Les vesicants
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Les vésicants.

On ne trouve dans cette classe qu’une substance ayant réellement cette caractéristique et utilisée pendant la Première Guerre mondiale : (même si certains produits possèdent ce genre d’activité comme les arsines vésicantes) le sulfure d’éthyle dichloré ou Yperite.

D'autres toxiques vésicants ont été étudié et parfois utilisés pendant la Première Guerre mondiale, mais ils possèdent alors d'autres caractéristiques toxiques et sont regroupés dans d'autres classes : 

Le dichlorure d'éthylarsine (Dick, chargé en munitons sous forme de mélange par les Allemands), le dichlorure de méthylarsine (MethylDick, chargé en munitons sous forme de mélange par les Allemands), le dichlorure de phénylarsine (chargé en munitons sous forme de mélange par les Allemands), le chlorure de diphénylaminearsine (Adamsite, chargé en munition après 1918), le dichlorure de chlorovinylarsine (Lewisite 1, chargé en munitions après 1918) ainsi que dans de moindres mesures la Lewisite 2, (Pour ces trois derniers corps, voir également : Les Services chimiques dans l’entre-deux guerres).

L'Yperite fut généralement utilisée diluée par un solvant, comme le chlorobenzène, ou d'autres solvants actifs comme l'éthyldichloroarsine, la diphénylschlorarsine (Clark I), la diphénylcyanarsine (Clark II).

L'Ypérite fut le toxique le plus efficace utilisé pendant la Grande guerre ; il fut l'objet de très nombreuses expérimentations et modifications dans l'entre-deux guerre. Le Service de Dispersion du Bouchet réalisa entre 1930 et 1940, des formules d'Ypérite dites visqueuses, susceptibles de résister sur le terrain beaucoup plus longtemps que l'Ypérite ordinaire. Ces résultats étaient obtenus en mélangeant des solutions de caoutchouc chloré ou de résines synthétiques dans diverses Ypérites particulières. Cette Ypérite portait le nom de code Yp, pour Ypérite épaissie. Le Bouchet mis également au point une méthode de synthèse inédite, ne nécessitant que peu d'appareillage et avec un rendement très important, permettant la synthèse de très grande quantité de toxique ; cette ypérite particulière fut nommée Ypérite 1012. Sa production était réalisée au sein des ateliers de la Poudrerie Nationale d'Angoulême et d'une poudrerie dévolue entièrement à la fabrication de gaz de combat, la poudrerie de Boussens (voir : Les Services chimiques dans l’entre-deux guerres).

 

 

Le sulfure d’éthyle dichloré ou Yperite ou Gaz moutarde

Action physiologique

Vésicant, lacrymogène et toxique

Nom de guerre

Ypérite (France)

Lost, senftgas (Allemagne)

Mustard gas ou gaz moutarde (Angleterre)

Formule

Cl CH2 CH2 S CH2 CH2 Cl  

Epoque d’apparition

12 juillet 1917 (Allemagne)

Juin 1918 (France)

Moyen de dispersion

Obus

Le sulfure d’éthyle dichloré fut employé la première fois par les Allemands dans la nuit du 11 au 12 juillet 1917 en Belgique, sur les troupes britanniques à Ypres, d’où le nom d’Ypérite.

 

Obus français de 75mm modèle 1915 chargé en Ypérite dans du Tétrachlorure de Carbone.

Chargement à Aubervilliers le 6 mai 1918.

 

Pour en savoir plus : 

Les mesures de protection contre l'ypérite.

Les munitions chimiques allemandes.

Généralités :

Son apparition sur le champ de bataille créa les plus vives émotions chez les Alliés ; c’est en effet le premier toxique qui permet de mettre hors de combat un homme correctement protégé par son masque. Et pourtant, son action s’exerçait surtout sur les yeux et sur les parties externes du corps. Mais à la fin de l’année 1917, en changeant le solvant dans lequel le produit est dissous et en modifiant l’obus le contenant, les Allemands obtiendront une plus fine vaporisation, entraînant une action au niveau des alvéoles pulmonaires.

Ce corps se caractérise par une persistance élevée et permet ainsi la contamination d’un terrain pendant plusieurs semaines. Cette persistance est influencée par l’accroissement de la température ambiante, augmentant la vitesse d’évaporation du liquide, et par l’humidité qui hydrolyse ce produit. Une autre de ses caractéristiques est son insidiosité ; le temps de latence est de plusieurs heures entre la contamination et l’apparition des premiers effets.  

 

 

Vésications provoquées par le contact avec l'Ypérite. Aucune impression d'irritation n'est ressentie dans un premier temps, puis les zones exposées rougissent et enflent. La couleur vire ensuite au violet en passant par le gris bleu. Aucune douleur n'est ressentie à ce stade. Puis, de violentes démangeaisons apparaissent, pouvant durer des jours voire des semaines, interdisant le sommeil. Si la contamination a été importante, ce stade est suivi de phlyctène : des cloques très douloureuses apparaissent et se réunissent.

La guérison visibles des blessures demande plusieurs mois et si les lésions ont été profondes, entraîne généralement des incapacités permanentes, notamment sur les muscles d'articulations sensibles, comme ceux des mains et des pieds.

L'intoxication systémique et les lésions du système respiratoire peuvent entraîner des modifications psychiques et physiques pour des années, voire même la vie : bronchite chronique, gastrite chronique, allergie, cancers, anémie, baisse de la résistance immunitaire, asthénie, apathie, dépression.

 

L'histoire de l'utilisation de l'Ypérite est finalement mal connue...

L'Ypérite est un composé connu depuis le XIXe siècle. Le sulfure d’éthyle dichloré avait déjà été préparé en 1822 par le physicien français Despretz par réaction de l’éthylène sur le chlorure de soufre. Puis, en 1860, Niemann reprit ces travaux, mais considéra le produit comme une combinaison mal définie et stoppa ses études. D'autres également travaillèrent sur cette substance, comme F. Guthrie et H.T. Clarke en Grande-Bretagne. Un chimiste allemand, Viktor Meyer avait décrit ses propriétés dans un article paru en 1884. Ces articles étaient connu de l'ensemble de la communauté scientifique. En 1905, la Commission secrète des "substances puantes", dirigée par le commandant Lepidi et la capitaine Nicolardot, au sein du laboratoire de chimie de la Section Technique de l'artillerie, effectua un vaste travail de recherche dans la littérature scientifique. Le sulfure d'éthyle dichloré fut évidemment retenu, puis étudié par la Commission. Il fut classé dans la catégorie des substances corrosives et non interdites par la Convention de La Haye. 

Pour en savoir plus : Les premiers travaux de recherche visant à développer l'arme chimique.

 

En 1916, les chimistes français s'étaient à nouveau penché sur ce composé. Le professeur Moureu réussit à en préparer une petite quantité et le docteur Mayer étudia ses effets et ses propriétés. Ses propriétés toxiques furent reconnues comme importantes, mais inférieures au phosgène, et devant les difficultés que présentait sa synthèse industrielle, son emploi militaire fut écarté.

 

Dès la fin de l'été 1916, les chimistes allemands avaient tourné leurs recherches vers une nouvelle substance capable de déjouer la protection des appareils respiratoires alliés. Ils cherchaient une substance toxique avec une odeur indiscernable, persistante et sans effet irritant, utilisable en munition d'artillerie. Ces munitions devaient ainsi exercer leur action toxique sans attirer l'attention des combattants, qui seraient ainsi intoxiqué avant d'avoir mis leur masque protecteur. Le professeur Steinkopf du Kayser Wilhelm Institut et le docteur Lommel des laboratoires de la firme Bayer proposèrent le sulfure d'éthyle dichloré (d'où son appellation de Lost par les Allemands, contraction des deux premières lettres des deux chercheurs). Fritz Haber déclara lui même, après guerre, que les chercheurs connaissaient ses propriétés vésicantes, décrites par Meyer, et qu'ils s'entourèrent de grandes précautions durant les expérimentations, mais qu'ils ne s'étaient absolument pas attaché à celles-ci. Seule son action retardée motivait son usage militaire et à aucun moment, ses propriétés vésicantes infernales, qui nécroses tous les tissus entrant en son contact même des jours plus tard, ne retint l'attention des Allemands. Ainsi, le succès obtenu avec l'Ypérite tenait en grande partie au hasard et à la chance, puisque son action vésicante n'avait pas été envisagée lors de son introduction ; Haber déclara que la découverte de cette propriété sur le champs de bataille fut une surprise totale.

Pour en savoir plus sur son utilisation : Les munitions chimiques allemands en 1917 et l'industrie chimique allemande.

 

 

Du côté français et suite à l'apparition de ce toxique, des recherches furent conduites pour riposter au plus vite avec le même composé. Une voie de synthèse différente de celle suivie par les chimistes allemands fut trouvée et s'avéra extrêmement plus rapide. La priorité absolue fut donnée pour la synthèse de l'Yperite par l'impulsion personnelle du Ministre de l'Armement et des Fabrications de Guerre, si bien que la production débuta dès mars 1918.

Pour en savoir plus : L'industrie française. et Les munitions chimiques françaises, substances.


L'Allemagne chargea 9573 tonnes de sulfure d'éthyle dichloré dans 6,5 millions de projectiles et la France 1968 tonnes dans 2,4 millions de projectiles.

 

Caractéristiques :

L’ypérite est un produit vésicant, lacrymogène et toxique. Elle se caractérise aussi par sa grande persistance et sa faible volatilité. Elle n’a pratiquement aucune action par sa vapeur (point d’ébullition de 217°C) mais agit surtout sous forme de gouttelettes fixées sur des particules de poussière ou d’eau en suspension dans l’air. Elle est alors susceptible d’agir sur les voies respiratoires et sur toutes les parties du corps en contact avec ces fines particules. Elle agit également par contact direct. Les Allemands rendront son action au niveau des voies respiratoires bien plus aisée en utilisant un solvant plus volatile et en utilisant des obus dispersant bien mieux leur contenu. L’ypérite est très liposoluble et traverse donc facilement la peau. Elle détermine ainsi des lésions cutanées caractéristiques avec érythème (rougeur) puis formation de phlyctène à liquide claire. Sa concentration mortelle est voisine de 50mg/m3 pour un combattant exposé à ce produit pendant trente minutes. Sous sa forme liquide, un demi milligramme suffit à provoquer sur la peau une cloque de la taille d’une noisette et la même quantité projetée sur l’œil conduit à la cécité. 

L'Ypérite fut généralement utilisée diluée dans un solvant, le chlorobenzène, mais d'autres substances ou d'autres adjuvants furent utilisés. les Allemands réalisaient ainsi des Ypérite d'été qui restaient liquide jusque +6°C et d'hivers qui pouvaient être utilisées à des températures très basses. Des chargement dYpérite au 2/3 et au 1/3 d'huile d'anthracène furent également réalisés pour masquer l'odeur de l'ypérite et rendre plus difficile sa décontamination.

 

Ci-dessus : mesures de décontamination contre l'Yperite ; le personnel porte une tenue de protection appropriée.

 

Symptômes de l’intoxication et pathogénie :

L’intoxication à l’ypérite se caractérise par une période de latence asymptomatique de plusieurs heures (4 à 8 en moyenne, mais cela peut varier de 1 heure à plusieurs jours). Les symptômes apparaissent ensuite et s’intensifient lentement pour atteindre leur maximum vers le troisième jour. Les organes les plus exposés sont les yeux, la peau, le tractus respiratoire et parfois le tractus digestif, surtout en cas d’ingestion d’aliments contaminés.

Les yeux : Ce sont les organes les plus sensibles à l’ypérite. Une brève exposition peut provoquer une kératopathie. 4 à 6 heures après l’exposition, l’individu ressent une douleur intense comme une brûlure, avec irritation des conjonctives, lacrymation (yeux qui pleurent) et gonflement des paupières. Quand l’individu peut à nouveau ouvrir les paupières, il présente une photophobie (gêne à la lumière) qui peut persister pendant des mois. La cornée est œdémateuse, trouble et parfois ulcérée. Une conjonctivite provoquée par l’ypérite reste très sensible aux irritants de toute sorte et les rechutes sont fréquentes ; des récurences d’ulcération ont été décrites jusque quinze ans après.

La peau : 4 à 24 heures après l’exposition, l’ypérité présente un érythème (rougeur), une hyper pigmentation centrée sur les follicules pileux, des sensations de brûlure et une douleur. Les régions humides du corps (creux axillaire, plis inguinaux, organes génitaux) sont les zones atteintes avec prédilection, ainsi que les régions du corps découvertes ou peu protégées. Deux à trois jours après, l’érythème s’estompe et des vésicules apparaissent et confluent en phlyctène (soulèvement de la peau rempli de liquide) remplies d’un liquide jaunâtre (il s’agit d’une épidermolyse comme celle observée dans le syndrome de Lyell). Les lésions cutanées ont une évolution bénigne, mais sont parfois le siège d’une surinfection.

Le tractus respiratoire : Si l’intoxication est limitée, seules les voies respiratoires supérieures sont touchées. Les sensations de brûlures et de douleur sont localisées au niveau de la bouche, des narines et du pharynx. On observe : rhinorhée (écoulement nasal), toux, enrouement voir aphonie (perte de la voix) et éventuellement choc. Si les voies respiratoires basses sont touchées, la fonction pulmonaire est fréquemment compromise avec tachycardie et tachypnée. Le caractère inflammatoire varie de faible à sévère puis s’intensifie en quelques jours pour donner un épitaxis (saignement du nez) et un écoulement dans les voies respiratoires supérieures, avec également formation d’une pseudomembrane dans l’arbre trachéobronchique. Entre 16 à 48 heures, on observe les premiers signes d’œdème pulmonaire qui devient hémorragique vers la 36e ou 48e heure. Au delà de la 48e heures, il est possible qu’une bronchopneumonie se développe. Elle aurait d’ailleurs une large responsabilité dans les cas mortels d’intoxication par ypérite. La convalescence, du point de vue respiratoire, est longue : l’enrouement persiste une à deux semaines et la toux pendant un mois. On observe parfois des cas d’enphysème chronique, de bronchite, d’asthme.

Le tractus gastro-intestinal : Bien que moins fréquemment affecté, nausées, vomissements et dysphagie peuvent apparaître en 24 à 48 heures. Très rarement, on aura un tableau avec hématémèse, moeléna ou diarrhée hémorragique, qui signe un pronostic sombre. L’atteinte de l’appareil digestif à souvent été constaté pendant la Première Guerre mondiale suite à la consommation d’eau ou d’aliments souillées.

Action hématologique : Dans un délai de 10 à 14 jours, on peut constater une leucopénie ou parfois même pancytopénie.

Action centrale : On observe fréquemment une asthénie (fatigue) et une tendance au sommeil qui persiste longtemps, provoquant ainsi chez l’ypérité une baisse importante de l’aptitude au travail. De nombreux cas d’apathie, de dépression ont été décrits ;

En conclusion, les formes cliniques d’une intoxication à l’ypérite sont très nombreuses : tous les symptômes peuvent être réunis ou au contraire, l’atteinte peut se limiter à une conjonctivite ou des phlyctènes. Ceci dépend de la protection du combattant mais également de la température extérieure. En été, l’homme est moins couvert et la peau est plus moite, l’ypérite passe plus facilement sous forme vapeur, facilitant l’atteinte des voies respiratoires des soldats non munis de masques.

 

 

Témoignage du Docteur Paul Voivenel, La Guerre des gaz ; journal d'une ambulance Z, Paris, La Renaissance du Livre, 1919, Paul Voivenel et Paul Martin

 

Trois seulement paraissent bien mal.

Ce sont trois pauvres petits qui étaient dans un trou d'écoute; un obus à gaz vésicant est venu éclater sur le parapet, les inondant de son immonde produit.

Leur figure est méconnaissable ; les paupières boursouflées, rouges, ne peuvent s'ouvrir ; la peau du visage, tuméfiée, chagrinée, est parsemée de cloques dont quelques-unes en s'ouvrant, laissent s'écouler leur saine qui coagule en traînées jaunâtres ; les lèvres gonflées, vernissées, sont entrouvertes.

Ils ne peuvent avaler ; la langue cuite, énorme, remue difficilement dans la bouche d'où s'exhale une haleine fétide.

Ils ne répondent pas aux questions, font signe qu'ils étouffent, que quelque chose les étrangles.

Ils râlent.

 

Formes pulmonaires graves de l'intoxication et formes mixtes par suffocants et vésicants : fin 1917, les Allemands modifient le solvant de l'Yperite et changent la structure de leurs obus pour permettre une meilleur diffusion du toxique, qui atteint maintenant les alvéoles pulmonaires. Voir : Le contexte de la guerre des gaz durant les deux dernières années du conflit

 

L'ennemi jetait à profusion toutes ses variétés de projectiles à gaz. Depuis qu'il avait augmenté la charge explosive de ses obus, rien, dans le bruit d'éclatement, ne distinguait ces derniers des autres, et les hommes ne s'apercevaient de la présence des gaz que lorsqu'ils en ressentaient les effets nocifs. De plus, mieux solubilisée, l'Ypérite, projetée avec cette force exceptionnelle, pénétrait dans les plus fines ramifications des voies respiratoires.

Nous recevions dès lors des intoxiqués dont l'état était très inquiétant. Certains avaient eu d'abord des signes d'oedème pulmonaire suivis de conjonctivite et de vésications relativement bénigne. Nous fûmes amenés à penser qu'ils avaient été touchés à la fois par des suffocants et des vésicants et qu'ils nous offraient des cas de forme mixte.

D'autres, entrés avec des lésions oculaires et cutanées généralement vives, gênés pour respirer, voyaient leur dyspnée peu à peu s'accroître et s'enlisaient dans une asphyxie qui évoluait avec une régularité fatale.

C'étaient des Yperités pulmonaires.

Ce vitriolage des voies respiratoire est la chose la plus atroce que nous ayons vue depuis le début de la Guerre.

Lorsque, surpris pendant son sommeil, ou obligé d'enlever son masque pour téléphoner, pour transmettre des ordres pressés, l'homme avait été plongé dans l'atmosphère caustique d'un ou plusieurs obus tombés à proximité, le liquide vitrioleur se projetait directement sur sa gorge et son larynx qui se tuméfiaient. L'air ne passait plus. Le malheureux mourait en vingt-quatre ou quarante-huit heures, sans que la trachéotomie pût amener de soulagement, la muqueuse des grosses bronches étant aussi brûlée. Quelquefois, le second jour, l'espoir naissait ; on eût dit que l'obstruction diminuait, que la muqueuse cessait de se gonfler ; elle se nécrosait, et, soudain, au moment où le malade se trouvait un peu mieux, elle se détachait, tombait comme un bouchon sur la bifurcation bronchique, et c'était l'asphyxie foudroyante et silencieuse.

Moins atteints en apparence, beaucoup semblaient devoir en réchapper ; mais voila que, malgré la thérapeutique la plus énergique, on assistait à la carnisation des deux poumons dont les alvéoles se prenaient, comme se prend du sang qui se coagule. Cette carnisation augmentait chaque soir, s'accentuait chaque matin ; ventouses, saignées, oxygène, huile camphrée intraveineuse, etc, etc, rien ne ralentissait cette transformation de l'appareil respiratoire. Ainsi, dans des légendes maudites, la vie se putréfie. Le malade voyait la Mort marcher à lui avec une infernale lenteur. Dieu, parfois, le prenait en pitié et lui dérobait les pas impitoyables du Destin derrière un secourable délire.

Ils se défendaient bien, cependant, les petits chasseurs et les fantassins de Mangin !

Mais, plusieurs fois par jour, les deux hangars et des tentes où nous avions retenu plus de trois cent cinquante intransportables, on voyait sortir deux infirmiers portant sur un brancard une forme rigide enroulée dans une couverture, qu'ils déposaient dans la baraque Adrian qui servait de morgue et de chapelle.

Le lendemain, un fourgon menait au cimetière un cercueil recouvert d'un drap tricolore, derrière lequel nous n'avons jamais vu de silhouette féminine.

Ainsi s'en alla le petit D..., de la classe 18, qui délira plusieurs jours et nous étonna par sa résistance. Il conserva dans la mort ses formes juvéniles arrondies.
Ainsi partit F..., le n°20 du hangar D, mort à quinze heures avec sa connaissance entière. Sa mère et son père, accourus de Bordeaux, le virent à seize heures.

Ainsi fut enterré le n°15, gonflé d'emphysème sous-cutané, dont les yeux ne voulaient pas se fermer après la mort.

Ainsi nous quitta le 34, qui se débattit si furieusement.

Ainsi nous quittèrent tant d'autres. (...)

 

Ils souffrirent beaucoup, nos malades grave qui s'en tirèrent. On devait, dans les tentes, s'acharner à lutter contre les mouches attirées par les mucosités pulmonaires et les sérosités cutanées des grands brûlés. Ah ! Ce n'était pas un service facile à tenir avec élégance (...).

 

 

Evolution :

La mortalité est estimée entre 2 et 10% (4,5% lors du conflit irano-irakien) mais toujours retardée. Les séquelles sont surtout oculaires (conjonctivite chronique, cécité…), cutanées (pigmentation, cicatrices, prurit…), respiratoires (bronchite asthmatiforme), psychiques (dépression, trouble de la personnalité) et génétiques  (effet radiomimétique sur les tissus, en particulier le tissu hématopoïétique avec possibilité d’aplasie médullaire et favorise le processus de tératogenèse et de cancérogenèse).

L’ypérite est responsable de 80% des pertes par arme chimique durant la Première Guerre mondiale et, pour ceux qui reçurent des soins, moins de 5% en moururent. Des chiffres de l’armée américaine rapportent que sur 27.711 hospitalisés pour intoxication à l’ypérite, 599 décédèrent (2%). La moyenne de temps perdu pour ceux qui vécurent est de 42 jours. Durant la Première Guerre mondiale, moins de 3% des hospitalisés sont morts. La majorité des gazés reçurent des soins pour les atteintes oculaires et cutanées. Retenons ceci : « L’ypérite tue rarement, elle neutralise ».

 

Quelques lésions provoquées par les vésicants.
           

 

Environnement :

L'Yperite est un toxique très stable dans le temps. Elle semble garder son activité toxique, devenant simplement plus visqueuse. Une quantité importante de munitions est restée disséminée dans l'environnement. D'anciens stocks de munitions ont été noyés en mer, d'autres sont disséminés sur le territoire français. Le risque de contamination est important en cas de découverte de munition intacte. Le risque de contamination pour l'environnement, quoi que mal évalué, est particulièrement préoccupant. 

Plus d'information : Les Services chimiques dans l’entre-deux guerres et lien externe Wikipedia.

 

Deuxième Guerre mondiale :

Les travaux du Bouchet permirent la mise au point d'une méthode de synthèse de l'Ypérite inédite (Ypérite au protochlorure de soufre),  étudiée au Bouchet, puis produite en quantité semi-industrielle sur un site délocalisé, la poudrerie spéciale de Boussens. Elle fut dénommée Ypérite 1012 (nom de code Y) et sa production et son chargement fut planifié avec une production effective à la poudrerie d'Angoulême après 1939. Cette Ypérite présentait l'avantage d'une production considérable et bien plus simple. Elle présentait en outre des caractères physiques permettant de l'épandre très facilement et elle se conservait bien plus longtemps.

Des Ypérite visqueuse, additionnées de solutions de caoutchouc chloré ou de résines synthétiques, de façon à adhérer aux matériaux et à devenir extrêmement difficile à attaquer par les agents de décontamination, furent également mises au point. Les derniers perfectionnements dans ce domaine devaient donner naissance à l'Ypérite épaissie (nom de code Yp) au Rhodopas (acétate de vinyle polymérisé).

A la mobilisation de 1939, deux usines étaient opérationnelles pour la production :

La poudrerie nationale d’Angoulême, capacité de 180 tonnes/mois sur une chaîne au produit 1012, portée à 380 tonnes en mai 1940 avec une chaîne de fabrication au bichlorure de soufre de 180 tonnes (Ypérite classique).

La poudrerie nationale de Sorgues et son atelier de synthèse au thiodiglycol (capacité de 510 tonnes/mois, augmentée à près de 700 en 1940).

L’atelier de production de Boussens était opérationnel avant l'Armistice de juin 1940 (400 tonnes/mois) pour une production d'Ypérite 1012 et d'Ypérite classique. 

La capacité de production devait ainsi atteindre le chiffre démentiel de 1290 tonnes d'Yperite par mois en juillet 1940 ! En considérant que la production française cumulée sur l'année 1918 atteignait 1968 tonnes, 7600 tonnes pour l'Allemagne pour 1917 et 1918.

Selon les informations communiquées aux autorités d'occupation après juin 1940, le manque de moyens de stockage et le démarrage à allure réduite des ateliers de chargement obligèrent la Direction des Poudres à réduire l'allure de fabrication. La période des grands froids de l'hivers 1939-1940 entraîna par ailleurs un arrêt momentané de la production aux poudreries d'Angoulême et de Sorgues. Au mois de mai 1940, l'aménagement de l'atelier de lavage de Sorgues permettait un accroissement de production mensuelle de 100 à 150 tonnes. Un atelier de 1012 prévu à la poudrerie de Boussens devait entrer en fonctionnement en juillet 1940. La poudrerie d'Angoulême prévoyait pour août le démarrage d'un atelier de 200 tonnes de produit 1012. Bousens avait commencé la construction d'un atelier d'Ypérite au thiodyglycol d'une capacité de 200 tonnes par mois.

L'ensemble de cette production permit d’atteindre un stock de 1740 tonnes en juillet 1940 (2100 tonnes étaient prévues au programme initial avant l’arrêt de la production si aucun conflit chimique n’avait eu lieu). Au cas où l'emploi d'engins spéciaux n'aurait pas lieu, les stocks disponibles devaient permettrent d'arrêter la fabrication dès le début de juillet 1940.

Au moins 612 d'Ypérite furent utilisées pour des chargements pendant la période du conflit, de 1939 à 1940, dont au moins 550 tonnes dans des munitions d'artillerie (900.000 coups de différents calibres), de type Y et peut être Yp. Au total, près de 1.800.000 munitions furent chargées en Ypérite en France, de 1935 à 1940.

(voir : Les Services chimiques dans l’entre-deux guerres.  ).

 

 

La Trichloroéthylamine, ou ypérite à l'azote HN-3.

Ce toxique, probablement chargé en munitions pendant le deuxième conflit mondial (en tout cas chargé au titre des campagnes d'essais de tirs chimiques au CESP de Béni-Ounif) , fut découvert au laboratoire de synthèse du Bouchet en 1930 (voir : Les Services chimiques dans l’entre-deux guerres.  ). "Officiellement, il fut découvert après 1945. 

Il s'agit d'un toxique vésicant, suffocant et persistant dont les effets principaux apparaissent avec un délai de latence maximal de 12 heures. Sous forme liquide, elle a les mêmes propriétés que l'Yperite. Les cloques provoquées sont cependant plus petites et ne confluent que rarement entre elles. Elle se démarque de l'ypérite par la persistance des vésications oculaires qu'elle provoque et par son effet suffocant très important.

Les vapeurs sont cependant immédiatement incapacitantes (dès 200mg/mn/m3) avec un effet lacrymogène, toux et extinction de la voix. Elles sont mortelles (LCt50) par inhalation dès 1500mg/mn/m3.

L'ingestion de quelque mg (2 à 6) provoque de sévères nausées et la nécrose du tube digestif. Les dommages sont très graves pour une dose de 70 à 140mg, soit deux à trois gouttes de toxique liquide.

La dose mortelle percutanée est estimée à 20mg/kg de poids.

Enfin, ,une particularité de ce vésicant, réside dans son action toxique systémique dont les effets s'étendent à tout l'organisme et particulièrement au système nerveux central, avec des dommages moindres que les neurotoxiques.

 

 

 

 

La Lewisite ou V.201.

 

La lewisite (2-chlorovinyldichlorarsine ou chlorovinylarsine) est un composé organique de l'arsenic appartenant à la famille des arsines halogénée.

Elle se présente comme un liquide huileux.

Elle produit des symptômes proches de ceux de l'ypérite, mais plus graves, cicatrisant moins bien, et qui surtout apparaissent très vite (quelques minutes en se développant sur plusieurs dizaines d'heures ensuite) après l'exposition, handicapant plus rapidement les victimes.

C'est un produit non-inflammable qui, lorsqu'il est dispersé sous forme d'aérosol ou de gaz, pénètre facilement au travers des vêtements et qui passe même au travers du caoutchouc naturel.

La Lewisite fut produite massivement dès la fin de la Première Guerre mondiale, en 1918.

Elle fut l'objet d'études importantes en France et en Angleterre avant 1940, puis ultérieurement aux USA. Elle fut fabriquée en France, en Angleterre, aux Etats-Unis, en Russie, au Japon, pour être chargée en obus, grenades et bombes d'aviation, seule ou en mélange avec l'Ypérite.

La Lewisite est en réalité un mélange de trois composés : la Lewisite 1, ou 2-Chlorovinyldichlorarsine, la Lewisite 2 ou Bis(2-chlorovinyl)chlorarsine et la Lewisite 3, Tris(2-chlorovinyl)arsine. Seule la Lewisite primaire ou Lewisite 1 possède des caractéristiques toxiques et vésicantes importantes, la Lewisite 2 ayant sur les yeux, les muqueuses nasales et les voies respiratoires, des effets incapacitants supérieurs. La Lewisite 3 est nettement moins toxique, si on excepte les forts éternuements qu’elle produit et son odeur de géranium déplaisante.

La Léwisite militarisée est un mélange de chlorovinyldichlorarsine (Lewisite 1) à 75-80% et de dichlorovinylchlorarsine (Lewisite 2) à 20-25%.

 

Initialement, sa préparation à l’aide de chlorure d’aluminium comme catalyseur avec action de chlorure d’arsenic sur l’acétylène, puis hydrolyse par action d’acide chlorhydrique, permettait d’obtenir un mélange des trois Lewisites, la tertiaire prédominant. Cela posait un problème, puisque seules les composés primaires de la Lewisite 1 présentaient des propriétés agressives. Une deuxième réaction était donc menée, dite opération de rétrogradation, en réduisant par le dioxyde de soufre en présence d’acide iodhydrique avec action du chlorure d’arsine, les Lewisites tertiaires en primaire et secondaires.

 

Elle fut étudiée et synthétisée par Winford Lee Lewis, au sein de l’armée américaine, dès 1918, puis produite à grande échelle. Elle ne fut pas utilisée sur le théâtre des opérations de la Première Guerre mondiale, les munitions chargées n’ayant pas eu le temps d’êtres importées en France avant la fin des combats.

 

Les lewisites ont été chargées à partir de 1918, seules ou en mélanges avec de l’ypérite pour en abaisser le point de fusion, afin de vaporiser le produit à température ambiante. Ces stocks ont été détruits par noyage en mer.

Elle reste à l'état liquide dans l'eau froide en raison de sa température de fusion qui est très basse (−18 °C) ce qui en fait un toxique plus  efficace  dans les pays froids en hiver que l'ypérite (inactive en dessous de 6 °C). Elle est également toxicologiquement plus efficace dans les pays chauds (où elle est mieux vaporisée dans l'air). Mélangée avec l'ypérite, elle prend la consistance du miel.

Pure, la lewisite est presque inodore, mais les impuretés qu'elle contient habituellement, dues à ses modes de fabrication ou d'utilisation lui confèrent une odeur d’essence de géranium.

La Lewisite est un puissant toxique vésicant, irritant immédiatement les yeux, le nez et la gorge. Sur les voies respiratoires, elle peut occasionner le développement d’un œdème pulmonaire quelques heures après l’exposition. Elle fait immédiatement tousser et pleurer avec une sensation de brûlure oculaire. A forte concentration ou par contact direct, elle est absorbée par la peau et attaque le système respiratoire ; le port d’un masque ne préserve donc pas de lésions pulmonaires.

35 mg suffisent pour tuer 50 % des personnes touchées.

La CTL50 (dose inhalée tuant 50 % des personnes respirant cet air, mesurée en milligrammes par minute et par mètre cube d'air) est de 1 500 mg/min/m3, c'est autant que l'ypérite.

800mg/mn/m3 amènent des intoxications graves. La dose mortelle percutanée est de l’ordre de 20mg/kg.

 

La Lewisite est deux fois plus mortelle de ce point de vue que le phosgène (3 200 mg/min/m3). Elle est en outre plus de 7 fois plus volatile que l'ypérite (4 500 mg/m2 à 25 °C) contre 625 pour l'ypérite. Ceci devenant encore plus vrai quand la température diminue. En dessous de 6 °C, l'ypérite n'est plus active, sauf en contact direct avec la peau qui la réchaufferait.

 

L'effet toxique  est violent avec oedème, cloques, rougeurs, larmoiements, prurit.

En cas de passage dans le sang (au travers de la peau), la Lewisite cause des dommages sur la moelle osseuse et une perte de liquide des vaisseaux sanguins, ce qui peut entraîner une chute de la tension artérielle et des dommages indirects pour l'ensemble des organes, voire la mort, d'autant que ces dégâts induisent une déplétion immunitaire favorisant les pathogènes opportunistes.

L'intoxication se manifeste généralement d'abord par une irritation nasale et une sensation de brûlure des yeux, de la peau et de l’appareil respiratoire. La victime est aussi atteinte de douleurs oculaires qui précèdent et accompagnent un blépharospasme quasi-immédiat et suivi d'une forte conjonctivite et d'un œdème des paupières.

Les symptômes qui suivront sont comparables à ceux de l’ypérite, en plus rapide : les difficultés respiratoires et l'œdème des poumons apparaissent rapidement :

10 à 20 secondes après le contact avec les gouttelettes ou des vapeurs denses, l'épiderme est irrité et forme en quelques minutes des taches grisâtres caractéristiques.

12 heures plus tard, des cloques se forment avec des lésions plus graves (plus profondes et plus douloureuses et plus nécrosantes qu'avec l’ypérite.

L'arsenic combiné au chlore est source d'une intoxication systémique qui se manifeste par :

Un abattement et une somnolence, une hémolyse et des troubles de la perméabilité capillaire provoquant une hémoconcentration (aggravé par l'arsenic), des manifestations polyviscérales, des symptômes gastro-intestinaux (vomissements et diarrhées cholériformes qui aggravent l'état du patient), hépatiques, rénales, des troubles nerveux périphériques…

Le tout contribuant à un état de choc pouvant être létal.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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