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Du tampon P au masque T.
A) La création du masque Tambuté suite à la vague gazeuse
des 19 et 20 octobre 1915.
Dès le milieu du mois d’octobre 1915, pour répondre
aux désirs du G.Q.G., la Commission étudia la production d’un nouvel
appareil de protection, aux conditions d’adaptation parfaite : « Le
colonel Perret rappelle à la section (…) qu’il y a lieu de passer
maintenant à la fabrication industrielle de l’appareil le plus parfait,
surtout en ce qui concerne les conditions d’adaptation, dont la section à
préalablement prévu l’emploi
».
En somme, on imaginait que la question de la neutralisation chimique
était enfin et définitivement résolue et qu’il restait simplement à trouver un support
adapté pour la mettre en oeuvre. Il faut cependant expliquer que, depuis
le début de l’été, les sections spéciales du génie allemand, avaient opéré
exclusivement sur le front oriental de Russie. Aucune vague gazeuse ne fut émise
sur le front occidental durant cette période. Les membres de la Commission et
les autorités militaires semblaient supposer que les attaques par vagues gazeuses
étaient abandonnées au
profit de l’utilisation des obus toxiques, dont l'usage s'était très
nettement développé depuis l'été. Les nouveaux appareils distribués
depuis août 1915 avaient clairement répondu aux attentes définies
jusqu'alors. Ils protégeaient contre des concentrations de chlore que l'on
supposait exceptionnelles et contre les toxiques introduits dans les nouveaux
obus toxiques utilisés par les armées allemandes. En définitive, ils
n'avaient que rarement été éprouvé dans des conditions réelles, au
combat.
La chaleur de l’été n'était pas favorable
aux émissions de vagues sur le front de l'ouest. A l’inverse, le froid permettait de réunir
l’ensemble des conditions qui assuraient le succès de ce genre d’opération.
Dès le début de l’automne 1915, une nouvelle série de vagues toxiques fut
envoyée sur les troupes françaises.
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L'homme à l'extrême droite est équipé d'un masque T ;
les autres ont assujettis leur masque P2 sur leur visage. |
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Les vagues gazeuses du bois de la Pompelle.
Le matin du 19 octobre 1915, à 7 heure 05 du matin, les
Allemands libéraient plusieurs nuages de chlore, du bois de la
Pompelle jusqu’au secteur de Prosnes, au sud-est de Reims, sur un front
d’une dizaine de kilomètres, touchant la 4e et la 5e
armée française. Il semble qu’il y ait eu 3 vagues successives, espacées
de 20 minutes chacune, émise à environ 200 mètres des lignes.
La vague
gazeuse se présenta sous forme d’une nappe transparente. Le dégagement
gazeux dura, à chaque fois, près de dix minutes, durée relativement
courte, ce qui signifie que le débit de ce dégagement et par conséquent la
quantité de gaz émis, ont dû être considérables. Les effets se firent ressentir jusqu'à dix kilomètres en arrière.
Le médecin principal Dopter,
le docteur Flandin, puis Kling accompagné du médecin aide-major Leclercq,
furent envoyés sur place afin de se renseigner sur l’efficacité des moyens
de protection préconisés par la Section de protection et réalisés par le
Matériel chimique de guerre. Des projectiles de minenwerfer de 170 mm, du
premier et du deuxième type, furent tirés sur les premières lignes. Ils
contenaient soit de la palite et du chlorosulfate de méthyle ou d’éthyle,
soit de la bromométhyléthylcétone. Les hommes qui eurent à subir l’action de
ces projectiles furent sérieusement atteints, l’efficacité de ces
substances se révélant même localement plus virulente que celle du chlore.
En même temps, les tranchées de repli, les routes, les positions de
batteries, recevaient quelques obus T lacrymogènes. La durée de la première
vague, ou plutôt des premières vagues, fut de 3 à 4 heures. Les hommes sentirent le chlore sans l’avoir vu venir car il y avait un brouillard assez
épais ; l’effet de surprise a été maximum et renforcé par la
discontinuité de l’émission de la vague. Tous les objets métalliques, et
en particulier les armes, furent très fortement oxydés. Les poignées des
baïonnettes étaient complètement vertes. L’infanterie allemande attaqua
immédiatement après la vague, mais ne put prendre pied dans les tranchées
adverses, arrêtée par le feu des mitrailleuses.
André Kling pris au milieu d'une opération allemande
par vague gazeuse.
Le lendemain, André Kling se rendit
sur place en compagnie de Leclercq, pour effectuer des prélèvements de gaz
ayant stagnés dans des réduits depuis la veille. Le but de cette enquête
était de déterminer si les Allemands additionaient dans leurs vagues d’autres éléments
gazeux agressifs que le chlore. Vers quinze heures trente, Kling se trouvait
dans les boyaux de communication vers les premières lignes, juste en dessous
du fort de la Pompelle, quand soudain, éclata une vive fusillade, suivie peu
après par un bombardement énergique des premières lignes. Quelques instants
plus tard, le sifflement sinistre et caractéristique, produit par le dégagement gazeux
s’échappant des tuyaux, se fit entendre et les hommes se retrouvaient au
milieu d’un nouveau nuage toxique. Les Allemands lançaient une nouvelle attaque par
vague, dans le même secteur que la veuille, sur un front un peu
moins étendu et plus à l’est, au niveau de la ferme des Marquises. Kling
et Leclercq se retrouvèrent alors, bien malgré eux, au milieu de la zone d’émission
et furent finalement, on ne peut mieux placé, pour observer la vague et ses
effets. Le boyau
dans lequel ils se trouvaient étant bombardé, ils ne purent se porter en
avant, vers les premières lignes, pourtant à quelques centaines de mètres,
pour observer dans quelles conditions la vague fut émise des tranchées
ennemies. Comble de malchance, Kling n’avait pu se faire remettre
d’ampoules destinées au prélèvement de gaz et ne put recueillir d’échantillons.
Il décida alors de respirer quelques bouffées d’air vicié, pour déterminer
la nature des toxiques utilisés :
« En l’absence de matériel
nécessaire à effectuer des prélèvements de gaz, je me suis soumis
personnellement à leur action, dans l’espoir de les reconnaître, autant
que possible, lors de leur apparition, par leurs caractères organoleptiques
et par les effets physiologiques qu’ils produiraient sur mon organisme.
C’est au cours de cet examen sur place que j’ai acquis la quasi-certitude
que le gaz employé n’était constitué que par du chlore et qu’il ne
renfermait vraisemblablement pas d’autre produit tel l’oxychlorure de
carbone par exemple, dont les réactions organoleptiques sont caractéristiques ».
En effet, même en concentration extrêmement faible, le phosgène à la
propriété d’affecter le sens du goût et lui fait subir une perversion
caractéristique. Par exemple, la fumée de tabac prend une saveur détestable
et les essences aromatiques (anis, menthe, etc…) un arôme particulier
qu’on est sur de reconnaître. Cette réaction organoleptique est encore
sensible pendant plusieurs heures à partir du moment où le gaz a été
respiré, même pour les sujets qui n’ont été soumis qu’un instant à
l’action du phosgène et même quand il est additionné de chlore. Cette
caractéristique est sans contredit, au point de vue qualificatif, celle qui
se perçoit avant toutes autres et permet d’établir la présence ou
l’absence de phosgène dans les vagues gazeuses.
Ayant reconnu la nature du
gaz constitutif de la vague, Kling ajusta son tampon P2 et se préoccupa de
juger son efficacité :
« Je me suis aussitôt préoccupé
d’expérimenter les bâillons polyvalents, du dernier modèle, mis à la
disposition des troupes, et d’en déterminer le degré d’efficacité. Mon
essai personnel et l’observation des mouvements des hommes, qui circulaient
autour de moi dans les boyaux, m’ont prouvé qu’il était fort difficile,
au cours d’une attaque, d’ajuster convenablement les bâillons. Même
correctement adaptés ils gênent considérablement la respiration et sont
inutilisables pour un homme qui se déplace rapidement en effectuant des
travaux violents. Enfin, j’ai constaté par moi-même, que dans les
conditions de la pratique, ces bâillons protecteurs n’avaient qu’une
efficacité relative dans les zones fortement infectées ».
Les conclusions de l'enquête.
La vague était
constituée par du chlore et, dans certains secteurs, par un corps producteur
de vapeurs épaisses, sans doute pour créer un effet de panique ; elle
dura une trentaine de minutes. Elle fut suivie d’une attaque d’infanterie
mais les Allemands n’arrivèrent pas jusqu’aux tranchées françaises, sauf
en un point où elles avaient été évacuées par un régiment territorial
pris de panique. Les troupes allemandes l’évacuèrent d’ailleurs précipitamment,
la tranchée étant remplie de chlore en forte concentration. D’une façon générale,
les moyens de protection se sont montrés efficaces, cependant, cette vague
reste celle qui fit le plus de victimes du côté français, après
l’attaque du 22 avril : 4200 hommes furent évacués, plus de la moitié
étant gravement atteints, et plus de 750 trouvent la mort dans les attaques
du 20 et du 21. Les raisons de ces intoxications sont énumérées dans les
différents rapports, et il paraît important de s’y attarder quelque peu :
- Un certain
nombre d’hommes n’avaient pas de tampon, l’ayant laissé au cantonnement
ou dans leur capote qu’ils n’avaient pas emportée. Ces hommes (60 à 70
personnes) sont tous morts.
- Dans un régiment
territorial, beaucoup d'hommes n’avaient que d'anciens bâillons petit modèle,
imprégnés d’hyposulfite ; quelques-uns seulement avaient le grand bâillon
d’étoupe, à l’hyposulfite. La plus part d’entre eux furent intoxiqués.
- Défaut
d’application du tampon. « Il
est long et difficile à appliquer correctement » déclareront
certains. « Une fois mis, il se déplace
sous l’influence de la toux et des mouvements, surtout lorsque l’homme
court, fait des efforts, tousse ou parle et donne l’impression d’étouffer.
Beaucoup d’hommes ayant soif d’air l’ont soulevé ou arraché ».
- Défaut de
protection du tampon. Au bout d’un certain temps, le tampon cesse d’être
efficace.
- Devant
l’inefficacité plus ou moins réelle du tampon, beaucoup d’hommes auront
l’idée de le mouiller, soit avec les solutions d’hyposulfite qui se
trouvaient dans les tranchées, soit avec de l’eau, soit avec du vin ou même
de l’urine. La sensation de fraîcheur due au liquide, leur donne une
impression de bien-être passager, mais le tampon devient rapidement
inefficace. En outre, la plus part sont victimes de brûlures superficielles de
la face.
- Certains,
hommes de troupe et officiers, avaient utilisé, de préférence aux engins réglementaires,
des appareils achetés dans le commerce (cagoule de Robert et Carrière,
cagoule de Saint-Etienne, demi-cagoule analogue au masque de la 4e
armée vendue dans les grands magasins de Paris). Ils n’apportèrent aucune
protection.
- La nécessité
de soulever le tampon s’impose aux officiers et aux sous-officiers pour
commander ; beaucoup d’entre eux seront intoxiqués.
- Certaines
cagoules étaient en service. Les hommes qui avaient besoin de voir, de parler
ou de se mouvoir, ont dû la retirer car son port devenait insupportable. Ceux
qui l’ont échangée pour le tampon, voire pour un linge mouillé, ont eu
une sensation de bien-être.
Les pertes furent énormes, mais vraisemblablement toutes
dues à la défectuosité des masques protecteurs ou à leur mauvaise
utilisation. A la date de l’enquête, la 4e armée dénombrait 3500
évacués et 180 morts. La 5e armée, dont deux régiments de la 60e
D.I. avaient subi l'attaque, dénombrait 80 morts et 800 évacués. Au deuxième
jour, 4% des évacués étaient décédés, et ce pourcentage atteindra 18%.
Tous les rapports (Kling, Leclercq, Flandin et Dopter) sont unanimes ; il n'y
a pratiquement aucune intoxication chez les hommes munis d’appareils protégeant
contre le chlore, autres que les bâillons (dont la protection n’excédait
pas 30 minutes), quand ceux-ci furent correctement appliqués au visage.
Nouvelle attaque à la Pompelle.
Le 27 octobre, alors que Flandin se rendait à nouveau sur les
lieux pour procéder à une nouvelle enquête, une nouvelle attaque par vague
de chlore eut lieu dans le même secteur, sur un front plus réduit,
qu’occupe des fantassins de la 1er brigade du 4e corps
d’armée, (appartenant principalement au 225e d’infanterie), et
des cavaliers de la 7e division de cavalerie. Au 4e
corps, les hommes avaient fait l’expérience de la vague du 19 octobre. Une
centaine d’entre-eux furent évacués et le nombre de morts fut très
faible. Par contre, les cavaliers venaient de prendre, la nuit même, ce
secteur nouveau pour eux. Fatigués, beaucoup dormaient et furent surpris dans
leur sommeil.
Les hommes avaient touché le tampon P2 la veille, et n’avaient pas été
exercé à sa mise en place. Les officiers furent contraint de leur
expliquer la manière de l’appliquer, au milieu de la nappe de gaz et dans
la panique générale. En dehors de ceux pris dans leur sommeil, beaucoup
d’hommes se réfugierent au fond de la tranchée, dans la zone de chlore
la plus dense.
On retrouva des grappes d’hommes asphyxiés sur les
banquettes de la tranchée. A la division de cavalerie, il y eut environ 600
évacués et plus de 100 morts. La vague ne fut pas précédée par un
bombardement comme dans les attaques du 19 et du 20. Déclenchée à 6 heures
du matin, elle n’a été suivie d’aucune attaque d’infanterie. Les
hommes l’on vu venir sur eux car elle était très opaque et très dense, le
chlore ayant été additionné d’un corps fumigène. Ses effets furent ressentis très loin, puisque dans un village situé à plus de douze kilomètres
du point d’émission, les habitants virent le ciel s’obscurcir puis furent
incommodés. A Châlons même, à près de 30 km en arrière, on perçu
nettement l’odeur du chlore.
Après l’échec des vagues du 19 et 20 octobre,
il sembla que la tactique allemande d’utilisation de l’arme chimique, amorçait
un revirement. Le but de cette attaque n’était pas de percer le
front, mais plutôt d’user les réserves en masques de l’ennemi, de le démoraliser
et de lui infliger des pertes.
Une nouvelle urgence ; modifier les appareils de
protection.
Suite à ces rapports, on reconsidèra la protection
qu’apportait le tampon P2, que l’on finit par juger toute relative,
principalement en rapport avec sa difficile adaptation au visage. On conclut
ainsi qu’il y avait avantage à le remplacer le plus rapidement possible. Kling
insista également sur les effets sérieux des projectiles chargés en palite,
et demanda de mener des essais sur la protection apportée par les tampons
vis-à-vis de ces substances. Il jugeait les tampons réglementaires de la façon
suivante :
« Ils n’ont
qu’un ajustage malaisé au cours d’une attaque, ils gênent la respiration
et empêchent les chefs de donner leurs ordres ; en plus ils ne
paraissent pas posséder une efficacité ni une durée de protection tout à
fait suffisantes vis-à-vis des nuages de chlore un peu denses ou de grande épaisseur ».
La faible protection des tampons contre la palite, la bromométhyléthylcétone
et le chlorosulfate d’éthyle fut confirmée peu de temps plus tard, et
imputée au manque de réactivité de la compresse industrielle à la
phosgiane, associé vraisemblablement à une trop faible épaisseur de
compresses au ricin-ricinate. Grâce à Lebeau et à ses expérimentateurs,
qui n’hésitèrent pas à rester dans des atmosphères toxiques jusqu’à
la limite du supportable, on détermina les concentrations maximales contre
lesquelles un homme muni d’un tampon P2 pouvait résister. Contre la palite, la
protection n’éxèdait pas 10 minutes à une concentration de 0,25g/m3.
Contre le chlorosulfate d’éthyle ou de méthyle à la même concentration,
on ne tenait pas plus de 3 minutes. Enfin, avec la bromométhyléthylcétone,
on ne pouvait tenir quelques secondes dès 0,05 g/m3. La section
réalisa
également que la surface réactionnelle, au niveau de laquelle avait lieu la
neutralisation des toxiques, se limitait à celle placée uniquement devant la
bouche. Les lames métalliques du tampon, censées créer un espace devant les
voies respiratoires, montraient ici leur inefficacité.
Enfin, une expérience réalisée à Satory le 29 octobre
1915, permit de constater que la concentration de chlore, lors d’émission
d’une vague gazeuse, était bien plus importante au fond d’une tranchée
qu’à l’air libre. Ce jour là, plusieurs hommes dont le docteur Banzet,
avaient été placés à quelques mètres du point d’évacuation d’une
bouteille de chlore et avaient donc subi le nuage à concentration considérable,
pendant 10 minutes. Munis de leur masque, ils résistèrent sans problème. A
la suite de l’essai, on constata qu’une tranchée qui se trouvait sur le
passage de la vague, était encore envahie de chlore. Les hommes qui avaient encore
leur appareil P2 sur le visage, y descendent mais ne pouvaient y séjourner
quelques secondes en raison de la très forte concentration qui s’y trouvait.
Ce phénomène, particulièrement important, permit de prendre conscience
que les hommes, au fond des tranchées, étaient soumis à des concentrations de
toxiques bien plus importantes que ce que l’on supposait jusqu’à
maintenant. On réalisa ainsi que la durée de protection des appareils devait
être augmentée, et qu’il fallait impérativement prévoir un
approvisionnement en appareils suffisant pour permettre leur remplacement
rapidement.
Ces conclusions devaient également
permettre d’accélérer l’adoption des nouveaux appareils alors à l’étude,
et d’interdire ceux du commerce alors en usage.
Banzet avait confectionné,
dès le mois d’août 1915, un masque qui s’appliquait facilement, qui était
étanche, qui permettait de parler et qui offrait une surface de filtration étendue.
Avec cet appareil, Banzet avait pu rester dans une chambre contenant 4 g/m3
de chlore pendant 1 heure et 30 minutes dans une atmosphère
à 0,3 g/m3 de phosgène. Le 3 octobre, il présenta à nouveau
trois autres appareils (appareils Borrel, Régnier et Tambuté) qui n’étaient
que des versions dérivées de son prototype, mais réalisées par des
confectionneurs différents. Les trois appareils subirent toute une série
de tests afin de déterminer lequel procurait la meilleure protection. Contre
les différents gaz, ils se montrèrent équivalents. Enfin, des expériences
comparatives furent faites le 24 octobre à l’École de pharmacie de Paris,
par Vincent, Achard, Desgrez, Lebeau, Banzet et Flandin. Ils essayeront
successivement chaque appareil, au repos, en marchant, en courant et en
parlant, dans une atmosphère chlorée. L’avis sera unanime pour déterminer
l’appareil Tambuté comme supérieur aux autres. Les résultats furent discutés
le lendemain même à la Commission, et après quelques modifications du modèle
original, on se proposa de pousser activement sa fabrication pour remplacer le
plus tôt possible les tampons actuels.
Le 3 novembre, Lebeau proposait d’adopter pour le masque
Tambuté un système de fixation copié sur un masque proposé par Dehesdin,
l’industriel à qui la fabrication du masque Tambuté avait été confiée.
Ce système consistait en une sangle élastique qui passait sur le sommet et derrière
la tête. Lebeau proposa également d’ajouter une lame métallique,
modelable, permettant d’ajuster le masque sur le nez. Les fabrications du
tampon T, aussi appelé masque T ou MT, commencèrent alors, et les 2 000
premiers exemplaires furent livrés à la 5e armée le 17 novembre.
Fin novembre, toutes les armées recevaient une première dotation de 100 000
masques T ; elle fut poursuivie durant le mois de décembre. Sur le front, le
masque T fut distribué aux hommes qui occupaient des postes importants, comme
les mitrailleurs, les agents de liaison, les officiers… Il fut livré dans
la pochette S2 destinée aux tampons P2, accompagné de lunettes Meyrowitz en
caoutchouc. Le modèle était alors muni de 3 compresses différentes, comme le
tampon P2.
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Masque T |
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Masque T |
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B) La transformation du masque T en masque
TN.
L’attaque des 19 et 20 octobre dans la région de Reims
et le nombre élevé de victimes qu’elle provoqua, avaient accéléré les
études en cours sur la forme des appareils et devaient aboutir au masque T.
Ces études avaient commencé dès le mois d’août, comme celles de Lebeau
qui cherchait à substituer les compresses C2 et C3 en une seule. Sa nouvelle
formule d’imprégnation à la Néociane fut définitivement adoptée le 16
novembre 1915, mais avant qu’elle ne soit utilisée dans un nouvel appareil
qui devait être aussi parfait que possible, la Commission souhaitait prendre
le temps de réaliser de nombreuses expérimentations. L’idée était alors
d’aboutir à un masque complet, en améliorant un modèle proposé par l’établissement
Gravereaux en septembre 1915. Malheureusement, plusieurs éléments vont
brusquer ces prévisions. Le 26 novembre 1915, les Allemands attaquaient à
nouveau par vague gazeuse, au nord-ouest de Verdun, dans la région de Forges
et de Béthincourt.

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Attaque par vague gazeuse dans la région de Verdun.
Flandin se rendit sur place pour y effectuer une enquête,
et remit à la Commission son rapport le 6 novembre 1915 :
« Ayant
appris qu’une attaque importante par les gaz asphyxiants avait eu lieu dans
la région de Béthincourt, j’ai cherché à savoir quels services avaient
rendu les masques de protection employés et quelles lésions avaient produits
les gaz. Il y a eu en réalité deux attaques :
« I – Sur
le front compris entre Forges et Béthincourt, à 17h07 (heure chronométrée
par un officier) il y a eu une attaque par vague de chlore répétée à 3
reprises à une heure d’intervalle. Chaque émission de vague a été annoncée
par un sifflement dû sans doute à l’ouverture des bouteilles et a duré 5
à 10 minutes ; la dernière vague semble avoir été un peu plus longue
que les deux premières »
Le régiment le plus touché fut le 34e R.I.T.
dont l’adjudant Sougeux faisait partie : « A 5 heures du soir, on n’y voyait déjà plus, le service de nuit
venait d’être pris et je causais avec le sergent Bonn près de mon abris.
Tout à coup, un homme du poste d’écoute de gauche se précipite sur nous,
essoufflé : Mon adjudant, les gaz ! En même temps, la nappe
arrivait, nappe épaisse, jaunâtre, suffocante, pouvant avoir trois mètres
de haut.
-
Ca y est, dit Bonn, en se précipitant
vers sa section.
-
Mettez vos masques ! Aux créneaux !
Tout en ajustant
mon bâillon, pendant que la fusillade commence à crépiter, je cours au
poste téléphonique, à deux pas de là (…). Pendant que je courais, mon masque s’était déplacé, je respirai des gaz et
je tombais… Combien de temps je suis resté étourdi ? Je ne saurais
le dire. Mon malaise un peu dissipé, je fis le tour de ma section. Bonn
m’avait remplacé. Tout le monde avait fait son devoir. Le tir n’avait pas
cessé. Tous, plus ou moins, avions respiré des gaz. Nous étions tous
abasourdis et ahuris, souffrant de la tête, de la gorge, de la poitrine. Ce
n’était que toux, étouffements, vomissements. Les moins malades s’efforçaient
de soigner les autres, mais cinq déjà étaient morts. Je voulus voir alors
ce qui se passait à ma droite, à la tranchée Santolini (section Langard). Là,
le spectacle était affreux. Pas un homme ne restait debout. Dans la tranchée
bouleversée par les obus, les corps gisaient à
demi-ensevelis, pêle-mêle
avec les équipements et les fusils qui avaient encore la baïonnette au canon ;
quelques moribonds
râlaient au milieu des décombres ; à son poste, le
lieutenant Langard agonisait. En hâte, j’envoyai quelques hommes pour
garder ce coin de malheur
».
Le 2e bataillon, en réserve à Cumière, monta en ligne renforcer les hommes ayant subi l’attaque :
« A minuit,
nous sommes au centre C. La tranchée paraît vide. De loin en loin, un homme
veuille derrière un créneau. Des gémissements et des toux rauques sortent
des abris. De l’escouade que je relève, il ne reste que le caporal. La nuit
est calme. Rien ne bouge. Un homme de la 10e ma raconte l’affaire :
la première vague de gaz est arrivée au moment
où la plus part
des hommes
mangeaient dans les abris. Signalée trop tard, elle remplissait déjà la
tranchée quand les hommes sont sortis. De là, un certain désarroi, des
mesures prises incomplètement, des masques mal mis. Les hommes, selon
l’ordre donné, tiraient à outrance par les créneaux, mais beaucoup étaient
obligés de lâcher leur fusil pour tousser et s’empoisonnaient ainsi de plus
en plus. Ceux qui avaient su mettre leur masque n’étaient pas trop incommodés,
mais devaient s’agiter en aveugle : les lunettes de mica n’étaient
pas assez transparente » (témoignage du caporal Chailley).
On
saisit, au travers de ce récit, que le mode d’attache des tampons constituait un sérieux handicap. Le brancardier Thuillier
déclarait :
« Les imperfections du masque en
bandeau furent certainement la cause de la plus part
des pertes que nous eûmes
à déplorer. Bien des hommes, étouffant sous leur masque, l’avaient enlevé
pour essayer de respirer ou pour le mouiller avec de la neige, certains même
avec de l’urine et furent victimes de leur imprudence ».
Ces conclusions, reprises dans le rapport de Flandin,
allaient dans le même sens que celles déjà développées après les attaques du
19, 20 et 27 octobre. Dans certains secteurs, la vague fut renforcée par
l’action d’obus lacrymogènes et suffocants, certainement chargés en
palite. Flandin rapportait :
« Sur
le front restreint occupé au nord-ouest de Béthincourt par le 164e
d’infanterie, il semble bien être tombé quelques projectiles asphyxiants
une demi-heure environ après la dernière vague. Plusieurs officiers du 164e
que j’ai interrogés à l’hôpital temporaire 4 à Verdun, affirment
qu’ils avaient très bien résisté au chlore grâce à leur masque, et
qu’ayant encore le tampon sur le visage, ils ont, à la suite de l’éclatement
de quelques obus de gros calibre (105 ou 150) dans leur voisinage, éprouvé
une sensation de picotement intolérable des yeux suivie de larmoiement, perçu
une odeur ou plutôt une saveur indéfinissable, désagréable, non
aromatique, qui n’était pas celle du chlore,
et une impression d’angoisse thoracique très différente de l’irritation
de la gorge que donne le chlore. Ce bombardement local à la palite pourrait
expliquer le grand nombre d’intoxiqués et d’intoxiqués graves au 164e
d’infanterie ».
Rappelons que les tampons P2, dont la majorité
des hommes était munie, ne conférait qu’une protection limitée contre la
palite. Cette attaque fut responsable de 387 intoxications, entraînant 57 décès
(35 corps seront trouvés sur place), à la date de l’enquête. Flandin
continue son rapport :
« La majorité
des hommes à été prise tout de suite dans la vague et les accidents
pulmonaires, œdème aigu et bronchite, ont évolué suivant le type qui a déjà
été vu en Champagne. Signalons le rôle aggravant du froid, (…) qui ne
saurait pourtant expliquer tous les accidents tardifs. Un sergent et 4 hommes du 164e d’infanterie qui avaient,
après avoir résisté à la vague, grâce au tampon, éprouvé les effets
lacrymogènes et suffocants des obus se sont sentis suffisamment remis pour
aller faire aux créneau leur tournée de ravitaillement en cartouches.
Environ 1h½ à 2h après, ils
sont pris brusquement d’angoisse, présentent des signes d’asphyxie et
meurent en ½ heure. Les officiers légèrement atteints, que j’ai interrogés
m’ont dit également n’avoir été pris de dyspnée thoracique que plus de
deux heures après le bombardement alors que l’impression d’angoisse
cardiaque et de constriction du thorax qu’ils avaient eue au moment du
bombardement avait disparu. Les autres symptômes que ces malades signalent
sont une céphalée qui a persisté plusieurs heures, une somnolence telle que
beaucoup d’hommes se sont endormis aux créneaux, de la courbature généralisée,
une asthénie allant jusqu'à l’impossibilité de se tenir debout. Ces phénomènes
ne sont pas habituels dans l’intoxication chlorée, leur nature et leur
apparition tardive font plutôt penser à l’oxychlorure ».
« II -
L’attaque la plus intéressante concernant le 5e corps s’est
produite sur la cuvette au fond de laquelle se trouve Avocourt, en terrain découvert,
entre des pentes boisées. Vers 17
h, alors que la plus part
des hommes mangeaient la soupe, les Allemands ont déclenché
un tir d’obus ordinaires ; les hommes sont entrés dans les abris et
dans les sapes et le tir a continué, probablement avec intervention d’obus
de calibre plus fort. On a alors senti dans les abris une odeur indéfinissable,
qui n’était ni du chlore, ni du bromure de benzyle et les hommes ont éprouvé
une sensation d’oppression thoracique avec très peu d’irritation de la
gorge. Plusieurs ont déboutonné instinctivement leur capote tant ils se
trouvaient serrés. Plusieurs ont eu des vertiges et sont tombés mais ont pu
se relever. Les tampons ont été mis immédiatement en place et malgré le
bombardement, les officiers ont fait sortir les hommes et les ont fait monter
sur les banquettes. Une fois le tir fini (300 obus environ), les hommes ont ôté
leurs masques et sont rentrés dans les abris. A 18h30, il semblait que tous
les hommes étaient plutôt impressionnés moralement que sous le coup d’une
intoxication réelle. Ils signalaient simplement un peu de gêne respiratoire ».
Suspicion de l'utilisation de munitions chargées en
phosgène, lourde de conséquences.
Jusque là, il semblait que ces hommes avaient subi une
attaque par obus suffocants ordinaires,
mise à part cette odeur qui leur semblait indéfinissable… Mais, deux à
trois heures plus tard, les symptômes devenaient beaucoup plus inquiétants et
cinq hommes décédaient sur place au milieu de leurs camarades. Il est
certainement difficile d’imaginer l’angoisse que pouvaient ressentir les
survivants dont les signes d’intoxication allaient croissant. Au total, 75
à 80 personnes furent transportées aux ambulances dans le courant de la nuit,
et 6 décedaient dans les 2 jours suivants. Flandin continue :
« En somme, ce qu’il y a de plus caractéristique dans ces cas
d’intoxication par obus, c’est l’absence d’action lacrymogène,
l’action immédiate ; constriction thoracique, angoisse précordiale,
vertige et chute, la sédation rapide des symptômes, le début des grands
accidents plusieurs heures après l’atteinte. Cette évolution ainsi que la
nature des accidents (œdème pulmonaire important et dilatation du cœur
droit à l’autopsie) fait penser à l’oxychlorure (ou phosgène). Etant
donné les renseignements fournis par les malades et par les officiers qui étaient
sur place, il ne paraît pas douteux qu’il y ait eu bombardement et non
vague. Un fragment d’obus qu’il m’a été donné de sentir, m’a rappelé
l’odeur de la collongite. Je pense qu’il s’agit de collongite plutôt
que de palite étant donné l’absence de toute action lacrymogène, étant
donné aussi que 5 heures après l’attaque, les troupes de relève n’ont
perçu aucune odeur, ni dans les tranchées, ni dans les abris ». La
palite présentait, à l’inverse du phosgène, une persistance sur le terrain
et des effets lacrymogènes.
Les conclusions de Flandin sont claires : il
s’agirait d’une attaque au moyen d'obus dont les effets toxiques sont de
l’ordre de ceux produits par l’oxychlorure de carbone. Notons que la
palite, à forte concentration, a des effets assez proches du phosgène. Malgrès
de nombreux efforts, sur environ 300 obus tirés sur Avocourt, aucune munition non
explosée ne fut retrouvée, et le toxique utilisé ne peut donc être
identifié de façon certaine.
L’utilisation du phosgène en obus, à cette
époque, restait plausible ; les Allemands l’utiliseront sous forme de
vague à Ypres le 19 décembre 1915. On peut alors supposer qu’il
s’agissait d’un essai à petite échelle d’une nouvelle munition. Jusqu'à
l’été 1916, les chimistes allemands ne croyaient pas à l’efficacité
des obus pour la dispersion de toxiques d’action fugace. Ceci pourrait alors expliquer que la phosgène chargé en obus n’ai été utilisé
massivement qu’un an plus tard. Le procédé par soufflage était préféré,
permettant de répandre une quantité de produit bien plus importante.
Certains des membres de la Commission, comme André Kling,
gardèrent une
attitude circonspecte vis-à-vis des conclusions tirées par Flandin. Il
semble que Kling était alors persuadé que Flandin confondait les effets du
phosgène et de la palite. Il faut en effet préciser que les effets lacrymogènes
de la palite sont dus à la présence d’impuretés plus chlorées issues du
procédé de fabrication. La palite pure, ne contenant que des dérivés
monochlorés, ne présentait donc pas de propriétés lacrymogènes très marquées.
En résumé, les symptômes généraux d’intoxication à la palite pure et
ceux produit par le phosgène, sont analogues. Pour Kling, il s’agissait donc
d’obus chargés de palite quasiment pure. Il essaya cependant de
rechercher la présence de traces de phosgène, aussi bien dans les compresses
des tampons, que dans les viscères d’hommes ayant succombés à l’action
de la vague gazeuse ou à l’action des obus tombés sur Avocourt et procèda
aux mêmes recherches dans des échantillons de terre prélevés dans les
trous d’éclatement d’obus chimiques. Toutes ces recherches resteront sans
succès, et aujourd’hui encore, il ne semble pas facile de savoir de quel
toxique ces obus tirés sur Avocourt étaient chargés.
Quoi qu’il en soit,
le G.Q.G., lui, ne douta pas de l’avis de Flandin et pris les mesures nécessaires.
Même si les Alliés s’attendaient à l’utilisation de ce toxique depuis
le mois de juillet, cette attaque parut marquer un pas dans l’escalade de la
guerre chimique. Le phosgène est de dix à vingt fois plus toxique que le
chlore. Son odeur est complexe et, à faible concentration, sa détection immédiate
est difficile ; le risque de s’intoxiquer avant d’avoir détecté sa
présence est donc très important. Le 7 décembre 1915, le rapport d’un
espion Suisse, sympathisant à la cause française, révèlait que la Firme
Bayer de Levarkusen fabriquait du phosgène en grosse quantité, dans un but
militaire. Le 18 décembre, le gouvernement français, en réponse à
l’attaque du 26 novembre, autorisait l’emploi de ce toxique facile à
produire, ce qu’il s’était interdit jusque là. Les premiers obus français
semblent avoir été tirés, le 21 février 1916, dans la région de Verdun.
Nouvelle urgence dans la fabrication des masques.
Ainsi, courant décembre 1915, on se hâta d’adopter
plusieurs modifications qui étaient en suspens sur les appareils T. Il fallait
impérativement qu’un nouveau masque protégeant contre le phosgène soit
produit très rapidement ; sans cela, il était impensable d'utiliser cette
substance dans les obus français.
En premier lieu, le nombre de compresses fut ramené
à deux : une compresse au ricin-ricinate et une à la Néociane, plus
efficace avec le phosgène.
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Masque TN, premier mode d'attache. |
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Masque TN, premier mode d'attache. |
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Masque TN, premier mode d'attache. |
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Puis, grâce à une proposition de masque complet
par Tambuté, on retint son mode d’attache où les élastiques étaient montés
sur des lacets inextensibles, de façon à réduire la consommation de ce
tissu. Lebeau et Banzet recherchaient alors ensemble un procédé d’attache
plus rapide et plus sûr que le masque T et remettaient une notice précisant :
- La
suppression des deux liens latéraux placés à côté des points d’attache
de l’élastique.
- Les
liens formant coulisse seront coupés de manière à réduire leur longueur à
12 cm, pour la partie se trouvant en dehors de la coulisse, celle-ci n’étant
pas serrée. Ces deux liens seront reliés entre eux au moyen d’un élastique
de bonne qualité, d’une longueur de 20 cm, cousu solidement aux extrémités.
Enfin, sur un prototype du masque de Borrel, on copia
l’idée d’utiliser une simple toile imperméable comme pare-pluie, en la
cousant sur la partie supérieure du masque. Le masque ainsi transformé fut
appelé Masque Tambuté Nouveau modèle ou MTN qui deviendra masque TN. Les
modifications furent appliquées immédiatement à la production et les premiers
exemplaires de masques TN furent livrés le premier janvier de l’année 1916.
Il marquait alors un net progrès, comparé au masque T. Les essais réels d’épuisement
du masque permirent de constater que la protection dans une atmosphère chlorée
au 1/1000, soit 3,2 g/m3, atteignait au minimum 3 heures. Dans de
fortes concentrations, de l’ordre de 16 g/m3 , un expérimentateur
tiendra ½ heure et déclarera qu’il aurait pu poursuivre. La protection
contre le phosgène était excellente, puisque le TN permettait de tenir le même
temps dans une atmosphère au 1/2500, soit environ 1 g/m3.
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Masque TN, attaches modifiées. |
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Masque TN, attaches modifiées. |
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Masque TN, attaches modifiées. |
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Un étui triangulaire, aux dimensions du masque, fut
adopté, muni de deux sangles permettant de le porter au ceinturon en cas
d’alerte. Il empêchait surtout la dessiccation trop rapide des compresses. En
principe, cet étui devait être fabriqué en tissu caoutchouté, mais le
manque de matière première imposa une fabrication en tissu ordinaire. Le
masque fut porté dans les sachets S2 destinés aux tampons, car l’étui
triangulaire ne permettait pas d’y introduire les lunettes. En outre, les hommes
conserveront leur tampon P2 sur eux, comme appareil de secours, jusqu'à leur
retrait du front, fin février. A partir du 14 janvier 1916, les TN furent envoyés
dans un étui métallique ovale, destiné à leur assurer une meilleure
protection contre les chocs et les intempéries. Les lunettes y étaient aussi
rangées et protégées. Le marché des masques TN fut passé auprès de
plusieurs établissements : Gillet & fils, E. Caplain, Turbeau &
Voytot et Boussac.
Au début du mois de décembre, lorsque les masques
Tambuté firent leur apparition, on se demanda s’il n’etait pas possible de
transformer les tampons P2 en masques ressemblant au masque T. En attendant
que tous les hommes soient munis d’un appareil T, cette solution serait
d’un grand secours et permettrait une adaptation rapide des tampons. La
maison Dehesdin proposa alors un système simple et efficace :
« Cette
transformation consiste à replier le bâillon sur lui-même dans le sens de
la plus grande dimension et à coudre ensuite l’un des côtés ainsi replié.
Aux deux extrémités restées libres du grand côté opposé, se trouve adapté
un élastique muni d’une boucle de réglage. Au milieu de ce même côté
est fixé un ruban terminé par une partie repliée formant boucle pouvant
glisser sur l’élastique. Les anciennes attaches du tampon, croisées sous
le menton, doivent être ensuite nouées sur la tête ».
Le 14 décembre, Lebeau procèda à des essais de ces
masques, avec l’aide de différents expérimentateurs, dans des atmosphères
chlorées. Le masque les protégea durant trois heures et trente minutes, dans
une concentration maintenue à 1,6 g/m3 et l’expérience fut menée jusqu'à
l’épuisement du masque.
Le 29 décembre, après discussion et adoption du procédé
par la Commission, une notice fut rédigée par Lebeau et Banzet, et adressée
aux armées, pour leur fournir les indications pratiques permettant d’opérer
cette transformation sur place. Il est difficile de savoir si cette mesure a
eu beaucoup d’ampleur ; il est vrai que le tampon ainsi modifié améliorait
le confort du masque. Cependant, le temps que demandait l’opération était
souvent un handicap pour la transformation (plus de 30 minutes par
masque) et la respiration au travers de celui-ci était bien plus pénible
qu’avec les masques TN.
Dès la distribution des masques TN, l’Inspection des
études et des expériences chimiques étudie la transformation des masques T
en masque TN. Le remplacement des compresses semblait impossible, mais la
transformation du mode d’attache parut facilement réalisable.
L’essentiel était que celle-ci soit exécutable par les corps de troupe pour
éviter de priver les hommes de leur masque. Ainsi, le 3 février 1916, le Matériel
chimique de guerre proposa à la Commission une modification du mode
d’attache des masques T. Pour parer à la difficulté de se procurer du
tissu élastique utilisé pour les sangles, dont l’approvisionnement ne
suffit pas pour équiper les nouveaux masques, on proposa d’utiliser une
simple rondelle de caoutchouc dans laquelle venait passer les différents
cordons d’attache. Ce système était déjà utilisé pour pallier au manque
de tissu élastique sur les masques de l’E.C.M.C.G., et il fut très
facilement adaptable par les hommes sur leur masque. Ainsi, une notice fut
envoyée aux troupes le 28 février 1916. A cette date, on estimait à 3 500
000 le nombre d’appareils T et TN envoyés sur le front, mais la production
atteindra 6,8 millions d’exemplaires pour le TN et 1 million pour le tampon
T.
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Mise en place et inspection des masques TN au 24e RAC,
février 1916. |
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C) La cagoule anglaise et l’apparition du phosgène dans les vagues
gazeuses.
Au début du mois de décembre 1915, le 36e régiment
de pionnier allemand préparait une nouvelle attaque par vague dérivante, dans
le secteur anglais d’Ypres. Quelques jours avant l’attaque, les Anglais
recueillaient le témoignage de plusieurs prisonniers allemands, qui affirmaient
que le chlore des bouteilles était additionné de 10 à 20% de phosgène.
D’après Flandin, les Anglais furent fortement impressionnés par ces témoignages ;
les effets du phosgène étaient alors particulièrement redoutés. La présence
des cylindres de gaz fut rapidement confirmée par quelques coups de canon
bien placés qui réussirent à ouvrir les bouteilles en produisant un énorme
nuage de fumée verdâtre, différent de celui d’un éclatement normal. Le
19 novembre, à 4 heures du matin, un violent tir d’obus toxiques et
d’obus ordinaires, fut déclenché sur les lignes anglaises. Puis, à 5
heures, les guetteurs observèrent un tir de fusées rouge sur toute la ligne
allemande ; à ce signal, les bouteilles furent ouvertes et les tranchées
anglaises situées à environ 30 mètres de là, furent presque immédiatement
envahies de gaz. La vague s’étendait alors sur un front d’environ 4,5 kilomètres,
entre deux points distants de seulement 1500 mètres. Le tir d’obus toxiques
continua durant toute la durée de la vague, soit environ 2 heures. Pour la
première fois, le dégagement gazeux semblait avoir été continu, avec tantôt
émission de chlore, tantôt émission d’un fumigène moins nocif. Le vent
étant assez fort, il sembla que le gaz ne se soit pas accumulé au fond des
tranchées et presque partout, après l’arrêt du dégagement gazeux, elles
furent rapidement nettoyées par le vent.
L’effectif total ayant subi
l’attaque fut d’environ 20 000 hommes. Au point de vue statistique, les
pertes furent à peine plus élevée que les deux dernières vagues de
Champagne et d’Argonne :
il y eut environ 1600 évacués, dont un peu plus de 600 gazés, parmi
lesquels près de 50 décédèrent, auxquels il fallait ajouter 50 hommes morts
sur le terrain. Flandin rapporta l’utilisation de trois types principaux
d’obus toxiques : certains lacrymogènes, probablement au bromure de
benzyle ; d’autres suffocants et lacrymogènes, chargés en palite ;
et enfin, des obus suffocants sans aucun pouvoir lacrymogène, chargés selon
Flandin, de phosgène.
Une question va rester en suspend, à savoir si la vague,
bien évidemment à base de chlore, fut ou non additionnée de phosgène.
Bien qu’aujourd’hui de nombreux éléments permettent d’en avoir la
quasi-certitude, personne ne put clairement, à cette époque et durant encore
quelques mois, affirmer que le phosgène avait été utilisé par les Allemands.
Pourtant, Flandin, dans son enquête réalisée sur place, relèva plusieurs
indices qui caractérisaient sans ambiguïté le phosgène. En premier lieu,
l’altération du goût de la fumée de tabac chez les hommes ayant respiré
quelques traces de gaz, indiquait clairement la présence de ce toxique. Il
semble bien que ce futt la première fois que ce signe fut observé, alors
qu’auparavant, jamais il n’avait été mis en évidence avec la palite, un
dérivé du phosgène aux propriétés pourtant voisines, utilisé depuis
plusieurs mois par les Allemands. Les médecins anglais qui connaissent bien
l’odeur du chlore, expliquèrent à Flandin que, cette fois-ci, le gaz avait
une autre odeur plus écœurante. Un capitaine, directeur d’une usine de
chlore, affirma qu’il ne s’agissait pas de chlore pur, que le gaz avait
une saveur douceâtre. Quelques Anglais étaient munis de cagoules à
l’hyposulfite, qui protégeaient très bien contre le chlore, mais pas du tout
contre le phosgène. Tous ces hommes sont morts.
Le nombre de cas tardifs chez les intoxiqués fut bien plus important
qu’auparavant. Tous les gazés furent atteints d’une asthénie extrêmement
importante et durable. Certaines unités ayant subies l’attaque, devinrent
inaptes à la marche, sans qu’aucun autre signe d’intoxication ne fut
observé. Enfin, trois hommes du 36e corps d’armée français
furent intoxiqués alors qu’ils occupaient un poste d’écoute à la limite
du front anglais. Tous les trois revêtirent leur appareil avant de sentir le
gaz. Ils étaient équipés de tampon P2 à trois compresses, qui ne protégeaient
que contre de faibles concentrations de phosgène. Pendant toute l’attaque,
ils ne cessèrent de tirer, et seront relevés trois heures plus tard. En
revenant au cantonnement, ils furent, 3 à 4 heures après être resté impunément
dans le gaz, saisis d’oppression, de douleurs thoraciques intenses et l’un
d’eux tomba en syncope. Pendant trois jours, ils restèrent en état sub-asphyxique, atteint d’un œdème pulmonaire
très sérieux.
En attendant la livraison des tampons TN, qui devaient être
efficace contre le phosgène, et devant le risque que les Allemands réitèrent
leur attaque par vague gazeuse additionnée de phosgène devant les troupes
françaises, l’État-Major anglais proposa au général Foch, commandant le
groupe des armées du Nord, de céder 50 000 de ses cagoules. Ces engins ayant
donné de bons résultats lors de l’attaque du 19 décembre, Foch accepta et
25 000 cagoules furent immédiatement distribuées au 36e C.A. en
position devant Ypres. Ces cagoules, appelées P
helmet, furent imprégnées d’un mélange de phénol, de soude et de glycérine.
La vision se faisait au travers de deux oculaires ronds en verre, retenus par un
fixe-vitre métallique vissé. Pour éviter le rejet de l’air vicié dans la
cagoule, le sujet expirait dans un tuyau qu’il tennait dans sa bouche et qui
aboutissait à l’extérieur, via une soupape de caoutchouc. Le G.Q.G. se
demanda
alors si cet engin ne constituait pas un meilleur agent de protection que ceux
qui avaient proposés par la section de protection.
Pour déterminer leur efficacité
et répondre à la question du G.Q.G., Lebeau pratiqua plusieurs
expérimentations dès le 21 décembre, en s’enfermant dans une pièce
remplie de substance toxique à concentration connue, accompagné de Banzet,
de monsieur Figueras, du pharmacien aide-major Poissonnier et du soldat Le
Floch. Avant même de rentrer dans l’atmosphère toxique, les expérimentateurs
furent frappés et gênés par l’odeur de phénol dégagée par la cagoule.
Cette irritation de la gorge et des yeux resta persistante tout au long des
essais. Dans une concentration assez faible de phosgène à 0.4g/m3
, la durée de séjour dans la pièce fut portée à 45 minutes, mais les
personnes ressortèrent en éprouvant une forte gêne respiratoire et en étant
congestionnés. Dans une concentration portée graduellement à 2 g/m3 ,
les hommes ressortèrent au bout de 15 minutes, pris d’une quinte de toux.
En revanche, la protection contre les lacrymogènes était nulle. Ces essais
permettèrent ainsi de déterminer que la cagoule anglaise ne constituait pas un
meilleur agent de protection que les masques à l’étude, et qu’elle ne devait pas être substituée aux appareils préparés suivant les indications de
l’I.E.E.C.. Le masque TN allait bientôt être distribué, ce qui mit fin
à ces tergiversations quant aux moyens de protection à adopter.
D) Le masque TN transformé par le système Goublot.
La mise en place du masque TN, même après les
modifications faites au système d’attache, ne donnait pas entière
satisfaction. Non seulement elle nécessitait pratiquement une minute entière,
mais demandait aussi une certaine expérience pour assurer une bonne étanchéité.
De nombreuses propositions furent adressées à l’I.E.E.C. pour transformer
ces attaches, mais aucune ne fut retenue, jusqu'à celle du médecin
aide-major Goublot du 1er bataillon du 157e R.I., proposée
le 7 février 1916. Cette modification avait pour but de faciliter la mise en
place du masque et des lunettes. La transformation Goublot consistait à fixer
le masque sur le casque, par l’intermédiaire de plusieurs élastiques.
« A la partie inférieure du masque est cousue une pièce de toile qui,
une fois mise en place, recouvre la partie inférieure du menton et les joues,
en se terminant au dessous des oreilles. Cette pièce de toile prolonge ainsi
légèrement le masque en arrière. Elle forme une coulisse par où passe un
large élastique formant jugulaire et s’appliquant extérieurement sur le
bord des compresses neutralisantes. De cet élastique s’en détachent deux
autres assurant un bon ajustage du masque au visage. Chacune des extrémités
de l’élastique principal est munie d’une boucle de réglage et d’un
anneau de fixation destiné à être attaché au casque sur lequel un bouton
en laiton est rivé de chaque côté de la partie postérieure et latérale.
Des deux angles postérieurs du masque part un élastique. L’un d’eux
porte une boucle de réglage. Ces deux élastiques sont terminés l’un par
un anneau, l’autre par un crochet permettant de les réunir.
Le masque se place
de la façon suivante : le sujet muni de son casque applique son masque
sur la face et vient accrocher chacun des anneaux partant de l’élastique
à triple effet au bouton d’attache du casque. Le second élastique est
ensuite fixé derrière la nuque. La manœuvre est simple et facile,
l’adaptation semble parfaite ».
Les lunettes étaient des modèles pneumatiques Meyrowitz
dont les attaches furent remplacées par deux élastiques terminés chacun par
un anneau venant se fixer aux boutons d’attache du casque. La Commission
trouva le système ingénieux et proposa d’en mettre en service un certain
nombre préparé par les soins du service chimique. Celui-ci proposa alors de
changer le système d’attache au casque pour lui substituer un autre moyen
qui permettait d’éviter de modifier le casque et cela grâce à un nouvel élastique.
Cette proposition fut acceptée sous réserve, mais ne semble pas avoir été
appliquée. Dès lors, la fabrication va prendre du retard, de sorte que
seulement 1000 TN à système Goublot furent fabriqués à la fin du mois de mai
1916. Ils furent réceptionnés le 22 juin par la 10e armée
(stationnée dans le Nord) et distribués au 73e R.I.. Sur place,
le masque fut apprécié et sembla donner de bons résultats. Le Goublot fut
distribué dans plusieurs divisions pour évaluer son efficacité. Par
exemple, il fut distribué à la 87e D.I. où le pharmacien
aide-major Rolland, chef du laboratoire de toxicologie divisionnaire, mèna
les expérimentations. Seulement, par la suite, la Commission refusa
l’extension de la fabrication, car celle-ci demandait une consommation de
tissu élastique supérieure à celle du masque M2. La mise en place du
Goublot et des lunettes nécessitait de cinquante secondes à une minute, alors
que le M2 s’ajustait en une dizaine de secondes. Le 21 septembre 1916, le TN
transformé par le système Goublot, fut définitivement rejeté, puis retiré
du front peu après.
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