L’Armistice signé le 22 juin 1940 entre le gouvernement français de Pétain et le troisième Reich met fin aux hostilités militaires. Un Armistice est également signé avec l’Italie fasciste le 24 juin1940, et met fin à la déclaration de guerre de l’Italie du 10 juin 1940.
La France est découpée en trois zones : la zone d’occupation allemande, la zone d’occupation italienne et la zone libre. Pratiquement tous les stocks d’armes chimiques se trouvent, après parfois un déplacement précipité en mai-juin 1940, en zone dite libre ou en zone Italienne (l’Italie ayant déclarée la guerre à la France la 10 juin 1940, alors que la situation de cette dernière était perdue).
Selon les clauses de l’Armistice, les matériels et les stocks d’armes chimiques sont à remettre aux autorités allemandes et italiennes. Les discussions et négociations pour la mise en œuvre des conditions imposées par l’ennemi, opposent la Commission Allemande d’Armistice (CAA), la Commission Italienne d’Armistice (CIA), chargées de l’application de la convention de l’Armistice (sous l’autorité du Haut Commandement allemand) à une délégation française nommée par son gouvernement et représentant ses intérêts.
Article 6 - La fabrication de nouveau matériel de guerre en territoire non occupé devra cesser immédiatement.
Article 13 - Le gouvernement français s'engage à veiller à ce que, dans les territoires à occuper par les troupes allemandes, toutes les installations, établissements et stocks militaires soient remis intacts aux troupes allemandes.
Le sort des gaz de combat est réglé par la note 121/40 du 5 août 1940 ; « La totalité des produits chimiques de guerre (munitions, appareils et produits toxiques) y compris les produits bruts, devront être livrés ». Cela inclut, malgré quelques protestations françaises, l’ensemble des stocks existants et évidemment ceux qui avaient été mis à l’abri en zone libre.
L’ensemble des munitions toxiques et des produits spéciaux restent donc dans leurs établissement, jusqu’à ce qu’une Commission de contrôle allemande ou italienne vienne sur place et désigne les produits à livrer. La Commission allemande demande ainsi que lui soit établi un inventaire des dépôt existant, des stocks, des usines ayant fabriqué ces produits et des appareils pouvant servir à leur usage, en territoire occupé et non-occupé.
Cet inventaire va être établis par les autorités françaises pour être communiqué aux armées allemandes et italiennes. Il est intéressant de noter que certains dépôt sont, très probablement, volontairement omis. Par exemple, les stocks de produits nouveaux de la poudrerie de Boussens seront découverts par les allemands fin septembre 1940 ; ils en demanderont la livraison. Le Service des poudres expliquera ainsi qu’ils avaient été considérés comme échantillons et donc non déclarés. Le différentiel entre les quantités de munitions chimiques disponibles en mai 1940 et celles déclarées après l’Armistice, laisse apparaître parfois des quantités de munitions manquantes.
N°20 Ypérite
1914-1918
1939-1940
1914-1914
19.000
+36.000 en cours de livraison
Etat des dépôts d'armes chimiques après juin 1940
Selon les chargements, les autorités d’occupation vont définir le sort à donner aux différents stocks chimiques. La priorité fixée par les troupes d’occupation est de faire rapidement disparaître les munitions présentant un intérêt militaire, des régions de la zone libre.
Les stocks présentant un possibilité de réutilisation par l’armée allemande seront dirigés vers l’Allemagne. C’est le cas des stocks et des munitions chargées en phosgène qui seront récupérées (à l’exclusion de 700 tonnes destinées à l’industrie française, le restant représentant 1.616.530 coups soit 32 000 tonnes), comme ceux de DM (Admasite, 120 tonnes de munitions diverses et 88 tonnes de DM à Lannemezan, 8 tonnes à la poudrerie de Sorgues), ceux de V.201 (Lewisite), de 1031 (chloracétophénone) et de 886 (trichloroéthylamine).
Initialement, les stocks et les munitions chargées en Ypérite n’auront pas pour fonction d’être récupérés (note 2308/40 du 19 décembre 1940), mais d’être simplement détruits par immersion en mer.
Devant la masse considérable de métal que ces munitions représentent et la quantité de matières chimiques qu’ils renferment, le gouvernement français va négocier un recyclage de la plus grande quantité possible des ces obus, pour en récupérer le métal et transformer l’Ypérite qu’ils contiennent en taurine, un produit détersif inoffensif, ayant pour vocation d’être ensuite transformé en savon (initialement prévu à la poudrerie de Sorgues).
Malgré les efforts de la Délégation française, la Commission Allemande d’Armistice voulu faire disparaître au plus vite les stocks et les munitions de la zone libre. Suite à une réunion menée à Paris entre le colonel von Horn et des représentants français (Inspecteur général Blanchard, directeur des Industries chimiques, Monsieur Desmaroux et l’Inspecteur général de Varine), elle ordonna ainsi, dans une note du 21 mars 1941, la destruction de tous les obus de 75mm chargés en Ypérite de la zone d’occupation allemande, par noyage à Toulon (46.072 coups de la Ferté Hauterive, 650.000 de Saint-Ours-les-Roches et 42.500 de Sainte-Livrade).
Quand à la transformation de l’Ypérite et aux déchargement des obus, elle l’accepta sous réserve que cela se fasse en zone occupé, à la poudrerie d’Angoulême, et non à Sorgues.
La Commission italienne donna également son accord en avril 1941, pour le déchargement des obus en Ypérite existant à Pont de Claix.
Les munitions pour lesquelles un déchargement était envisageable seront déchargées pour en récupérer leur contenu et le métal de leur enveloppe. Les autorités d’occupation vont fixer une date butoir au 30 juin 1941. Au delà de cette date, le restant devait être immergé en mer. Mais le programme de transformation d’Ypérite va prendre énormément de retard et les Allemands comme les Italiens accepteront que les stocks attendent d’être traités, sous condition qu’ils soient rapatriés en zone occupée. C’est ainsi que de nombreuses munitions et quasiment la totalité des stocks non chargés de la zone sous contrôle allemand, seront dirigés vers la poudrerie d’Angoulême dans l’attente de leur traitement à partir d’avril 1941. Mais les retards vont continuer de s’accumuler, si bien qu’une partie seulement sera transformée d’ici la fin du conflit.
En juin 1941, les obus n°20 de la Ferté Hauterive quittent le dépôt pour rejoindre la poudrerie d’Angoulême, en vue de leur déchargement (19.920 105mm, 34.080 155mm non GP, 5.900 155mm GP). En janvier 1942, seulement 6.172 155mm et 4.440 105mm avaient été déchargés, quand des tensions naissaient suite à la revendication de l’Allemagne sur le métal des obus déchargés (350 tonnes) et leur enlèvement. La Commission allemande décida de stopper les opérations de déchargement, et nous ignorons si elles furent reprises par la suite. Un document datant du début de 1944 laisse à supposer que les stocks étaient toujours présent sur le site d’Angoulême, qui fut bombardé et en partie détruit en mars 1944.
A l’atelier de chargement de Pont de Claix, en zone d’occupation italienne, le programme de déchargement avait déjà débuté en août 1941 (3.483 obus de 155 et 11.592 obus de 75, pour 17,5 tonnes d’Ypérite). Il sera finalisé quelques mois plus tard, pour les obus à chargement récent. Puis, en avril 1942, débutait les essais de récupération de l’acier des obus de 14-18 (900.000 obus). Les obus étaient passés, après démontage des gaines, dans un four chauffé à 700°C dans lequel l’Ypérite était brûlée. Des problèmes techniques se posèrent immédiatement avec les gaz corrosifs qui s’échappaient du four et qui le rendait rapidement hors d’usage. Le programme initial du traitement de 6000 obus par jour (qui nécessitait la bagatelle de deux années pour arriver au bout des 900.000 coups) fut immédiatement jugé comme bien trop optimiste. Il semble même qu’il ait été abandonné jusqu’en janvier 1944 où l’Italie dépêcha sur place des ouvriers pour reprendre le travail de déchargement, qui ne fut jamais conduit au bout.
Toutes les munitions datant de la Première guerre mondiale, non chargées en Ypérite, devaient être simplement détruites par noyage en mer (chargées en produit 4B, chlorure de cyanogène et chlorure d’arsenic, en produit 7, chloropicrine et produit 16, sulfate de diméthyle). Ne présentant aucune valeur militaire, le gouvernement français demanda et obtint de pouvoir démonter et récupérer le contenu des obus chargés en composé n°7 (chloropicrine et tétrachlorure d’étain) de moyen calibre, pour en récupérer la chloropicrine à des fin de désinfection. La solution fut acceptée pour les calibres supérieurs au 75mm et l’opération menée à l’ERG de la Ferté-Hauterive. Sur le lot, près d’un millier de munitions ne pourront être démontée et seront noyées à Toulon en février 1942. Au final, les archives dont nous avons pu disposer, ne permettent de constater l’immersion que de 91.613 projectiles chargés en 4B ; nous ignorons le sort donné aux munitions chargées en n°16 et aux calibres de 75mm chargées en n°7.
Devenir des Munitions issues de la Première Guerre mondiale
Produit
Calibre
Quantité
N°4B Chlorure de cyanogène et chlorure d’arsenic
75
91.613
Immergées (réalisé en juillet 41) à Toulon
N°16 sulfate de diméthyle et chlorhydrine sulfurique
3.425
Initialement destinées à être Immergées (?).
N°16
155
265
N°7 chloropicrine et tétrachlorure d’étain
5.433
N°7
120
35.829
Démontés et déchargés
62.088
N°20
784.600
Programme de récupération à Pont de Claix.
105
19.080
121.040
Stocks d’Ypérite en vrac à l’Armistice selon déclaration à la CAA.
Lieu
Kg
Ypérite
Fûts
Pont de Claix
149.280
1244 fûts de 110l
Au trichloréthylene
Tous vers Sorgues
33.120
138 f de 120l
A l’ortosol
67.200
278 de 220l
CCl4
8.000
33 de 220l
Allemands, résidus visqueux
5200kg
Boussens
12.000
fûts
Produits goudronneux
5000kg
Sorgues
279 t
Munitions chargées en Ypérite à l'Armistice
Chargement
Dépôt
Quantités
Poids d’Ypérite tonnes
Grenades d’aviation
0,14 Litres
Dépôt de Durban à Assier
581 000
100 tonnes
(y20)
immergés
(Isère
247 300
42,5 tonnes
Conservées en cuve étanche.
Obus de 75
0,43 Litres
La Ferté
46 072
24,3
Encartouchés (y20)
Immergés
10 160
5,3
Saint-Ours les Roches
650 000
343,7
Sainte-Livrade
42 500
22,3
A détruire, Ypérite acide attaquant le fer. Immergés
Obus de 105
1,175L
19 940
28,8
Angoulême
Obus de 155 non GP
2,5L
34 100
104,8
Obus de 155 GP
3L
5 900
21,7
Pont-de-Claix
3 400
12,5
Bouteilles
4L
La Ferté Hauterive
17 676
86.9
Obus de 14-18 : 75
784 600
415
Obus de 14-18 : 105
19 080
27
Obus de 14-18 : 155
121 040
370
Presque immédiatement après l’Armistice, dès le 29 juillet 1940, la destruction du stock d’Yperite de Lannemezan va être envisagée par les autorités françaises, « en raison de l’état dans lequel se présente aujourd’hui cette Ypérite, en raison des émanations dangereuses provoquées par les grosses chaleurs ». Après avoir hésité à faire disparaître le dépôt à l’insu des Commissions d’Armistice, la délégation française en fit finalement la demande le 31 juillet 1940. La Commission allemande donna son approbation et dépêcha deux officiers allemands pour faire des prélèvements et s’assurer de l’immersion des 360 tonnes. La méthode d’immersion en mer avait été utilisée après le Premier conflit, pour se débarrasser de stocks encombrant ; c’est donc avec cette solution qu’on décida de faire disparaître les stocks de 1940. Il n’existait évidemment aucun frein écologique à cette époque, à immerger de la sorte des milliers de tonnes de toxiques chimiques. Le 15 août, les deux officiers allemands étaient sur place pour réaliser leur mission et l’immersion fut réalisée avant la fin du mois.
La solution étant peu coûteuse, on décida de traiter de la sorte tous les lots destinés à être détruits. La priorité fut donné aux grenades d’aviation chargées en Ypérite, qui présentaient des problèmes de fuite. Le premier stock était situé à l’atelier de chargement de Pont de Claix. Le nombre de grenades fuyardes était tellement important que l’on avait fini par les enfouir dans une fosse en béton spécial étanche. 247.300 y étaient stockées et devant le risque que présentait l’ouverture de la fosse, on décida purement et simplement de les laisser sur place.
On traita donc le dépôt de Durbans par Assier où l’on transporta 581.000 grenades (210 tonnes) vers Toulon en avril 1941. Le problème des grenades fuyardes se présenta à nouveau, et il fallut enfouir sur place, dans un sol rocheux, 100 caisses de deux chargeurs soit 11.000 grenades. Les premiers largages en mer révélèrent un problème sérieux ; les caisses de chargeurs ne coulaient pas, elle flottaient, tout comme les chargeurs extraits de leur caisse. Il fallait donc sortir les chargeurs des caisses, les percer aux deux extrémités avec tous les risques que cela représentait, pour s’assurer qu’ils coulent vers le fond. Les caisses devaient ensuite être brûlées pour éviter toute contamination. Finalement, l’opération qui devait prendre trois jours se poursuivi sur près d’un mois.
Les immersions se poursuivirent mais dès le mois de juin, un nouvel incident vint perturber le programme. Une pénurie de chaland dans le port de Toulon, contraint à réduire les cadences de deux à un convoi par semaine. Malgré tout, les chalands vont se relayer jusqu’au mois d’octobre 1941 pour noyer l’ensemble des munitions prévu, soit 650.000 obus de 75mm de Saint-Ours-Les-Roches (6.500 tonnes), 42.500 obus de 75mm de Saint-Livrade (300 tonnes), 46.072 obus de 75mm chargés en Ypérite et 91.613 obus de 75mm chargés en 4B de La Ferté Hauterive (350 tonnes et 700 tonnes). Si les 18.000 bombes de 200kg chargées en phosgène du dépôt de Plaisance (5000 tonnes) figurent bien au programme de destruction de 1941, nous n’avons pas pu trouver de document attestant leur acheminement vers Toulon ; nous ignorons leur sort.
Finalement, les 924.720 obus de la Première guerre chargés en Ypérite, représentant 10.000 tonnes, ne seront pas noyés. En Avril 1941, sollicité par les autorités françaises, la Commission d’Armistice Allemande autorisa des essais de déchargement des calibres de 75, 105 et 155mm. L’opération fut programmées à Pont de Claix, qui possèdait le matériel nécessaire pour les importants stocks laissés sur place (zone sous contrôle italien), et toutes les munitions de la Ferté Hauterive seront dirigées vers la poudrerie d’Angoulême (zone sous contrôle allemand) pour y être déchargées. Cependant, en juin 1942, il semble que seulement 6.172 obus de 105 et 4.440 obus de 105, provenant des chargements les plus récents, avaient été traités à Angoulême, laissant envisager un énorme retard dans le programme.
Ci-dessus : Arsenal de Toulon en 1942.
Vue moderne de l'Arsenal de Toulon.
Immersion de munitions réalisées à Toulon
Origine
Type
Poids
Durbans par Assier
581.000
210 tonnes
Saint Ours les Roches
Obus de 75mm
650.000
6.500 tonnes
46.072
350 tonnes
4B
700 tonnes
Saint-Livrade
42.500
300 tonnes
8.060 tonnes
La production secrète d'Ypérite belge rapatriée sur le territoire français.
Le programme chimique belge est très peu connu. Il a pourtant débuté au milieu des années 1920-1930. Son versant offensif est encore pratiquement resté secret. Un atelier de production avait été installé dans la forteresse de Steendorp, qui rentra en phase de production probablement vers 1935. Il y fut produit, de façon épisodique, de l'Ypérite, de l''adamsite (DM ou marsite),de la chloropicrine. Les premières production d'Ypérite utilisèrent la méthode de l'éthylène et du bichlorure de soufre, puis ultérieurement, celle au thiodiglycol de provenance française (ce qui laisse supposer une collaboration active entre les services chimiques des deux pays). La dernière méthode présentait l'avantage de produire une Ypérite qui résistait au temps une fois chargée dans des projectiles. Les stocks chimiques étaient ensuite transférés à la forteresse de Zwijndrecht où ils pouvaient être chargés en projectiles. Des essais de projectiles chimiques à dépotage et chargés en DM sont décrits sur le camps militaire de Beverlo.
Quand l'Allemagne envahie la Belgique en 1940, les stocks de Steendorp furent évacués en secret et en catastrophe par train, pour rejoindre la France. Ils furent envoyés aussi loin que possible de la ligne de front, de façon à garder le secret du programme belge. Ils furent certainement cachés à Boussens ou à Lannemezan. Pas pour longtemps, puisque la France envahie à son tour fut contrainte à divulguer les lieux où des agressifs chimiques se trouvaient sur son territoire. Mais selon les documents que nous avons pu étudier, il ne semble pas que le secret du programme chimique belge ait été connu des services allemands.
La plupart des dépôt furent vidés de leurs contenus. Parfois, des munitions fuyardes intransportables furent enterrées sur place, comme les 11.000 grenades à Durbans sur Assier, des bombes au phosgène à Plaisance (une centaine), des engins Z5 à Chavanon et à Plaisance. Des restes d’Ypérite à Lannemezan furent également détruits à l’atelier de chargement (5 tonnes stockées dans des récipients non étanches). Après l ‘occupation de la zone libre par l’Allemagne en novembre 1942, les lieux de regroupement d’armes chimiques semblent ne plus avoir fait l’objet de déplacement. Nous avons vu que la poudrerie d’Angoulême fût détruite par bombardements en 1944, dispersant probablement sur place les munitions d’Ypérite qui s’y trouvaient. Le dépôt du bois de Leyde est resté en l’état et il subsiste encore en partie aujourd’hui. Nous sommes incapable aujourd’hui d’évaluer la quantité restante d’obus d’Ypérite restant à Pont de Claix à la libération ; ils ont probablement fait l’objet d’un noyage en mer dans les années 1960. Les grenades chargées en Ypérite sont peut-être encore aujourd’hui dans leur fosse étanche.
L’Entrepôt général de la Ferté Hauterive fut vidé de ses munitions chimiques en 1941 ; il servit au déchargement des obus n°7, au transvasement des bouteilles d’Ypérite de 4 litre, puis au rassemblement des munitions fumigènes. En novembre 1942, suite à l’occupation de la zone libre, les Allemands occupèrent à nouveau l’entrepôt et continuèrent l'évacuation des munitions à chargement spécial en créant un dépôt de ces munitions dans la forêt de JALIGNY. L'ERG fut alors transformé en dépôt de munitions de toutes natures. Fin Août 1944, les Allemands quittèrent l'entrepôt, firent sauter la presque totalité des munitions allemandes alors entreposées. L'Etablissement fut détruit à 80%.
Les autorités allemandes, constatant l’importance du programme chimique français, vont tout faire pour se l’approprier, pour récupérer ses stocks, sa production et même sa participation à la production aux armes chimiques allemandes.
Le Centre d’Etudes du Bouchet dirige l’ensemble des études, des essais et des recherches sur les armes chimiques et bactériologiques depuis les années 1920.
En 1940, à la mi-mai, devant la tournure tragique prise par la campagne militaire, la décision fut prise d'évacuer le centre d'études du Bouchet, les chercheurs, leur matériel et l’ensemble des archives dans le sud de la France, en lieu sur. Deux centres de replis avaient été définis par avance : la poudrerie de Toulouse ainsi que l'école d'agriculture et l'institut de biologie de Montpellier. Le projet visait à protéger les recherches hautement stratégiques sur l'arme chimique, de l'ennemi.
Au 13 juin, la poudrerie et le centre d'étude avaient quittés le Bouchet, les bâtiments étant abandonnés. Le service de production avait été redéployé à Toulouse, les recherches à Montpellier.
Le 23 juin 1940, dix jours après et lendemain de la signature de l’Armistice avec l'Allemagne, les troupes allemandes prennent possession du Centre d’Etudes du Bouchet à Vert-le-Petit dans l’Essonne et pillent consciencieusement ses locaux. Il est probable que ce ne fut qu'à partir de ce moment que les autorités allemandes prirent conscience de l'intérêt du site. Progressivement, au fur et à mesure de leurs découvertes, leur objectif devint de mettre la main sur les recherches françaises concernant la guerre chimique. Sur place, tout avait été soigneusement épuré et l'occupant ne trouve que des documents ne présentent aucun intérêt. Les autorités allemandes ne souhaitent cependant pas en rester là et procèdent à différents recoupement pour poursuivre leurs investigations. L'article 6 de la convention d'Armistice signée le 22 juin leur permettait de mettre la main sur le matériel emporté en zone libre : « les armes, munitions et matériel de guerre de toute espèce restant en territoire français non occupé, dans la mesure où ceux-ci n’auront pas été laissés à la disposition du gouvernement français pour l’armement des unités françaises autorisées, devront être entreposés ou mis en sécurité respectivement sous contrôle allemand ou sous contrôle italien (...)»
Ci-dessus : Pierre Gavaudan, directeur du Service de biologie cellulaire des Services Chimiques de l'Etat au Centre d'études du Bouchet en 1940, docteur en Pharmacie.
A cette époque troublée, personne du côté français ne souhaite divulguer la destination prise par le matériel et les archives du centre d'études.
Seulement, le 9 septembre 1940, une inspection surprise de la Commission allemande d’Armistice, est menée à Montpellier, à l’école d’Agriculture, et se dirige directement vers le Centre du Bouchet qui y est dissimulé. L’ingénieur en chef Robin, qui dirige le centre, est prévenu par téléphone quelques minutes plus tôt et reçoit la Commission dans son bureau.
Les questions allemandes sont directes : où sont les établissements occupés par le Bouchet, ses chercheurs, ses travaux, son matériel et ses archives. Robin proteste mais la Commission dirigé par l’hauptmann Opale, lui oppose le point de vue des autorités allemandes ; tout le matériel destiné aux fabrications de guerre faisant partie d’un établissement situé en zone occupée, appartient ipso facto aux autorités allemandes d’occupation, même si ce matériel a été transporté en zone libre. Les archives et le matériel de laboratoire rentrent donc, selon l’hauptmann Opale, dans cette catégorie. Par ailleurs, précise t-il, cette thèse n’est pas nouvelle et était celle présentée après la Première guerre aux autorités allemandes par l’Etat français.
Il faut effectivement se rappeler que les négociations entre la France et l’Allemagne, après l’Armistice de 1919, avaient été difficiles et que l’Etat français avait exigé du gouvernement allemand qu’il divulgue les recherches et le mode de fabrication de toutes les préparations chimiques et substances toxiques, préparées ou utilisées au cours du conflit. De même que le fonctionnement de l’usine d’Oppau pour la synthèse de l’azote et surtout, la destruction de toutes les usines chimiques allemandes.
En 1919, la France tenait seule l’Allemagne comme responsable de l’utilisation de l’arme chimique, réfutant toute participation des armées françaises dans le développement de cette arme prohibée. Selon les autorités françaises, l’Allemagne devait payer le prix de cette violation unilatérale des traitées internationaux. Les tensions avaient été très vives et malgré les légitimes protestations allemandes, le texte avait été signé ainsi le 28 juin 1919.
Les négociations secrètes menées par la suite entre les intérêts allemands et le gouvernement français, avaient débouchées sur un accord entérinant la révélation des secrets de synthèse des usines allemandes de synthèse de l’ammoniac aux seules autorités françaises, contre l’abandon de l’exigence par les français de la destruction de l’industrie chimique allemande. Au final, aucun procédé ni aucune recherche sur l’arme chimique, autre que des banalités, ne furent révélés, en dehors du fonctionnement de l’usine de synthèse de l’ammoniac.
Ce 9 septembre 1940 à Montpellier, la Commission allemande manœuvre finement ; elle connaît parfaitement les limites légales de sa requête et sait qu’elle risque d’essuyer un refus des français ; c’est une esbroufe. L'article 6 de la convention est relativement flou, et son champ d'action ne s'étend qu'aux "armes, munitions et matériel de guerre", aucunement aux matériels servant la recherche.
Pour arriver à ses fins et espérer négocier un compromis, l'occupant décide donc la mise sous séquestre de toutes les archives et de tous le matériel de laboratoire, en attendant que la Commission d’Armistice statue sur leur devenir. Le matériel scientifique du Bouchet est essentiellement composé d’appareils modernes ultra-sophistiqués dont l’usage scientifique est fondamental pour la recherche française. Cette mise sous séquestre par les autorités allemande est évidemment complètement abusive, et n’a aucun autre but que de faire pression sur les autorités françaises.
La Commission allemande va encore exiger, avec insistance, pour procéder à l’inventaire de l’ensemble des archives, de connaître la destination du matériel et des archives secrètes qui ont quitté Montpellier par voie ferrée pour être mises en sécurité. Robin s’exécute et confie que le restant des archives est parti à la poudrerie de Toulouse. La Commission s’y rend expressément et le matériel et les archives de Toulouse subissent le même sort.
Le 22 octobre, une délégation allemande de la Commission d’Armistice, composée du capitaine Opale (Commission de contrôle d’Avignon), du lieutenant-colonel von Horn (Inspection de Bourges) et du professeur Jung se rend à Montpellier puis à Toulouse. Les autorités allemandes se montrent, cette fois-ci, beaucoup plus conciliantes et remettent à la disposition des français, tous les appareils scientifiques non dévolus aux recherches sur la guerre chimiques ainsi que toutes les archives administratives. Le lieutenant colonel von Horn ne dissimule pas alors son très vif intérêt pour les dossiers d’études du Bouchet conservés à Toulouse et propose alors, de façon officieuse, un marché. Il rappel que la Commission allemande d’Armistice n’a pas encore statué du devenir de ces archives mais que selon lui, il ne fait aucun doute qu’elle en exigerait la livraison. Il explique que l’intérêt qu’il porte à ces documents à pour origine d’être renseigné sur l’orientation des recherches au moment de l’Armistice, afin de prévoir dans quelle voie les Anglais pourraient chercher une arme nouvelle. Enfin, il propose qu’en échange d’une libre communication aux autorités allemandes, il puisse se porter garant du retour du Laboratoire central et de ceux du Bouchet dans leurs locaux respectifs. Mais il prévient que le temps presse, car la Commission allemande d’Armistice ne tardera pas à prendre sa décision et qu’il ne sera alors plus possible d’obtenir une contre-partie.
La proposition de von Horn remonte rapidement la voie hiérarchique jusqu’au Gouvernement français. La question est délicate car l’acceptation du marché irait à l’encontre des engagements officiels français de ne pas prêter son concours sur le développement de la guerre chimique ; il s’agirait d’un acte de collaboration notoire, qui pourrait fournir à l’occupant allemand un avantage décisif sur ses ennemies. Les archives du Bouchet sont d'un très haut intérêt stratégique, le fruit de vingt années de recherches dans un secteur du plus haut intérêt militaire.
L’ingénieur en chef Demougin, de la Commission de la délégation française à Wiesbaden fait plusieurs remarques, dans son compte rendu de la visite des 23 et 24 octobre, qui nous éclaire sur l’état d’esprit qui entoure cette problématique. Car il faut bien comprendre que sans le matériel de laboratoire et les locaux de recherche confisqués par les allemands, les chercheurs des Services des poudres, se retrouvent au chômage technique. Les ingénieurs du Bouchet consultés sur cette question par le Gouvernement français, vont livrer plusieurs informations dont les dernières paraissent surprenantes.
En premier lieu, ils précisent que des mesures exceptionnelles ont été prises pour préserver le secret absolu des rapports chimiques ; les documents anglais que possédait le Bouchet ont tous été détruit au moment de l’Armistice, comme ceux des recherches sur la guerre bactériologique ; il n’en subsiste à priori aucune copie. Les doubles conservés au Laboratoire Central des Poudres de Paris, malgré leur importance, ont également été détruits au moment de l’évacuation. Seuls les archives conservées à Toulouse subsistent. Elles sont censées y être protégées envers et contre tout. Mais voilà, ils précisent également que selon eux, les études sur les gaz nouveaux ont portés sur des séries de corps qui, selon toute vraisemblance, ont également été étudiés en Allemagne, minimisant toutes les recherches conduites en France depuis vingt années. Toujours selon eux, les seules études qui pourraient êtres utiles à l’occupant sont celles concernant les perfectionnements pour la fabrication de produits agressifs et pour leur militarisation et leur mise en œuvre. Pourquoi autant de précautions si ces documents ne représentent que peu d’importance ?
Le 30 octobre, la Direction des services de l’Armistice informe la délégation française à Wiesbaden que, devant une question d’une telle gravité, une décision du gouvernement est nécessaire et que le général Huntzinger, Ministre secrétaire d’Etat à la Guerre, étant en déplacement, une décision sera prise seulement à son retour.
Du temps de gagné pour rien ; la décision du gouvernement tombe le 9 novembre 1940 ; la suggestion du colonel von Horn est retenue, toutes les archives du centre d’Etude du Bouchet seront rapatriées au Bouchet où les spécialistes allemands vont pouvoir les étudier. En outre, le directeur du laboratoire du Bouchet, Monsieur Kovache, est habilité par le gouvernement français pour répondre aux questions des experts allemands et pour leur donner tous renseignement sur le matériel de recherche et les comptes-rendus d’essais effectués. En échange, les Allemands libèrent le Laboratoire des Poudres de Paris et les laboratoires et bâtiments administratifs du Bouchet.
Suite à la décision du Gouvernement français, en novembre 1940,les Allemands mettent la main sur les vingt années de recherches françaises sur les armes chimiques d’un des pays le plus avancé dans le domaine, l’étude de plus de 1500 produits agressifs, de leur toxicité, leur militarisation, leur chargement, leur dispersion, leur pertinence tactique, leur synthèse et leur production industrielle. Egalement sur toutes les avancées dans le domaine de la protection contre les gaz de combat. Le tout avec le concours et l’appui du Gouvernement français.
Quelle est la valeur de cet apport pour les armées du troisième Reich ? Même si nous ne connaissons pas la teneur exacte des archives du Bouchet, un simple constat permet de répondre partiellement : à l’exception d’un seul, tous les projets aboutis, les développements, les programmes industriels, les méthodes de synthèse, de production, de dispersion, mis au point au Bouchet, vont être adoptés par l’Allemagne.
Toutes les avancées sur l’Ypérite mises au point par le Centre d'étude du Bouchet furent adoptées : Ypérites épaissies et Ypérite au 1012 ainsi que leurs méthodes de synthèse et leurs méthodes d’épandage, pour une production d’Ypérite totale de 27000 tonnes par l’Allemagne à la fin du conflit.
A partir de 1943, l'Ypérite au 1012 fut adoptée par les chimistes d'outre-Rhin à la place de celle au thiodiglycol sous le nom de Direkt-Lost, code D. La chaîne de production alors réalisée possédait une capacité deux fois supérieure à celles construites à partir de 1936 (1500 tonnes/mois au lieu de 600 à 800 tonnes). 4110 tonnes de Direkt-Lost furent produits . Deux Ypérites épaissie furent également adoptées, à base de polystyrène (Z-OA 396 Zählost ou Ypérite vicieuse) et à base de solution de caoutchouc (Z-OM 8), deux avancées du Bouchet.
Les travaux systématiques sur les différents types d'Ypérite avaient probablement été réalisés en Allemagne, mais il est troublant de s'apercevoir que les travaux du Bouchet sur les sulfures aliphatiques halogénés, les polysulfures et les sesqui-Ypérites (toutes de la famille des Ypérites au souffre) trouvèrent tous des applications dans les différentes formes d'Ypérites adoptées par les armées du Reich (Ypérite à l'oxygène O-Lost code OB, Sesqui-Ypérite Sesquilost code DO, Propyl-Ypérite Propyllost et Trichloréthylamine ou Stickstofflost, code T9).
L'Allemagne diversifia ses Ypérites pour en militariser un dizaine de variétés différentes ; certaines restant liquides jusque 6°C, d'autres jusque -16°C, -20°C et -30°C.
Trichloréthylamine
L’Adamsite ou DM (Diphénylaminochlorasine) a été étudiée par de nombreuses nations avant le conflit. Mais le Service de Dispertion du Bouchet avait réalisé une avancée très importante dans sa militarisation, au travers des engins coulés à froid type Z5. La militarisation de la DM avait été extrêmement étudiée et poussée par les chercheurs en France, si bien que de nombreuses techniques élaborées au Bouchet ont suscitées un très vif intérêt de la part des services chimiques allemands (synthèse, méthodes de dispersion, études de dissémination, procédés en chandelle, coulage à froid, obus à dépotage). L'Adamsite fut par ailleurs adoptée sous le nom de code Azin en Allemagne et produite de 1940 à 1944 à hauteur de 3880 tonnes. L'Allemagne fit par ailleurs pression sur le gouvernement français dès janvier 1941 et sur l'industrie française, pour la livraison d'un composant essentiel à la fabrication des engins Z5, un sirop d'urée tout à fait spécifique sans lequel il n'est pas possible d'obtenir des chandelles de DM type Z5. Après plusieurs mois de tergiversation, la volonté de ne pas collaborer au réarmement chimique notamment portée par le Général d'Armée Huntziger (Ministre de la Guerre du gouvernement de Vichy), en opposition au Secrétaire d'Etat à la production Industrielle dirigée par le collaborateur Pierre Pucheu, semblait s'affaiblir. Puis, après le décès de Huntziger en novembre 1941, la livraison du sirop Nobel fut autorisée à partir de janvier 1942 par le Ministre de la Défense Nationale, l'Amiral de la Flotte François Darlan, appuyée par le Secrétaire d'Etat à la Production Industrielle, .
La trichloroéthylamine est un agressif que le Centre Technique du Bouchet a particulièrement étudié depuis le début des années 30 ; c'était même un des programme phare du réarmement chimique français, développé par des essais de tirs réels dès ce même début des années 1930. L'Allemagne avait également prévue l'utilisation de cet agressif et débutait sa synthèse expérimentale dans l'hivers 1939-40. Mais de nombreux problèmes furent rencontrés dans le démarrage de la production, notamment dans la synthèse de composés intermédiaires. En France, le programme de synthèse en grand dans la poudrerie de Boussens devait démarrer à hauteur de plus de 200 tonnes/mois à l'été 1940. Inutile de développer ici l'intérêt que les études du Bouchet sur cet agressif pouvait représenter pour le programme militaire allemand (synthèse, méthodes industrielles, dispersion, militarisation). En 1942, le programme de synthèse allemand à hauteur de 50 tonnes/mois rencontrait encore des problèmes ; il fallut attendre 1943 pour que la synthèse soit progressivement portée à hauteur de 120 tonnes/mois. Au final, 1928 tonnes furent synthétisée par le troisième Reich.
Toutes les archives du Bouchet ont-elles été livrées à l’Allemagne ? Probablement pas… le témoignage livré par Norbert Casteret sur la dissimulation de documents appartenant au Service des poudres, laisse effectivement à supposer qu’un tri a été effectué dès juin 1940. Par ailleurs, il semble que les autorités allemandes furent confrontées à des difficultés pour la réalisation industrielle de toxiques français. Pour preuve, leur demande de communication des plans et schémas relatifs à la fabrication de l’Ypérite 1012 en novembre 1942, tout comme la demande de livraison de sirop d’urée pour la fabrication des chandelles type Z5, en janvier 1941.
Les locaux du centre d’Etudes du Bouchet seront restitués aux autorités françaises le 24 avril 1941.
Le centre d'étude du Bouchet en 1961.
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