Plan :
A) L’organisation française au lendemain de la première attaque au gaz.
B) L’évolution des premiers appareils de protection contre le chlore.
C) Les recherches visant à produire les premiers appareils polyvalents..
L’attaque au gaz d’Ypres, comme le souhaitait l’état-major allemand, prit les armées alliées complètement au dépourvu. Après le temps de l'indignation et de l'émoi provoqué par l'utilisation d'un procédé jugé comme illégal, les autorités alliées organisèrent très rapidement les moyens d'une riposte. Les premières attaques par vagues, avaient intoxiqué et tué un grand nombre de soldats, sans pour autant permettre aux allemands d’obtenir un résultat probant (voir : La seconde bataille d'Ypres). Les autorités militaires se sentaient particulièrement vulnérables, confrontées à un nouvel ennemi sans visage, dont personne n'osait ou ne savait évaluer la puissance. Malgré l’utilisation depuis le début de l’année 1915 des premières substances lacrymogènes, la France n’avait rien prévu, ni pour la protection de ses soldats, ni pour une éventuelle réplique.
Le plus pressant fut de fournir un moyen de protection efficace à l’armée, pour éviter une nouvelle catastrophe. Mais pour cela, il aurait fallu savoir en premier lieu contre quoi se protéger, car personne chez les Alliés ne savait alors avec précision quel gaz les Allemands avaient utilisé à Ypres. Il n’existait même pas d’organisme scientifique à qui confier la lourde tâche de l’aménagement des recherches sur cette question. Une autre priorité était donc d'organiser les conditions de ces recherches en les articulant autour de deux axes, celui de la défense et celui de la réplique.
Le général Curmer, de la Section technique du Génie, était depuis le début de la guerre, chargé d’étudier toutes les propositions d’armes nouvelles comme les lance-flammes, les mortiers, ainsi que les moyens de protection de la troupe, comme les cuirasses. Dans l’urgence, le général en chef lui demanda de se mettre en relation avec les personnalités qu'il jugerait comme les plus qualifiées pour mener à bien les recherches. Les premières personnes à qui s’adressa Curmer furent André Kling, directeur du laboratoire municipal de la ville de Paris, et Gabriel Bertrand, chef de service à l’Institut Pasteur. Tous deux avaient déjà étudié les substances lacrymogènes et suffocantes et semblaient les plus à même pour débuter les recherches. Le 23 avril, Kling fut convoqué par le général Foch qui lui confia la responsabilité de l'enquête à Ypres. Le lendemain, il fut chargé de la même tâche, par ordre du Ministre de la Guerre et de celle de procéder de façon systématique à l'étude de toutes nouvelles armes chimiques utilisés par l'ennemi.
En haut :
Extrait du rapport du pharmacien major de deuxième classe Didier, du 22 avril 1915 ; dessin du bâillon utilisé par les troupes allemandes lors de l'attaque su Ypres.
Le 24 avril, les premiers renseignements en provenance du front de l'Yser arrivaient à Paris, adressés par les formations sanitaires de l’avant. Plusieurs bâillons furent trouvés sur des prisonniers allemands, et on chercha, en premier lieu, à les copier pour se protéger au plus vite. Au moins deux types d’appareils protecteurs furent utilisés par les Allemands, pour préserver leurs troupes. Le premier, de conception fort simple, était une simple enveloppe de tulle rectangulaire, mesurant environ 9 cm sur 17, remplie de déchets de coton. Deux cordonnets, fixés à chaque coin de l’enveloppe, permettaient de le maintenir sur le visage, en nouant les liens derrière la tête. Ce bâillon était protégé par une enveloppe en toile caoutchoutée, mesurant 10x17 cm, qui empêchait la dessiccation de la solution neutralisante. C’est ce modèle que l’on choisit de copier, en raison de sa simplicité qui devait permettre de le produire au plus vite. Le second appareil utilisé par les Allemands était plus complexe, et semblait avoir été emprunté à l’industrie chimique. Il était en caoutchouc blanc ou noir, ayant la forme d’un cône tronqué. La petite base était percée de sept trous circulaires ; l’autre base s’appliquait contre la figure. Derrière les trous était fixé une feuille de mousseline, qui retenait deux feuilles de coton hydrophile, renfermant de l’hyposulfite de soude en petits cristaux. Une soupape expiratoire était située sur le dessus de l’appareil, à gauche. Une sangle élastique permettait de la maintenir sur le visage.>
Le 25 avril, la décision fut prise par le Ministère de la Guerre d'entreprendre immédiatement la fabrication d'une protection respiratoire. La Section technique du Génie fut chargée de la confection des bâillons et réquisitionna la main-d’œuvre féminine des Grands Magasins de nouveautés de Paris. Le bâillon fabriqué mesurait approximativement 8x12 cm, était constitué par une enveloppe de toile ou de gaze cirée, remplie de gaze, de déchets de coton ou d’ouate plus ou moins hydrophile (selon les ressources alors disponibles). Aucune solution neutralisante ne fut arrêtée et le bâillon restait simplement humidifié pour retenir le chlore, en l'attente de mieux. De leur côté, les Directions des étapes et services de chaque armée, furent chargées d’utiliser toutes les ressources locales pour obtenir la production rapide de plusieurs milliers de bâillons du même type. Ceux-ci étaient destinés à être plaqués sur la bouche, la respiration se faisant au travers. Le jour même, il fut décidé d’en produire 100 000, et les premières instructions sommaires destinées à la protection des troupes furent transmises au front.
Ci-dessus : rapport du pharmacien aide-major Didier.
La nature du gaz utilisé par les Allemands n’était toujours pas connue à Paris dans les jours suivant le 22 avril, et de ce fait, aucune substance neutralisante ne fut proposée ; le bâillon était simplement humidifié. Le G.Q.G. pensa, dans un premier temps, qu’il s’agissait d’acide sulfureux, Bertrand et Kling penchaient pour de l’oxychlorure de carbone. Le 25 avril, Kling se rendit sur place pour obtenir plus de précisions. Un pharmacien, le caporal Launoy, du laboratoire de la 10e armée, avait analysé dès le 22, une des compresses trouvée sur un prisonnier allemand et son rapport arrivait ce même jour à Paris. Il décrivait la solution neutralisante allemande : un mélange d’hyposulfite de soude et d’hydrate alcalin fixe, dans une solution de glycérine. Celle-ci fut donc immédiatement copiée et communiquée à l’ensemble de l’armée. En outre, le caporal Launoy précisait que la substance utilisée comme gaz par les allemands semblait être du chlore. Un autre rapport, rédigé le 22 avril par le pharmacien–major de deuxième classe Didier, du 36e C.A., conclut également qu'il s'agissait de chlore. Le 26 avril, ce fut Gabriel Bertrand qui, dans une lettre adressée au général Curmer, rapportait qu’il s’agirait vraisemblablement de chlore. Il précisait que l’industrie allemande en produisait en grande quantité et le vendait avant guerre à l’état liquide et sous pression dans de grands cylindres d’acier. Le GQG transmit aux armées ce même jour, toutes les mesures prioritaires à engager pour se prémunir des effets des attaques par les gaz. Enfin, le 27 avril, Kling établissait à son tour, avec l’ingénieur du Génie maritime Cartier, qu’il s’agissait bien de chlore. Démunit de toute solution efficace de protection, il proposait d’utiliser, en plus du bâillon humide, des pétards de poudre noire, qu’il suffirait, selon lui, d’envoyer directement sur la vague, quand celle-ci aborderait la tranchée. Cette proposition, pour le moins étonnante, montre à quel point la question de la protection prenait au dépourvu les autorités militaires.
Le général Curmer se rendit au ministère (4e direction) et proposa au général Chevalier de constituer une commission réunissant quelques savants, pour envisager au plus vite les moyens de protection et de riposte. Celui-ci accepta en principe l’idée, mais préféra une simple réunion à une commission permanente. Cette regrettable opposition à la constitution d’une structure rationnelle, à la fois civile et militaire, sera à l’origine d’un manque cruel de centralisation des moyens de lutte contre les gaz, qui devait durer jusqu'à la création des services chimiques au mois de juillet 1915. Jusqu'à cette date, le sous-secrétariat de l’artillerie et des munitions entendait bien étendre son domaine d’attribution aux questions relatives aux gaz asphyxiants.
Tout fut mis en oeuvre pour mettre sur pied rapidement, les mesures relatives à l'étude d'une riposte chimique. Le général Curmer convoqua donc, dans une réunion qui devait avoir lieu le 28 avril, au siège du comité du Génie : Messieurs Haller, Gauthier et Deslandres (ce dernier en tant que météorologiste), tous trois membres de l’Institut Pasteur, monsieur Kling, du laboratoire municipal, monsieur le professeur Bertrand, pharmacien de l’institut Pasteur, monsieur Urbain, professeur à la Sorbonne, monsieur Chaumat, sous-directeur de l’Ecole supérieure d’Electricité, monsieur le médecin principal de deuxième classe Arnauld, le colonel Mourral, de la Section technique du Génie, le lieutenant-colonel Jouhgandeau, de la Section technique de l’Artillerie, et enfin plusieurs représentants de l’industrie chimique. A ce stade, personne parmi les scientifiques et les militaires engagées dans cette réflexion, ne semblait avoir connaissance des recherches et des études menées avant guerre par Nicolardot.
Les questions abordées à cette réunion concernaient en premier lieu les éventuels moyens de riposte dont pouvait disposer la France, évalués grâce à un mémoire rédigé par Chaumat, provenant d’une étude succincte réalisée avant-guerre. Il permit de discuter les propriétés des corps les plus intéressants et d’envisager les moyens de production. Les différents membres ne purent que constater la quasi ’inexistence de l’industrie chimique en France, tout restant à créer pour obtenir la fabrication industrielle de substances agressives. Pour la protection contre les gaz, il fut décidé de porter la commande de sachets1 protecteurs de 100 000 à plus d’un million d’exemplaires, pour en distribuer à toutes les armées au plus vite. La première livraison sera de 150 000 pièces et ce sera l’armée du Nord qui en bénéficiera le 12 mai. Les autres armées les recevront à partir du 22 mai, soit plus d'un mois après l’attaque de Langemarck. On proposa aussi d’utiliser, pour les hommes qui se trouvaient à des postes importants, comme les mitrailleurs et les officiers, des appareils respiratoires du genre de ceux proposés dans le livre de l’officier de l’Ecole des Mines, type Maurice-Fernez ou autres. Il s’agissait alors des seuls appareils respiratoires dont on connaissait l’existence.
Rapport Chaumat du 27 avril 1915
De son côté, l’ingénieur en chef des Mines Weiss, directeur des Mines au ministère des Travaux publics et lieutenant-colonel d’artillerie territoriale, se présentait de lui-même au G.Q.G., en proposant de mettre à la disposition de l’armée tous les appareils respiratoires existant dans les centres miniers de France. Dans la nuit du 28 avril, tous ces appareils respiratoires genre Tissot et autres, auparavant utilisés pour les secours miniers, furent envoyés à Paris. Le 30 avril dans la soirée, 10 appareils Tissot et quelques autres, dont on ignore le genre, furent envoyés dans le Nord à la 10e armée. Ce n’était bien sûr qu’une goutte d’eau dans la mer, mais ce furent les premiers appareils envoyés de l’intérieur aux Armées. Le convoi transportait aussi 2 800 grenades suffocantes et 3 500 grenades Bertrand. Cela ne risquait pas d’impressionner l’Allemagne et son industrie chimique, mais, faute de mieux…
Fantassins munis de baillons et de lunettes de protection du type ECMCG, juillet 1915.
Par la suite, il fut nécessaire de procéder à des essais sur la substance neutralisante qui avait été adoptée. Etait-elle suffisamment protectrice vis-à-vis du chlore, et quelle devait être sa composition exacte ? Kling et Bertrand s’en chargèrent pour arrêter définitivement sa composition le 8 mai 1915.
Dans certains corps de troupe, en l’attente de la livraison des premiers bâillons, une note destinée à l’ensemble de l’armée et concernant la protection contre les gaz fut diffusée le 11 mai :
« On peut employer contre le chlore certaines substances imbibées d’eau, comme la paille de céréales, le foin grossièrement découpé, le jute, le crin végétal… On les trempe dans l’eau pendant quelques heures, puis on les applique contre le nez et la bouche avec un mouchoir. »
Baillons et lunettes en caoutchouc, juin ou juillet 1915.
Il est bien évident que ce genre de mesure n’avait que peu d’efficacité, mais la production, puis la livraison des premiers moyens de protection devaient mettre un certain temps pendant lequel les hommes sur le front étaient entièrement à la merci d’une nouvelle attaque au chlore. Les offensives chimiques dans le secteur d’Ypres, se succèdèrent d’ailleurs dans les 15 premiers jours de mai. Pas moins de quatre opérations du même type, avec emploi de plus en plus marqué d’obus T, euren lieu. Puis, une bien plus importante se déroula dans la nuit du 23 au 24 mai, commençant à 2 heures 45 du matin, et continuant sans interruption apparente jusqu'à 7 heures. La nappe de gaz formée parue beaucoup plus importante que les précédentes, plus dense et plus concentrée. Les Allemands firent également usage d’un nombre de plus en plus élevé d’obus T. Les appareils protecteurs « rendirent de grands services », selon les termes officiels. En réalité, ils n’apportaient qu’une protection de l’ordre de quelques minutes, dans les fortes concentrations de chlore obtenues en première ligne.
Bâillon positionné sur le visage avec des lunettes de protection type "ECMCG".
Bâillon de protection français, accompagné de sa pochette de protection (ou sachet) et de lunettes en caoutchouc.
Bâillon français, détails :
De son côté, l’armée anglaise suivait le même chemin quant à l’élaboration des premiers moyens de protection. La solution d’hyposulfite allait également être copiée sur celle utilisée par les Allemands. A la fin du mois d’avril, les Anglais sollicitèrent leur population pour la fabrication rapide de plusieurs milliers de bâillons rudimentaires. Le 25 avril, le ministre de la guerre anglais, demanda à la population du Royaume-Uni, par voie d’appel, de lui fournir des appareils destinés à protéger les soldats ; il en fallait environ 500 000. Deux types de confection furent sollicités : la première était un simple tampon d’ouate, recouvert de trois couches de gaze. Le masque était retenu sur le visage par une bande élastique ; c’est le respirateur n°1. La deuxième était formée d’un morceau de stokinette double et d’une attache tressée qui s’attache derrière les deux oreilles. Le masque portait le nom de respirateur n°2. Le 29 avril, 500 000 appareils furent récupérés et ainsi expédiés au front. Puis, début mai, deux autres types d’appareils furent produits pour être imbibés de solution d’hyposulfite. Le lieutenant colonel De la Panouse, attaché militaire à Londres, les décrit dans une lettre datée du 7 mai 1915. Le premier est une cagoule de protection, alors appelée ''casque protecteur'' : « Le casque est de forme assez large, de la forme des casques de scaphandriers, et fait en flanelle ''Viyella'' khaki, imbibée de la même solution que les appareils respiratoires. Les ouvertures pour les yeux sont recouvertes de talc ». Le second, appelé ''Black Veil Respirator'', est une sorte de compresse retenue par un morceau de tulle noir: « Les appareils respiratoires consistent en un voile noir de 90x45 cm, avec une poche de 20x10 contenant de l’étoupe imbibée de la solution suivante :hyposulfite de soude, carbonate de soude et glycérine. Ces appareils se trouvent dans des sacs imperméables pendus au cou. Pour en faire usage, on l’attache sur la bouche et le nez avec un seule épaisseur de voile sur les yeux ».
Masques rudimentaires anglais : Black Viel respirator
Pour les Français, ces appareils paraissent être plus commodes que le bâillon. Ils allaient s’inspirer des modèles anglais pour améliorer leurs moyens de protection.
Ainsi, moins de 10 jours après la première attaque allemande aux gaz asphyxiants, les recherches concernant la protection contre était engagée et la production des masques débutée. Mais très vite, les moyens de protection adoptés montrèrent leur inefficacité.
Les 1er, 2 et 9 mai, de nouvelles attaques par vague de chlore eurent lieu à Ypres, principalement sur le secteur occupé par les Anglais. Les tampons faits en hâte avec les matières premières disponibles, insuffisamment surveillés à la réception, ne donnèrent pas les résultats attendus. Ils étaient trop petits et ne couvraient pas suffisamment les voies respiratoires, si bien que la respiration pouvaitt se faire sans passer par le bâillon si on ne l’ajustait pas convenablement. La durée de protection était également trop faible. Aussi, la plupart n'étaient pas suffisamment imprégnés de solution neutralisante, car la matière à l’intérieur de la gaze n’absorbait pas le liquide. On la remplaça par du coton, mais celui-ci avait tendance à se resserrer dans l’enveloppe quand il était mouillé. On remarqua également que le coton humide ne laissait que très difficilement passer l’air. Autre problème, les premiers tampons envoyés n’étaient pas toujours contenus dans des sachets protecteurs, faute de tissu imperméable pour les confectionner. Ils se dégradaient rapidement et surtout, séchaient à l’air libre et devenaient inefficaces. Ces défauts furent à l’origine de nombreuses nouvelles intoxications. Par la suite, pour pallier au manque de toile imperméable qui constituait ces fameuses enveloppes, il fallut envoyer des tampons dans des protections faites en simple toile ou en toile huilée. Par exemple, les premières pochettes ne furent envoyées à la 10e armée qu’au début du mois de juillet! Et encore, il en manquait 150 000, et leur taille était trop petite pour contenir les premiers bâillons reçus, qui avaient été modifiés par la 10e armée en doublant l’ancien contenu des enveloppes.
André Kling, qui poursuivait ses visites sur le front, rédigea à l’attention de la Commission, un rapport daté du 25 mai sur les appareils de protection. Il insistait sur le fait qu’il fallait impérativement doter toutes les troupes de bâillons ou de cagoules. En effet, il avait constaté que les masques ne constituaient pas toujours une dotation personnelle, mais que ceux-ci étaient disposés en première ligne et que les hommes se les échangeaient à la relève. Il précisait surtout que le bâillon devait être très large et que la cagoule, en tissu fin et spongieux ou en sorte de flanelle, semblait lui être préférable.
La solution pour augmenter la durée de protection des appareils et pour faciliter leur mise en place s’imposa d’elle-même. Le 23 mai, le général en chef, dans une lettre adressée au ministre de la Guerre, demanda d’augmenter la taille des bâillons et de changer la matière les constituant pour les rendre plus performant.André Kling adressa également un rapport au ministre de la Guerre le 25 mai 1915, reprenant les mêmes conclusions. A la date du 27 mai, sur proposition du général en chef, les Français décidèrent donc de modifier leur taille, en les agrandissant à la dimension de 13x25 cm et en les garnissant d’étoupe, à défaut de toute autre substance. Le nouvel engin s’appellerait désormais compresse. Les premiers types de compresses allaient rapidement être produits, aussi bien au front par les armées que par la STG à Paris.
Compresse du premier type, adoptée le 27 mai 1915. De taille bien plus importante, elle assure une meilleure filtration de l'air inspirée. Elle est présentée ici avec des lunettes de protection en caoutchouc.
Fixée au visage, la compresse englobe sans difficulté la totalité des voies respiratoires.
Ci-dessus : rapports de deux médecins anglais, suite aux attaques par vague gazeuses des 24 mai 1915. Ils mettent en exergue les défauts des premiers appareils protecteurs contre le chlore distribuées aux troupes britanniques. Malgré leur rusticité, ces moyens ont cependant montrés une bonne efficacité et ont permis de résister contre les vagues de chlore allemandes. Ils étaient cependant perfectibles et les remarques de ces rapports vont bien évidemment bénéficier aux appareils protecteurs français.
Encore une fois, la précipitation dans la détermination du modèle à produire, allait démontrer ses faiblesses. Le mode d’attache, assuré par deux liens fixés aux coins du rectangle de tulle, était particulièrement fragile et se rompait lorsqu’on exerçait une traction violente sur celui-ci. Kling, dans un rapport daté du 5 juin 1915, précisait également : « L’étoupe doit être fixée à l’enveloppe par quelques fils pour l’empêcher de former des boules ou de s’effilocher ». Pour supprimer ces inconvénients, un deuxième type de compresse fut rapidement produit, en remplaçant les liens latéraux par deux rubans, de largeur au moins égale à celle de la compresse à son niveau, et diminuant vers les extrémités. L’étoupe fut retenue dans l’enveloppe par plusieurs points de fil, rendant les deux éléments solidaires.
Compresse du deuxième type, adoptée vers la fin du mois de juin 1915. Le mode d'attacahe est une nouvelle fois modifié pour assurer une meilleure résistance. Les lunettes de protection sont ici un modèle en cuir fixé sur un molleton imprégné.
Ci-dessus : compresse du deuxième type.
La protection chimique contre le chlore que conférait la compresse fut jugée très acceptable. Le chlore, ayant une aptitude réactionnelle très grande, la réaction était rapide avec l’hyposulfite de soude :
Na2S2O3 + 4Cl2+ 5H2O à Na2SO4 + H2SO4 + 8HCl
Pour neutraliser les acides sulfurique et chlorhydrique à mesure de leur formation, on ajouta du carbonate de soude à la solution, et enfin de la glycérine permetant de garder le tampon humide. Certains bâillons seront colorés au méthylorange pour indiquer à quel moment les substances neutralisantes étaient épuisées, en colorant la compresse en rouge, lorsque les dernières portions d’hyposulfite avaient été décomposées par le chlore et que les acides devenaient libres.
Le 19 mai, la totalité des appareils provenant des mines fut récupérée. De modèles variés, leur nombre n’etait que de 210, alors que toute les armées en réclamaient. Et encore, 60 d’entre eux devaient être réparés avant utilisation. Pour combler ce vide, il fut décidé de commander des appareils Fernez, puisqu’ils pouvaient servir à la protection contre le chlore. L’appareil était constitué d’une boîte en fer, fermée par un couvercle à vis : le barboteur. Elle était retenue sur la poitrine par une attache passant autour du cou. Un tuyau la reliai aux voies respiratoires via un embout buccal. A l’inspiration, l’air passait dans la boîte métallique et barbotait dans une solution d’hyposulfite et de carbonate de soude que contenait le réservoir. Un tube de caoutchouc aplati, fixé sur l’embouchure, servait de soupape. Le système semblait alors simple et peu coûteux à produire.
Le modèle de cagoule adopté par les Anglais semblait donner de bons résultats, aussi fut-il décidé d’en produire, en plus des bâillons. La Section technique du Génie demanda donc au lieutenant-colonel de la Panouse, attaché militaire à Londres, de commander d’urgence 30 000 mètres de flanelle Viyella kaki, la même que celle utilisée pour les cagoules anglaises, servant d’ordinaire à fabriquer des chemises, et qui seule permetait de confectionner des cagoules efficaces. En attendant la livraison, la S.T.G. tentait la fabrication avec tous les tissus qu’elle avait sous la main et en essayant plusieurs modèles différents. Le 18 mai, une note fut envoyée aux Armées :
« En plus des moyens de protection contre l’action de gaz asphyxiants indiqués précédemment, il sera distribué aux armées des cagoules. Ce sont de simples sacs en flanelle ou en toile percés d’une ouverture à hauteur des yeux ; cette ouverture est fermée par une plaque transparente de matière spéciale. Le sac est assez grand pour pouvoir englober la tête recouverte du képi ; il peut être fermé hermétiquement à la partie inférieure en l’introduisant sous la capote ou la veste que l’on boutonne par-dessus. En temps ordinaire, il peut se porter roulé en turban autour du képi. La respiration s’effectuant au travers du tissu de la cagoule, il est nécessaire de la plonger au préalable tout entière dans la solution d’hyposulfite indiquée précédemment.
Certaines cagoules comportent en outre un tampon à appliquer sur la bouche et les narines, après l’avoir trempé dans la même solution ».
La cagoule fut envoyée dans une enveloppe imperméable (si possible), que l’on fixait simplement avec des tresses aux bretelles de suspension de l’équipement ou à l’intérieur de la tunique. Le 21 mai, 8000 cagoules furent envoyées à Dunkerque, puis le lendemain 40 000 envoyées aux autres armées.
Sur le front, la cagoule était particulièrement appréciée, notamment pour sa facilité d’utilisation. Au début du mois de juin, 2 millions de cagoules furent commandées à la S.T.G. par l’ensemble des armées ; situation bien embarrassante pour celle-ci, puisque les Anglais, qui faisaient uniquement usage de leur flanelle pour leurs appareils de protection, refusaient d’en livrer en France, de peur de ne pas en avoir suffisamment. Dans l'attente des livraisons, certains corps de troupes décidèrent de se débrouiller par eux-mêmes et se lançaient dans la fabrication de cagoules. Le général Malcor, de la Direction des étapes et services, s’intéressa alors de près à ce genre d’initiative pour les encourager, et proposa un de ces modèles à la Commission pour qu’elle puisse juger de son efficacité: « Certains corps ont fait confectionner avec de la flanelle de coton de couleur bleu clair, qui s’imbibe facilement du liquide préservateur, et dans lesquelles un élastique intérieur, monté sur les bords même de la plaque transparente (en mica ou Celluloïd) maintient cette plaque en face des yeux ». La Commission n’était alors pas défavorable à ce type d’engin, et la D.E.S. se chargeât d’étudier la confection de ces cagoules ou de proposer ce modèle aux armées. C’est ainsi que, dans la plupart des secteurs, les G.B.D, les laboratoires divisionnaires ou toutes autres formations sanitaires, se hâtaient de fabriquer des modèles de cagoule de tous les genres, aux finitions inégales. La protection qu'elles apportaient dans une vague de chlore était souvent toute relative.
Le problème de la protection des yeux fut rapidement exposé. Les 90 000 paires de lunettes commandées quelques mois auparavant n’étaient pas suffisantes. Le 11 mai, la Section technique du Génie commanda donc 400 000 paires de lunettes supplémentaires dont 50 000 à garniture en caoutchouc. L’essentiel de cette commande fut passé auprès des seuls fabricants qui proposaient alors ce genre d’article, Houzelle et Hutchinson, avant qu’il ne soit encore question d’un modèle spécial fabriqué pour le compte de l’armée. De leur côté, les Armées passèrent divers contrats avec de nombreux fabricants. Le G.Q.G. réagira d’ailleurs très vite, car de nombreux officiers descendaient à Paris passer marché au compte de leur armée, auprès des mêmes fournisseurs que le ministère, sans hésiter à surenchérir pour obtenir une livraison plus rapide. Car, seulement 3000 paires pouvaient être produites par jour sur le territoire pour l’instant, ce qui voulait dire que de nombreux secteurs du front n’en seraient pas munis de si tôt. Mais surtout, la plupart des lunettes livrées n'étaient pas prévues pour cet usage. De mauvaise qualité, s’ajustant mal sur le nez des hommes, et souvent absolument pas étanches, elles étaient souvent complètement inefficaces. Dans certains corps de troupe, on tenta d’en fabriquer sur place avec les matières premières disponibles, mais rarement avec succès.
Monsieur Weiss, qui s’était spontanément présenté au G.Q.G. et qui était devenu le président de la Commission des études chimiques de guerre, fut sollicité par le général Curmer pour réunir une nouvelle commission faite de spécialistes en différents domaines, dans le but de concentrer toutes les informations relatives à cette nouvelle arme et surtout de coordonner les décisions qui devaient être prises. Weiss souhaitait la création d'une nouvelle Direction générale au sein du Ministère de la Guerre, qui dépendrait uniquement du Ministre. Albert Thomas, un des quatre sous-secrétaires du Ministère de la Guerre, entendait bien étendre ses attributions de responsable de l'artillerie et des munitions, au domaine de la guerre chimique. Il entendait bien interdire la formation de cette nouvelle Direction ; ainsi, le général Chevalier, directeur de la 4e direction, refusa la création d’un organisme officiel, mais une entente verbale fut trouvée.
La nouvelle commission se divisa en trois sous-commissions :
- Recherches sur le front, confiées à Kling.
- Etudes et expériences, confiées à Weiss, qui fait appel aussitôt à de nombreux autres scientifiques de renom, dont notamment monsieur Lebeau, professeur à l’Ecole supérieure de Pharmacie de Paris.
- Un service de production et d’exécution, confié à la Section technique du Génie. (Cette organisation subsiste jusqu’au 1er juillet date à laquelle est créée une Direction du matériel chimique de guerre).
L’organisation de la Commission subsista jusqu’au premier juillet 1915, date à laquelle fut créée, par décision du 18 juin, une Direction du matériel chimique de guerre (DMCG), rattachée à la 4e direction. Puis le 22 juillet, Albert Thomas réussit à faire passer la DMCG sous son autorité, celle du sous-secrétariat d'Etat à l'artillerie. Le 23 juillet, le colonel Ozil du Génie, pris la tête de la nouvelle direction. Entre temps, tout le service des substances chimiques passait sous la direction du sous-secrétaire d’état de l’artillerie et des munitions ; puis, le 10 août 1915, sous la direction spéciale du Ministère, la DMCG ayant acquis le rang de Direction générale.Trois départements furent créés:
Un département fut chargé des recherches et du développement, sous le nom de Inspection des études et expériences chimiques, ou IEEC. ; il fut confié au général Perret.
Un deuxième fut chargé des aspects industriels, l' Etablissement central de la Direction du Matériel Chimique de Guerre ou DMCG, dirigé par Papon.
Le dernier, en charge d'étudier les conditions d'extension et de création des industrie nécessaires, la Section Technique et industrielle de la DMCG, confiée à Cuvelette.
Le 2 juin, la Commission des gaz asphyxiants, sous la présidence de Weiss, se réunissait donc pour la première fois. Désormais, elle ne se réunira plus qu’une fois par semaine, alors que les réunions avaient lieu tous les jours jusqu’ici.
En premier lieu, il fut décidé d’arrêter toutes les recherches de prévention contre l’ammoniac qui constituait en réalité, un excellent moyen de défense contre le chlore. Plusieurs membres proposèrent de travailler sur un système qui pourrait réduire la vague de chlore par des pulvérisations d’ammoniac juste devant la tranchée, quand celle-ci arriverait1. C’est sur ce mode de protection collective que la Commission va commencer à se pencher en délaissant la protection individuelle que beaucoup considéraient comme résolue. On imaginera par la suite de pulvériser l’ammoniac sur des tas de branches pour augmenter la surface de réaction, ou encore d’allumer de grands feux devant le parapet en espérant faire passer la vague au-dessus de la tranchée. Seulement, de toutes ces solutions, aucune n’était réellement efficace. Et pourtant, les recherches et les propositions de protection collective seront nombreuses et souvent appliquées sur l’ensemble du front.
Le respirateur semblait une alternative intéressante aux bâillons et cagoules et sera proposé par le pharmacien aide-major Maurice Javillier, préparateur à l’Ecole supérieure de Pharmacie de Paris, appartenant alors au laboratoire de bactériologie et de chimie du 36e Corps d’armée. C’est dans ce laboratoire qu’on avait vu naître les premières cagoules au début du mois de mai 1915, et le 14 juin, le commandant Cadroy, chef du Génie à Dunkerque ainsi que Javillier, adressaient un rapport sur un respirateur, un bâillon et une cagoule issus de leurs recherches. Le respirateur se composait d’une cartouche filtrante métallique, suspendue au cou par une ficelle et reliée à la bouche par un tuyau en caoutchouc (le principe est proche de l’appareil Fernez ).
Voici un extrait de la notice descriptive :
« Le respirateur se compose d’une boîte en fer blanc de forme aplatie pour qu’elle puisse se porter facilement sur la poitrine. A sa partie supérieure, sa paroi présente une double rangée de trous circulaires qui seront les orifices d’entrée de l’air. Le fond inférieur est mobile pour permettre d’ouvrir la boîte et d’y introduire les substances neutralisantes. L’intérieur est divisé en deux capacités concentriques par un cylindre parallèle à la paroi externe et réuni seulement au fond supérieur. Un vide suffisant est ménagé entre le bas de ce cylindre et le fond mobile de la boite, de manière à établir une communication entre la capacité périphérique et la capacité centrale. A la partie supérieure de cette dernière est disposée une cloison percée de trous qui délimite avec le fond supérieur, une petite chambre communiquant avec le tube d’aspiration.
L’appareil se porte sur la poitrine en haut et à gauche ; il est suspendu au cou au moyen d’une cordelette qui passe dans trois oreilles placées, deux d’entre elles dans le haut du corps de l’appareil et la troisième près du milieu du fond mobile. Les mouvements respiratoires de l’homme au travers du tuyau aspirent l’air par les deux couronnes de trous extérieurs, puis il descend au travers de la matière neutralisante placée dans la cavité jusqu’au bas de la boite, remonte à travers la cavité centrale également remplie et arrive parfaitement purifié dans le tube par lequel s’opère également le rejet de l’air expiré ».
La matière utilisée pour constituer la solution neutralisante était de la ouate de tourbe. Grâce à la séparation de l’appareil en deux cavités, il était possible d’utiliser simultanément des réactifs qui pourraient être incompatibles.
Le 36e C.A. fit réaliser 12 000 appareils, dont la fabrication était assurée par la Compagnie générale d’alimentation à Coudekerque Branche (Nord), qui fabriquait habituellement des boîtes de conserve. Le chef de l’Etablissement central du matériel chimique de guerre demandera une notice détaillée pour la construction des appareils, mais finalement, le marché fut passé directement auprès de la Compagnie générale d’alimentation qui possédait déjà les machines-outils nécessaires. La commande initiale, au début du mois d’août, fut de 5 000 appareils, mais sera rapidement renouvelée. Les armées passeront parfois directement commande auprès du fabricant. Par exemple, le chef du bataillon du Génie de la 6e armée, envoyé en mission au mois d’août, passera commande de 20 000 à 100 000 appareils, selon les disponibilités de la fabrication. Effectivement, les commandes seront très importantes et la petite usine sera vite dépassée, si bien que le ministre de la Guerre devra intervenir pour donner priorité aux livraisons à l’E.C.M.C.G1.
Planche de fabrication de l'appareil Cadroy-Javillier, signée de Cadroy et Javillier, et photographie de l'appareil.
La fabrication des compresses, appareil encore très rudimentaire, débutait au début du mois de juin 1915 ; les premières livraisons aux armées intervenaient avant la fin du mois.
Seulement, au front, la cagoule semblait être nettement préférée aux appareils positionnés directement sur la bouche. En effet, les exemplaires distribués au mois de mai avaient pleinement satisfait les corps de troupe qui les avaient reçus.
Toutes les armées souhaitent s'en équiper ; la demande, au début du mois de juin, était alors portée à plus de 2 millions d’exemplaires ! D’ailleurs, de leur côté, les Anglais avaient également choisi ce mode de protection en abandonnant les bâillons. La cagoule semblait posséder de nombreux avantages : elle réunissait en même temps, la protection des voies respiratoires et des yeux, elle se mettait en place facilement et rapidement. Le 18 juin 1915, la Commission décida donc d’adopter la cagoule en flanelle anglaise, en souhaitant trouver rapidement le drap nécessaire à sa confection.
Le même jour, le commandant Legouez, de la Section technique du Génie, proposait à la Commission un appareil qu’il avait mis au point lui-même. Il s’utilisait avec une compresse et permettait d’assurer une mise en place rapide et sûre. En outre, il protégeait également les yeux. Il était composé d’une armature métallique sur laquelle était cousu un tissu étanche. Un bourrelet de cuir était placé sur le bord du masque pour apporter un meilleur confort. Pour assurer une étanchéité parfaite, une solution de caoutchouc était passée sur les coutures. Son appareil, baptisé STG pour Section technique du Génie, semblait un bon compromis entre, d’une part, la cagoule dont on ne disposait pas suffisamment de tissu adéquat pour la confection, et d’autre part la compresse qui était difficile à mettre en place mais qui semblait assurer une meilleure protection.
Seulement, de tous ces moyens, personne ne savait lequel assurait la meilleure protection. Fallait-il privilégier la fabrication et la distribution de l’un de ces modes de protection ou les trois à la fois ? Pour répondre à ces questions, la Commission décida de mener un étude systématique de la valeur de protection de ces engins. Comment ? Tous simplement en faisant séjourner le plus longtemps possible dans une atmosphère toxique, de concentration connue, un sujet muni de l’appareil à évaluer...
Le 3 juillet, les expériences furent menées dans le laboratoire de Heim avec la collaboration de Kling, pour tester les appareils suivants :
- Le bâillon de type anglais mesurant 25x13 cm, constitué par de la gaze contenant 40 grammes d’étoupe de coton (il s’agissait de la compresse réglementaire française), employé simultanément avec des lunettes.
- Le masque de la Section technique du génie (masque STG).
- La cagoule, en flanelle pure laine.
On fit réagir dans une chambre d’essai, une quantité donnée d’acide chlorhydrique sur du bioxyde de manganèse, puis les différents expérimentateurs entraient dans la pièce… L’expérience était réalisée dans des concentrations de chlore croissantes, allant de 0,3 g/m3 à 1,6 g/m3, et se terminait lorsque le séjour était devenu insupportable (la concentration de 1,6g/m3 est mortelle après quelques minutes d'exposition). Toutefois, à la fin de la journée, aucun appareil ne put être éliminé, tous ayant montré une protection efficace. Les impressions personnelles penchaient cependant en faveur de la cagoule ; un soldat sans arme et sans chargement, mettait 30 secondes pour placer le bâillon et les lunettes, et 14 secondes pour revêtir la cagoule. Le bâillon avait permis au commandant Legouëz de séjourner dans une concentration à 1,6g/m3 de chlore pendant 15 minutes ; il déclarait d’ailleurs qu’il aurait pu tenir d’avantage. Avec l’appareil STG, le lieutenant Manuel resta à la même concentration dans la chambre, pendant 14 minutes. Au bout de ce temps, il ressentit des picotements au niveau des yeux. Enfin, avec la cagoule, Legouëz séjourna pendant 10 minutes et ne sortit qu’après en être prié, sans être incommodé.
L’expérience fut donc à nouveau menée le 5 juillet, dans une atmosphère plus concentrée, préparée par l’action de l’acide chlorhydrique sur le permanganate de potassium. On souhaitait alors faire les essais à la concentration de 3,2 g/m3 , mais les dosages révéleront une valeur moyenne proche de 2,8 g/m3. Rappelons que l'exposition à ces concentrations sans protection, est létale après une minute. A la fin de la journée, les assistants tirent les conclusions suivantes :
- La cagoule anglaise était un bon moyen de protection, mais la condensation à l’intérieur rendait la visibilité nulle, et augmentait la difficulté à respirer, au fur et à mesure que le tissu se chargeait d’eau. Elle permit de séjourner pendant 9 minutes dans l’atmosphère fortement chlorée.
- Le bâillon et les lunettes constituaient un moyen de défense efficace, mais de courte durée. En outre, il était pratiquement impossible de l’appliquer correctement sur les voies respiratoires sans fuites.
- Le masque STG recouvert par le bâillon était un très bon procédé de conservation, mais il occasionnait, lui aussi, une forte gêne respiratoire, et devait toujours être en excellent état pour conserver son étanchéité. Heim resta dans la chambre pendant 17 minutes muni de cet appareil, et ne ressortit qu’à la prière des assistants. Il ressentit tout de même un picotement aux yeux, probablement dû au passage de petites quantités de chlore à travers les trous faits par les coutures.
Le 7 juillet, les résultats furent discutés à la Commission, qui décida d’adopter le masque STG avec le bâillon et une commande de 100 000 masques fut passée. On décida également de rechercher si l’étoupe des compresses ne pouvait pas être avantageusement remplacée par de la gaze, pour rendre la respiration plus facile. La plupart des armées s’étaient plaintes, en effet, de l’extrême difficulté que l’on avait à respirer au travers des compresses, même au repos. Une fois mises en place, il était alors impossible de pratiquer le moindre effort, sous peine de manquer d’air immédiatement.
Pour la cagoule, aucune remarque au sujet de la vision ne fut formulée ; pourtant, plusieurs personnes s’accordaient à dire que celle-ci était extrêmement pénible au bout de quelques minutes. Pour sa fabrication, le problème était crucial : il était impossible de se procurer la fameuse étoffe nécessaire en quantité suffisante. Le 19 juillet, le général Curmer rapporta pourtant qu’un confectionneur, monsieur Wertheimer, dont la fabrique était située rue Thiers à Boulogne-sur-Mer, s’était engagé à fournir au 36e C.A. 10 000 cagoules de flanelle dans les 25 jours. Celui-ci avait déclaré en outre qu’il lui restait suffisamment d’étoffe pour en faire 30 000 de plus. La Commission décida donc de les lui acheter. Deux jours plus tard, on appris que 200 000 m2 de flanelle Veyela sembalient disponibles à Londres. L’impossible fut tenté pour les récupérer, mais, encore une fois, les Anglais réussiront à en empêcher l’export.
A peine la Commission avait-elle défini les moyens de protection les plus efficaces contre le chlore qu' un autre problème se posait alors, celui de la protection contre les substances lacrymogènes. Kling, lors de la séance du 5 juillet, rapporta les constatations qu’il venait de faire sur le front : l’utilisation de bromure de benzyle, de bromacétone et d’autres substances très actives qu’il n’avait pas encore déterminé (il s’agissait principalement de la palite). Il rapporta l’absence de protection des hommes au front qui, pris dans les vapeurs toxiques de ces nouvelles substances, suffoquaient et étaient entièrement aveuglés par leurs effets lacrymogènes.
La course poursuite entre les chimistes des deux camps venait de s'engager, pour mettre au point les protections respiratoires sans cesse plus efficaces, contre des toxiques sans cesse renouvelés, toujours plus nocifs...
Il devint indispensable de se préoccuper à munir les hommes d’appareils efficaces contre ces substances mais aussi contre celles que l'ennemi pourrait introduire ultérieurement ; en somme, avoir toujours une longueur d'avance. Mais comment ?
Il fut d'abord envisagé de plus imbiber les compresses de solution d’hyposulfite. On supposait pouvoir ainsi neutraliser une bonne partie de ces nouvelles substances. Mais cela serait-il suffisant pour éviter l’irritation oculaire ? Kling signalait à ce sujet, que les lunettes envoyées n'étaient pas efficaces ; elles n'étaient pas étanches, étaient fragiles, se détérioraient rapidement et les lames de viscose constituant les oculaires se gondolaient et déterminaient des fissures par où pénètrait les gaz. Au milieu du mois de juillet, les différentes armées en avaient commandé 2 600 000 exemplaires, et seulement 600 000 avaient été expédiées, le reste devant être produit dans les 2 mois à venir. Elles manquaient déjà cruellement sur le front, et il fallait parfois les fabriquer sur place avec des moyens de fortune. Le général Joffre le fit remarquer amèrement au général de la Section technique du Génie le 29 juin, et deux jours après, la gestion de la fabrication fut confiées à la nouvelle Direction du matériel chimique de guerre dépendant directement du ministre de la Guerre.
La solution de la protection contre les lacrymogènes ne semblait pas résider en une filtration chimique. Monsieur Bonjean, chef du laboratoire d’hygiène publique de France, eut alors l’idée de recourir à l’action dissolvante des huiles et des essences. Il essaya un tampon de tarlatane (une gaze fine) trempé dans une vieille essence de térébenthine, comme protection vis-à-vis du bromure de benzyle. Les résultats semblèrent concluants, et il s’empressa d’avertir la Commission qui se réunit le 20 juillet. De son côté, Heim avait expérimenté avec succès, un appareil de son invention, constitué d'un tuyau de caoutchouc rempli de pierre ponce imbibée d’huile de lin. L’idée parut intéressante, et on se proposa d’ajouter au tube de Heim une soupape d’expiration pour continuer les essais.
C’est également au cours du mois de juillet que la Commission proposa d’étudier un moyen de protection contre le phosgène. En effet, ce gaz qui était un sous-produit que l’industrie allemande fabriquait en très grande quantité. A cette époque, on savait qu’il était bien plus toxique que le chlore, mais qu’il n’existait aucun moyen de protection. Les Anglais avaient fait part de leurs craintes à l'égard de ce produit, depuis qu’un de leurs agents les avait renseignés au sujet de stocks importants de phosgène constitués par les Allemands. De leur côté, les Anglais procèdaient à des essais de protection avec du sulfanilate de soude. La protection contre ce gaz devint d’autant plus nécessaire que Lebeau et le professeur Urbain étudiaient ses propriétés, et mènaient des essais visant à l’utiliser chargé en obus. Les études progressaient rapidement, mais on ne pouvait l’utiliser sans avoir mis au point une protection efficace, de crainte que les Allemands l’utilisent à leur tour ou que des changements de vent ne ramènent les vapeurs toxiques vers nos troupes.
Dans le but obtenir rapidement des résultats, les recherches furent divisées ainsi : Heim s’occupa d’étudier le phénate de soude, Bonjean la térébenthine, Henry et Kling le sulfanilate de soude, et Lebeau les huiles lourdes de houille. Bonjean, quelques jours plus tard, essaya son tampon contre le phosgène, persuadé qu’il était arrivé à un résultat satisfaisant. Alors qu’aucun expérimentateur ne pouvait tenir plus de 30 secondes dans la pièce infectée par ce gaz, Bonjean y séjourna une demi-heure sans inconvénients, ce qui renforcit sa conviction que l’essence de térébenthine le protégeait…L’expérience paraissait prometteuse mais, malheureusement, Bonjean fut aveuglé par le désir de montrer l’efficacité de son tampon, et ignora les légers signes d’irritation des voies aériennes qu'il ressentit. On découvrit ainsi l’insidiosité du phosgène, dont les effets les plus importants se développaient après une période de latence allant de 1 à 24 heures. On observait alors un œdème respiratoire et une acidose métabolique qui pouvaient devenir gravissime. Par la suite, Weiss déclarera à la Commission que « Monsieur Bonjean s’est trouvé assez sérieusement incommodé à la suite de ces essais ». On l’imagine facilement… Il fut alors le premier membre des futurs Services chimiques à être gravement intoxiqué, le premier d’une longue série.
Le 23 juillet, le G.Q.G. recevait un rapport espion de l’un de ses agents en Allemagne, lui indiquant que, de source très crédible, il avait appris que la « Soda Anilin Fabrick » à Ludwigshafen fabriquait depuis déjà deux mois des obus à l’acide cyanhydrique. Cette information fut prise très au sérieux, car l’acide cyanhydrique est une substance très toxique qui peut tuer, dans certaines conditions, de façon presque instantanée. La France pratiquait également des expériences sur ce corps, qui avait été essayé à Vincennes dès le 9 juin 1915. Lebeau et Urbain avaient réussi à le stabiliser à l’aide du chlorure d’étain, d’arsenic et de titane. On envisageait son chargement dans des obus1. Le mélange fut plus tard baptisé Vincennite, puisqu’il fut expérimenté pour la première fois dans le puit de Vincennes.
La tâche primitive de la Commission de protection se compliquait alors. Il fallait impérativement trouver un moyen de protection contre tous ces agents et étudier quels étaient les prochains gaz susceptibles d’être utilisés par l’Allemagne, en vue de proposer un moyen de préservation avant leur emploi. Sans résultats, on risquait de courir à la catastrophe, car on tenait comme certain que l’Etat major allemand ne recommencerait pas son erreur du 22 avril à Ypres et profiterait certainement d'un avantage tactique pour emporter une décision sur le front.
Le 26 juillet, une note, à l’attention du Service de Santé des Armées, fut envoyée, suite aux premières propositions de Bertrand pour rendre les lunettes étanches :
« Le S.S.A. doit se charger de rendre étanches les lunettes en interposant entre les cercles de chaque lunette et la peau de petits carrés d’ouate hydrophile ou de gaze à pansement découpés et imbibés d’un corps gras ».
Le lendemain, la Commission se réunit pour faire le point des différentes expériences menées. Les Anglais avaient proposé d’utiliser le sulfanilate de sodium contre le phosgène : malheureusement, il semblait impossible dans l’immédiat, de se procurer ce produit en quantité suffisante. Pour la protection contre les lacrymogènes, les études étaient en cours avec espoir qu'elles allaient aboutir.
Seulement, un autre problème, d’ordre technique, devait être résolu : comment mettre en fabrication un nouvel appareil imprégné de solution neutralisant les lacrymogènes, le produire à des millions d’exemplaires, pour le réformer dès que l’on aurait mis au point un procédé de protection contre le phosgène et contre l’acide cyanhydrique, ce qui ne devait pas tarder. Comme nous allons le voir, la solution résidait en un appareil modifiable par l’ajout d’éléments supplémentaires.
Lorsqu’on reprit les expériences de Bonjean, qui avait été intoxiqué lors de ses essais, on utilisa de la térébenthine fraîche pour se protéger des lacrymogènes ; cette substance ne montra alors plus aucune efficacité. On découvrit ainsi par la suite que, pour être efficace, il fallait que l’essence soit résinifiée ! (se résinifier signifie que l’essence de térébenthine, en vieillissant, perd une partie de ses solvants volatils). La réalisation en grand du tampon imprégné selon le procédé Bonjean se heurtait donc à des difficultés industrielles, qui s’opposaient à sa mise en pratique immédiate, puisqu’on ne pouvait trouver tout de suite la quantité d’essence résinifiée nécessaire. On se tourna alors vers les propriétés absorbantes des huiles et des corps gras.
Les travaux de Hanriot et Bertrand permirent de préciser que l’huile de lin était la protection la plus efficace contre le bromure de benzyle, gaz lacrymogène alors le plus utilisé par les Allemands, et que le pouvoir de filtration des huiles augmentait au cours de leur vieillissement. Enfin, Lebeau expliqua qu’il aavait préparé des tampons de la manière suivante : « de la gaze est plongée dans une solution alcoolique d’huile de ricin, puis lorsqu’elle est sèche, on la découpe et on en emploie 6 épaisseurs. On obtient ainsi un tampon qui se montre efficace vis-à-vis du bromure de benzyle et qui possède le très grand avantage de n’avoir pas le toucher gras. De plus, par suite de sa solubilité dans l’alcool, l’huile de ricin permet d’obtenir des solutions mixtes d’alcool et de savon ; on pourra ainsi obtenir sans doute des tampons qui exerceront une action simultanée sur le bromure de benzyle et sur le chlore. »
En toute urgence, des essais furent menés l’après-midi même, par Lebeau et son équipe, et aboutirent à la description du prototype du premier appareil respiratoire polyvalent. Une notice fut rédigée par les docteurs Banzet et Flandin, le lendemain, 28 juillet 1915 :
« Le tampon destiné à réaliser la protection des voies aériennes est formé de :
1 – une enveloppe appropriée, dans laquelle sont introduites :
2 – les compresses pouvant êtres imprégnées de :
3 – produits divers susceptibles de neutraliser les gaz nocifs, et maintenus sur le nez et la bouche par des :
4 - attaches.
Enveloppe.
L’enveloppe est une sorte de portefeuille rectangulaire à rabat, fait en une double épaisseur de gaze souple de 26 cm de long sur 14 cm de large. Le rabat est muni de boutonnières, ou mieux de boutons à pression. La gaze qui constitue cette enveloppe est teintée en jaune marron par imprégnation dans une solution de permanganate de potasse à 1/200. Pour protéger la peau de l’action de certaines substances neutralisantes, l’enveloppe est paraffinée. »
(NB : La nécessité de compléter, par la suite, les compresses neutralisantes par d’autres, impose de pouvoir ouvrir le tampon, ce qui explique la présence du rabat).
« Compresses.
On introduit dans l’enveloppe 4 compresses superposées des dimensions de l’enveloppe. Chacune d’elles est faite d’un morceau de gaze souple, plié en 6 épaisseurs.
Attaches.
Les attaches sont formées de deux bandes en tissu souple et peu extensible de 80 cm de longueur et en largeur de 12,5 à 7,5 cm à l’extrémité libre.
Pour augmenter la surface filtrante à travers laquelle l’air inspiré passe, il est utile d’inclure dans le tampon une sorte de petite carcasse en fil de fer destinée à s’appliquer par sa périphérie sur la partie inférieure du nez et au-dessous de la lèvre inférieure, et ménageant en avant de la bouche et des narines une logette dans laquelle le sujet respire. On introduit ainsi des petits morceaux de ressort recuit dans l’enveloppe. Un ressort de 10 cm est placé transversalement à la partie supérieure de l’enveloppe de façon à se monter sur la partie inférieure des os du nez. Deux autres lames métalliques sont placées en biais dans les angles inférieurs de l’enveloppe, de façon à se monter sur les branches horizontales de la mâchoire.
Produits neutralisants.
Imprégnation de la gaze à l’huile de ricin (procédé de Lebeau, Bamier et Courtois : ces deux derniers étaient pharmaciens au laboratoire de Lebeau). On emploie le liquide suivant :
- huile de ricin 1 000 gr
- lessive des savonniers 100 gr
- glycérine 100 gr »
Ceci n’etait qu’une description provisoire du futur tampon, mais elle fut directement envoyée à la Direction du matériel chimique de guerre. Celle-ci fit parvenir une réponse le 2 août, en précisant qu’elle s’occupait immédiatement de l’approvisionnement nécessaire à sa confection.
Inopportunément, la teinture et l’imprégnation de la tarlatane dans le mélange huileux devaient demander une organisation industrielle considérable, en raison de la quantité d’étoffe à préparer. Comme il était urgent que ces différentes solutions soient mises en application au plus tôt, plusieurs modèles de tampons allaient se succéder au fur et à mesure de la production.
La multiplication des attaques chimiques par lacrymogènes imposait la distribution au plus vite d’appareils de protection imbibés de solution au ricin-ricinate. Pour que la D.M.C.G. puisse se consacrer entièrement à la production du tampon décrit par la Commission et en attendant sa livraison, la fabrication des tampons et leur imprégnation allait être confiées au Service de Santé de chaque Armée. Une note provisoire fut rédigée à leur intention.
« Les tampons doivent recouvrir une bonne partie de la face et doivent avoir environ 20 cm sur 10. Ils doivent être de préférence constitués par 4 compresses superposées de tarlatane ou de mousseline non apprêtée, les bandes formant les compresses étant pliées sur 6 épaisseurs. Les compresses sont contenues dans une enveloppe en gaze également non apprêtée. » La notice stipulait que tous les tampons existants dans les réserves des armées, se rapprochant de ces indications, seraient utilisés après avoir été imprégnés du mélange à l’huile de ricin.1
Enfin, une dernière modification précisait : « Afin que le tampon épouse le plus exactement possible la forme du nez, on introduira dans sa partie supérieure un fil de fer souple permettant de modeler le tampon suivant la conformation particulière de chaque homme. » A cet effet, il fut envoyé sur demande aux armées, des morceaux de fil de fer. Enfin, pour les lunettes, une proposition de Bertrand conduisit à la disposition suivante :
« Les substances lacrymogènes exerçant une action physique et morale très impressionnante, il est essentiel que les lunettes soient étanches.
Toutes les lunettes devront être garnies désormais d’une couche de tissu souple et suffisamment épais, en simple ou en double épaisseur. On emploiera dans ce but un morceau de molleton ou d’étoffe rectangulaire équivalente à angles légèrement arrondis de 20 cm de longueur sur 11 de hauteur, percés de 2 orifices circulaires de 5 cm de diamètre séparés par un intervalle de 2,5 cm. L’étoffe préalablement imprégnée d’une solution d’huile de ricin et d’alcool à 90° sera pressée et séchée, puis cousue sur toute la périphérie des orifices à la monture de la lunette.
A la partie inférieure de l’étoffe sera fixé à l’extérieur un fil de fer transversal (recuit et galvanisé) de 15 cm de longueur, disposé à 4 cm au-dessous de l’axe longitudinal des lunettes. Ce fil de fer destiné à se modeler sur le nez et les joues, permettra une obturation presque parfaite s’il est bien adapté par l’homme lui-même à la forme de son nez et de ses joues. »
Les lunettes de la D.M.C.G. devaient être modifiées de la même façon, si cela était possible, (la D.M.C.G. précisa qu’il s’agit des types bleu, types beige et types caoutchouc) ou être réformées. Leur système de fixation par élastique fut remplacé par un lacet. Ceci concernait alors 312 850 paires de lunettes en magasin, transformées à raison de 30 000 paires par jour.
Les armées devaient procéder à cette modification avec les moyens dont elles disposaient. Au début du mois d’août, ce travail fut réalisé par les Groupes de Brancardiers Divisionnaires, puis le 22 août, furent créés des ateliers spécifiques dans chacune des formations sanitaires. Leur rôle fut de confectionner, de réparer et de régénérer les appareils protecteurs. Des molletons leur étaient envoyés pour transformer leurs lunettes, dans la mesure où le nombre d’exemplaires n’était pas trop important.
Le 13 août 1915, la solution neutralisante fut modifiée :
« Des disponibilités nouvelles en huile de ricin ayant été constituées, il est ordonné de n’employer désormais pour l’imprégnation des tampons que la solution préparée selon la formule ci dessous :
Huile de ricin…………………1000 gr.
Alcool à 90°…………………..1000 gr.
Lessive des savonniers
Lessive de soude à 36° B……..100 gr.
Glycérine à 28° B 100 gr.
Mélanger dans l’ordre indiqué et agiter ».
La protection contre les lacrymogènes semblait alors résolue, et la Commission se pencha sur le délicat problème du phosgène et de l’acide cyanhydrique.
En réunion le 3 août, il fut proposé d’expérimenter un procédé de neutralisation de l’acide cyanhydrique sur lequel les Anglais travaillaient, l’acétate basique de nickel. La fixation du phosgène donnait lieu à de plus grandes difficultés, car si ce produit était neutralisé facilement par la soude ou l’ammoniac, la réaction était trop lente pour se réaliser dans le laps de temps très court d’une inspiration.
Le 14 août, toutes les expériences menées sur l’acétate basique de nickel permirent de conclure à sa réelle efficacité contre les produits cyanés, grâce aux travaux menés par Plantefol, au laboratoire de Simon (professeur à l’Ecole normale supérieure), et à ceux menés par Lebeau pour substituer le carbonate basique à l’acétate basique de nickel. On décida donc de l’incorporer, sur une nouvelle compresses, aux tampons P2 et cela dès que possible. Malheureusement, l’usine Poulenc, chargée de mettre en œuvre sa production industrielle, se heurtait à de nombreux problèmes et les 40 tonnes de sulfate de nickel nécessaires, et commandées en Angleterre, n'étaient toujours pas livrées. Pour le phosgène, aucune autre substance que le sulfanilate de soude ne paraissait utilisable et les recherches de neutralisation avec cette substance se poursuivaient.
Le 18 août, fut adressée aux armées une note décrivant en détail le nouveau tampon, pour que celles-ci puissent le fabriquer ou en faire la demande auprès de la Direction du matériel chimique de guerre, le cas échéant. Dans cette nouvelle description, le mode de fermeture de l’enveloppe était modifié car, lorsque l’on tendait le tampon par ses attaches, les boutons-pression avaient tendance à sauter. La fermeture était désormais obtenue par un rabat, constitué d’une bande de 9 cm de gaze prolongeant le petit côté. Trois lames de fer de 7 mm de largeur, enveloppées de toile mince, étaient cousues à l’intérieur de l’une des parois ; elles étaient disposées, l’une parallèlement au grand côté, les deux autres en diagonale près des petits côtés. Elles devaient permettre de modeler le tampon suivant la configuration du visage et de créer un espace devant les voies respiratoires. Les tampons furent livrés dans de nouveaux sachets de protection, plus grands (environ 17x28 cm), séparés en deux par une cloison permettant d’isoler le tampon d’un côté et les lunettes de l’autre ; il prit l’appellation de sachet S2. Cette note décrivait également une méthode qui permettait d’imbiber les cagoules avec le mélange au ricin-ricinate. En somme, la réalisation et surtout l’imprégnation des nouveaux appareils polyvalents, incombait alors en majeur partie aux armées. Le ministère de la guerre, en dispersant la fabrication des appareils protecteurs au sein de chaque armée, souhaitait obtenir plus rapidement leur distribution.
Au cours du mois d’août 1915, la production des premiers tampons P2 commandés par l’ECMCG débuta, pour atteindre 3000 unités par jour à la fin du mois (elle atteindra 30 000 unités par jour à plein rendement plus tard). Les premières livraisons aux Armées se firent alors, mais il ne s’agissait que de tampons à une compresse, ne protégeant pas contre le phosgène ni contre les dérivés cyanés, la réalisation des autres substances neutralisantes n’étant toujours pas résolue.
En effet, les docteurs Flandin et Banzet avaient déterminé que l’emploi du sulfanilate de soude ne pouvait être qu’un moyen d’attente : la compresse imbibée de ce produit ne protégeait que contre de faibles concentrations de phosgène. Faute d’autres moyens, on décida, le 23 août, d’utiliser tout de même cette substance. Mais, lorsque l’on passa de la préparation de laboratoire à la fabrication industrielle, on vit encore se réduire le pouvoir protecteur. Cette diminution semblait être imputable à l’adjonction, dans les bains d’imprégnation, de gomme adragante qui vernissait la gaze et s’opposait à l’entrée en réaction du sulfanilate. Toujours est-il que la protection contre le phosgène, par la compresse rouge à la phosgiane (nom de code du sulfanilate) industrielle, était extrêmement faible.
Le 3 septembre, la Commission de protection émit un rapport à l’intention du G.Q.G.pour récapituler la situation en matière de protection. Les cagoules jouissaient sur le front d’un engouement marqué, à l’inverse des tampons et des compresses. Elles présentaient en effet de nombreux avantages : facilité de mise en place, d’adaptation, et étanchéité facilement assurée. La Commission les condamnaient unanimement, en expliquant qu’elles apportaient une mauvaise protection dans des atmosphères concentrées et que la polyvalence de leur imprégnation nécessitait l’usage de plusieurs couches de tissu incompatibles avec un port prolongé. L’élasticité de l’air dans la cagoule s’opposait à un bon passage de celui-ci au travers de l’étoffe, diminuant ainsi la filtration et augmentant rapidement la teneur en dioxyde de carbone à l’intérieur. La respiration devennait alors pénible et la filtration inefficace. L’air confiné à l’intérieur de l’espace clos s’échauffait rapidement et se chargeait d’humidité, ce qui augmentait encore la gène respiratoire. En réalité, elles nécessitaient un tissu spécial très épais, dont on ne pouvait se procurer de grosses quantités (il s’agissait de l’étoffe anglaise) et l’utilisation d’un clapet expiratoire. Cet avis sera largement diffusé sur l’ensemble du front, et pourtant leur usage sera encore commun pendant 5 mois, avant que le G.Q.G. n’en interdise l’emploi.
La Commission donna également son avis sur différents masques qui lui avaient été proposés. Le problème des masques résidait dans leur difficulté d’adaptation à tous les visages. Les liens de caoutchouc avaient tendance à s’abîmer et à se détendre, tandis que les liens ordinaires nécessitaient d’être fortement serrés et procuraient une gêne importante. Il existait pourtant des solutions, mais elles étaient alors jugées coûteuses et demanderaient un long laps de temps, avant que les appareils ne soient distribués au front.
Les tampons, simples et économiques, étaient préférés par la Commission, même si on reconnaissait qu’ils interdisaient l’usage de la parole et que l’inhalation au travers des compresses était limitée à un seul endroit. C’est pour remédier à ces problèmes, que le docteur Banzet, ancien chef de clinique à la Faculté de médecine de Paris et membre de la Commission, proposa un appareil de son invention, perfectionnement réel du tampon. L’appareil Banzet était constitué d’une armature métallique sur laquelle était fixée la compresse. Cette armature créait en avant de la bouche et du nez un espace libre assez considérable qui facilitait la respiration et permettait la parole. La surface, au travers de laquelle la filtration se faisait, était alors bien plus grande que dans le cas du tampon appliqué contre la bouche. Ce tampon avait été essayé et c’est avec celui-ci que la protection était la plus prolongée et la plus satisfaisante.
En raison de l’urgence, et abstraction faite des progrès qui pourraient être réalisés, la Section proposa à l’autorité militaire comme seul moyen de protection efficace, le nouveau tampon à trois compresses :
- une compresse composée de 16 épaisseurs de gaze au ricinate de soude, efficace contre le chlore, le brome et les lacrymogènes alors utilisés. Elle sera baptisée C1.
- une compresse de 20 épaisseurs de gaze imprégnée de sulfanilate, contre le phosgène, de couleur rose. Cette compresse fut baptisée compresse n°2, puis C2.
- une compresse de 12 épaisseurs de gaze imprégnée d’acétate de nickel contre l’acide cyanhydrique, de couleur verte. Elle portera le nom de C3 pour compresse n°3.
Tampon Polyvalent P2 :
La protection que confèrait le nouvel appareil contre le chlore, semblait excellente, du moins lors des essais en chambre infectée à l’IEEC. Les différents expérimentateurs tenaient facilement plus d’une heure à la concentration de 1,6 g/m3 de chlore, et il semblait possible de pousser l’expérience au-delà de deux heures. Or, on admettait, à cette époque, que cette concentration ne pouvait être atteinte lors d’émission de vague gazeuse. Seulement, l’optimisme des membres de la Commission allait vite être tempéré par l’utilisation du P2 au front et en conditions réelles, par des hommes confrontés aux situations de combat. Et finalement, la mise au point du tampon P2 à peine achevée, on s’accorda déjà à lui trouver de nombreuses faiblesses, si bien que de nouvelles recherches sur la protection allaient immédiatement être entreprises, dans le but de mettre au point un nouvel appareil exempt de défauts, et qui devait définitivement remplacer les précédents. Il existait alors un nombre considérable d’appareils différents (petit bâillon premier modèle, compresse deuxième modèle à différents types d’attaches, différents tampons et modèles de transition, diverses cagoules avec ou sans tampon, masques Leclerq du corps colonial, masques STG, masques de la 4e armée ou autres demi-cagoules, appareils isolants à oxylite ou à oxygène comprimé et une multitude d’appareils du commerce. Les uns étaient encore imprégnés de la solution à l’hyposulfite qu’il fallait parfois humidifier, et les autres étaient maintenant imprégnés du mélange au ricinate).
Les premiers tampons P2 furent livrés aux troupes à partir du mois de septembre. Quelques temps après, on adressa aux troupes des compresses rouges de phosgiane, en nombre restreint, sachant qu’elles ne conféraient qu’une protection très limitée. Les premières livraisons de compresse n°2 au phosgiane débutèrent le 6 octobre, mais la production ne dépassait pas les 10 000 exemplaires par jour. Le 15 octobre, seulement 96 000 compresses étaient produites. Les livraisons de compresses vertes à l’acétate basique de nickel tardèrent, elles aussi, car la fabrication industrielle de ce produit ne fut pas facile à mettre en œuvre. Le 22 septembre, 30 000 compresses n°3 au vinciane (nom de code de l’acétate basique de nickel qui protège contre la vincennite[1] ou les dérivés cyanés) furent expédiées de l’usine de Thaon-les-Vosges où elles étaient produites. Deux semaines plus tard, les armées en avaient reçu seulement 200 000.
Le 17 septembre 1915, le Service du matériel chimique fut créé par arrêté ministériel et confié au Général Ozil, alors adjoint au sous-secrétaire d’Etat de l’Artillerie et des Munitions. Cette modification allait enfin lui donner beaucoup plus d’autonomie et lui permettre de jouer pleinement son rôle, sans entraves extérieures. Ce service fut divisé en deux, un organe d’étude et un organe de fabrication.
L’Inspection possèdait deux commissions :
- La Section des produits agressifs, qui s’occupait de la recherche des différents toxiques susceptibles d’être utilisés. Elle fut présidée par le Colonel Perret, et rassemblait 10 membres :
· Vice-président : professeur Charles Moureu, membre de l’Institut et de l’Académie de médecine, professeur de pharmacie chimique à l’école supérieure de pharmacie de Paris.
· Gabriel Bertrand, pharmacien, professeur à la Sorbonne et chef de service à l’Institut Pasteur.
· Victor Grignard, professeur à l’Université de Lyon.
· Job, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers.
· André Kling, médecin, chimiste et directeur du laboratoire municipal de la ville de Paris.
· Paul Lebeau, pharmacien, professeur de toxicologie à l’Ecole supérieure de pharmacie de Paris.
· Marcel Delépine, pharmacien, professeur de minéralogie et d’hydrologie à l’école Supérieure de pharmacie de Paris.
· Simon, professeur au Muséum.
· George Urbain, professeur à la Sorbonne.
· Professeur Terroine, secrétaire.
- La Section de protection :
Elle aussi fut présidée par le Colonel Perret.
· Vice-président : Professeur Achard, de la Faculté de médecine de Paris.
· Docteur Banzet, ancien chef de clinique à la Faculté de médecine de Paris.
· Professeur Bertrand, pharmacien.
· Alexandre Desgrez, pharmacien et professeur à la Faculté de médecine de Paris.
· Professeur Lebeau, pharmacien.
· Docteur Flandin, ancien chef de clinique à la Faculté de médecine de Paris.
· Professeur Vincent du Val-de-Grâce, Médecin-inspecteur de l’armée.
· Médecin principal Dopter, représentant du G.Q.G.
· Pharmacien principal Pellerin, représentant le sous-secrétariat d’Etat du Service de Santé.
Celui-ci existait depuis le 1er juillet 1915, et l’arrêté du 17 septembre ne changea rien à son organisation. Le colonel Vinet fut nommé directeur du MCG ; il fut remplacé en mai 1918 par le lieutenant-colonel Taffanel. Il était composé de trois éléments :
-L’Etablissement central du matériel chimique de guerre.
Le commandant Papon en pris la tête dès le premier juillet 1915. Il comprenait des services techniques et administratifs qui furent chargés des achats de matières premières et de la passation des marchés auprès d’industriels, pour la fabrication des appareils de protection, mais aussi du matériel d’émission de gaz.
Il possèdait aussi trois laboratoires :
- Un laboratoire de contrôle de fabrication des appareils de protection, dépendant du laboratoire du professeur Lebeau (Celui-ci ne sera créé qu’en novembre 1915). Il comprenait une majorité de pharmaciens.
- Un laboratoire de réception des différents produits chimiques, dirigé par le pharmacien Delépine, secondé par Douris, puis Fleury.
- Un laboratoire de réception de certaines matières premières, sous la direction du commandant Cellerier.
- La Section technique et industrielle. Elle eu en charge l’organisation des usines de produits agressifs et fut confiée au capitaine Cuvelette, remplacé en 1917 par le commandant Bollaert, puis en 1918 par le commandant Perrot.
- Les ateliers de chargement des obus. L’un à Vincennes s’occupait du chargement des obus incendiaires, lacrymogènes et fumigènes ; l’autre, au fort d’Aubervilliers, s’occupait des obus toxiques. Un laboratoire de contrôle du chargement des obus fut créé à la Sorbonne, sous la direction du professeur Urbain.
La nouvelle formule au ricin-ricinate devait, désormais, remplacer l’ancienne à l’hyposulfite. Mais surtout, les nouveaux appareils de protection devaient pouvoir être complétés, par la suite, des compresses C2 et C3, dès leur distribution.
Alors, avant que le P2 ne soit produit, on imagina faire la transition des appareils à hyposulfite aux tampons polyvalents à trois compresses, en imprégnant les appareils disponibles avec la solution de ricin.
Le nouveau tampon, dont l’adaptation devait empêcher tout risque de mauvais ajustement au visage, rendait certains appareils obsolètes, comme le masque STG. Le général Curmer décida donc, le 2 août 1915, d’en arrêter la fabrication. Les confections ayant cependant démarrées, la commande fut réduite à 60 000 appareils qui seront livrés à la fin du mois.
La difficulté concernant la polyvalence des cagoules était complexe. Elles pouvaient être imprégnées du mélange à l’huile de ricin, mais il était impossible d’utiliser un mélange complexe, imprégné sur une seule étoffe. Il aurait certainement été bien plus simple de les retirer, mais une très importante commande avait été passée et il en existait alors un stock considérable que l’on souhaitait utiliser plutôt que d'envoyer au rebus. Des premiers essais de polyvalence furent entrepris en imprégnant les cagoules de ricinate de soude, d’acétate basique de nickel glycériné et d’huile lourde, dans de l’essence de pétrole. Malheureusement, une fois l’étoffe imprégnée et malgré tout les artifices employés, on ne pouvait plus respirer au travers…
En attendant une solution, toutes les cagoules furent ricinées, dès août 1915, pour obtenir une protection contre le chlore, le brome et les lacrymogènes à faible concentration et pendant 15 à 20 minutes dans le meilleur des cas. L’E.C.M.C.G. se servit en premier lieu du stock considérable de cagoules qu’il possédait, puis en produisi par la suite un grand nombre. Ces nouvelles cagoules furent taillées dans un tissu léger et fin, si possible de teinte neutre. La majorité des tissus étaient alors verts, gris, bleus ou kaki, mais on utilisa aussi des tissus de matelas, rayés, du plus bel effet ! La nouvelle coupe ne permettait pas le port au-dessus du képi. D’ailleurs, celui-ci était voué à disparaître, puisqu’il était remplacé par le nouveau casque d’acier Adrian, distribué en masse dès le mois de septembre 1915. Le volume intérieur de la cagoule fut réduit au maximum, contrairement aux anciens modèles qui présentaient un volume important, pour éviter l’accumulation de dioxyde de carbone dans le volume mort. Cependant, il fut tellement réduit, que le tissu collait au visage et empêchait même le port de la cagoule aux hommes qui possèdaient un tour de tête important.
Pour réduire le risque de détérioration de la plaque transparente, on lui substitua 2 fenêtres rendant le dispositif plus résistant. Auparavant, la plaque de vision avait tendance à se casser lorsqu’on la pliait accidentellement. Ces cagoules arrivèrent au front, au début du mois de septembre 1915. Les armées qui les essayèrent en atmosphère chlorée, eurent la désagréable surprise de constater qu’elles ne protégeait pratiquement pas des gaz en concentration un peu élevée ! De plus, elles arrivaient parfois moisies dans leurs caisses, et leur fabrication était si peu soignée au niveau des plaques transparentes qu’il fallait parfois retirer jusque 10% du lot. Les coutures sur les plaques de vision les perforaient forcément et diminuaient également leur étanchéité.
Le pharmacien aide-major de seconde classe, Léon Launoy, et le médecin aide-major de première classe Vaudremer, du laboratoire de la 10e armée, rendirent un rapport, le 4 octobre, sur leurs recherches de protection que le G.Q.G. leur avait demandé de mettre en œuvre au mois d’août. Ils proposaient, le 4 octobre, d’utiliser un mélange à base d’oxyde de zinc, imprégné sur une cagoule, visant à neutraliser l’acide cyanhydrique. L’idée était intéressante, d’autant plus que la production d’acétate de nickel était toujours difficile, et que ce produit ne pouvait être imprégné sur la même étoffe que la solution de ricinate. Le mélange contenait également de l’huile de ricin, du carbonate de soude et de l’oxyde de zinc en solution aqueuse. Leur cagoule était taillée dans un tissu de coton qui avait subi une technique d’arrachage superficiel, permettant une meilleure filtration de l’air passant au travers. Le modèle était large et pouvait se porter au-dessus du casque. Il était cintré vers le bas, en avant et en arrière, et enfin, une coulisse permettait un serrage de la cagoule par-dessus le col de la capote. La plaque de vision était en acétate de cellulose, piquée sur une ganse résistante et inextensible, limitant ainsi les risques de casse.
De nombreux essais avaient été menés sur place à la 10e armée et la cagoule semblait donner de très bons résultats. Devant ces résultats prometteurs, la cagoule fut essayée à l’Ecole supérieure de Pharmacie de Paris, les 23 et 25 octobre, pour déterminer précisément contre quels toxiques elle protégeait. Launoy et Vaudremer y furent conviés ainsi que Desgrez, Achard, Banzet, Flandin, Damiens et Lebeau. Les expérimentateurs passèrent une heure dans des atmosphères concentrées en chlore, en phosgène puis en bromure de benzyle. Aucun ne fut incommodé et la cagoule fut reconnue polyvalente vis-à-vis du chlore, du brome, de l’iode, du bromure de benzyle, de l’acide cyanhydrique et du phosgène. Un rapport fut immédiatement envoyé au ministre de la Guerre.
Et pourtant, la Commission condamnera la cagoule Launoy-Vaudremer en jugeant sa protection insatisfaisante et son port pénible. Cela peu paraître curieux aux vues des résultats qui furent obtenus, mais il semble que la Commission jugeait d’un mauvais œil les propositions venant de l’extérieur et de toute façon, elle avait déjà condamné l’usage des cagoules et s’attachait maintenant à proposer un nouvel appareil.
Au début du mois d’octobre, Lebeau s’intéressa de près aux cagoules. Il procéda, avec Gabriel Bertrand à de nombreux essais sur les différents tissus que l’on utilisait pour leur fabrication. Le fameux tissu anglais n’étant toujours pas disponible, on utilisait un peu tout ce que l’on trouvait et qui semblait faire l’affaire. Ensemble, ils déterminèrent que le tissu devait retenir un minimum de 80% de son poids en mélange ricin-ricinate pour assurer une filtration à peine acceptable. Puis, ils testèrent tous les tissus qui étaient alors en magasin, à l’E.C.M.C.G., et enfin, Bertrand proposa un tissu spécial qui permettait d’obtenir de bien meilleurs résultats de filtration. Ainsi, les modèles distribués par la suite, apportèrent une meilleure protection que ceux du mois de septembre 1915. Malheureusement, aucune solution ne fut adoptée pour la polyvalence des cagoules vis à vis du phosgène et de l’acide cyanhydrique, et toutes celles en dotation durant cette période, ne protégeait que contre le chlore et certains lacrymogènes, et encore, de façon limitée.
Tout ceci ne cessera d’être dénoncé par la Commission, sans qu’aucune mesure concrète ne soit adoptée par le Ministère. Par exemple, un rapport daté du 25 octobre, relatif à une attaque par vague de chlore, du 20 octobre, et rédigé par Flandin stipule : « Un petit nombre de cagoules a été en service dans les unités soumises à la vague. Elles étaient à priori considérées comme plus efficaces que les tampons et avaient été données aux téléphonistes, agents de liaison, guetteurs, mitrailleurs. Les hommes qui sont restés passivement à leur poste ont tenu le premier jour. Ceux qui avaient besoin de voir, de parler, de se mouvoir ont dû retirer leur cagoule parce qu’ils étaient pratiquement aveuglés et que le moindre effort pour parler ou remuer rendait la cagoule insupportable : « on a la sensation d’étouffer » disent ces hommes. Ceux qui ont échangé la cagoule pour le tampon, voire pour un linge mouillé, ont eu une sensation de bien-être ». La production de cagoules ricinées par l’ECMCG atteindra 830 000 exemplaires. Il faudra attendre le 12 janvier 1916 pour que toutes les cagoules, excepté celles de fabrication anglaise du dernier modèle, soient réformées.
Le 20 juillet, Javillier proposa une solution polyvalente pour son respirateur, alors que les armées qui les avaient commandé, les recevaient depuis peu (par exemple, la 152e D.I. en reçoit 12 000 le 22 août). Il proposa de placer dans le respirateur des tampons d’ouate et de tourbe superposés et imbibés :
- d’une solution alcoolique et basique d’huile de ricin,
- d’une solution aqueuse d’hyposulfite et de carbonate de soude,
- d’une solution de sulfate de cuivre et de sulfate ferreux, protégeant contre l’acide cyanhydrique et l’hydrogène arsénié.
On obtenait ainsi l’appareil fournissant la protection la plus polyvalente du moment. Le professeur agrégé Valeur, pharmacien de l’Ecole supérieure de pharmacie de Paris, trouva le concept ingénieux et le copia, en le modifiant quelque peu : son respirateur s’engageait directement dans la bouche et possèdait une surface de filtration plus grande, pour faciliter la respiration. Seulement, la Commission de protection avait condamné ce type d’appareils depuis le 3 septembre et recommandait aux armées qui en avaient fait commande d’en suspendre la fabrication. D’après la Commission, le tuyau d’aspiration présentait un trop faible diamètre et procurait une gêne respiratoire ; ses parois de caoutchouc pouvaient aussi se souder, et l’embout buccal auquel il était relié, entraînait hypersalivation et nausées. Il semble surtout que les substances filtrantes pouvaient être trop ou insuffisamment tassées, empêchant de respirer ou enlevant toute efficacité à l’appareil. Ce même 3 septembre, la Direction du matériel chimique de guerre recevait pourtant 9000 appareils Cadroy-Javillier, et en envoyait 1000 à 2000 à chaque armée, sauf à la 10e qui en avait déjà reçu 12 000. Leur durée d'utilisation sur le front sera brève puisqu’ils furent retirés le 20 octobre, parfois avant même que les armées ne se soient procuré les solutions neutralisantes ! Cet appareil était pourtant très en avance, et constituait en quelque sorte le premier engin à cartouche filtrante de l’histoire.
Tous les engins imprégnés d’hyposulfite devaient être réformés dans les plus brefs délais. En réalité, la majeure partie des armées éprouvait une grosse difficulté à pourvoir chaque homme d’un masque respiratoire. C’est ainsi que, dans la pratique, de nombreux engins à l’hyposulfite avaient être distribués à des unités jugées non combattantes, comme les régiments territoriaux. Malheureusement, de nombreux cas d’intoxication furent rapportés, suite à des toxiques qui, lors des attaques, se répandaient souvent jusqu’aux lignes arrières. La présence de protection non polyvalente deviendra cependant exceptionnelle, dès la fin du mois de novembre 1915.
Une exception fut tout de même faite à cette règle : l’appareil Fernez fut livré jusqu’au mois d’octobre 1915 par la Direction du matériel chimique de guerre. On se souvient qu’au mois de mai, on souhaitait fournir un appareil plus efficace aux mitrailleurs, hommes de liaison et officiers. On estima nécessaire de produire 10 000 appareils minimum, et comme le seul modèle réalisable à moindre frais était le Fernez, sa production fut démarrée et accélérée. Les premiers appareils arrivent à la S.T.G. le 24 juin au nombre de 1 000, puis environ 2 700 furent livrés au cours du mois de juillet. La solution polyvalente adoptée au mois d’août n’était malheureusement pas compatible avec le fonctionnement de l’appareil, mais celui-ci sera toujours fourni aux armées jusqu’au 2 octobre 1915, date à laquelle 250 Fernez seront encore livrés.
Le 25 octobre 1915, Lebeau proposa, suite à ses recherches, une nouvelle formule d’imprégnation qui, non seulement assurait une protection efficace contre des concentrations élevées de phosgène, mais encore permettait d’utiliser une compresse unique contre la collongite (phosgène) et la forestite (acide cyanhydrique), ce qui facilitait la respiration au travers des compresses dont l’épaisseur fut diminuée. Il substitua à l’acétate basique de nickel, le carbonate basique de nickel qui permettait une meilleure imprégnation de la gaze. La préparation du bain se faisait par mélange à chaud (30° à 40°C) de sulfate de nickel, de glycérine et de carbonate de soude. Puis, on ajoutait de l’urotropine (hexaméthylène-tétramine), produit par mélange d’ammoniaque et de formol et enfin du sulfanilate de soude. Le procédé fut beaucoup plus efficace vis-à-vis du phosgène, de la palite, et permettait une protection contre de nombreux autres toxiques, comme le diphosgène (chloroformiate de méthyle trichloré encore appelé surpalite). L’urotropine, comme l’ammoniac, réagit avec le phosgène pour fournir de l’urée et du chlorure d’ammonium[2] :
COCl2 + 4NH3 à CO(NH2)2 + 2NH4Cl
Toutefois, avant d’adopter définitivement la nouvelle formule, Lebeau demanda à faire de nouveaux essais portant sur la conservation de la valeur protectrice des compresses, au cours de leur vieillissement. Rien ne fut laissé au hasard avant l’adoption par la Commission de la nouvelle formule, et de nombreuses expériences furent menées à ce sujet. Elle fut essayée avec le tampon P2, mais aussi avec les appareils en cours d’élaboration, le masque Tambuté et le masque Gravereaux. La nouvelle compresse ne fut adoptée que le 16 novembre, baptisée compresse à la Néociane. Désormais, les appareils ne comportaient plus que deux compresses :
-une compresse au ricin-ricinate (proposée par Lebeau le 28 juillet 1915, et adoptée le 3 août).
- une compresse à la Néociane (proposée par Lebeau le 25 octobre 1915, adoptée le 16 novembre).
Ce procédé de neutralisation chimique devait subsister jusqu'à la fin de l’année 1917.
En attendant l’arrivée des nouveaux masques, ce qui demanderait un certain temps, il fallait améliorer la protection des tampons qui s’épuisaient rapidement. En effet, lorsque ceux-ci étaient appliqués sur le visage, l’air inhalé au travers ne passait que par une zone assez limitée des compresses neutralisantes. Certaines personnes l’avaient remarqué, et déplaçaient alors le tampon de quelques centimètres pour respirer à travers une nouvelle zone. Lebeau se penche sur le problème et procèda dans son laboratoire, avec ses collaborateurs, à de nombreux essais. Il fallait contraindre l’air inspiré à passer au travers du maximum de surface de gaze. Il proposa ainsi le 18 novembre, de placer un simple fragment d’étoffe imperméable devant le tampon, pour obliger l’air à passer par la périphérie. Grâce à ce système, la durée de préservation du tampon pouvait être multipliée par deux. Les essais permirent de constater que la protection contre le chlore durait sans problème plus d’une heure, pour des concentrations élevées de l’ordre de 3,2 g/m3. Ce morceau d’étoffe mesurait 10x10cm et était distant de 2 à 3 cm du bord supérieur du bâillon. Sur les tampons polyvalents (P2) à trois compresses, ce tissu fut placé sur la compresse au ricinate, à l’intérieur de l’enveloppe. Sur les tampons polyvalents à 2 compresses (ricinate et néociane) comme sur les monovalents (compresses d’étoupe au ricinate) ou les tampons P, le morceau d’étoffe devait être fixé sur l’enveloppe extérieure. Le procédé n’etait pas compliqué à mettre en œuvre, mais il intervenait au moment où les appareils T étaient livrés aux armées. Cette modification ne se fera donc que sur un nombre limité de tampons.
Chasseurs munis de tampons P2.
Le 6 décembre, le G.Q.G. proposa un masque cagoule, sur indication du laboratoire du 36e C.A. . L’appareil était une combinaison du tampon P2 et de la cagoule du Matériel chimique de guerre : c’etait un tampon fixé à une cagoule. L’adjonction de la cagoule avait pour but de permettre d’appliquer plus vite et de meilleure façon l’appareil respiratoire, de ne pas nécessiter de lunettes séparées, d’assurer la bonne adaptation du tampon, et enfin de filtrer l’air qui pourrait se frayer un chemin à la périphérie. On fixait le tampon à l’intérieur de la cagoule, par une simple couture, après l’avoir coupé en deux, ou bien on ménageait une poche en tarlatane dans laquelle on introduisait les compresses ; cette poche était ensuite fermée à l’aide de boutons-pression. A l’extérieur, on cousait les deux attaches du tampon : une à chaque coin des coutures du bord du tampon. L’ensemble de l’appareil était protégé par une pochette classique, renforcée par une plaque en bois ou en métal empêchant la déformation qui risquait de briser les plaques de vision. Cet appareil restait, bien sûr, inférieur au modèle T alors distribué, mais en attendant qu’ils soient tous livrés, la Commission laissera les armées qui le désiraient procéder à cette modification, si elles possédaient dans leurs dépôts un nombre important de cagoules non utilisées.
La production totale de tampon P2 par l’E.C.M.C.G. fut d’environ 4 500 000 exemplaires, entre le début du mois d’août et la fin du mois d’octobre. Certaines armées en produiront aussi pour leur compte un nombre indéterminé. Le 18 janvier 1916, tous les tampons non imprégnés furent retournés par les armées à l’E.C.M.C.G. et les autres finissèrent, selon une note officielle diffusée par le Génie, comme vieux chiffons. Enfin, le 25 février 1916, tous les tampons encore en dotation furent supprimés pour être remplacés par des masques TN (dont nous parlerons plus loin).
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