Depuis la fin du mois de septembre 1915, la Commission de protection des services chimiques français, étudie la réalisation d’un nouvel appareil de protection aux conditions d’adaptation parfaites. En effet, le tampon P2, apparu depuis le début du mois de septembre 1915, souffrait de nombreux défauts. Son port était inconfortable, il avait tendance à glisser du visages lors de mouvements et il empêchait l’usage de la parole. La surface des compresses au travers de laquelle la neutralisation des substances chimiques s’effectuait, était limitée à la seule partie directement en contact avec les voies respiratoires.
Les 19, 20 et 27 octobre 1915, au cours de plusieurs attaques associant vagues gazeuses et tir d'obus toxiques, la protection apportée par le tampon P2 s'avéra insuffisante. L'ajustage du masque sur le visage autant que la protection chimique contre certaines substances (notamment la palite) seront dénoncés. Dans l'urgence et après plusieurs essais, la Commission de Protection adopta un appareil encore à l'étude, le masque T.
Le docteur Banzet, membre de la Commission de protection, avait réalisé durant le mois d’août 1915, un appareil qui créait une espèce de cage devant les voies respiratoires, et qui semblait répondre aux attentes de la Commission. Des essais réels en chambre infectée avaient donné d’excellents résultats. Le 3 octobre 1915, Banzet présente trois versions de son prototype, réalisées par des confectionneurs différents (Borrel, Régnier et Tambuté). Les trois appareils vont subir toute une série de tests afin de déterminer lequel procure la meilleure protection. Le 24 octobre, de nouveaux essais ont lieu à l’Ecole supérieure de pharmacie de Paris. Chaque appareil est essayé dans une atmosphère chlorée, au repos, en marchant, en courant et en parlant. L’avis sera unanime pour déterminer l’appareil Tambuté comme supérieur aux autres.
Un événement devait conduire à l’adoption et à la production presque immédiate du masque à l’étude. Le 19 octobre au matin, les Allemands effectuent plusieurs attaques par vague de chlore, au sud-est de Reims, sur un front d’une dizaine de kilomètre[1]. Le docteur Flandin et André Kling, chargés des enquêtes au front, se rendent immédiatement sur les lieux, pour procéder à une enquête dans le but de déterminer les substances agressives utilisées par l’ennemi, et de juger de l’efficacité des appareils de protection. Le lendemain, Kling est sur place, dans les boyaux de communication vers les premières lignes, quand une nouvelle attaque par vague gazeuse est déclenchée. Il se trouve au beau milieu de la zone d’émission et ne peut être finalement mieux placé pour observer les effets de la vague. Ces attaques des 19 et 20 octobre vont faire un grand nombre de victimes : 4200 hommes sont évacués dont plus de la moitié d’entre eux dans un état grave ; on déplore plus de 750 morts. L’enquête effectuée met en cause la protection du tampon P2, principalement en raison de sa difficile adaptation au visage. La Commission de protection, le 25 octobre 1915, après lecture des rapports de Kling et de Flandin, adopte le masque Tambuté après quelques modifications au modèle original[2]. La fabrication du masque Tambuté, appelé masque T, commence alors. Les 2000 premiers exemplaires sont livrés dès le 17 novembre. Puis, fin novembre, chaque armée reçoit une dotation de 100 000 masques T. Sur le front, il est distribué aux hommes qui occupent des postes importants, comme les mitrailleurs, les agents de liaison, les officiers… Il est livré dans la pochette S2 destinée aux tampons P2, accompagné de lunettes Meyrowitz en caoutchouc. Le masque T est muni de 3 compresses différentes, comme le tampon P2
La production de tampon T sera de plus d’un million d’exemplaires. Elle s’arrête cependant dans la première semaine du mois de décembre 1915, pour être remplacée par celle des masques TN.
[1] Aucune attaque par vague gazeuse n’avait été tentée depuis mai 1915, si ce n’est celle manquée par bromure de benzyle le 5 octobre 1915, dans le secteur de Perthes-les-Hurlus.
[2] Le professeur Lebeau proposa d’adopter un système de fixation présenté par l’industriel chargé de la fabrication (Dehesdin). Le professeur proposa également d’ajouter une lame métallique, modelable, pour ajuster le ;masque sur le nez).
Les premiers masques T sont livrés dès le 17 novembre 1915. Un million de tampons T seront produits.
En attendant l’arrivée du nouveau masque T, on essaya d’améliorer la protection du tampon P2. On avait réalisé que les concentrations de chlore atteintes lors des attaques par vagues gazeuses, étaient bien plus importantes que ce que l’on supposait. Lorsque le tampon P2 est appliqué sur le visage, l’air inhalé ne passe qu’au travers d’une zone assez limitée des compresses neutralisantes. Le professeur Lebeau va se pencher sur ce problème et essayer par divers artifices, de contraindre l’air inspiré à passer au travers du maximum de surface de gaze neutralisante. Il propose ainsi, le 18 novembre 1915, de placer un simple fragment d’étoffe imperméable devant les compresses du tampon, pour obliger l’air à passer par la périphérie. De cette manière, la durée de protection est multipliée par deux. Les essais permettent de constater que la protection dans une atmosphère de chlore concentrée (3,2 g/m3) dure plus d’une heure. Le procédé, facile à mettre en œuvre, est adopté, mais intervient au moment où les masques T commencent à être livrés. La modification se fera donc sur un nombre limité de tampons.
Au début du mois de décembre, la maison Dehesdin propose de modifier les tampons p2 en masque T. Ce système permet de rendre plus facile l’adaptation du tampon au visage et d’augmenter ses capacités de filtration. « Cette transformation consiste à replier le tampon sur lui même dans le sens de la plus grande dimension et à coudre ensuite l’un des côtés replié. Aux deux extrémités restées libres du grand côté opposé, se trouve adapté un élastique muni d’une boucle de réglage. Au milieu de ce même côté est fixé un ruban terminé par une partie repliée formant boucle, pouvant glisser sur l’élastique. Les anciennes attaches du tampon, croisées sous le menton, doivent ensuite être nouées sur la tête ». Le 29 décembre, une notice est rédigée et adressée aux armées pour leur fournir les indications pratiques permettant d’opérer cette transformation sur place.
Dès la distribution des TN, l’I.E.E.C. étudia la transformation des tampons T en TN. Le remplacement des compresses semblait impossible, mais la transformation du mode d’attache paraissait facilement réalisable. Une proposition est adoptée le 3 février 1916. Pour parer à la difficulté de se procurer le tissu élastique utilisé pour les sangles du masque, on propose d’utiliser une simple rondelle de caoutchouc dans laquelle vient passer les différents cordons d’attache. Une notice est envoyée aux troupes le 28 février 1916. elle précise la suppression des cordons latéraux du masque T, permettant d’éviter les confusions fréquentes que les hommes commettent entre les différents lacets. Enfin, elle décrit l’ajout d’un anneau de caoutchouc réunissant les lacets de serrage de la coulisse inférieure.
Lebeau cherchait, depuis le mois d’août 1915, à réunir sur une seule compresse, les solutions neutralisant le phosgène et l’acide cyanhydrique. Le 25 octobre 1915, il propose donc une nouvelle formule d’imprégnation qui, non seulement assure une protection efficace contre des concentrations élevées de phosgène, mais permet encore de n’utiliser qu’une seule compresse à la place des anciennes C2 et C3. Le procédé est beaucoup plus efficace et permet une protection contre de nombreux autres toxiques, potentiellement utilisables par l’ennemi. Toutefois, avant d’adopter définitivement la nouvelle formule, Lebeau souhaite faire de nouveaux essais. Elle n’est adoptée que le 16 novembre 1915, et baptisée formule à la Néociane. Désormais, les appareils protecteurs ne comporteront plus que deux types de compresses :
Cette formule de neutralisation chimique devait subsister jusqu’au début de l’année 1918.
Suite à, l'adoption d'une nouvelle solution neutralisante, bien plus performante et enfin efficace contre le phosgène (le 16 novembre 1915) et après plusieurs modifications apportées au masque T, le nouvel appareil est baptisé masque TN.
Il est livré dès le 1er janvier 1916. 6,8 millions d'exemplaires seront manufacturés.
Un étui triangulaire, muni de deux sangles est adopté. Puis, à compter du 14 janvier 1916, les TN sont envoyés dans un étui métallique de section ovale.
La formule à la Néociane était destinée à être utilisée dans un nouvel appareil qui devait être aussi parfait que possible. La Commission souhaitait prendre le temps nécessaire pour réaliser de nombreuses expérimentations et aboutir à un masque complet, en améliorant un modèle proposé par l’établissement Gravereaux en septembre 1915. Une fois encore, plusieurs éléments vont brusquer ces prévisions.
Le 26 novembre 1915, une nouvelle attaque allemande par vague gazeuse à lieu dans la région de Verdun, entre Forges et Béthincourt. Elle est renforcée, en plusieurs endroits, par l’action de munitions lacrymogènes et toxiques.
L’enquête du docteur Flandin[1] fait ressortir plusieurs points qui vont impressionner le G.Q.G.. Il s’avère en effet, que la protection apportée par le tampon P2 contre la palite, est bien inférieure à celle que l’on supposait[2]. Le plus troublant est l’attaque qui se produit au fond de la cuvette du village d’Avocourt. La vague gazeuse ne parvient pas jusqu’à cet endroit mais un bombardement d’obus toxiques à lieu vers 17 heures. Les hommes présents éprouvent une impression d’angoisse thoracique sans aucuns autres symptômes ; ils se remettent alors rapidement. Mais plusieurs après, ces signes reviennent en s’aggravant et plusieurs hommes meurent sur place. Flandin attribut ces intoxications à l’utilisation de phosgène[3]. Le G.Q.G. prit très au sérieux ses conclusions. Le phosgène étant alors le toxique dont l’utilisation était la plus redoutée. Cette attaque parut marquer un pas dans l’escalade à la toxicité des substances utilisées. Le phosgène est considéré comme vingt fois plus toxique que le chlore, mais surtout, les tampons P2 et les masques T les plus récents, à trois compresses, ne neutralisent pratiquement pas cette substance.
Suite à ces événements, les Français considèrent qu’il faut impérativement produire un nouveau masque protégeant contre le phosgène. Les études sur le masque Gravereaux ne sont pas encore suffisamment avancées, et dans l’urgence, on décide de modifier le masque Tambuté. En premier lieu, le nombre de compresses neutralisantes est ramené à deux : une au ricin-ricinate et la deuxième imprégnée de la formule à la Néociane, bien plus efficace contre le phosgène. Lebeau et Banzet recherchent ensemble un système d’attache plus sûr que celui du tampon T. Ils proposent la suppression des deux liens latéraux placés à côté des points d’attache de l’élastique et de raccourcir les liens formant coulisse pour les réunir par un élastique d’environ 20 cm de long. Enfin, on copie l’idée d’utiliser une toile imperméable comme pare-pluie sur un prototype de masque proposé par la maison Borrel. Ces modifications sont appliqués immédiatement à la production et les premiers exemplaires du nouveau masque, appelé TN pour Tambuté Nouveau modèle, sont livrés aux armés dès le 1er janvier 1916.
Le masque TN marque un net progrès en comparaison au masque T. Il sera livré dans un étui triangulaire aux dimensions du masque, muni de deux sangles permettant de le porter au ceinturon en cas d’alerte. Le masque est porté dans les sachets S2 car l’étui triangulaire ne permet pas d’y introduire les lunettes. Les hommes y conservent également leur tampon P2, comme appareil de secours.
A partir du 14 janvier 1916, les TN sont envoyés dans un étui métallique de section ovale, destiné à assurer une meilleure protection contre les chocs et les intempéries. Les lunettes y trouve également leur place. Cet étui devait bientôt remplacer tout les sachets S2.
Le masque TN sera produit à 6,8 millions d’exemplaires ; il restera en dotation jusqu’à son remplacement progressif par le masque M2. En 1917, sa présence au front devient exceptionnelle.
[1] Médecin membre de la Commission, chargé d’enquêter au front sur les effets des substances utilisées par l’ennemi.
[2] De nombreux hommes , ayant encore leur masque sur le visage, ont éprouvé les symptômes de l’intoxication à la palite, lors de l’explosion d’obus emplis de ce toxique, dans leur voisinage. Tous seront intoxiqués et nombre d’entre eux vont décéder.
[3] Aujourd’hui encore, l’utilisation de munitions emplies de phosgène lors de cette attaque reste douteuse. André Kling, qui réalisa la même enquête, conclut à l’utilisation de palite sans impuretés de fabrications, qui présenterait alors d’es effets presque identiques au phosgène.
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