutant un anneau de caoutchouc.
L'enseignement et la formation des chefs de laboratoire de toxicologie est dispensé au Val-de-Grâce, organisé par le pharmacien Inspecteur de l'Armée Wagner et le pharmacien major de 1er classe Pellerin. E. Kohn-Abrest y participa également.
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