En vue de protéger les fantassins allemands qui devaient suivre la vague de chlore de l’attaque du 22 avril 1915 à Ypres, les Allemands firent confectionner le premier appareil de protection contre les gaz. C’est celui que le pharmacien Léon Launoy, du laboratoire de la 10e armée, analysera et proposera de copier, juste après la première attaque par vague de chlore (voir : Prélude à la guerre chimique). On retrouve dans les archives des Services chimiques français un bulletin de renseignement provenant de Belgique, à la date du 15 avril 1915, précisant que les Allemands avaient fait confectionner à Gand environ 20 000 bâillons. Le rapport du pharmacien Launoy précise : "Ils étaient constitués par une enveloppe rectangulaire de tulle, mesurant environ 8x12 cm, remplie de déchets de coton. Deux cordonnets, fixés à chaque coin de l’enveloppe, permettaient de le fixer sur le visage, en nouant les cordonnets derrière la tête. Le bâillon était placé dans une enveloppe en toile caoutchoutée, mesurant 10x17 cm, pour conserver l’humidité nécessaire à la réaction avec le chlore. La solution neutralisante était composée d’un mélange d’hyposulfite de soude, d’hydrate alcalin et de glycérine". Ce premier appareil de protection très rudimentaire semble distribué avec parcimonie sur le front jusqu'à l'été 1915. On lui connait de nombreuses variantes et déclinaisons, qui laissent supposer à des fabrications locales.
Dessin du bâillon utilisé par les troupes allemandes, lors de l'attaque sur Ypres du 22 avril 1915.
Avril 1915, région d'Ypres. Fantassins allemands du R.I.R. 236 munis de compresses neutralisantes destinées à protéger les troupes d'assaut du nuage toxique de chlore.
Le sachet préservateur se compose d'une enveloppe en toile imperméable, ayant 15cm sur 25 cm environ, se fermant par deux boutons à pression ; il contient des déchets de coton. Les sachets sont distribués avant l'action ; les déchets de coton ont dû être préalablement imprégnés d'un liquide sans odeur, car ils étaient encore légèrement humides quand le prisonnier s'en est servi.
Les sachets sont imprégnés tous les 15 jours ; cette opération se fait à l'arrière. En cas d'utilisation du baîllon, celui-ci doit être à nouveau trempé dans la solution neutralisante. Rapidement, une petite bouteille remplie de solution neutralisante est fournie ; elle permet de saturer le coton de l'appareil, de façon à neutraliser le brome, utilisé depuis juin 1915.
Les Allemands utiliseront simultanément un appareil vraisemblablement destiné à l’industrie. Celui-ci était constitué par un ‘’groin’’ de caoutchouc, englobant la bouche et le nez. A l’avant, l’appareil est aplati et présente une surface circulaire percée de sept trous, derrière laquelle se trouve un tampon imbibé de substances neutralisantes. Une soupape expiratoire est située sur le dessus et à gauche de l’appareil. Une sangle élastique permet de le maintenir sur le visage.
La multiplication des attaques allemandes imposa la mise en place d’un nouvel appareil de protection plus performant que le précèdent, des intoxications ayant certainement eu lieu lors de changement de vent, ou lors de fuites des cylindres de chlore. Un nouveau type de masque fit donc son apparition, probablement dans l'urgence et en attente du nouveau masque complet, le gummimaske.
Ces protections primitives apparaissent quelques mois après les baillons. La nature de la substance neutralisante, destinée à imprégner ces appareils, est une solution à base d'hyposulfite de soude. Comme de nombreux essais effectués par le laboratoire du professeur Lebeau et par celui de la préfecture de Police, ces protections ne protégeait donc que contre des concentrations de chlore modérées et pendant peu de temps.
Au travers des différents rapports des Services chimiques français, il parait encore aujourd'hui difficile de fixer avec précision la date d'apparition de ces appareils, dont on distingue plusieurs variantes. De façon certaine, leur présence est régulière à différents endroits sur le front à partir de septembre 1915, simultanément à la présence des premiers gummimaskes.
En comparaison aux premiers appareils distribués, alias baillons, ces nouveaux appareils permettaient de ménager une cavité devant la bouche et le nez, pour permettre l’usage de la parole, et éviter que l’air inspiré ne passe toujours par le même chemin et épuise très rapidement la solution neutralisante. Pour éviter sa déshydratation, celle-ci était désormais conservée dans un flacon de verre ; on en imbibait le tampon avant utilisation.
Le nombre de variantes identifiées à ce jour, laisse à supposer qu'il s'agissait de fabrications locales et temporaires.
Ces nombreux rapports français permettent de différencier au moins quatre variantes :
- La première est composée d'une seule pièce, elle-même constituée par plusieurs couches
- La deuxième variante est fabriquée en deux pièces d'étoffe légère, renfermant chacune des déchets de filature. La rigidité de la forme est assurée par un fil métallique courbé en arc de cercle et occupant la partie médiane du groin. A la hauteur du nez se trouve une tige d'acier faisant office de ressort et assurant une bonne étanchéité à ce niveau.
- La troisième est constituée de deux armatures en toile métallique, entre lesquels se trouve placé quelques grammes de papier de soie.
- Plus rarement, est décrit l’utilisation de cagoules similaires aux modèles français.
Les premiers exemplaires trouvés par les armées françaises seront envoyés à l’IEEC à partir de la fin du mois d’août 1915. Un de ceux-ci, apporté par le pharmacien major, directeur du laboratoire de chimie de la 3e armée, sera analysé par Kling, au laboratoire municipal de Paris. Le rapport est daté du 21 septembre 1915, et stipule :
« Cet appareil de protection se compose d’une pochette en toile imperméable renfermant le bâillon et un petit flacon contenant le liquide destiné à imprégner le bâillon.
1° Bâillon. – Il a la forme d’un groin et est constitué par deux feuilles de coton légèrement feutré, entourées des deux côtés par du calicot gris verdâtre. A la hauteur du nez se trouve une tige d’acier faisant office de ressort pour assurer l’application du bâillon sur le nez. Un fil métallique, courbé en arc de cercle et occupant la partie médiane du bâillon, assure la fixité de la forme. Deux cordons, s’attachant autour du cou, permettent de fixer l’appareil sur le visage.
2° Flacon. – Il contient environ 50 cm3 de la composition suivante :
Hyposulfite de soude cristallisé…….183 grammes.
Carbonate de soude anhydre…….….63 -
Eau Q.S. pour un litre.
3° - Sur la pochette se trouve imprimée la notice :
‘’ Emploi du tampon antiasphyxiant : Imprégner le bâillon de la solution antiasphyxiante et le poser sur le visage de façon que le bourrelet se plaque exactement sur le nez. Serrez ensuite fortement les cordons autour du cou afin que la bâillon s’applique bien sur le visage. Après usage, remettre le tampon dans son étui’’.
Dans l’étui se trouvait également un petit sac noir renfermant encore quelques décigrammes de chlorure de sodium.
Le directeur du laboratoire, signé : Kling ».
L’utilisation de cet appareil est fréquemment relatée dans les rapports des troupes du front, adressés à l’IEEC, jusqu’à la fin du mois d’octobre 1915.
Fantassin du 106e I.R. équipé d'un tampon rudimentaire. Noter la pochette spécifique posée sur la cartouchière.
Un rapport du laboratoire Municipal de chimie nous donne une description assez précise de ce modèle ( rapport G.80 du 6 octobre 1915) :
Un baillon composé de 12 morceaux de mousseline de 20x9 cm, teints en jaune orangé, protégés extérieurement par une autre mousseline teinte en brun. Le tout est maintenu sir le visage, à la hauteur du nez, par un fil de cuivre se fermant derrière la tête et à la partie inférieure par un cordon se nouant sur la nuque. Ce baillon est renfermé dans unétui en toile caoutchoutée s'accrochant au centuron. Le fil de cuivre placé à la partie supérieure de ce baillon a l'avantage de se courber pour permettre une application plus complète sur le visage.
La matière colorante qui teint en jaune orangé la mousseline du baillon est une tropéoline, colorant très sensibles aux acides en virant au rouge cerise. L'emploi de ce colorant permet de déceler le moment où, pour une cause quelconque, le baillon devient acide et par conséquent inefficace pour l'absorbtion de produits oxydants ou acides.
Ce baillon est accompagné d'un appareil de protection pour les yeux très primitif, constitué par deux petits carreaux de verre fixés sur du calicot assez épais et se nouant sur la tête avec une ficelle.
Ce modèle de tampon allemand est fréquemment appelés Groins.
Rapport d'andré KLING G.102 du 29 octobre 1915 :
"Monsieur le médecin chef de la VIIe Armé nous a envoyé (...) un baillôn en forme de grouin constitué par deux armatures en toile métallique entre lesquelles se trouvent placés quelques grammes de papier de soie non imprégné de subsatnces antiasphyxiantes".
Tampon et lunettes (françaises!) portés par un officier würtembergeois en forêt d'Argonne (octobre 1915). Le modèle est différent de celui présenté en haut de la page.
En comparaison aux baîllons utilisés précédemment, le groin permet l'usage de la parole et le passage de l'air sur toute la surface du tissu. Seulement, il ne s'agit encore que d'une protection extrêmement rudimentaire ne protégeant, dans le meilleur des cas, que contre de faibles concentrations de chlore. Or, l'Allemagne utilise depuis la fin du printemps 1915 d'autres substances agressives, et bien que les spécialistes d'outre Rhin ne prévoyaient pas la réplique alliée avant plusieurs mois, la question de la protection devait être rapidement résolue.
Plusieurs rapports français font état de l'utilisation de cagoules :
"Un masque de mousseline, maintenue rigide par une armature métallique entourant la tête. A la hauteur des yeux se trouvent deux fenêtres obturées par un disque de verre. La substance filtrante est composée vers l'extérieur de déchets de filature et intérieurement de coton hydrophile. Ce masque, très primitif comme exécution, n'était imprégné d'aucune subsatnce antiasphyxiante".
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