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"Il n'est point de secret que le temps ne
révèle". Jean Racine, Britannicus, acte IV, scène 4. |
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Les Services chimiques dans l’entre-deux guerres.
Le 27 novembre 1918, le Maréchal Pétain, dans une lettre
adressée au ministre de l’Armement déclarait : « Vos services ont réalisé sous la direction de M. le général Ozil, un
effort immense, d’autant plus remarquable que les ressources industrielles
faisaient presque complètement défaut. Cet effort à permis d’égaler et
parfois de dépasser un adversaire supérieurement outillé. Je vous exprime la
reconnaissance de l’armée, que je vous prie de transmettre à M. le général
Ozil et à ses services ».
Il est vrai que le travail des services
chimiques de guerre fut considérable et digne d’éloges. Les chefs de
laboratoire et leurs collaborateurs, issus pour la plupart des Facultés des
Sciences, de Médecine et des Ecoles de Pharmacie étaient en tout 110. Le résumé
de leur travail à nécessité 984 rapports pour la Section d’agression et 979
pour la Section de protection. Avec l’ensemble du personnel des armées attaché
aux Services chimiques, mais appartenant au Service de santé, ils ont su faire
face à l’industrie et à la recherche chimique allemande.
La signature du traité de Versailles en 1919,
interdisait à l'Allemagne de poursuivre tout programme de guerre
chimique. Seulement, devant l'absence de procédés de contrôle de cette
interdiction, il fallait bien reconnaître la nécessité de relancer les
recherches dans ce domaine pour pouvoir répondre à une éventuelle
nouvelle violation des accords internationaux.
En France, dès la fin de l'année 1919, la décision
fut prise de poursuivre les recherches en agression, en protection et de
maintenir le stock d'armes chimiques existant le plus longtemps possible opérationnel.
En 1925, l’arme chimique allait à nouveau être condamnée
par la Convention de Genève sur le commerce des armes. Ratifiée par la plupart
des grandes puissances, en dehors des Etats-Unis et du Japon, elle n'engageait cependant
les différentes parties que moralement,
sans moyen de contrôle et sans aucune sanction. D’ailleurs, le protocole ne
faisait qu’interdire l’utilisation de gaz toxiques et d’autres armes
chimiques, mais pas leur fabrication et leur stockage.
Au fil des années, la tension internationale
s'intensifiant en même temps que l'Allemagne se réarmait, le programme
chimique français ne cessât de prendre de l'ampleur.
Les recherches en agression et en protection seront donc
poursuivies par l’IEEC dès la sortie du Premier conflit mondial. Le 15
avril 1919, les Services chimiques de guerre seront réorganisés pour répondre
à un fonctionnement de temps de paix, mais en réalité, la structure et les
attributions resteront inchangés.
La présidence changeait, mais l’ensemble des membres des deux sections de la
Commission restait en place ; leurs laboratoires également. Seul Desgrez
et son laboratoire cesseront leurs activités en février 1921, sinon tous les
autres continueront à travailler activement, comme nous allons le
voir.
A) La poursuite des recherches en agression.
.
La création d'un centre technique de recherche sur l'arme chimique
: Le Bouchet.
En 1921, les Services chimiques furent rattachés à la Direction de
l'artillerie et la Commission des Etudes et Expériences Chimiques obtint
de centraliser l'ensemble ses laboratoires dans un lieu unique ; l'Atelier
de pyrotechnie du Bouchet, à Vert-Le-Petit dans l'Essonne.
A l'effectif des membres de la Commission des Etudes
et Expériences Chimique, vint progressivement s'ajouter des ingénieurs
et des techniciens militaires et civils de différentes spécialités. En
1934, on dénombre un effectif de plus de 120 personnes dont 44
ingénieurs (source SHD) ; cet effectif atteignit 250 personnes et 75
ingénieurs avant la déclaration de guerre (source : ingénieur général
Kovache). Au 1er septembre 1939, 290 personnes travaillent aux
laboratoires de recherche. Enfin, en 1940, le centre du Bouchet passait de 760 personnes à 1980 au 1er juin
1940, dont 465 affectés spéciaux (source SHD).
A partir de 1922, des recherches furent entreprises
pour élaborer des nouveaux composés agressifs, et réaliser la synthèse de
certains produits qui étaient apparus à la fin de la guerre, chez nos ennemis
et chez nos alliés. Depuis les années 1919, la coopération interalliée avait
complètement cessé, et les recherches étaient tombées dans un secret complet.
Un
grand nombre de voies furent explorées, de manière à effectuer un travail de
déblaiement qui permit de clore certaines voies apparaissant infructueuses,
et de limiter le champ des recherches aux produits efficaces : composés organo-métalliques à base de plomb,
d'étain, de sélénium, antimoine, mercure, silicium, magnésium, des
substances pruriantes et vésicantes, des composés phosphorés, des Yperites
complexes, des dérivés de l'oxyde de carbone, de nombreuses et diverses
arsines.
Jusqu'au milieu des années 1935, plus de 600 corps
nouveaux furent préparés , synthétisés, étudiés, et certains présentaient des propriétés
agressives remarquables.
Une documentation importante fut réunie et confiée à un officier chimiste au
laboratoire de synthèse du Bouchet.
Un dépouillement systématique des publications françaises et étrangères fut
entrepris, comme un suivit des études étrangères et le répertoriage
méthodique des travaux concernant les toxiques à l'étranger, ainsi que le
suivit des brevets déposés.
En juin 1940, les laboratoires du Bouchet avaient
préparés et étudiés plus de 1500 corps.
Classification des substances étudiées et
recherches
Les produits peuvent être classés en toxiques, irritants
(ou lacrymogènes) et vésicants. Les propriétés toxiques et vésicantes d'une
part, ou irritantes et lacrymogènes d'autre part, peuvent coexister ou être
séparées.
Les toxiques agissent soit comme suffocants, soit comme
toxiques généraux.
Comme suffocants, les études portèrent essentiellement
sur la série des arsines, comme la Lewisite (V.201), la phénylarsine (I.102),
l'oxyde de phénylarsine I.103, la dichlorophénylarsine (corps n°6) et en
dehors des arsines sur la trichloroéthylamine (corps 886). Comparés aux
toxiques suffocants les plus employés pendant la Première Guerre, ces corps
étaient considérés comme 10 à 20 fois plus actifs.
La dispersion du phosgène fut également très
étudiée, en augmentant considérablement ses propriétés agressives en
le mélangeant à d'autres corps.
Les études physiologiques des toxiques généraux furent
porté principalement sur les composés organo-métalliques, tels l'iodure
d'étain tributyle, l'étain triméthyle propyle, le bromure de mercure
isobutyle. C'est surtout sur les effets de l'éther carbamique de la choline, ou
B31, que les études furent le plus poussé.
Les vésicants les plus étudiés appartenaient à la
série du soufre, type Yperite, à celle de l'arsenic type Lewisite, à celle de
l'azote type 886 et à celle des oxyphénols type B13, dont la particularité de
n'agir que sur la peau de l'homme et pas sur celle des animaux, nécessita de
conduire des études sur la peau de volontaires...
Les propriétés importantes de l’ypérite amèneront les
chercheurs à s’intéresser aux composés de la même famille, les sulfures
aliphatiques halogénés. Des vésicants plus puissants et moins volatils
qu’elle seront synthétisés, tel la sesqui-Ypérite, signalée comme ayant
spécialement intéressé le Chemical Warfare. La préparation d’une série inédite de
polysulfures de la même famille, permettra de constater la relation entre la
longueur de la chaîne moléculaire et le seuil de vésication.
Les travaux du Bouchet permirent la mise au point
d'une méthode de synthèse de l'Ypérite inédite 'Ypérite au
protochlorure de soufre), étudiée au Bouchet, puis produite en
quantité semi-industrielle sur un site délocalisé, la poudrerie
spéciale de Boussens. Elle fut dénommée Ypérite 1012 (nom de code Y) et sa production et son
chargement fut planifié avec une production effective à la poudrerie
d'Angoulême après 1939. Cette Ypérite présentait l'avantage d'une
production considérable et bien plus simple. Elle présentait en outre
des caractères physiques permettant de l'épandre très facilement et
elle se conservait bien plus longtemps.
Des Ypérite visqueuse, additionnées de
solutions de caoutchouc chloré ou de résines synthétiques, de façon à
adhérer aux matériaux et à devenir extrêmement difficile à attaquer
par les agents de décontamination, furent également mises au point. Les
derniers perfectionnements dans ce domaine devaient donner naissance à
l'Ypérite épaissie (nom de code Yp) au Rhodopas (acétate de vinyle
polymérisé).
La recherche de
vésicants dans d’autres séries conduira à l’étude des amines
aliphatiques halogénées, principalement la trichloréthylamine (dénommée
produit n°886) dans les années 30. Il s’agit d’un toxique suffocant et vésicant,
présentant une action sournoise de par sa complète insidiosité, et se démarquant
de l’ypérite par la persistance des vésications oculaires qu’il provoque.
De très nombreuses personnes en feront la douloureuse expérience lors de la
fabrication semi-industrielle dans les laboratoires du Bouchet. Son efficacité
sera jugée jusqu'à dix fois plus suffocante que celle des toxiques les plus
agressifs utilisés durant la première guerre. La synthèse en gros de ce corps
sera entreprise dès 1932, et les essais en tir réel débutèrent pendant
l’hiver 1932-1933, en Algérie, sur le polygone de la base secrète de
Béni-Ounif. Les expériences continueront les années
suivantes, et elles semblaient être des plus prometteuses.
On réalisa également des produits irritants dénués de
toxicité, dont l’emploi sera envisagé par les forces de police : la
cotoïne et la benzo-phloroglucine. La chloracétophenone (produit 1031) fut
adoptée pour le chargement en projectile.
Une place spéciale sera faite dans les
recherches au fer carbonyle, un produit connu depuis longtemps, mais dont la réalisation
industrielle nécessitait un appareillage particulier. L’étude de sa
dispersion pourra être entreprise dès 1931, avec des échantillons de
provenance allemande… Ce corps présentait la particularité de se décomposer
au contact du charbon actif du masque, avec production d’oxyde de carbone et
de chaleur. Malheureusement (ou heureusement), ce corps se décomposait à
l’air, et sa stabilisation se heurtait à de nombreux problèmes.
On s’intéressa également de près aux dérivés
organiques de l’arsenic, les arsines, dont plusieurs centaines ont été
préparés au Bouchet. Trois groupes très différents seront
explorés :
·
Les arsines aliphatiques, déjà employées durant la Première
Guerre, sont irritantes et vésicantes. Elles présentaient un intérêt tout
particulier car les matières premières utilisées pour leur fabrication étaient
peu coûteuses. Les léwisites produites par les Américains durant l’année
1918 appartenaient à cette famille, dénommée produits V.201. La fabrication
en demi-grand des plus intéressants de ces dérivés sera réalisée aux
laboratoires du Bouchet en 1930, et la fabrication industrielle était en cours
en 1935. Enfin, la production fut lancé sur le site de la nouvelle
poudrerie de Boussens en 1940, mais rapidement, des problèmes techniques
semblent avoir freiné puis stoppé sa production. Un nombre indéterminé de munitions du calibre de 75, 105 et 155mm furent
chargées de ce toxique, toutes probablement qu'à des fins d'expérimentation.
·
Les arsines aromatiques, c’est-à-dire celles dont les matières
premières sont le benzène et le naphtalène, seront également étudiées ;
200 d’entre-elles seront préparées et une dizaine aux propriétés particulièrement
intéressantes, retenues.
Deux furent particulièrement étudiées : I.102 et I.103, qui furent
synthétisées en quantité semi-industrielles avant d'être abandonnées,
après des essais à Béni-Ounif.
·
Les arsines hétérocycliques possèdent des molécules beaucoup
plus condensées. C’est dans cette classe que l’on trouve les produits
vraiment solides, se prêtant à la vaporisation dite ‘’en chandelle’’.
Ce procédé consistait en un bâton solide du toxique, que l’on enflammait et
qui se répandait ainsi par ses fumées. Dès 1932, on s’orientait vers l’arsacridine
(composé déjà connu en Allemagne et dont l'action irritante devient intenable
à la concentration de 1/100e de mg par m3),
le carbasol et la phénoxarsine (produit 986) découverte par les Anglais.
Des études furent entreprises sur le B.13 ou
isooctylpyrogallol, composé aux propriétés pruriantes rappelant celles du
laccol naturel.
Mais les recherches les plus intéressantes et les plus
prometteuses concernaient un corps n’appartenant à aucune classe connue
alors, un éther carbamique de la choline, le B.31, qui semblait ouvrir la voie
des recherches vers les neurotoxiques.
Rappelons que les neurotoxiques sont des composés organo-phosphorés,
inhibiteurs des cholinestérases tissulaires par phosphorylation irréversible,
conduisant à l’accumulation d’acétylcholine au niveau des synapses
nerveuses et neuro-musculaires. Le B 31 serait quant à lui, un produit proche
du carbamate de choline, une substance aux propriétés voisines de l’acétylcholine,
remarquable par son activité considérable et par sa grande stabilité. En
outre, le carbamate de choline n’est pas hydrolysé par les cholinestérases,
et semblerait les bloquer par carbamylation lentement réversible. Ces
substances constituent les dérivés synthétiques les plus puissants et les
plus toxiques des dérivés de la choline, à rapprocher de la physostigmine, et
donc identiques aux substances organophosphorées. Leur fonction phosphore en
moins, ils sont très proche de la famille des esters de Tammelin, qui ne sont
autre que les agents V (le plus puissant étant l'agent VX, synthétisé par la
Grande Bretagne dans les années 50).
Ces recherches furent menées par le professeur
Pierre Baranger, Ingénieur Militaire Principal au Bouchet de 1931 à1936,
dirigeant également un laboratoire à l'Ecole
Polytechnique. Ses compétences l'amèneront à intégrer un
laboratoire de chimiothérapie à l'Institut Pasteur, mutation qui fut loin d'être anodine, l'amenant ainsi à collaborer avec d'autres
chimistes dans un domaine de recherche intéressant la Défense Nationale.
C'est au sein de ce laboratoire qu'il travailla ainsi avec deux autres
personnalités imminentes, spécialistes notamment en chimie
thérapeutiques des systèmes acétylcholinergiques, sympathiques,
adrénergiques et muscariniques et de la synthèse des drogues agissant au
niveau des neurotransmetteurs. Il s'agissait du professeur Ernest Fourneau
et du chimiste Daniel Bovet. Ernest Fourneau fut un chimiste brillant
considéré comme l'un des grands scientifiques de la première moitié du
XXe siècle, fondateur de la chimie thérapeutique. Ses travaux révolutionnèrent
le traitement des maladies nerveuses en jetant les bases de l’arsenal médicamenteux
dont on dispose aujourd’hui, concernant les anesthésiques locaux, les bêtabloquants,
les bronchodilatateurs, les premiers antibiotiques, les antihypertenseurs,
les relaxants musculaires et les tranquillisants.
Sa formation passa par
des travaux au sein des laboratoires allemands les plus prestigieux
d'avant-guerre, avec Emil Fischer et Richard Willstätter ; il garda
d'ailleurs une
amitié indéfectible pour ses collègues d'outre-Rhin. Pendant la
Première Guerre mondiale, il participa aux recherches sur les agressifs
chimiques au sein de l'IEEC. A la mobilisation de 1939,
son laboratoire intégra à nouveau la Commission des Etudes et Expériences
Chimiques pour des travaux intéressant la Défense Nationale, dans le
cadre de la Guerre chimique et sur ordre du Ministre de la Guerre. Le rôle du professeur Ernest Fourneau dans
ces travaux reste difficile à cerner. A ce jour, nous ne connaissons pas
le domaine des recherches qui furent menées par cette équipe, mais tout
porte à croire qu'il portait sur des agressifs chimiques attaquant le
système de neurotransmission des organismes vivants.

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Le Professeur Ernest Fourneau,
pharmacien.
Imminent chercheur, fondateur de la chimie thérapeutique, chef
de service du laboratoire de chimie thérapeutique de l'Institut
Pasteur de 1911 à 1944. Il rejoint l'Inspection des Etudes et
Expériences Chimiques dès 1915. Son laboratoire de l'Institut
Pasteur sera attaché aux services chimiques en 1939.
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Daniel Bovet
Il travaille au laboratoire de chimie thérapeutique de
l'Institut Pasteur, dirigé par Ernest Fourneau, de 1929 à 1947.
Prix Nobel de Physiologie et médecine en 1957
pour ses travaux sur les médicaments bloquant l’action de
certains neurotransmetteurs. Grand
spécialiste de chimie thérapeutique, de neuropharmacologie et de
pharmacologie du curare. Le laboratoire dans lequel il travaille est
rattaché à l’IEEC en 1939, pour des travaux intéressant la Défense
Nationale.
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Il faut encore noter que le professeur Pierre Baranger
s'exila auprès du général de Gaulle en Angleterre en 1940 après
l'Armistice et qu'il sembla rejoindre le centre de
recherche secret de Porton Down, pour une collaboration avec les chimistes
anglais, dont nous ignorons l'aboutissement. Certains prétendent qu'à
cette occasion il y eu transfert de connaissance autour des substances
neurotoxiques ; nous ne sommes pas arrivé à le démontrer. Il est
cependant tentant de relier les travaux de Barranger aux progrès anglais
réalisés sur les inhibiteurs de la cholinesterase, comme le D.F.P. (fluorophosphate
de di-isopropyle), utilisés comme agressifs chimiques militaires puis
comme agents thérapeutiques de certains affections.
L'exhumation des archives françaises de ces travaux est
particulièrement intéressante, même si à ce jour, nous ignorons presque tout
de ses aboutissements. En effet, la découverte des agents chimiques de guerre
de la famille des neurotoxiques est attribué au docteur Gerhard Schrader, de la
firme allemande I.G. Farben, en 1936. La substance découverte par Schrader fut
militarisée par l'armée allemande dès 1939 et baptisée Tabun, le premier
neurotoxique militarisé par l'Allemagne nazi. La production
fut débutée en avril 1942 pour atteindre un stock de près de 12 000 tonnes en
1945. En 1939, une substance neurotoxique encore plus puissante fut découverte,
toujours par la même équipe, le Sarin, puis le Soman en 1944.
Les historiens qualifient aujourd'hui l'avance que
possédaient les force armée allemandes dans ce domaine comme considérable. Au
regard de ces quelques données parcellaires concernant les recherches
françaises, devant la toxicité du produit 886 (toxicité, action suffocante et
vésicante jugée comme dix fois supérieure aux substances les plus toxiques
alors connues, en regard au Tabun allemand, jugée comme 25% plus efficace que
l'ypérite), sur les progrès réalisés dans la dispersion des arsines et devant les recherches entreprises sur le B.31, il semble que
l'avancée allemande dans le domaine de la Guerre chimique soit tout de même à nuancer. De plus, au début de la Deuxième guerre mondiale, les capacités de
synthèse du Tabun et sa militarisation étaient loin d'être établies
par les chimistes du régime nazi.
Fabrication semi-industrielle
Ces recherches de laboratoire furent poussées pour les
produits les plus intéressants, sur le plan semi-industriel. Jusqu'en 1929, les
essais de fabrication étaient effectués avec des moyens de fortune dans un
atelier qui n'était qu'un hangar et avec un matériel rudimentaire; a partir de
1929, un dotation de 175.000 Francs permit de faire à l'atelier les premiers
aménagements indispensables. Il fut également mis au point les méthodes de
travail très strictes pour mener à bien la fabrication de ces substances excessivement
dangereuses. A cet effet, il fut défini un système d'isolement de toutes les
parties de l'appareillage utilisé, dans des cellules individuelle ventilées,
permettant d'éviter l'infection générale des ateliers, comme cela fut le cas
en 1932 et 1933 avec le chloréthylamine (886). La nature des matériaux pour
l'appareillage fut également particulièrement étudié pour être utilisé
dans la modernisation des ateliers à partir de 1933.
A partir de 1933, d’importants travaux réalisés aux
ateliers du Bouchet permirent de débuter des synthèses en quantités
importantes des produits les plus intéressants, soit plus de 5 tonnes en quatre
ans.
Puis, des études de dispersion de ces substances seront menées. On avait
réussi rapidement, dès 1925, la mise au point de chandelles de 1 kg, puis on
poursuivit les études de vaporisation par mélange chauffant. En 1932, on créa
au Bouchet un laboratoire de dispersion pour ce domaine de recherche, et en
1935, on finissait la mise au point de chandelles de 100 kg. Cinq de celles-ci
permettaient de créer une infection de terrain profonde de 30 km. Pour la
dispersion par obus, on étudia un obus à culot vissé et un obus à chandelle,
dit à dépotage, qui donnaient de bons résultats. On augmenta également
l’agressivité du phosgène dispersé en obus grâce à des solutions concentrées
d’acétate de vinyle. En 1935, une nouvelle chambre blindée de 64 m3
était en construction, avec un appareillage optique spécial devant permettre
de photographier les explosions,. Un modèle de grenade chargé en ypérite et
destiné à être lancé par avion avait été mis au point, ainsi qu’un
lance-grenade. Enfin, des essais très prometteurs sur la dispersion du B. 31 étaient
menés.
En 1934, l'établissement fut rattaché au Service des
poudres et son activité devait encore fortement s'accroître. En avril 1934,
l'Allemagne quitta la Conférence du désarmement et la France, refusant de
cautionner le réarmement allemand, signifia qu'elle assurerait désormais seule
sa propre sécurité. Le programme de recherche français fut ainsi encore
fortement renforcé. L'effectif des équipes travaillant au Bouchet fut doublé
en quelques années. De 1934 à 1940, 600 nouveaux produits furent étudiés et
préparés. Les études de dispersion furent réalisées dans les chambres
d'explosion au Bouchet, puis poursuivis sur le champ de tir de Bourges et en
Algérie.
Enfin, en 1938, fut
réalisé la construction d'un site entièrement dédié aux études et à la
production semi-industrielle au sein de la poudrerie de Boussens. Plus de 20 tonnes de substances diverses y furent
synthétisées, dans le but d'étudier les conditions de leur dispersion et donc
de leur militarisation. De nouveaux crédit furent alloués au Centre d'Etude en
1939 et 1940. A l'Armistice de juin 1940, la poudrerie de Boussens était
effective dans la synthèse de l'Ypérite 1012 en quantité industrielle,
dans celle de la Marsite, de la Lewisite ou V201, du 886 (trichloroéthylamine),
de l'arseniure d'aluminium (nécessaire dans la réalisation des engins
Z5)
Études de dispersion
En effet, les études physiologiques menées sur un produit
toxique sortant du laboratoire de synthèse ne sont que des études
préliminaires. Il faut ensuite s'assurer qu'il conserve son pouvoir agressif
lorsqu'il a été dispersé. L'agressivité dépend en effet du mode de
dispersion (explosion, combustion...) et d'autres facteurs tels la charge
d'explosif, le système chauffant et ses dimensions, etc. Ces études de
dispersion se faisaient d'abord au Bouchet, dans l'une des trois chambres
d'explosion aménagées. Elles étaient ensuite suivies au champ de tir de la
Commission d'expérience de Bourges, dans des conditions proches du combat.
Venait ensuite les essais en grand.
Les premiers essais de dispersion en grand furent
réalisés en Algérie dans la région de Touggourt et dans la région de Chegga,
dès 1930.
Pour mener ces essais de dispersion et des essais
de tirs réels en terrain découvert, le centre d'essais de tir de Chegga en
Algérie fut rapidement délaissé au profit de ce qui allait devenir l'un des plus grand centre
d'expérimentation d'armes chimiques au monde (le plus grand, excepté la
Russie), le centre Béni-Wénif (ou Béni-Ounif, tel qu'il est nommé dans les
archives militaires des années 1930). Au milieu de nul-part, situé sur un
plateau calcaire su Sahara algérien, il offrait toutes les garanties de
sécurité et de discrétion.
Ce centre, resté en activité jusqu'en 1978, est
demeuré un secret d'État jusqu'en 1997. Sa superficie représentait
plusieurs milliers de kilomètres carrés, 100 km de long sur 60 de large. Nous
ne disposons que de très peu d'informations sur sa création. Les premiers
essais que nous avons recensé datent de la campagne de 1931-1932. Ainsi, il est
entré en fonction avant la date de création fréquemment avancée de 1935. Des
essais en grand y sont effectués en avril 1932 et dans l'hivers 1932-1933. Dès
lors, des mesures furent envisagées pour en faire un centre d'essai et un champ
de tir gigantesque et semi-permanent.
Après la Première Guerre mondiale, l'ECMCG (Établissement central du
Matériel Chimique de Guerre), avait été transformé en ERG (Établissement de
Réserve Générale) qui disposait d'une compagnie Chimiste appartenant au
Bataillon d'Ouvriers d'Artillerie d'Aubervilliers (104e Cie chimiste du 22e
BOA). Cet ERG disposait d'un centre de recherche et d'essais chimiques, situé
dans le Sud Oranais, à Béni-Ounif. En 1935, ce centre devint le Centre
d'Expérimentation semi-permanent de Béni-Ounif, alias CESP de Béni-Wénif. Il
était alors composé de trois sites, nommés B1, B2 et B3. Par la suite,
probablement dans les années 1950, le
centre B2, connu sous le nom de B2-Namous, fut spécialisé dans les essais sur les armes
chimiques.
Le Centre d'Expérimentation semi-permanent de
Béni-Ounif et son site B2-Namous est resté un secret d'État
particulièrement bien gardé.
Comme expliqué plus haut, il entra en service dès 1931 et reçu son appellation
officielle en 1935. Jusqu'en 1940, de nombreuses expérimentations sur les
armes et les munitions chimiques y ont eu lieu. Après l’Armistice de
juin 1940, le CESP fut camouflé sous l’appellation d’Annexe-magasin
de Revoil Beni-Ounif pour échapper aux investigations des Commissions
d’Armistice ; il était par ailleurs une annexe de l'ERG
d'Aubervilliers.
Dans les années 1950, dans un contexte de guerre froide, les
activités reprirent à B2-Namous, essentiellement sous forme de
manoeuvres offensives de l'Otan avec des armes chimiques. Puis, en 1962 et
à la veille de l'indépendance de l'Algérie, le centre ultra-secret fit
l'objet de négociations secrète aux accords d'Evian, comme d'autres bases
du Sahara. Le maintient de la base fut accepté pour 5 années ; mais en
1967, alors que tous les autres centres fermaient, B2-Namous fut
conservé. Les militaires français furent contraint à travailler sous
couverture civile ; une filiale de Thomson, la Sodeteg, étant leur
employeur "officiel". Le centre fut fermé et démantelé
en 1978. Plusieurs sources laissent à supposer que les recherches furent
stoppées à la fin des années 80.
Le secret fut révélé au grand jour par le Nouvel Observateur en
octobre 1997, dans un article publié sous la plume, de Vincent Jauvert.
Rappelons que la France a signée à Paris en 1993 la Convention
Internationale sur l'Interdiction des Armes Chimiques. En 1989, le
président de la république François Mitterrand affirmait à la tribune
de l'ONU que la France n'avait jamais disposé de stocks d'armes
chimiques. En 1997, le rapport remis aux inspecteurs de la Convention
Internationale sur l'Interdiction des Armes Chimiques suivait le chemin
tracé jusque là ; aucun stocks d'armes chimiques n'a jamais été
constitué en France. |
D'autres études furent menées, notamment
sur la dispersion de l'Ypérite par épandage aérien, l'épandage par
voitures arroseuses, la dispersion par bombes d'aviations, la dispersion
par génératrice d'aérosols.
Études de dispersion en chandelle
A la fin de la Première Guerre, la France n'avait utilisé
aucune substance irritante à type d'arsine. Il fut envisagé d'étudier la
vaporisation de arsines en commençant par le produit utilisé par les Anglais,
la DM ou Diphénylaminochlorarsine. L'atelier de Pyrotechnie du Bouchet étudia
un engin analogue aux chandelles anglaises et mis au point en 1923 une chandelle
de 1 kg en mélange comprimé. L'amorçage fut mis au point en 1925 en liaison
avec l'École centrale de Pyrotechnie de Bourges.
Des procédés de dosage pour de très petites quantités
de produits furent mis au point, des appareils de prélèvement d'atmosphère
pouvant fonctionner à distance furent réalisés.
L'étude de la vaporisation par mélange chauffant fut
appliqué à un grand nombre de substances. Seuls des engins comprimés furent
alors étudiés, avant que l'on s'aperçoive des inconvénients que cela
représentait. On s'orienta alors vers la fabrication d'engins coulé qui
permettaient la fabrications et la dispersion de grandes quantités de toxiques.
Ces engins furent essayés dès 1930 en Algérie mais se révélèrent
décevant.
La laboratoire de dispersion fut créé en janvier 1932 et
du reprendre l'intégralité de ces études. Un nouvel appareillage permit
d'étudier au microscope la dimension des particules et leur aptitude à
floculer dans les conditions variées de formation du nuage. Puis, des méthodes
de prélèvement de nuage, par précipitation électrique sur des plaques de
verre et de dosage des produits obtenus par spectrographie ou par colorimétrie,
seront mises au point. Les essais à Béni-Ounif permirent de préciser dès
1932 le taux de compression à faire subir à la substance, puis le taux de
remplissage. Le degré de tamisage des poudres fut déterminé avec le même
soin, puis l'influence des impuretés sur la dispersion du produit agressif
défini. On testa des chandelles obtenues par compression, puis par coulage à
chaud et enfin à coulage à froid à l'aide de résines synthétiques.
La densité d'engins à mettre en oeuvre fut ensuite
étudiée à Béni-Ounif.
L'ensemble de ces quinze années d'études permit la mise au point des
engins Z5
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Études de dispersion par explosion
Les premiers travaux furent de fixer l'évolution dans le
temps des projectiles issus des reliquats stockés depuis la fin de la Première
Guerre. Des méthodes d'analyses furent ainsi définies.
De nombreux essais ont ensuite cherchés à améliorer le
rendement dispersif des munitions chimiques. On mis au point un obus à culot
vissé à cet effet. La dispersion des nouveaux produits fut également une préoccupation
constante des services chimiques.
L'augmentation de l'agressivité du phosgène a été
déterminée, notamment en le mélangeant à différents corps. Après de
nombreux déboires, on s'orienta vers des solutions concentrées à l'aide
d'acétate de vinyle qui donnèrent d'excellents résultats.
Le chargement des arsines en obus donna lieu à la mise au
point d'obus de 75 à chandelle ou a dépotage.
Enfin, un modèle de grenade destinée à être lancé par
avion fut mis au point, propulsé par un dispositif lance-grenade étudié à
Bourges.
Il est impossible de clore ce paragraphe sans mentionner la
création, en décembre 1922, d’une Commission de bactériologie, dans le but
de mener les études nécessaires à la guerre bactériologique. La présidence
sera assurée par le général de division Maurice. La Commission était composée
de membres civils : Roux, Achard, Bertrand, Mayer, Lebeau, Borrel
(professeur à l’université de Strasbourg), Vallée (directeur du laboratoire
de recherche du Ministère de l’Agriculture) et de membres militaires dont le
médecin général inspecteur Vincent et le médecin principal Dopter.
L’ensemble des personnels des deux sections de la
Commission, ainsi que ceux des différents laboratoires de l’IEEC et de la
Commission d’expérience de Bourges, avaient mené ces études.
Tableau récapitulatif des principaux
corps étudiés - 1920-1935 |
Désignation conventionnelle |
Appellation normale |
Caractéristiques physiques |
Caractéristiques physiologiques |
Origine |
Etat de l'étude |
V.201 |
Lewisites ou chlorovinylarsines primaire et secondaire |
liquides légèrement jaunâtres |
Vésicant voisin de l'ypérite. Irritant et suffocant très
nocif |
Découvert par les Américains pendant la première Guerre
mais non utilisé |
Fabriqué en 1/2 grand au Bouchet. Etude de la fabrication
industrielle en cours.
Essayé en 1930 à Chegga en obus, puis ultérieurement à Béni-Ounif
(Béni-Wénif).
Essais à poursuivre dans la campagne 1934-35
|
I.101 ou D.M. |
Adamsit ou diphénylaminochlorarsine |
Solide |
Irritant et strenutatoire |
Fabriqué par les Anglais vers la fin de la Guerre pour
être utilisé sous forme de chandelles |
Fabriqué en 1/2 grand au Bouchet. Utilisation de stocks
cédés par les Anglais. Etude de la fabrication industrielle en cours.
A fait l'objet d'essais en Algérie à Chegga en 1930 et à Béni-Ounif
(Béni-Wénif) en 31-32 et 32-33. Essais poursuivis en 34-35
|
I.102 |
Phénylarsine-imine |
Solide sublimable |
Irritant et strenutatoire |
Laboratoire de synthèse du Bouchet |
Fabriqué en 1/2 grand au Bouchet. essayé sous forme de
chandelles fin 1931 à Chegga. Résultats inférieurs à ceux de la DM |
I.103 |
Oxyde de diphénylarsine |
Solide |
Irritant et strenutatoire |
Employé en obus par les Allemands pendant la Guerre |
Essais suspendus. |
986 |
Chlorophénoxarsine |
Solide résistant à la pyrolyse |
Irritant supérieur à la DM |
Découvert par les Anglais |
Fabriqué en 1/2 grand au Bouchet. Essai prévu en
chandelles |
886 |
Trichloroéthylamine |
Liquide |
Toxique suffocant et vésicant |
Inédit dans la littérature scientifique. Découvert au
laboratoire de synthèse du Bouchet en 1930 |
Fabriqué en 1/2 grand au Bouchet. Essayé à Beni-Ounif (Béni-Wénif)
dans l'hivers 1932-33; en obus de 75 à culot vissé. Efficacité
comparable à celle du V.201. La continuation des essais est prévue dans
la campagne 1934-35 |
B.13 |
Iso-octyl-pyrogallol |
Liquide visqueux inidore |
Vésicant. propriétés pruriante. |
Découvert par le capitaine Baranger au laboratoire du
professeur Fourneau sur les indications de ce dernier. |
Fabriqué au laboratoire de synthèse du Bouchet en
quantité assez importante (une centaine de kg).
Sera expérimenté en obus.
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B.31 |
Ether carbamique de la choline |
Solide utilisable en solution aqueuse |
Toxique général puissant, suffocant, très insidieux. |
Découvert par le capitaine Baranger au laboratoire du
professeur Fourneau sur les indications de ce dernier. |
Fabriqué au laboratoire de synthèse du Bouchet en
quantité assez importante (une centaine de kg).
Sera expérimenté en obus.
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Fer carbonyle |
Fer pentacarbonyle |
Liquide jaunâtre |
Décomposé au contact du charbon du masque avec dégagement
d'oxyde de carbone et échauffement de la cartouche. |
Connu depuis longtemps |
Sa fabrication nécessite un appareillage industriel.
L'étude de sa dispersion a été entreprise au Bouchet en 1931 avec
des échantillons de provenance allemande.
|
La substance 886, ou trichloroéthylamine est une
Ypérite à l'azote, alias Ypérite à l'azote HN-3. C'est une
substance bien plus agressive que les Ypérite au souffre. Sa
découverte au début des années 1930 au centre du Bouchet, fut un
secret extrêmement bien conservé pendant de nombreuses années,
voire même jusqu'à nos jours. Les données concernant le 886 sont
extrêmement rares ; la trichloroéthylamine est souvent décrite
comme une substance découverte après la Deuxième Guerre mondiale.
La plupart des archives la concernant semblent avoir disparues.
La trichloroéthylamine est une substance dite de première
génération, dont la toxicité est proche des produits dits de
deuxième génération que sont les neurotoxiques. Sa toxicité par
inhalation est inférieure aux neurotoxiques produits par
l'Allemagne nazie pendant la Deuxième Guerre mondiale, mais
sa létalité par voie percutanée est supérieure (20mg/kg
pour la trichloroéthylamine, 50 à 70 pour le Tabun).
Il en est de même pour le B-31, une substance proche des
neurotoxiques. Nous ignorons tout aujourd'hui de son développement,
si développement il y a eu... |
A partir de 1935, le programme de recherche
chimique connut encore un essor supplémentaire appuyé par des crédits
conséquents. L'élaboration d'un capacité de riposte chimique fut
effective à l'issue de ce nouvel effort. Le programme industriel
nécessaire à la réalisation de la synthèse de milliers de tonnes de
toxiques fut mis sur pied.
B) La protection.
1) De l’ARS à l’ANP31 ou Appareil Normal de Protection.
Les recherches en matière de protection seront reprises dès
1920. Le premier point sur lequel on allait travailler était la filtration des
arsines. Au cours de l’année 1918, on avait remarqué l’inefficacité des
cartouches filtrantes à ces poussières. On trouvait fréquemment des intoxiqués
qui n’avaient pas quitté leur masque dans les zones contaminées lors
d’attaque par obus à croix bleue. Les arsines utilisées étaient composées
de particules solides dont le diamètre était inférieur au millième de millimètre.
Dans le filtre à charbon activé, les gaz était absorbés par les pores du
charbon. Les poussières, par contre, ne pouvaient être retenues que par le
faible diamètre des pores constituant le filtre. Hors, un filtre aux pores très
serrés permettait difficilement d’obtenir une respiration aisée. De plus,
les poussières se chargeaient électriquement et, en se déposant sur les
parois du filtre, elles les chargeaient également. Les particules suivantes étaient
alors électrostatiquement repoussées par les autres et elles arrivaient à se
frayer ainsi un chemin au travers du filtre. On tenta la filtration des arsines
au travers de couches superposées de feutre, de papier, de coton et de fibres végétales,
en les plaçant à l’intérieur des bonnettes, mais sans résultats efficaces.
On souhaitait également augmenter la durée de protection des cartouches, pour
éviter le port de l’une d’entre elles en supplément, et on s’attendait
à devoir augmenter considérablement la proportion dans la boîte filtrante. De
là naquit le projet d’un nouveau masque respiratoire, relié par un tuyau
souple à une cartouche filtrante portée en bandoulière au niveau de la
taille. Il fallait cependant résoudre plusieurs problèmes avant l’adoption
de ce nouvel appareil.
Le premier concernait l’emploi du caoutchouc. On avait
remarqué qu’il vieillissait mal, mais surtout qu’il n’était pas imperméable
à plusieurs agressifs, et notamment à l’ypérite. Des études avaient déjà
été menées pour éviter son emploi. On avait doublé le tissu caoutchouté
par un tissu huilé pour confectionner les premiers ARS. Les soupapes en
caoutchouc seront également remplacées par d’autres en mica et en aluminium.
On choisira dans les années 20 de substituer les rubans élastiques des masques
par des tendeurs à ressort, et on finit par remplacer la deuxième couche de
tissu huilé du masque par un tissu cellophané, l’huile dégradant le
caoutchouc à la longue. Avec le concours de plusieurs industriels, un
caoutchouc de meilleure qualité, plus résistant au vieillissement et
pratiquement imperméable à l’ypérite allait être mis au point.
Le deuxième point sur lequel on travailla, fut la réalisation
d’un charbon filtrant plus performant. Lebeau, aidé de trois employés
militaires, et avec la collaboration de plusieurs industriels, réalisa sa mise
au point et en testa de plus efficaces : le cuprène, le charbon sulfurisé,
l’agglomération de poussière de charbon, l’addition de tétrachlorure de
silicium… En 1925, un nouveau charbon présentant une efficacité jusqu’à
10 fois supérieure aux autres était adopté. Ce charbon sulfurisé, appelé
S1925, ne rentra qu’en 1929 dans les approvisionnements. Les laboratoires du
Bouchet s’apercevront rapidement que celui-ci absorbait l’humidité de
l’air et que cela diminuait son efficacité. Entre temps, le marché des
masques destinés aux populations civiles était né avec la
’’Défense passive’’, et les fabricants civils faisaient des
progrès marqués. Ainsi, ils étaient parvenus à une excellente qualité de
charbon, grâce à une collaboration étroite avec les laboratoires de l’IEEC,
et on décida de les utiliser. Un cahier des charges sera mis en œuvre pour
leur réception. Ainsi, dès 1930, les cartouches des masques seront chargées
avec des charbons mis au point par des marchands civils, conférant une
protection 6 à 7 fois supérieure à ceux des années 20.
La collaboration avec des établissements privés sera
particulièrement étroite pour mettre au point un papier particulier, dénommé
alfa, qui possédait des pores assez fins pour arrêter les arsines, sans
augmenter la gêne respiratoire au travers de la cartouche. L’IEEC réalisera
ce travail avec la maison Fernez, ce qui nécessita une collaboration très
suivie des ingénieurs des laboratoires, notamment celui de Lebeau, et du
fournisseur. La réalisation industrielle sera au point dès 1927. Lebeau élabora
un procédé de colmatage du papier, nécessaire à son efficacité immédiate,
à l’aide de tétrachlorure de silicium. Restait à créer le dispositif qui
devait le mettre en œuvre. Deux voies seront explorées.
La première visait à tirer parti des importantes quantités
de cartouches d’ARS existantes, et à réaliser un dispositif s’adaptant sur
celles-ci. On fabriqua ainsi un système s’adaptant en dessous de la
cartouche, et renfermant une galette de papier alfa, constituée de 15 disques
de papier séparés par des couronnes de carton et assemblés par des œillets métalliques.
Les premiers exemplaires sortiront des chaînes de fabrication en 1930, mais on
s’aperçut rapidement que 50
% des exemplaires, une fois montés sur la cartouche, ne présentaient pas
l’efficacité souhaitée par manque d’étanchéité. On détermina que ce
n’était pas le système qui était en cause, mais le fournisseur. En 1932, la
fabrication était relancée et les exemplaires seront livrés en 1933, en étant
nommés ‘’galette d’addition modèle 1933’’. Ils devaient alors équiper
les masques dits ‘’appareils momentanés’’, devant doter les formations
mobilisées du territoire.
Entre temps, l’établissement Fernez avait réussi à
produire une cartouche monobloc, renfermant un filtre en papier alfa plié en
accordéon. Au mois d’octobre 1932, la Commission ayant essayé le dispositif,
le trouva si efficace, qu’elle décida de remplacer le dispositif à galette,
dont la fabrication était en cours, par la cartouche Fernez. En 1934, sera créé
un cahier des charges pour agréer ces cartouches de l’industrie civile. Deux
établissements seront primitivement retenus : Fernez et la S.E.F.M.P.
(Section d’études et de fabrication des masques de protection). Les crédits
débloqués en 1935 permettront l’achat de ce genre de cartouches, appelées
modèle 35M. Ces établissements fabriquants également des masques en tout
point identiques à l’ANP 31 dont nous allons parler, l’armée allait également
se fournir en masques auprès d’eux.
La seconde voie visant à mettre en œuvre le dispositif
contre arsine avait été formulée en 1924, où l’on souhaitait remplacer la
cartouche du masque par un bidon filtrant de plus grande capacité. Le logement
contre arsines ayant pu être prévu dès la conception, il ne présenta pas de
difficultés particulières et sera adopté en 1932 sous le nom de ‘’bidon
ovale modèle 32’’.
En 1930, les prototypes du nouveau masque étaient au
point. Un tuyau souple reliait le bidon filtrant, contenu dans un sac porté en
bandoulière, au masque. Celui-ci était très proche de l’ARS, mis à part
son embase qui différait par quelques points. Pour utiliser le stock
d’appareils ARS existant, et en attendant la fabrication du nouvel ANP 31, on
proposa en 1931 de modifier les anciens ARS, en intercalant simplement un tuyau
entre la cartouche et le masque. L’appareil ainsi transformé s’appellera
‘’appareil transitoire’’. Pour que le tuyau fixé à l’embase du
masque trouve une inclinaison sensiblement verticale, il suffisait
d’intercaler un dispositif spécial coudé. Le tuyau contenant également la
soupape d’inspiration, il fallait supprimer celle faisant double usage sur le
masque.
Cette solution devait permettre d’attendre la fabrication
du nouvel appareil ANP. Seulement, en 1933, celle-ci n’avait toujours pas débuté,
et la fabrication des masques ARS était stoppée. L’IEEC n’avait pu suivre
le calendrier fixé car la conception, les très longs délais de réalisation
et d’essais dans la troupe retardaient le programme. Mais surtout, simultanément
à la mise au point de la réalisation industrielle de l’ANP 31, on cherchait
à produire un autre type de masque dont la maquette avait été présentée au
Bouchet en 1928, en même temps que l’ANP. Ce masque devait être plus
performant que l’ANP. On l’appelait ‘’semi-rigide’’, car il
comportait une pièce de la face en cuir, sur laquelle étaient montées les
vitres et les soupapes. Entre-temps, pour permettre la fabrication rapide de
l’ANP et rattraper le retard pris, on décida de ne fabriquer que les pièces
qui différaient entre celui-ci et l’ARS, c’est-à-dire l’embase, le tuyau
souple et sa soupape, ainsi que le bidon filtreur. On transformait un ARS en ANP
en démontant son embase, et en changeant la cuvette avant (l’embase comporte
deux cuvettes, une avant et une arrière). Le tuyau fileté de la nouvelle
embase assurait au raccord en caoutchouc une inclinaison sensiblement verticale.
Pour résumer, la situation en 1934 était la suivante :
-
On souhaitait doter les formations mobilisées du territoire
d’un appareil efficace et économique, semblable à ceux recommandés aux
populations civiles. A cette date, cet appareil n’était pas fixé ;
plusieurs propositions étaient en cours d’essais pour adopter cet appareil
momentané.
-
La construction du nouvel ANP 31 n’avait toujours pas débuté.
On avait transformé une partie des anciens ARS, soit en modifiant leur embase
pour obtenir un ANP, soit en conservant l’embase d’origine et en adaptant le
dispositif spécial coudé, pour obtenir un appareil dit ‘’transitoire’’.
En outre, on avait commandé 10 000 exemplaires d’appareils proposés aux
populations civiles, par la SEFMP (Section d’études et de fabrication des
masques de protection), similaires en tout point à l’ANP 31.
-
On souhaitait lancer la fabrication de l’ANP 31, qui devait être
produit avec une cartouche d’une grande capacité, le bidon modèle 32. Il
semble que le retard pris soit dû à des hésitations entre cette solution, et
celle d'attendre la mise au point du masque dit ‘’semi-rigide’’, bien
plus performant que l’ANP, qui serait également équipé du bidon modèle 32.
-
Seulement 10 000 exemplaires du dispositif à galette modèle 33
avaient été produits. La fabrication d’un nombre très important de ceux-ci
était en cours en 1934 ; plus de 5 millions devaient bientôt sortir des
chaînes de montage. Ils devaient équiper les appareils dit ‘’momentanés
‘’. En réalité, à peine ces dispositifs produits, on adopta la cartouche
modèle 35 M. Elle allait équiper les ANP 31 enfin produits à compter de 1935,
en attendant la production du bidon modèle 32.
Les fabrications massives d’ANP et de bidons modèle 32
ne débutèrent vraisemblablement qu’au courant de 1936. Durant cette même
année, on adopta enfin le masque ‘’semi-rigide’’, qui sera dénommé
‘’masque 36 T’’. Il semble que l’on souhaitait en munir toutes les
formations combattantes ; son coût de fabrication et le retard pris dans
les commandes mettront un terme à ce projet.
2) La protection contre le monoxyde de carbone.
L’appareil filtrant LD, mis au point par Desgrez et Labat
en 1917 et 1918, avait montré plusieurs faiblesses. Cet appareil, encore appelé
‘’Tissot pour char de combat’’, ne semble pas avoir été étudié à
nouveau après guerre. La protection contre le monoxyde de carbone allait
pourtant devenir un point sensible. Elle intéressait particulièrement les
servants des pièces d’artillerie sous casemate. Dès 1929, la Marine avait
demandé la reprise des recherches en ce domaine. On arrêta la composition de
la substance neutralisante, l’hopcalite, formée d’un mélange de bioxyde de
manganèse et d’oxyde de cuivre. On la plaçait entre deux couches de corps
desséchant, et on assurait une fermeture aussi hermétique que possible du
bidon filtrant. Les études aboutiront à l’adoption, en 1933, du bidon
polyvalent CO modèle 33. La cartouche avait la forme d’un bidon ovale modèle
32, aux dimensions agrandies. On avait conservé le chargement en charbon actif
et la galette contre arsine pour assurer la polyvalence ; le bidon mesurait
19,5x15,7x7,8 cm, pour un poids moyen de 1,8 kg.
Le bidon allait présenter un inconvénient lorsqu’on
souhaita en doter les troupes de forteresse, et particulièrement les servants
des armes sous casemate et sous tourelle des ouvrages de la Ligne Maginot.
L’utilisation du masque pouvait être assez fréquente dans les conditions de
combat des ouvrages, et la forte humidité qui y régnait dégradait rapidement
le contenu absorbant le monoxyde de la cartouche. On souhaita alors mettre au
point un dispositif de complément, qui pourrait à volonté s’intercaler
entre le masque et le bidon classique. Il fut réalisé et adopté en 1939, sous
le nom de cartouche de complément CO modèle 39. La production débutait à la
mobilisation, et seulement 200 000 exemplaires seront en dotation aux armées en
mai 1940.
3) Les appareils à circuit fermé.
On souhaitait en premier lieu perfectionner les appareils
Draeger, jugés trop rudimentaires. Plusieurs voies seront explorées qui méneront
à différentes solutions, sans qu’aucune ne soit réellement adoptée et
poussée plus en avant. On expérimenta un appareil continu, à deux cartouches,
l’une chargée en air comprimé, et l’autre en oxygène. On adopta en 1939
un appareil isolant proposé par l’établissement Mandet, le MC 39, mais à
peine quelques milliers d’exemplaires seront produits. Un autre appareil,
d’un modèle inconnu de nous, sera fabriqué en deux versions ; il
s’agissait des Granger légers et des Granger petit modèle, produits
respectivement à 10 et 700 exemplaires.
Enfin, on réalisa une amélioration de l’appareil Fenzy
grand modèle, décrété beaucoup trop lourd. Un granulé analogue à
l’oxylithe, ne présentant pas de danger d’inflammation et susceptible de
‘’démarrer’’ à froid sera fabriqué. L’appareil sera adopté en 1936
dans sa version définitive : le Fenzy modèle 36 sera fabriqué à 78 000
exemplaires.
C) Entre condamnation de l'utilisation de l'arme chimique et
nécessité d'une capacité de réplique immédiate : réalité et déni
du réarmement chimique en France, 1919-1939.
Fin 1919, le Ministre de la Guerre appuyé par l'état major de
l'armée, fixa les grands traits de la politique chimique militaire de
l'après guerre :
"Les approvisionnements d'obus toxiques et lacrymogènes,
d'engins pour l'émission de gaz asphyxiants, de produits toxiques, seront
conservés dans les limites où les possibilités techniques le
permettront (...) ; les services chimiques poursuivront d'une façon
continue les études sur les produits chimiques agressifs (...) de façon
à être toujours en mesure d'entreprendre les fabrications de munitions,
d'engins toxiques dans le cas où l'ennemi prendrait l'initiative de ce
genre d'agression".
Dès la signature de l’Armistice, le travail de
l’ensemble des usines de production de toxiques fut ainsi stoppé. Les stocks
restant de la production de guerre semblaient largement suffisants, voire même
trop importants. L’étude de ces approvisionnements s’imposa rapidement,
pour étudier leur état de conservation dans le temps. On mit ainsi au point plusieurs méthodes
d’analyses qui permirent d’éliminer certaines catégories d’obus spéciaux.
Ces importants stocks seront conservés à l’entrepôt de réserve générale
de la Ferté Hauterive. Pour des raisons tactiques, 90 % des stocks seront constitués avec du phosgène et de l’ypérite.
Les autres seront probablement détruits par noyade en mer.
Utilisation de l'arme chimique
dans la guerre du Rif, 1921-1926.
La guerre du Rif fut une guerre coloniale qui
opposa, entre 1921 et 1926, les tribus rifaines aux armées
espagnoles et françaises (à partir de décembre 1924), dans la région
géographique du Rif, au nord du Maroc. Les deux armées européennes
agirent de manière officielle, en vertu des accords du protectorat
passés par le sultan du Maroc, avec la France et avec l'Espagne.
L'Espagne utilisa des gaz de combat contre des
tribus berbères qui refusaient l'autorité de Madrid. Elle utilisa l’arme chimique de façon
certaine à partir de l’été 1924, mais des témoignages, des
articles de presse et de nombreux documents font état d’utilisation antérieure,
dès 1921, grâce au soutien de la France. En 1921, l’Espagne demanda à l’Allemagne, de lui
livrer des gaz de combat. Le 10 juin 1922, un accord
fut signé entre l'Allemagne et l'Espagne pour la construction d'une
usine chimique et la livraison de toxiques dans l'attente de la
production de cette usine, ou de précurseurs de la synthèse de
l'Ypérite comme le thiodiglycol. Avec l’aide d’un chimiste
allemand, Hugo Stoltzenberg, elle monta une usine de production près
de Madrid, la Fabrique nationale de produits chimiques. Hugo
Stoltzenberg participa à l'élaboration de bombes d'aviation
destinées à l'épandage d'Ypérite.
L’Allemagne, bien que le traité de Versailles le lui interdisait,
livra très probablement des substances toxiques à partir de 1923 ;
500 à 600 tonnes de phosgène provenant des stocks résiduels de
1918.
L’Espagne aurait utilisée de l’Ypérite, du phosgène, du
di-phosgène, de la chloropicrine.
Les armées françaises sont fortement suspectées
d’avoir utilisé de l’Ypérite et du phosgène. Selon les
travaux de Rudibert Kunz et Rolf-Dieter Müller,
journalistes allemands, l'Espagne disposait de munitions chimiques
dès l'été 1921, grâce au soutien de la France qui les lui
fournissait.
Le 24 juillet 1922, le Caïd Haddou
Ben Hamou, dans une correspondance destinée à Abdelkrim,
écrit : "Je t'informe qu'un
bateau français a transporté 99 quintaux de gaz asphyxiant pour
le compte des espagnols. Le dit chargement est arrivé à Melilla
le 16 juin du courant mois (...).
Les
Espagnols ont adopté cette mesure, alors que les Français
ont refusé de l‟employer eux-mêmes". De nombreux
documents attestent de la livraison de projectiles chimiques de la
France à l'Espagne, en 1921 et 1922 .
Les allégations d'utilisation
d'armes chimiques par les armées françaises concernent la région
de Fès en 1925. Selon l'auteur Espagnol Maria
Rosa de Madariaga (Abdelkrim El-Khattabi, La lutte pour l’indépendance,
Éd. Alianza Editorial, Madrid, 2009), en 1925, Lyautey aurait demandé au Président du Conseil Paul Painlevé,
l'envoi d'obus à Ypérite.
Les archives françaises conservent
la trace de l'envoi de munitions chimiques à Casablanca, à la
suite de cette demande. Un document du 23 mai 1925, émanant de Paul
Painlevé, alors Président du Conseil et Ministre de la guerre,
adressé au commandant d l'ERG de la Ferté Hauterive, demande
l'expédition de 2000 obus de 75mm chargés en phosgène et de 2000
obus chargés en Ypérite à destination du Parc d'Artillerie
régional de Casablanca. Un deuxième document demande l'expédition
urgente de 40 000 masques ARS, 500 paires de moufles et 600
bourgerons, destinés à la protection contre l'Ypérite.
Lien externe : Guerre
chimique contre le Rif
23 Mai 1925
Ministère de la Guerre, Direction
de l’Artillerie, 2ème Bureau, Matériel, 9ème
Section.
Le Président du Conseil, Ministre
de la Guerre à Monsieur le Commandant de l’ERG de la Ferté-Hauterive.
Je vous prie de
faire expédier au Parc d’Artillerie régional de
Casablanca, à destination du Port de Kenitra après entente
avec le parc d’artillerie régional de Marseille (Service
du transit) en ce qui concerne
la date d’expédition.
1°) 2 000
cartouches de 75 à obus spéciaux N°5 et 2 000
cartouches de 75 à obus spéciaux N°20 avec fusées
correspondantes…/
Pour le Ministre et par son ordre,
Le Général Directeur de l’artillerie. P.P. le Colonel
Chef du Bureau.
Signé De Sablet |
23 Juin 1925
Ministère de la Guerre, Direction
de l’Artillerie.
Le Président du Conseil, Ministre
de la Guerre à M. le Commandant de l’Entrepôt de Réserve
Générale de matériel d’Aubervilliers.
Je
vous prie de faire expédier d’urgence au Parc Régional
de Casablanca, à destination du Port de Kenitra, et après
entente avec le Commandant du Parc d’Artillerie Régional
de Casablanca (Service en Transit) :de 40 000
masques ARS, de 500 paires de moufles, de 600 bourgerons et
de pièces détachées pour les masques… |
NB : document aimablement communiqués par Mr XXX
; source : SHD
|
1925 - Le protocole de Genève
En 1920, la Société des Nations, sous l'égide de la Commission
pour la réduction des armements, engageait une réflexion devant
aboutir à la prohibition internationale des gaz de combat. Une
conférence consacrée au commerce internationale des armes s'ouvrit
à Genève en 1925. Après d'âpres négociations, un texte
concernant la guerre chimique fut adopté sous le terme de Protocole
de Genève :
Considérant
que l'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou
similaires, ainsi que de
- Considérant
que l'interdiction de cet emploi a été formulé dans des traités
auxquels sont
Parties
la plupart des Puissances du monde ;
- Dans
le dessein de faire universellement reconnaître comme incorporé
au droit international
cette
interdiction, qui s'impose également à la conscience et à la
pratique des nations,
-
- DÉCLARENT:
- Que
les Hautes Parties contractantes, en tant qu'elles ne sont pas déjà
parties à
des
traités prohibant cet emploi, reconnaissent cette interdiction,
acceptent d'étendre
cette
interdiction d'emploi aux moyens de guerre bactériologiques et
conviennent de se
considérer
comme liées entre elles aux termes de cette déclaration.
- Les
Hautes Parties contractantes feront tous leurs efforts pour
amener les autres États à
adhérer
au présent protocole. Cette adhésion sera notifiée au
Gouvernement de la République
française
et, par celui-ci, à toutes les Puissances signataires et adhérentes.
- Elle
prendra effet à
dater
du jour de la notification faite par le Gouvernement de la République
française.
- Le
présent protocole, dont les textes français et anglais feront
foi, sera ratifié le plus tôt
possible.
Il portera la date de ce jour.
- Les
ratifications du présent protocole seront adressées au
Gouvernement de la République
française,
qui en notifiera le dépôt à chacune des Puissances
signataires ou adhérentes.
Le gouvernement français en est le dépositaire. La France
ratifia le Protocole le 26 mai 1926 avec ces réserves :
- Ledit protocole
n'oblige le Gouvernement de la République française que vis-à-vis
des États qui
l’ont signé et ratifié, ou qui y auront adhéré ;
Ledit protocole
cessera de plein droit d'être obligatoire pour le Gouvernement
de la
République française
à l'égard de tout État ennemi dont les forces armées ou dont
les Allies
ne
respecteraient pas les interdictions qui font l’objet de ce
protocole.
-
-
Le protocole fut signé par près de 40 pays, dont la France et
l'Allemagne. Il ne comprenait malheureusement aucune procédure de
vérification, ni aucune sanctions en cas de violations. De plus, la
France se réserva le droit de conserver des moyens de représailles
à l'égard de tout ennemi en cas de violations du protocole ; ce
qui impliquait de conserver des capacités de réplique immédiates.
Au moment de leur adhésion, de nombreux États firent, comme la
France, des réserves par lesquelles ils se réservaient le droit de
riposter avec des armes chimiques contre toute attaque chimique lancée
contre eux ou contre des pays non membres du Protocole. Nombre de
ces réserves furent toutefois retirées par la suite.
Ainsi, de nombreux états, dont la France, poursuivirent leurs
activités de recherches tandis que la confidentialité entourant le
domaine de la guerre chimique était portée à un degré absolu. En
effet, même si le protocole ne condamnait que l'emploi de l'arme
chimique, il eut été particulièrement délicat pour un état
signataire de révéler ou même d'être soupçonné de continuer
des recherches dans le domaine offensif.
En février 1932, une Conférence du désarmement se réunit à
Genève, où se dessina l'objectif de trouver des modalités à la
prohibition de l'arme chimique. De profondes divergences devaient naître
sur les modalités d'application et de vérification.
Certains Etats, comme la France, souhaitaient un régime
d'inspection internationale ayant la capacité de surveiller les
industries chimiques dans tous les pays signataires, d'autres y
étaient farouchement opposés.
Le 14 octobre 1933, l'Allemagne quitta la conférence du
désarmement et la Société des Nations dans la foulée. Six mois
plus tard, refusant de cautionner le réarmement de l'Allemagne, la
France déclarait assurer sa sécurité par ses propres moyens :
Respectueux des engagements internationaux auxquels la France
a souscrit, le gouvernement français s'efforcera au début d'une
guerre et d'accord avec ses alliés, d'obtenir des gouvernements
ennemis l'engagement de ne pas user des gaz de combat comme arme de
guerre. Si cet engagement n'était pas tenu, il se réserve d'agir
suivant les circonstances.
Étrange paradoxe, quand le concept de dissuasion était encore
une notion floue... La signature du protocole et la position
française défendue à la Conférence de 1932 sur le désarmement,
interdisait à la France d'être soupçonnée de mener un programme
de recherche offensif, alors que la détérioration des relations
franco-allemandes et les insuffisances du Protocole de Genève imposait la mise sur pied d'un arsenal chimique
visant à assurer sa sécurité en cas de violation des accords
internationaux.
En 1936, le protocole devait montrer ses limites et prouver qu'il
ne constituait à lui seul aucune garantie suffisante permettant de
faire l'économie d'une force de représailles. L'Italie avait
ratifié le protocole en 1928 ; mais en 1935, les forces
armées de Mussolini sous le commandement du général Badoglio,
n'hésitèrent pas à larguer 700 tonnes d'Yperite sur les forces éthiopiennes, qui ne possédaient aucun moyen de défense et de
riposte. L'Éthiopie protesta, apporta des preuves irréfutables
auprès de la Société des Nations et du Protocole. La communauté
internationale s'indigna et décréta, par la voix de la Société
des Nations, un embargo. Cette mesure fut sans effet et quelques
mois plus tard, l'Italie annexa l'Abyssinie, consacrant la déchéance et
l'impuissance des institutions internationales. Dès lors, le
Protocole et les conventions discréditées, et face à la menace du
réarmement de l'Allemagne, la constitution d'un arsenal de sanction
immédiat s'imposait pour les autorités militaire
françaises.
|
A l'Armistice de 1918, les stocks de munitions chimiques, tant dans
différents parcs d'artillerie qu'à l'ERG de la Ferté-Hauterive,
étaient les suivant :
Stocks de munitions chimiques à l'Armistice |
75mm |
2 900 000 |
105mm |
30 000 |
120mm |
135 000 |
145mm |
85 000 |
155mm |
790 000 |
total : |
3 970 000 |
Ces munitions chimiques furent l'objet de nombreuses attentions. Le phosgène se conservait très bien,
mais l’ypérite avait tendance à s’épaissir ; on détermina qu’elle
ne conservait que 50 % de ses propriétés lors des tirs d'essais effectués
annuellement. Delépine réussit à mettre au
point, par un procédé de distillation, une méthode permettant de la
stabiliser et de traiter l’importante quantité non chargée en obus. Ce
problème de conservation de l'Ypérite devait devenir de plus en plus préoccupant
; il fut imputé au mode de synthèse de l'Ypérite au bichlorure de
soufre, qui attaque le métal des obus pour donner naissance à des
produits goudronneux.
Situation des
approvisionnements en projectiles toxiques à l'ERG de la Ferté-Hauterive
- 1925 |
Matériel |
Chargement |
Quantité |
75 non encartouchés |
Produit n°4B (Vitrite) |
66 900 |
|
|
|
75 encartouchés |
Produit n°5 (Phosgène) |
4 296 |
75 non encartouchés |
Produit n°5 (Phosgène) |
981 442 |
105 |
Produit n°5 (Phosgène) |
42 |
120 |
Produit n°5 (Phosgène) |
44 390 |
145 |
Produit n°5 (Phosgène) |
41 |
155 |
Produit n°5 (Phosgène) |
201 100 |
|
|
|
75 non encartouchés |
Produit n°7 (chloropicrine) |
6 000 |
120 |
Produit n°7 (chloropicrine) |
36 100 |
155 |
Produit n°7 (chloropicrine) |
61 000 |
|
|
|
75 non encartouchés |
Produit n°16(Rationite) |
18 000 |
155 |
Produit n°16 (Rationite) |
1 200 |
|
|
|
75 en cartouchés |
Produit n°20 (Yperite) |
34 400 |
75 non encartouchés |
Produit n°20 (Yperite) |
802 500 |
155 |
Produit n°20 (Yperite) |
25 200 |
|
|
|
75 non encartouchés |
Produits n°21 (Cyanure de benzyle) |
75 300 |
155 |
Produits n°21 (Cyanure de benzyle) |
8 750 |
A cette date, il restait encore dans différents
parcs d'artillerie, un total de 13 850 tonnes de munitions chimiques
diverses, ainsi réparties :
1 000 tonnes au PA de Langres, 1 000 tonnes au PA de
la Fère, 11 000 tonnes au PA de Toul, 300 tonnes au PA de Strasbourg et
350 tonnes au PA d'Epinal.
Les différents chargement conservés étaient les
suivants :
Chargement toxiques réglementaires 1919-1938 |
Produit |
Code |
Composition du chargement |
Effets |
Vitryte ou chlorure de cyanogène |
4B MGM |
70% de cyanogène (Mauguinite)
30% de trichlorure d'arsenic |
Toxique cellulaire incapacitant et mortel, fugace. |
Collongite ou Phosgène |
5 CO ou CM |
CO : phosgène et tétrachlorure d'étain (Collongite
Opacite)
CM : phosgène et trichlorure d'arsenic (Collongite Marsite) |
Toxique suffocant, fugace. |
Aquinite ou chloropicrine |
7 AO |
75% de trichloronitrométhane (Chloropicrine et
Aquinite) et 25% de tétrachlorure d'étain (Opacite) |
Toxique, suffocant, lacrymogène, persistant mais
d'agressivité immédiate. |
Rationite ou Sulfate de Diméthyle |
16 R1, R2, R3 |
80% de sulfate de diméthyle et 20% de chlorhydrine
sulfurique. |
Toxique persistant, d'agressivité immédiate. |
Ypérite ou sulfure d'éthyle dichloré |
20 YT ou YM |
Sulfure d'éthyle dichloré en mélange avec du
dichlorobenzène. |
Vésicant d'agressivité retardée. |
Camite ou bromocyanure de benzyle |
21 CA |
87% de bromocyanure de benzyle dans 13% de
chloropicrine. |
Toxique, très irritant, persistant, d'agressivité
immédiate. |
En 1930,
les reliquats des stocks du Premier conflit mondial, représentaient encore : 2 500 000 coups de 75
mm, 27 000 de 105, 106 000 de 120, 76 000 de 145 et enfin 580 000 de 155. A
cette époque, on avait d’ailleurs conservé un potentiel de production de
toxiques permettant la fabrication et le chargement de 472 000 obus par mois. La
production de toxiques pouvait être assurée soit par la poudrerie d’Angoulême
(notamment pour l’ypérite), soit par des établissements privés comme
Poulenc. La fabrication de chloropicrine, de rationite et de bromure de benzyle
pouvait être immédiatement démarrée.
Le chargement de ces obus se
répartissait, alors pour 50% en phosgène, 40% en Yperite et 10% en chargements
divers. Il ne s'agissait que de munitions issues des fabrications de
guerre. Tous les lots jugés comme "périmés" ou sujet à des
fuites furent progressivement écartés. Puis, tous les stocks disponibles
sur le territoire furent regroupés à La Ferté-Hauterive.
Situation des
approvisionnements en projectiles toxiques à l'ERG de la Ferté-Hauterive
- 1930 |
Matériel |
Chargement |
Quantité |
|
|
|
75 encartouchés |
Produit n°5 (Phosgène) |
7 523 |
75 non encartouchés |
Produit n°5 (Phosgène) |
1 053 530 |
105 |
Produit n°5 (Phosgène) |
0 |
120 |
Produit n°5 (Phosgène) |
70 094 |
145 |
Produit n°5 (Phosgène) |
76 525 |
155 |
Produit n°5 (Phosgène) |
0 |
|
|
|
75 non encartouchés |
Autres |
233 882 |
120 |
Autres |
36 100 |
|
|
|
75 en cartouchés |
Produit n°20 (Yperite) |
37 220 |
75 non encartouchés |
Produit n°20 (Yperite) |
859 952 |
105 |
Produit n°20 (Yperite) |
19 532 |
155 |
Produit n°20 (Yperite) |
579 932 |
|
|
total : 3 171 000
Environ 41 000 tonnes
|
Une grande inquiétude s'installât, relative à la conservation des
propriétés agressives de ces obus. A cet effet, des tirs de contrôle
annuels étaient réalisés ainsi que des inspections soignées des
projectiles. Cette même année, en 1930, 74 407 obus de 75mm et 27 304 obus de 155
furent détruis par noyage en mer. Dans les années suivantes, il fut
décidé de ne conserver que les chargements en Yperite et phosgène, mais l'Yperite perdait irrémédiablement une
partie de ses propriétés.
Evolution du stock de
munitions chimiques 1920-1930 |
Calibres |
1920 |
1930 |
différentiel |
75mm |
2 900 000 |
2 192 000 |
708 000 |
105 |
30 000 |
19 500 |
10 500 |
120 |
135 000 |
106 000 |
29 000 |
145 |
85 000 |
76 000 |
9 000 |
155 |
791 000 |
580 000 |
210 000 |
total |
3 970 000 |
2 973 500 |
996 500 |
Probablement à partir de 1935, on décida de
relancer le chargement
de munitions en Ypérite, dans le but de pallier à cette
perte de propriétés agressives. L'ateliers de chargement existant du
fort d'Aubervilliers fut remis en état, et deux nouveau ateliers furent
organisés, à Pont-de-Claix et Angoulême. La capacité théorique de ces ateliers
était alors de 472 000 obus chimiques par mois ; la capacité de
l'atelier de chargement de Pont-de-Claix devait atteindre plus de 350 000
projectiles par mois en cas de mobilisation. Il devait également
produire 1 000 000 grenades d'aviation par mois, chargées en Yperite,
près de 5 000 bombes chargées en phosgène par mois. Ces chargements
restèrent probablement peu important et largement en dessous des
capacités de productions, jusqu'en 1938. Ils devaient fortement
s'intensifier par la suite.
Marquage des obus spéciaux :
A partir de 1921, une instruction précise les
modalités de marquage à froid sur les obus chimiques, à porter à
un cm en dessous du joint de la gaine. Cette marque comporte en
caractère de 1cm de hauteur, une croix suivie des indications
relatives au numéro de classification du produit de chargement.
|
Le réarmement chimique à travers le monde, à la
veille de la Deuxième Guerre mondiale L'Allemagne entreprit des essais sur l'arme chimique dès 1922.
En 1926, un laboratoire de recherche sur la guerre chimique fut
créé à Berlin et dès la fin de cette même année, un programme offensif était lancé. En 1926, un accord
secret fut
trouvé avec l'union soviétique pour un centre commun de
fabrication, d'essais et d'expérimentation d'armes chimiques à
Shikhani, près de Volsk ; le projet portait le nom de Tomka. Les
nazis, dans le cadre du réarmement de l'Allemagne,
s'intéressèrent de plus près à l'arme chimique à partir de 1934. Un
nouveau centre d'essais fut créé sur un site déjà marqué par
l'arme chimique, le centre d'essais de Breloh situé à Lüneburg en
Saxe. En 1937, les chercheurs de l'I.G.Farben découvraient le
premier neurotoxique, le tabun. En 1939, 10 000 à 12 000 tonnes d'agents
chimiques, dont 80% d'Yperite, constituaient l'arsenal allemand, essentiellement
constitué de stocks non chargés en projectiles. Le
Sarin puis le soman furent découvert pendant le conflit. Ils
produisirent à partir de 1942 et jusqu'en 1945, 30 000 tonnes de
tabun, et probablement 7000 tonnes de sarin. Au début de 1945, le stock de gaz
de combat était évalué à 65 000 tonnes.
La Grande-Bretagne lança un programme de réarmement chimique
qu'à partir de 1936, mais devait rencontrer de grosses difficultés
dans sa réalisation. En 1939, ses stocks ne dépassaient pas 500
tonnes de toxiques constitués presque exclusivement d'Yperite. Elle
ne réussit à constituer que 2 000 tonnes de stocks, près de deux
années plus tard, en janvier 1941.
L'Italie révéla la capacité et la force de son programme
chimique lors de la guerre d'Abyssinie où les forces armées
italiennes larguèrent par épandage aérien 700 tonnes d'Yperite
sur les troupes éthiopiennes (15 000 victimes).
Le Japon était particulièrement bien préparé et possédait un
arsenal chimique développé, et de nombreux vecteurs de
dissémination. Son programme chimique semble avoir débuté au
début des années 1920 pour s'accroître jusqu'à la veille du
conflit.
Les soviétiques développèrent un programme conséquent dès
1920, en collaboration avec l'Allemagne dans un premier temps. Ils
disposaient depuis le début des années 1930 de tous les agents
modernes (Yperite, Lewisite, chloropicrine, phosgène) et de nombreux
vecteurs de dissémination.
|
En France, un vaste programme industriel fut activé à partir
de 1936, montant en puissance d'années en années. Plusieurs sites datant
de la Première Guerre furent réactivés, mais surtout, deux nouvelles
poudreries devaient être entièrement dévolues à la fabrication de gaz
de combat avec des capacités de production jamais atteintes jusque là,
Boussens et Mauzac.
A l'aube de la Deuxième Guerre Mondiale, le plan de
mobilisation de 1939 prévoyait alors, en moins d'une année, d'arriver sur
le territoire français à une capacité de production permettant de
fabriquer et de charger en projectiles plus de 50 000 tonnes de gaz de
combat par an, 4 200 tonnes par mois. L'équivalent de plus du double de
la totalité des agressifs utilisés par les armées françaises durant la
Première Guerre mondiale, plus de la totalité de ceux produits par
l'Allemagne durant la même période.
En 1939, la France était probablement le seul état à
se doter d'un arsenal chimique permettant de mener une guerre chimique
extensive à court terme. Paradoxalement, la découverte de l'ampleur de ce réarmement
par les forces allemandes en 1940, participa très probablement à
écarter la perspective de l'utilisation des gaz de combat sur le théâtre
des opérations en Europe jusqu'en 1945, en donnant une vision erronée
aux Allemands des capacités chimiques de ses adversaires.
Ainsi, contrairement à une idée extrêmement
étendue, le programme de réarmement chimique français à
l'aube de la Seconde Guerre mondiale, fut probablement le programme
le plus avancé et le plus important de l'ensemble des pays
industrialisés. Les travaux débutés depuis
1922 avaient débouchés sur la mise au point de substances toxiques
extrêmement puissantes, pratiquement à la hauteur des premiers neurotoxiques
allemands. Avant 1939, leur synthèse industrielle était en passe
d'être maîtrisée et une étude complète de leurs propriétés
avait débouchée sur une militarisation parfaite de leurs moyens de
dispersion. Devant l'échec des négociations sur le désarmement chimique
internationale, la constitution de stocks chimiques nécessaires
pour mener une guerre chimique extensive, était en cours au début
des hostilités de la Deuxième Guerre mondiale. |
Un bref aperçu de la question des gaz de combat pendant la campagne de 1939
à 1940.
Durant l’entre-deux guerres, l’organisation du Service
des gaz aux armées sera remaniée, de façon à lui donner plus d’autonomie
vis-à-vis du Service de santé. Il ne s’en séparera cependant jamais, les
personnels incontestablement les plus qualifiés restant dans ce domaine les médecins
et surtout les pharmaciens. Ces derniers se voyaient spécifiquement attribué
le problème de la détection et de l’identification des gaz de combat.
Dès le début des hostilités, le gouvernement français réaffirma son
intention de respecter les engagements internationaux et le Protocole de
Genève. Il n'utiliserait l'arme chimique qu'en cas de représailles.
En 1939, la France mobilisait. L’organisation générale
des services Z n’était pas très différente de celle de la première guerre :
l’I.E.E.C. se voyait complétée par différents organismes comme la
Commission d’expérimentation du matériel Z et différents conseils
scientifiques et techniques. Les centres médico-légaux étaient remplacés par
les Inspections Z régionales mais gardaient les mêmes fonctions. On retrouvait
des médecins Z et des pharmaciens Z à tous les échelons, de l’armée au régiment.
La formation de ces cadres était réalisée avec soin. Le service de santé
possédait des Sections d’hygiène de lavage et désinfection (S.H.L.D.) chargées
de désinfecter le terrain en cas d’attaque par toxique, ce qui lui permettait
de conserver son personnel purement médical en vue de ses tâches spécifiques,
en cas d’attaque chimique. Le matériel de protection individuel avait été
mis au point par les spécialistes les plus compétents dans ce domaine.
La
Ligne Maginot, qui devait éviter le risque de percée du front en cas
d’attaque brusquée, avait été pensée et construite du mieux que l’on
pouvait. Elle était équipée, du plus gros de ses ouvrages jusqu’au plus
petit bloc situé dans les intervalles, d’un système de filtration complexe
la mettant à l’abri des attaques de gaz et de jets de liquides enflammés.
Cependant, sur ce sujet, l’avis des commandants du Génie de plusieurs
ouvrages n’était pas unanime après plusieurs exercices en temps de guerre. A
l’ouvrage d’Anzeling, l’alerte contre les gaz était donnée par le
commandant du Génie depuis un émetteur spécial. Chaque bloc recevait alors un
message visuel et sonore auquel il devait accuser réception. Seulement, dans la
pratique, cet accusé était rarement donné et compromettait la rapidité et la
sûreté de l’alerte, tout simplement parce que l’appareillage de détection
donnait lieu à de nombreuses alertes intempestives, si fréquentes que certains
chefs de blocs débranchaient l’appareil sonore d’avertissement, le jugeant
évidemment trop bruyant...
La crise de l'hydrogène arsénié.
Puis, durant l’hiver 1939-1940, plusieurs coups de mains
étant réalisés du côté des lignes allemandes, on trouva des bouteilles de gaz
comprimé renfermant un mélange à base d’hydrogène arsénié. Il n’en
fallut pas plus pour déclencher une véritable crise au sein des Services
chimiques français, l’hydrogène arsénié étant un toxique redoutable, mais
surtout très mal retenu par les appareils protecteurs alors en usage
L'hydrogène arsénié avait été activement étudié au
Bouchet. Sa toxicité était en effet deux fois supérieure au phosgène, il se
conservait en chargement liquide dans le corps d'obus et il résistait à
l'explosion du projectile. Son utilisation comma agressif fugace était donc
tout à fait envisageable.
Sa volatilité et son
instabilité (il s’agit d’un gaz facilement inflammable) l’avaient fait écarter
des produits d’agression dès le début des recherches en ce sens, et aucun
moyen de protection n’avait alors été mis au point. Il semblait peu probable
que le produit puisse être utilisé contre des troupes à l’air libre, mais
dans la fortification, il pouvait avoir des effets dramatiques. L’inefficacité
de la filtration existante nécessiterait, en cas d'attaque avec ce toxique, l’arrêt de la ventilation des blocs et devait
conduire à l’arrêt des combats, et même à l’arrêt de la production d’énergie
électrique par la centrale « diesel-électrique ».
Toute confusion
avec une attaque aux gaz « normale » serait mortelle pour tout l’équipage
de l’ouvrage. Une alerte spéciale sera donc créée, avec une codification très
particulière pour éviter toute confusion. On chercha également à mettre au
point un détecteur d’hydrogène arsénié. On le caractérisait selon la méthode
dite de Denigès, améliorée par Labat et un de ses collaborateurs, Dufilho. Un
papier réactif à l’iodure mercurique virait jusqu’au jaune-brun par
formation du complexe AsH(HgI)2. On réalisa des appareils à détection
continue, confectionnés à l’aide de bidons d’essence remplis d’eau, se
vidant goutte à goutte et aspirant ainsi l’air extérieur, d’une manière
continue, à travers des tubes contenant le papier réactif. Dans tous les
ouvrages, un détecteur de ce genre sera installé devant chacune des entrées.
La crise de l'hydrogène arsénié vue par le colonel
Kasper, commandant du Génie à l'ouvrage de l'Anzeling :
Affaire de l'hydrogène arsénié.
Courant septembre ou octobre 1939, l'officier Z du secteur confie au
chef du service de sécurité que les Allemands disposent d'un gaz de
combat nouveau, qui n'est "adsorbé" ni par les cartouches des
masques ARS, ni par les boîtes filtrantes à grand débit des ouvrages :
il s'agit de l'hydrogène arsénié, gaz toxique à odeur d'ail. D'après
cet officier, les Allemands pourraient répandre massivement ce gaz, sur
la ligne Siegfried, par de multiples points de déversement desservis par
canalisations enterrées. Y aurait-il relation entre cette surprise et
l'arrêt de l'avance en Sarre ? Cette question, que l'on se pose à ce
moment, n'est pas dénuée de sens...
Pour parer au danger qu'une attaque par ce gaz ferait courir à
l'ouvrage, l'officier Z du secteur donne des instructions pour la
création d'une alerte "Protection spéciale", en attendant que
les boîtes filtrantes aient été munies du produit neutralisant
approprié (il s'agit bien d'une neutralisation chimique, et non d'une
"adsorbtion").
Pour éviter toute confusion avec une attaque par gaz retenu par les
boîtes filtrantes, l'alerte spéciale ne se transmet que par téléphone.
(...)
|
L’IEEC ainsi que tous les laboratoires d’armée, cherchèrent également à
neutraliser l’hydrogène arsénié au travers de la cartouche filtrante du
masque. Il semblait impossible de mettre en fabrication une nouvelle cartouche
filtrante, le temps de sa conception l’interdisant. La neutralisation chimique
se réalisait par des solutions oxydantes, de permanganate de potassium
notamment. On réalisa donc une bonnette en tissu spécial, remplie de déchets
végétaux imprégnés de substance neutralisante. La bonnette se fixait sous la
cartouche filtrante 35 M de l’ANP 31, grâce à une attache métallique et un
cercle de caoutchouc. Elle assurait, entre autres, une meilleure filtration des
arsines. Cette bonnette sera baptisée modèle 1939, date à laquelle elle avait
été adoptée et rapidement mise en fabrication. Les premiers exemplaires
seront mis à disposition du GQG le 15 février 1940. Elle sera massivement
distribuée aux armées à partir du 15 mars ; 2 300 000 exemplaires auront
été distribués jusqu'à la fin de la campagne.
Les caisses filtrantes des
ouvrages de la Ligne Maginot ne seront pas transformées, la manœuvre n’étant
pas réalisable rapidement, et la neutralisation de l’hydrogène arsénié par
les bonnettes ne semblant pas être complètement efficace. En cas d’attaque
de la Ligne, la ventilation des ouvrages devait être coupée, et toutes les
armes des blocs devaient faire feu pour enflammer le gaz à l’extérieur.
Heureusement, il ne semble pas qu’une attaque par gaz ait été tentée durant
la campagne de mai-juin 1940. Peut-être les Allemands se réservaient-ils
l’usage de leur nouveau toxique en cas d’échec de leur percée ?
Par ailleurs, il fut découvert ultérieurement que
les Allemands avaient développés une petite quantité d'un arséniure de
magnésium et d'aluminium dénommé Aéroform, ou produit T.300. Répandu
sur le sol humide, il dégageait de l'hydrogène arsénié et permettait
de réaliser rapidement des concentrations mortelles d'hydrogène
arsénié. Il semble que sa production ne put pas être développée faute
de quantité suffisante d'arsenic.
|
 |
|
|
Ci-dessus : Essais d'un dispositif émetteur de fumigènes
toxiques pour camion, entre 1930 et 1940. Le brouillard ainsi formé
pouvait servir d'écran fumigène, ou de vague gazeuse toxique dérivante.
A noter que le 4iem Groupe autonome d'artillerie, en charge en 1940 de
l'émission de substances toxiques, était nommé "groupe
fumigène". |
|
Immanquablement, il était maintenant pratiquement
certains pour l'Etat major français que l'Allemagne ne respecterait pas
ses engagements et que les combats à venir allaient à nouveau être
marqués par l'utilisation de gaz de combat.
Devant l’immobilité des combats depuis le début de la
guerre, une tentative de percée semblait se dessiner au niveau du GQG français
à partir du printemps 1940. On avait étudié l’intérêt que pourrait représenter
l’utilisation des gaz de combat dans cette tentative. De nombreuses études météorologiques
avaient été entreprises dès le début des hostilités pour savoir si les
vents dominants des régions de la Ligne Maginot se prêtaient à une attaque
brusquée par gaz de combat, aussi bien française qu’allemande.
Tous les
rapports ainsi établis concluaient en ces termes « Les vents de nord-est et de l’est sont très rares sauf pendant les
grands froid de l’hiver. La propagation des gaz à d’aussi grandes
distances, à travers les nombreuses régions boisées, demande des conditions
favorables exceptionnelles ». La réalisation d’une attaque par
vague ne semblait donc pas être à craindre de la part des Allemands, mais ne
semblait pas non plus réalisable par les Français. Par contre, les vents
dominants avantageaient 8 fois sur 10 les Français, puisqu’ils soufflaient
beaucoup plus souvent vers l’Allemagne qu’inversement.
Réactualisation des stocks d'armes chimiques
en France et mise sur pied d'une capacité de riposte chimique.
En 1940, il
n’existait (à notre connaissance) qu’un seul organe chargé de l’émission de substances
toxiques. Il s’agissait du 4e Groupe Autonome d’artillerie,
stationnant alors à Bruyères, près de Laon. Début avril 1940, le GQG y
enverra plusieurs observateurs pour y étudier ses possibilités et établir
comment le rendre opérationnel. Le groupe manquait alors cruellement de moyens
et on décida de lui fournir ce qui lui manquait. La suite des événements ne
lui laissera pas le temps nécessaire à son entraînement, malgré la réception
de matériel.
Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la France possédait
un stock de munitions chimiques hérités de 14-18,
stocké dans un Etablissement de réserve général (ou ERG) particulier,
dédié aux munitions chimiques, l'ERG Munitions de la Ferté-Hauterive.
Les recherches menées sans discontinuité depuis
1920 sur les agressifs chimiques, débouchèrent sur l'adoption de nouveaux
chargements, désignés par une nouvelle nomenclature et de nouveaux
codes. La tactique d'utilisation de l'arme chimique fut également
réactualisée, comme les modalités de réglage des pièces d'artillerie. Les nouveaux chargements
ne comprenaient plus de fumigène dans le but de dissimuler plus
facilement à l'adversaire l'utilisation de projectiles chimiques. Ces
dispositions furent progressivement introduites à partir de 1935. Les
anciens numéros-code furent remplacés par des lettres. Les obus étaient
ainsi identifiés par leur peinture, leurs marquages à la peinture du
chargement sous forme de lettre, leur atelier de chargement, leur numéro
de lot et leur année de chargement. Au niveau de l'ogive, depuis 1921, un
marquage à froid précédé d'une croix reprenait le code lettre du
chargement.
Les munitions du Premier conflit devenaient
obsolètes, aussi il fut lancé un vaste programme de réarmement
chimique, passant par la construction de nouveaux complexes devant assurer
la production en masse des toxiques, et par la mise sur pied de nouveaux
ateliers de chargement. Cet aspect est développé dans le chapitre
suivant.
Nouveaux chargements adoptés en 1939 |
C - obus n°5 |
Pour Collongite, chargement en Phosgène
probablement additionné d'un autre corps, le rendant plus
agressif. |
Y - 20 |
Ypérite et solvant (dichlorobenzène). Les études menées depuis 1920
visaient à rendre l'Ypérite exempt d'impuretés par différents
procédés de distillation. Le procédé présentait la
particularité de rendre le toxique plus résistant et moins
odorant. |
Yp |
Ypérite épaissi au Rhodopas. Cette nouvelle
Ypérite pâteuse, présentait
l'avantage d'être extrêmement indisieuse et résistante dans
l'environnement. Elle n'agissait que par contact direct sur la
peau avec des
effets retardés. |
H - 886 |
Trichloroéthylamine ou HN-3, Ypérite à l'azote,
produit n°886. Extrêmement insidieuse, vésicante et très
suffocante, indétectable à l'odeur avec des effets très
marqués sur les yeux. |
L - V201 - obus n°31 |
Lewisite (ou V-201).
Vésicante et non insidieuse (action suffocante immédiate et
odeur de géranium très marquée). |
A - J101 - obus n°41 |
Adamsite, irritant respiratoire (sternutatoire)
chargé dans un projectile à dépotage arrière. Le pot fumigène
ainsi largué se consumait au sol en émettant un nuage toxique. |
La mobilisation déclenchait le programme de
fabrication de mobilisation, avec démarrage des usines productrices de
gaz de combat, stockage et chargement de ces toxiques.
Le programme industriel chimique allait bientôt
atteindre son régime normal, prévu pour juin ou juillet 1940, avec la
mise en service des poudreries de Boussens et Mauzac, décuplant la
capacité de riposte chimique des armées françaises.
Le stock fut donc très largement réactualisé à partir
de 1939, les reliquats du premier conflit étant jugés comme totalement
dépassés (pour mémoire, en 1930 : 2 500 000 coups de 75
mm, 27 000 de 105, 106 000 de 120, 76 000 de 145 et enfin 580 000 de 155.
En mai
1940, selon nos travaux, les productions débutées depuis peu
permettaient d'atteindre un stock de :
- 551 135 coups (munitions d'artillerie encartouchés,
prêtent à l'emploi) de calibres 75mm, chargés en produit n°20 (Ypérite).
- 92 632 coups de calibres 155mm, chargés en produit n°20 (Ypérite).
- 996 407 coups de calibre 75mm, chargés en produit n°5
(Phosgène).
- 395 000 coups de calibre 155mm chargés en
produit n°5 (phosgène).
- 66 628 coups de calibre 120mm chargés en
produit n°5 (phosgène).
- 76 193 000 coups de calibre 145mm chargés en
produit n°5 (phosgène).
Soit environ 32 000 tonnes de munitions chargées en
phosgène (représentant 80 trains chargés !).
- 236 000 coups, commandés en avril 1940 dont la
production avait débutée dans le site de production de Lannemezan, chargés en produit J.101 (Adamsite),
soit environ 120 tonnes.
- Le chargement d'un nombre indéterminé de munitions (75 encartouchés, 105
et 155), chargées en produit n°886 (trichloréthylamine) et en V201 (Léwisite)
était prévu, mais la production de ces composés dans la poudrerie de
Boussens connu des retards, si bien que les chargements n'avaient pas
réellement débutés en juin 1940 (la production de ces deux composés
n'excédait pas la tonne en mai 1940). La production de produit 1031
(chloracétophénone) était amplement débutée sur le site, mais aucun
chargement ne semble avoir débuté.
- 3 000 000 de grenades d'aviation chargées en
Ypérite (140ml de toxique),
étaient en cours de livraison. Le programme de mobilisation prévoyait un
chargement à hauteur de 1 000 000 par mois, mais les chargement qui
débutèrent au début de 1939 ne dépassaient pas 50 000 unités par
mois.
- En avril 1940, il existait également 10 000 bombes d'avion
chargées en produit n°5 (phosgène), et les livraisons se poursuivaient
(capacités théorique de chargement au plan de mobilisation de 7 500
bombes diverses et 4 000 bombes de 200kg par mois. Les chargements
débutèrent en 1938 ou au début de 1939).
- 55 000 engins Z5 chargés de 5kg d'Adamsite furent
commandés en octobre 1939. Les livraisons devaient être effectives pour
février 1940, mais des retards intervinrent, décalant les délais de
quelques mois. En mai 1940, 19 000 engins Z5 étaient disponibles, le
restant étant en cours de livraison.
Ce stock représentait près de 60.000 tonnes de
munitions et d'armes chimiques.
Inventaire des munitions chimiques disponibles en mai
1940 - Nouveaux chargements |
Matériel |
Chargement |
Quantité |
|
Bombes d'aviation (probablement du modèle de 200kg chargé
de 61 litres) |
Produit n°5 (Phosgène) |
16 100 |
|
Projectiles Livens |
Produit n°5 (Phosgène) |
|
|
Bouteilles d'acier pour la production de vague |
Produit n°5 (Phosgène) |
|
|
75A encartouchés-charge normale |
Produit n°5 (Phosgène) |
921 200 |
|
75A encartouchés-charge réduite |
Produit n°5 (Phosgène) |
75 100 |
Total 75 n°5 : 996 300 |
105A |
Produit n°5 (Phosgène) |
38 100 |
|
120 A |
Produit n°5 (Phosgène) |
485 |
|
120 FA |
Produit n°5 (Phosgène) |
66 143 |
Total 120 n°5 : 66 628 |
145A |
Produit n°5 (Phosgène) |
41 |
|
145 FA |
Produit n°5 (Phosgène) |
76 152 |
Total 145 n°5 :76 193 |
155 A (Mll 19) |
|
11036 |
|
155 A (GP) |
Produit n°5 (Phosgène) |
120 |
|
155 FA (GP) |
Produit n°5 (Phosgène) |
46 184 |
|
155 FA |
Produit n°5 (Phosgène) |
337 651 |
Total 155 n°5 : 394 991 |
240 FA |
Produit n°5 (Phosgène) |
51 |
|
Bouteilles en verre |
Produit n°20 (Ypérite) |
17 667 |
|
Grenades d'aviation |
Produit n°20 (Ypérite) |
176 00 |
|
75 A encartouchés |
Produit n°20 (Ypérite) |
551 135 |
|
105 A |
Produit n°20 (Ypérite) |
51 758 |
|
155 FA ou FAGP |
Produit n°20 (Ypérite) |
75 932 |
|
155 GP |
Produit n°20 (Ypérite) |
16 700 |
Total 155 n°20 : 92 632 |
75 encartouchés |
Produit n°886 (trichloréthylamine) |
En commande |
|
105 |
Produit n°886 (trichloréthylamine) |
En commande |
|
155 |
Produit n°886 (trichloréthylamine) |
En commande |
|
75 encartouchés |
Produit J101 |
En commande |
|
Engin Z5 |
Produit J101 |
19 000 |
36 000 unités en cours de livraison |
75 encartouchés |
Produit V201 |
En commande |
|
105 |
Produit V201 |
En commande |
|
155 |
Produit V201 |
En commande |
|
|

|
|
|
Caisse de 9 cartouches de 75mm chargées en phosgène.
921 200 coups étaient ainsi disponibles en mai 1940, à l'ERG de la
Ferté Hauterive. Cela représentait plus de 102 300 caisses de ce
type, soit, rien que pour ce modèle, plus de 840 tonnes de
projectiles.
Marquages :
Chargement : CO : pour Collongite (Phosgène ou
produit n°5, Oxychlorure de Carbone).
19B EF 40: 19 ième B lot de cartouches
de "l' Entrepôt de réserve générale de la Ferté-Hauterive"
de 1940.
AUB: Atelier de chargement d’Aubervilliers
V550 => vitesse initiale 550 m
+ + => poids de l’obus = normal
BSP => poudre B en bande
RAD D2,5 => poudre radoubée au taux de 2,5
42 32 SM => 42ième Lot de Saint Médard de 1932 |
|
Au début de
l'année 1940, les munitions toxiques du dépôt de La Ferté-Hauterive furent
délocalisées en partie, pour éviter leur destruction en cas de
bombardement allemand sur l'ERG.
Certaines furent évacuées vers les bois
de LEYDE (alentours de NEUILLY-Le-REAL), d'autres vers d'autres dépôts dont
certains furent créés pour l'occasion (comme Durbans par Assier).
Le dépôt de Pognat (Allier) devait
regrouper plusieurs centaines de milliers de munitions chargées en
phosgène ainsi que des munitions fumigènes.
Le dépôts de Chavanon
(Corrèze) regroupait près de 10 000 engins Z5.
Le dépôt d'artifices de Durbans par
Assier (Lot), situé à proximité du lieu dit La salle-Durbans, à 5km au
nord ouest de Livernon. Il contenait près de 600 000 grenades n°61
chargées en Ypérite et 9600 artifices Z5.
Le dépôt de gaz de combat de
Plaisance (Landes) permit de stocker 18 000 bombes de 200kg de
phosgène et 3000 artifices Z5. Des munitions conventionnelles y étaient
également conservées (obus de 75mm et diverses fusées). Le dépôt
était situé en bordure de la voie ferrée allant de Roquefort à
Houeïlles, environ à 12 km au nord ouest de Lapeyrade.
Le dépôt de Saint-Ours les Roches
permit de stocker 650 000 obus de 75mm chargés en Ypérite.
On trouvait également des stocks
répartis dans les différents lieux de production et de chargement, comme
la poudrerie de Sainte Livrade, l'atelier de chargement de Pont-de-Claix,
l'atelier de chargement de Lannemezan (ancien arsenal qui deviendra le
site du CM10).
Mai 1940, la campagne de France.
Le 13 mai 1940, les Allemands déclenchaient la deuxième phase de
leur plan d’invasion de la France et perçaient le front dans la région de
Longwy. Sous la pression, la 2e armée se verra contrainte de se
replier, dans des conditions parfois catastrophiques, transformant ainsi la
retraite en débâcle.
Le 4e Groupe Autonome d’artillerie prit dans
la tourmente, était passé sous les ordres du colonel De Gaulle et ne disposait
d'aucun moyen de transport propre. Il restait cependant à Bruyères près
de 18 000 (17 664) bouteilles chargées de 4 litres d'Yperite, destinées
à l'épandage massif de vésicant. Il était impensable de laisser ce stock
tomber entre les mains de l'ennemi. Le 15 mai 1940, l'alarme fut donnée et
la situation prise en main pour l'évacuation du matériel interdit.
L'opération fut programmée dans la nuit du 16 au 17 mai, mais aucun
convoi ne put parvenir à destination pour embarquer le chargement, tous les camions
ayant été détruits. Le 18 mai, seulement 21 camions avaient été
rassemblés pour commencer l'évacuation des caisses. Le lendemain, 1000
caisses étaient en sécurité ; il en restait 2500. Le 20 mai, 45 camions
démarraient à nouveau vers la même destination ; 12 arrivaient à l'heure
convenue et 33 autres seulement au petit matin. Il manquait encore 2 camions
pour charger les 80 caisses restantes. Le 21 mai, 2 derniers camions, à
peine leur déchargement réalisé, firent demi-tour et tentaient de regagner
Bruyères, mais trouvèrent la route coupée ; un chauffeur fut blessé par
une rafale de mitrailleuse. Ainsi, 320 bouteilles tombèrent aux mains des
Allemands.
L’encerclement des armées du nord-est, prises au piège
par la percée des chars de la 1e Panzer division, se confirmait.
Pour lutter contre la pression, le groupe d’armée n°3 eut l’idée, au début
du mois de juin 1940, d’utiliser des substances toxiques, notamment de l’ypérite,
dans le but de pratiquer la guerre totale. Ne pouvant assumer seul cette décision,
le général d’armée Besson en fera directement la demande, dans un courrier
daté du 3 juin 1940, au Général Commandant en chef sur le front nord-est, le
général Georges. Heureusement, le temps allait manquer pour mettre en œuvre
une opération de ce genre. La campagne de juin 1940 allait rapidement se
terminer dans les conditions dramatiques que l’on sait.
Devant la situation dramatique qui se présentait en
juin 1940, et malgré les demandent de certains généraux, la France
respecta ses engagements internationaux jusqu'au bout, ne laissant aucune
place à l'utilisation de l'arme chimique sur le champs de bataille. Il
faut dire que son programme de réarmement, débuté trop tardivement, ne
devait atteindre son plein rendement que quelques mois après ces évènements. La guerre "éclair" menée par les armées
allemandes en mai-juin 1940, ne donnait pas de perspectives tactiques
favorables à l'utilisation des munitions chimiques, sur le sol français
et au milieu d'une population civile nombreuse et omniprésente sur te théâtre
des opérations.
Quel est le devenir des stocks de munitions chimiques et
des produits agressifs ?
Cette question fait l'objet d'un blackout totale de la
part des autorités françaises, en dépit d'un risque considérable de
pollution et d'accident. Dans quelle mesure l'occupant allemand réussit-il à
récupérer les travaux français ? Est-ce la raison pour laquelle l'armée
allemande, malgré des stocks de toxiques extrêmement importants (10 000 tonnes en 1939 et 65 000 tonnes
en 1945) ne fit jamais usage de l'arme chimique ? Une partie des recherches a
t-elle pu traverser la Manche, voir l'Atlantique ? Nous tenterons de répondre
à ces questions par la suite.
Les stock de munitions
chimiques entreposés et disséminés dans toute la France, comme ceux de l'ERG de La Ferté Hauterive restèrent, pour
une partie, en place au moment de l'Armistice de juin 1940, puis furent
traités sous l'occupation pour être livrés à l'Allemagne, détruits ou
récupérés ; certains furent l'objet de tentatives de dépollution dans
l'immédiat après-guerre.
Article de presse du 17/12/2014 – La
Montagne
Des obus au gaz moutarde dans le sous-sol
de Montbeugny.
Les obus à l’ypérite
(le gaz moutarde) enterrés entre Montbeugny et Neuilly-le-Réal
sont là depuis 1940. Ils attendent la création sans cesse
promise et repoussée d’un site national d’élimination.
La Montagne
leur avait consacré un dossier en juillet 2001,
reprenant des éléments du journal Valmy
parus en 1950.
Ce dépôt d’obus
chimiques est une vieille histoire. Des correspondances, aux
archives départementales de l’Allier, en attestent. Lettre
d’un colonel au préfet, le 12 août 1943 : « le
dépôt de projectiles existant à Yzeure a été totalement évacué
sur le bois de Leyde. Ces projectiles seront traités par
l’entreprise Laroye, adjudicataire du marché de démolition ».
Le colonel Montjean au préfet le 18 juin 1947 :
« Le tonnage des munitions à démolir est le suivant :
4.700 tonnes. Le chantier de démolition se trouve dans le bois de
Leyde ». Les éts Laroye au préfet, le 17 novembre
1947 : « actuellement, le traitement des obus explosifs
tire à sa fin. Par contre, les lots de 4.000 tonnes environ
d’obus toxiques chargés en ypérite restent entiers ».
Le chantier s’est
arrêté au début des années cinquante. Beaucoup d’obus ont été
détruits. Mais certains n’ont pas pu être traités et sont réapparus
en 1992 (La Montagne du
15/12/1992), lors de travaux pour un parc de chasse. « La
pelleteuse a trouvé un obus, puis un autre », rappelle Guy
Charmetant, élu maire de Montbeugny en mars 2001. Une lettre
du 31 juillet 1992 adressée à son prédécesseur faisait
part des inquiétudes préfectorales vis à vis de ces “engins
contenant un gaz mortel”.
« J’ai exploité
12 ans un domaine à côté du terrain. Je trouvais régulièrement
des grenades. Le service de déminage de Lyon ramenait le tout.
Mais les obus d’ypérite, je ne les ai jamais vus »,
poursuit Guy Charmetant.
En 2012, le ministère
de la défense avait écrit au maire que la caractérisation
des produits enfouis est impossible sans excavation et cette
excavation n’est pas envisageable tant que les moyens de
destruction ne seraient pas opérationnels.
Renforcer la sécurité
« Ces obus
ont été fabriqués vers 1925-1930, dans le nord-est de la
France. Suite à l’invasion allemande, ils ont été
descendus à La Ferté-Hauterive puis enfouis à l’approche
des Allemands, explique Christophe Hériard, directeur de
cabinet du préfet de l’Allier. Énormément d’obus ont sûrement
été détruits. On est loin des 85.000, mais il en reste (une
estimation de 1992 évoque 600 obus sur trois rangs NDLR). Il
n’y aurait plus de charge explosive, mais il y a de l’ypérite.
On ne peut pas savoir s’il y a des fuites ». Pour le
représentant de l’État, laisser ces munitions où elles
sont tout en renforçant la sécurité du site est la
meilleure solution en attendant la mise en service du SECOIA
(site d’élimination des chargements d’objets identifiés
anciens, pour détruire les munitions) et d’une unité
mobile de démantèlement (*).
Pascal Larcher
http://www.lamontagne.fr/montbeugny/insolite/armee-conflit/2014/12/17/des-obus-au-gaz-moutarde-dans-le-sous-sol-de-montbeugny_11261792.html
|
Mobilisation
et aspect industriel de la guerre chimique, 1930-1940.
Pendant le Premier conflit mondial, la faiblesse de
l’industrie chimique sur le territoire français fut un handicape
majeur. Un programme de développement industriel sans précédent fut réalisé,
mais nécessita plusieurs années avant qu’il fut opérationnel.
Aussi, dès la fin de la Première Guerre, le Service
des poudres qui était en charge de la production en temps de guerre des
produits spéciaux, ébauchât un plan de mobilisation pour la production
de « gaz de combat » dans l’éventualité d’un conflit
chimique futur.
Ce n’est qu’à partir de 1930 et au fur et à
mesure que la tension sur la scène internationale montait, faisant
craindre un nouveau conflit européen, que des crédits importants furent
débloqués. Il servirent ainsi à la création d’installations
nouvelles, tant dans les poudreries d’Etat que dans les usines privées.
Dans ces dernières, c’est l’Etat qui fit la presque totalité des
frais pour des installations nouvelles qui restèrent sa propriété.
Le plan de mobilisation existant en septembre 1939
devait permettre, dans l'éventualité du déclenchement d'hostilités
chimiques, de mener une guerre chimique intensive contre les armées
allemandes. Les crédits alloués aux Services chimiques furent ainsi
répartis dans les années précédant le conflit :
Crédits affectés aux réalisations du Service
des poudres et relatifs à la Défense Nationale (remise en état
d'installations existantes, créations d'installations nouvelles
dans les poudreries et constitution de stocks). |
1920 à 1936 |
530 millions de francs |
1937 |
194 millions de francs |
1938 |
205 millions de francs |
Avant le 1er septembre 1939 |
474 millions de francs |
Total |
1 403 millions de francs |
Les crédits alloués avant 1930 ne permirent que
d'entretenir les installations existantes, de façon très insatisfaisante. A partir de 1930, ils devinrent
plus conséquents, permettant la mise sur pied des premiers programmes
nouveaux, mais aussi de la reconstruction de certaines installations
laissée à l'état de ruines. Mais c'est surtout à partir de 1937 qu'ils devinrent importants
et permirent alors la construction d'installations nouvelles et la mise à
niveau des installations déjà existantes.
Installations nouvelles réalisées avant la
mobilisation :
Fabriques d'acide nitrique dilué à Sorgues( 300t/mois), à
Rouen avec l'usine du Grand Couronné de la Société PEC
(1800t/mois), usine de Lannemezan d'acide concentré de la société
SPA (440t/mois) et à la Poudrerie de Bergerac (7200t/mois).
Atelier de concentration d'acide nitrique à Toulouse pour
l'acide produit par l'ONIA.
Fabrique d'oléum à partir de gypse à Miramas (annexe de la
Poudrerie de Saint-Chamas (2400t/mois).
Extension des usines de chlore de Saint-Auban (Péchiney,
470t/mois), de Jarrie et Plombières (Electrochimie, 380t/mois), de
Pont-de-Claix (Progil, 200t/mois).
Fabrique de phosgène à Clamecy, usine de la Société des
Produits Chimiques de Clamecy (660t/mois) et à Villers-Saint-Paul
à l'usine Kuhlmann (150t/mois).
Fabrique de thiodiglycol à Péage de Roussillon (70t/mois) et à
Saint-Fons à l'usine Rhone-Poulenc (165t/mois).
Usine de fabrication de charbons absorbants à Langeac, usine d'Etat
construite par la société Sodex.
Usine pour la fabrication de charbon à la Poudrerie d'Angoulème.
|
Besoins mensuels en agressifs selon le plan de
mobilisation de septembre 1939 |
Phosgène |
1 982 tonnes mensuelles |
Yperite |
1 275 tonnes mensuelles |
Lewisite |
672 tonnes mensuelles |
Trichloroéthylamine |
238 tonnes mensuelles |
Adamsite |
76 tonnes mensuelles |
Perchlorate de dicyandiamine |
76 tonnes mensuelles |
Fumigérite (fumigène) |
228 tonnes mensuelles |
Tétrachlorure de carbone (fumigène) |
80 tonnes mensuelles |
Charbon absorbant (masques) |
1079 m3 mensuels |
La capacité de production de matières premières et
de produits intermédiaires, quand ils existaient dans la chimie civile,
fut augmentée. Ainsi, la production nationale de chlore fut étendue à
plus de 2000 tonnes supplémentaires par mois. Il fut impossible de réaliser
dans les usines existantes l’ensemble des surplus de production nécessaires,
aussi un programme de construction d’usines nouvelles fut lancé en
1937, et confié à un service spécial : le centre des travaux de la
Garonne. Un crédit de 100 millions de francs fut débloqué à cet usage.
Un projet de réalisation d’une poudrerie nationale
fut lancé en Dordogne. Le site retenu fut celui de Mauzac, Il comprenait
une fabrique de chlore (d’une capacité de production de 720 tonnes par
mois), un atelier de fabrication de phosgène (1 050 tonnes par mois), une
unité de distillation de benzol pour la production de chlorobenzène
(plus de 1 000 tonnes par mois), ainsi qu’un atelier de chargement
d’obus en gaz de combat. Au moment ou la guerre éclata, aucun travaux
n'avait commencé. La construction de l’usine devait être achevée
au premier semestre 1940 ; plus de 1000 employés y travaillerons
jours et nuits jusqu’à l’Armistice de juin 1940.
La construction d’une usine chimique de produits spéciaux
en Haute Garonne à Boussens (usine d’Estarac), proche du site d’une
usine de production de chlore liquide datant du premier conflit. Ce centre
de production, appelé poudrerie de Boussens (dirigée par Germain Gattet), devait permettre la
fabrication de plus de la moitié de la production nationale d’Ypérite,
mais aussi de DM (Adamsite), ainsi que la totalité de la production de
Lewisite (V201, plus de 600 tonnes mensuelles) et de trichloroéthylamine
(886 ou ypérite à l’azote à raison de plus de 200 tonnes par mois).
Les activités de la poudrerie devaient entrer en service pour avril, puis
juillet 1940. En septembre 1939, seule l'assise de l'usine était
construite ainsi que les bâtiments annexes. A l'Armistice, la poudrerie de Boussens fonctionnait au
moins partiellement ; la production de la DM avait commencé et celle d'autres
produits allait ou était débutée.
Prévision des capacités de production de
l'usine de produits spéciaux de Boussens |
Chlore |
720 tonnes mensuelles |
Yperite |
765 tonnes mensuelles |
Chlorure d'arsenic |
800 tonnes mensuelles |
Adamsite |
60 tonnes mensuelles |
Lewisite |
672 tonnes mensuelles |
Trichloroéthylamine |
222 tonnes mensuelles |
Prévision des
capacités de production de l'usine de produits spéciaux de
Mauzac |
Chlore |
720 tonnes mensuelles |
Phosgène |
1 000 tonnes mensuelles |
Chlorobenzène |
1 000 tonnes mensuelles |
Au 1er septembre 1939, démarrait le programme de mobilisation avec
le démarrage de toutes les productions de toxiques ainsi que le
chargement des munitions chimiques. Les réalisation industrielles
prévues pour l'avant-conflit n'étaient pas achevées, tant dans le
domaine de la production de poudres et d'explosifs que de produits
spéciaux ; leur ampleur n'avait cessée de croître durant les trois
dernières années. Un programme quadriennal établi peu de temps avant la
mobilisation, évaluait les dépenses pour les réalisations restant à exécuter
à 2,1 milliards de francs. Le montant des dépenses pour la réalisations
du programme de guerre se montait à 5 milliards de francs.
Les plans de mobilisation furent ajustés dès les premiers mois de
guerre. La mise au point de la réalisation industrielle de la
trichloroéthylamine ainsi que les prévisions de l'achèvement de l'usine
pour sa synthèse à Boussens, nécessitèrent de suppléer en attendant
par la production d'Yperite. Par ailleurs, la consommation en Yperite fut
revue à la hausse en cas de déclenchement de guerre chimique, en raison
de prévision d'utilisation d'un nouveau moyen de dispersion, l'épandage
par avions.
Ainsi, fut débuté la construction de fabriques de produit 1012 (destiné
à la production d'Ypérite) aux Poudreries d'Angoulême et de Boussens.
Un crédit fut alloué à la construction et l'extension d'installations
pour l'étude des produits spéciaux au Bouchet.
La production d'Adamsite se révéla inférieure aux besoins. Il fallut construire un atelier de fabrication
d'Adamsite à Villers-Saint-Paul (établissements Kulhmann) et à
Vertolaye (Usines Chimiques des Laboratoires Français, UCLAF dans le
Puy-de-Dôme).
Prévision du programme de
production mensuelle au 1er septembre 1939 |
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Angoulême |
Sorgues |
Calais |
Villers-St-Paul
Kuhlmann |
Clamecy
Usine de la Société des
produits chimiques |
Boussens |
Mauzac |
Totaux |
Phosgène |
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120 t |
150 t |
660 t |
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1050 t |
1980 t |
Ypérite |
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Au Thiodiglycol |
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330 t |
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200 t |
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530 t |
Au produit 1012 |
200 t |
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1200 t |
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1400 t |
Au bichlorure de soufre |
180 t |
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180 t |
Total |
380 t |
330 t |
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2110 t |
Lewisite |
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673 t |
|
673 t |
Trichloroéthylamine |
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222 t |
|
222 t |
Triphénylarsine |
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100 t |
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100 t |
DM |
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100 t |
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100 t |
Perchlorate de dicyandiamidime |
supprimé |
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Le thiodiglycol était produit à Péage de Roussilon
(70t/mois) et à Saint-Fons (165t/mois) dans l'usine Rhone-Poulenc.
Estimation des besoins en
matières premières et en produits intermédiaires mensuels à la
Mobilisation. |
Chlorobenzène |
1 100 tonnes |
Chlorure d'arsenic |
1 000 tonnes |
Chlore |
13 000 tonnes |
Thiodiglycol |
400 tonnes |
Diphénylamine |
290 tonnes |
Aniline |
650 tonnes |
Malgré les efforts réalisés avant le conflit et
notamment l'extension des usines de chlore existantes (Pechiney à
Saint-Auban, usine l'Electrochimie de Jarrie, Plombières, Progil à
Pont-de-Claix, Société des produits chimiques à Cmamecy,
Villers-Saint-Paul), la capacité de production de chlore était largement
insuffisante, de l'ordre de 5400 tonnes par mois. Un vaste programme d'un
montant de 400 millions, à la charge de l'Etat, fut réalisé. Il portait
la capacité mensuelle à 13 650 tonnes, plus de la totalité du chlore
produit en France pendant le premier conflit Mondiale.
Programme de production
supplémentaire en chlore |
Péchiney, Sain de Giraud |
800 tonnes |
Péchiney, Salindres |
800 |
Péchiney, Société des produits
chimiques de Ribécourt |
300 |
Société d'Electrochimie, Jarrie |
300 |
Société Progil, Pont-de-Claix |
200 |
Société des produits chimiques de
Clamecy |
600 |
La MotteBreuil, Bozel Meletra |
450 |
Saint Gobain, Saint Fons |
180 |
Potasse et produits chimiques, La
Palisse |
720 |
Société des produits azotés,
Marignac |
300 |
Solvay, Tavaux |
360 |
Kulhmann, Brignoud |
160 |
Kuhlmann, L'Estaque |
300 |
Rhône-Poulenc, Péage de Roussillon |
180 |
Poudrerie de Boussens |
900 |
Poudrerie de Mauzac |
1700 |
La production d’Ypérite pendant
le conflit :
A la mobilisation, deux usines étaient opérationnelles
pour la production :
La poudrerie nationale d’Angoulême, capacité
de 180 tonnes/mois sur une chaîne au produit 1012, portée à 380 tonnes en mai
1940 avec une chaîne de fabrication au bichlorure de soufre de 180 tonnes
(Ypérite classique).
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La poudrerie nationale
d'Angoulême où fut synthétisé l'Ypérite jusqu'en 1940. |
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La poudrerie
nationale de Sorgues et son atelier de synthèse au thiodiglycol (capacité de 510 tonnes/mois, augmentée à près de
700 en 1940).
L’atelier de production de Boussens était opérationnel
avant l'Armistice de juin 1940 (400 tonnes/mois) pour une production
d'Ypérite 1012 et d'Ypérite classique.
La capacité de production devait ainsi atteindre le
chiffre démentiel de 1290 tonnes d'Yperite par mois en juillet 1940 ! En
considérant que la production française cumulée sur l'année 1918
atteignait 1968 tonnes, 7600 tonnes pour l'Allemagne pour 1917 et 1918.
Selon les informations communiquées aux autorités
d'occupation après juin 1940, le manque de moyens de stockage et le démarrage à
allure réduite des ateliers de chargement obligèrent la Direction des
Poudres à réduire l'allure de fabrication. La période des grands froids
de l'hivers 1939-1940 entraîna par ailleurs un arrêt momentané de la
production aux poudreries d'Angoulême et de Sorgues. Au mois de mai 1940,
l'aménagement de l'atelier de lavage de Sorgues permettait un
accroissement de production mensuelle de 100 à 150 tonnes. Un atelier de
1012 prévu à la poudrerie de Boussens devait entrer en fonctionnement en
juillet 1940. La poudrerie d'Angoulême prévoyait pour août le
démarrage d'un atelier de 200 tonnes de produit 1012. Bousens avait
commencé la construction d'un atelier d'Ypérite au thiodyglycol d'une
capacité de 200 tonnes par mois.
L'ensemble de cette production permit d’atteindre un stock de 1740 tonnes
en juillet 1940 (2100 tonnes étaient prévues au programme initial avant
l’arrêt de la production si aucun conflit chimique n’avait eu lieu).
Au cas où l'emploi d'engins spéciaux n'aurait pas lieu, les stocks
disponibles devaient permettrent d'arrêter la fabrication dès le début
de juillet 1940.
Production
d'Yperite pendant le conflit 1939-1940 |
Septembre 1939 |
56 tonnes |
Octobre 1939 |
281 tonnes |
Novembre 1939 |
266 tonnes |
Décembre 1939 |
100 tonnes |
Janvier 1940 |
137 tonnes |
Février 1940 |
250 tonnes |
Mars 1940 |
265 tonnes |
Avril 1940 |
349 tonnes |
Total |
1704 tonnes |
Stocks d'Yperite
pendant le conflit 1939-1940 |
Septembre 1939 |
648 tonnes |
Octobre 1939 |
604 tonnes |
Novembre 1939 |
985 tonnes |
Décembre 1939 |
1028 tonnes |
Janvier 1940 |
1146 tonnes |
Février 1940 |
1101 tonnes |
Mars 1940 |
1200 tonnes |
Avril 1940 |
1320 tonnes |
Mai 1940 |
1530 tonnes |
Fin juin 1940 |
1740 tonnes |
Ainsi, au moins 612 tonnes d'Ypérite furent
utilisées pendant la période du conflit pour des chargements divers,
dont probablement près de 550 tonnes dans des munitions d'artillerie
(environ 700 000 coups de différents calibres) type Y et peut être du
type Yp (Ypérite épaissie).
La production de phosgène pendant
le conflit :
Le phosgène est un composé utilisé dans
l’industrie chimique. Sa production à des fins militaires fut donc développée
au seins d’établissement civils, sur trois sites différents :
l’usine de la Société des produits chimiques de Clamecy (660 tonnes/mois), l’usine de
Laire à Calais (120 tonnes/mois), l’usine Kuhlmann à
Villers-Saint-Paul (150 tonnes/mois), pour une capacité de production de près de 1000 tonnes/mois.
L’extension à la poudrerie de Mauzac (1050
tonnes/mois) devait entrer
en service pour le premier semestre 1940, et porter la production nationale à
hauteur de 2000 tonnes/mois.
En réalité, de nombreuses contraintes obligèrent
le Service des poudres à freiner la production. Le stockage du phosgène
devait se réaliser dans des bouteilles spécifiques dont la livraison fut
retardée ; une commande de 45 000 bouteilles fut passée mais les
livraisons n'intervinrent qu'à partir de février 1940. Également, la disponibilité en corps d’obus et en bombes
d’aviation fut très limitée, ralentissant la cadence des chargements
prévue initialement. Des fuites intervenant sur les orifices de
chargement des bombes d'aviation se présentèrent et nécessitèrent de
nouvelles études.
Ainsi, seulement près de 2000 tonnes de phosgène furent
produites jusqu’en avril 1940, pour un stock disponible de 800 tonnes au
31 mai 1940.
Production de
phosgène pendant le conflit 1939-1940 |
Septembre 1939 |
143 tonnes |
Octobre 1939 |
177 tonnes |
Novembre 1939 |
45 tonnes |
Décembre 1939 |
67 tonnes |
Janvier 1940 |
160 tonnes |
Février 1940 |
205 tonnes |
Mars 1940 |
328 tonnes |
Avril 1940 |
452 tonnes |
Total jusqu'à
l'Armistice |
près de 2000 tonnes |
Stocks de
phosgène pendant le conflit 1939-1940 |
Septembre 1939 |
143 tonnes |
Octobre 1939 |
177 tonnes |
Novembre 1939 |
45 tonnes |
Décembre 1939 |
67 tonnes |
Janvier 1940 |
160 tonnes |
Février 1940 |
205 tonnes |
Mars 1940 |
328 tonnes |
Avril 1940 |
452 tonnes |
31 mai 1940 |
800 tonnes |
Ainsi, si on s'en tient aux déclarations de
production aux autorités d'occupation, près de 1350 tonnes de phosgène furent
utilisées pendant le conflit à des chargements divers.
Quantité bombes
d'aviation au phosgène en juin 1941 |
Contenance |
Stockage |
Quantités |
Poids en phosgène |
85 - 90 kg |
Plaisance |
18.000 |
1.530 tonnes |
85 - 90 kg |
Atelier de Lannemezan |
843 |
75 tonnes |
85 - 90 kg |
Pont-de-Claix |
114 |
10 tonnes |
Total |
|
18.957 |
1.615 tonnes |
A l'évidence, les chargements avaient commencés
avant septembre 1939, à minima pour 265 tonnes dans des bombes
d'aviation.
La production d’Adamsite (DM ou
J101) :
Un seul atelier existait, à la poudrerie de Sorgues.
Sa production théorique de 60 tonnes par mois s’est révélée surestimées
(elle atteignit 25 à 30 tonnes pour le mieux). La commande fin octobre
1939 de 55 000 engins Z5 pour le mois de février 1940 au plus tard, nécessita
l’aménagement de deux nouveaux ateliers, à Villers-Saint-Paul (établissements Kulhmann) et à
Vertolaye (Usines Chimiques des Laboratoires Français, UCLAF dans le
Puy-de-Dôme).
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Deux vues des usines Kuhlmann de Villers-Saint-Paul,
où une unité de production de DM fut montée ainsi qu'un atelier
de chargement de munitions toxiques. |
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Au moment de l'Armistice, la poudrerie de Boussens
avait commencé la production de DM.
Selon les rapports de production rédigés à
l'intention des autorités d'occupation en juin, 275 tonnes furent
produites et la cadence de
production fut réduite pour éviter l’accumulation des stocks qui s’élevaient
à 150 tonnes fin mai 1940.
Seulement, l'état des stocks déclaré à la
Commission d'Armistice en août 1940, additionné à celui des stocks
présents à Boussens en septembre 1940, à ceux de Sorgues, laisse
apparaître un total de 264 tonnes, auxquelles il conviendrait d'ajouter
la quantité de DM chargée en projectiles à Lannemezan (stock de 120
tonnes de munitions) et celle des engins Z5 présents dans plusieurs
dépôt (460 tonnes).
A l'évidence, la quantité de DM produite est bien
plus importante que celle qui fut déclarée.
La production de Lewisite, V.201 :
Fabriqué en 1/2 grand au Bouchet, l'étude de sa fabrication
industrielle fut réalisée très précocement. Dès 1930 ,à Chegga, des
tirs réels avec des chargement en V.201 sont réalisés, puis ultérieurement à Béni-Ounif
(Béni-Wénif) lors de plusieurs campagnes d'essais.
Initialement, le Bouchet avait retenu une réaction qui utilisait le
chlorure d'aluminium comme catalyseur. Un premier problème fut de
résoudre celui de l'appareillage dans lequel la réaction avait lieu. Une
phase délicate et dangereuse intervenait, lors de la transformation des
Léwisites secondaires et tertiaires à l'état primaire.
Utilisant des renseignements fournis par les Anglais, le Bouchet
étudia un synthèse utilisant le chlorure mercurique. Cette réaction
présentait l'avantage de supprimer la phase de rétrogradation et
d'abaisser la température de réaction.
De peur de manquer de mercure, la direction du service des Poudres fit
étudier et mettre au point une nouvelle réaction au chlorure cuivreux.
Cette dernière s'affranchissait de la rétrogradation, mais la
température de réaction était encore élevée et présentait des
risques.
En 1939, c'est cette réaction qui fut utilisée pour monter la chaîne
de production à la poudrerie de Boussens. Le programme débuta
probablement au tout début de l'année 1940 par une tranche de 2
tonnes/jour. La production sur le site de Boussens posa à nouveau quelques problèmes de choix
de matériaux pour l'appareillage. Puis en mai 1940, un nouveau procédé devait être
démarré après essais et mise au point au Bouchet à l'aide du procédé
anglais au chlorure mercurique. La transposition du Bouchet au site de
Boussens devait être immédiate. A ce jour, nous
ignorons quel fut son développement ultérieur.
Des documents
postérieurs à l'Armistice de 1940 laissent supposer que la
production de Léwisite resta à l'état de projet, puisque seulement
788kg auraient été produits. Il est cependant probable que la synthèse
débutée au début de 1940 et le chargement d'une faible quantité de
projectiles chargés en V.201, aient été dissimulés aux autorités
allemandes.
La production de Trichloroéthylamine, produit 886
:
La Trichloroéthyllamine fut fabriquée en 1/2 grand au Bouchet, puis essayée à Beni-Ounif (Béni-Wénif)
dans l'hivers 1932-33; en obus de 75 à culot vissé. Une certaine
quantité de munitions fut chargée de cette substance, dans l'objectif de
la militariser et de procéder à des tirs d'essais. L'efficacité fut
jugé comparable à celle du V.201. Elle fut ainsi adoptée et destinée
à être militarisée ; les études sur le 886 furent poursuivies.
Selon certains documents, une petite quantité fut synthétisée
à Boussens avec la technique de 1/2 grand mis au point au Bouchet (qui
fut responsable de nombreuses intoxications). Que penser des documents
fournis aux Commissions d'Armistice après juin1940, qui stipules
qu'aucune installation de fabrication n'était encore commencé en mai
1940 ? A l'évidence, qu'ils sont incomplets.
Les chargements pendant le conflit :
Cet aspect est encore fort peu documenté ; nous manquons de sources
pour exposer le programme de chargement de projectiles depuis 1935.
Trois ateliers furent conservés durant l'entre-deux guerre, remis en
état puis organisés (dès 1930) pour le chargement des obus chimiques :
Pont-de-Claix, Angoulême et Aubervilliers. Leur capacité pouvait alors
atteindre 472 000 obus par mois.
L'atelier de Salaise fut également remis en fonctionnement. Les
chargements en Adamsite dans les obus spéciaux à dépotage furent
réalisés aux ateliers de l'Ecole centrale de pyrotechnie (chargement
également en fumigérite et opacite). Un atelier
travailla également aux chargements à Cerdon. Nous avons enfin
également identifié un atelier de chargement, nommé Atelier de
construction de Lyon et usine Coignet.
En septembre 1939, en même temps que la guerre était déclaré,
démarrait le programme de mobilisation qui prévoyait le chargement de
nouveaux obus chimiques, chargement qui avait en réalité déjà
débuté.
Les programmes de fabrication provoquèrent une demande considérable
de main d'oeuvre avec un déficit très important de spécialistes rares,
que ce soit dans les usines de l'Armement ou dans les poudreries. Les
effectifs des poudreries passèrent de 10 500 personnes à 45 000 dès le
premier mois, pour atteindre 120 000 en avril 1940. Il faut y ajouter 90
000 personnes qui, sous la direction des poudres travaillaient dans les
1100 usines de l'industrie privée.
Cette pénurie provoqua de nombreux retards dans l'ensemble des
programmes, mais certaines priorités purent être données. Le déficit
était partout ressenti ; le personnel d'encadrement militaire était
également insuffisant et il fallut faire appel à des civils par contrat.
Une procédure d'affectation spéciale avait été mise au point avant
le début des hostilités pour déterminer les personnels susceptibles
d'être des spécialistes rares et les diriger vers le service des
Poudres. Le centre du Bouchet passait de 760 personnes à 1980 au 1er juin
1940, dont 465 affectés spéciaux. Nous ne connaissons pas l'effectif des
ateliers de chargement, qui comme le restant des effectifs, connu une
pénurie.
En mars 1939, la commande de mobilisation auprès de l'atelier de chargement de
Pont-de-Claix était la suivante :
Commande de mobilisation
- Atelier de chargement de pont de Claix |
Projectiles |
Produits |
Quantités |
75mm |
Phosgene |
140 000 |
75mm |
Lewisite |
110 000 |
75mm |
Trichloroethylamine |
55 000 |
105mm |
Lewisite |
11 000 |
105mm |
Trichloroethylamine |
5 500 |
155mm non GP |
Lewisite |
22 000 |
155mm non GP |
Trichloroethylamine |
11 000 |
155 GP |
Lewisite |
11 000 |
155 GP |
Trichloroethylamine |
5 000 |
Bombes diverses |
Phosgene |
7 500 |
Bombes de 200kg |
Phosgene |
4 000 |
Grenades |
Ypérite |
1 000 000 |
Toujours en mars 1939, l'atelier chargeait des
bombes de phosgène à la cadence de 50 par jour ainsi que des obus
d'exercice chargés en fumigérite. Le chargement en grenades présentait
des difficultés, les machines automatiques étant imparfaite et
évasaient souvent l'orifice de remplissage.
Un atelier de chargement existait à Aubervilliers près de l'ERG, mais
présentait des risques importants pour l'ERG et la population de la ville
d'Aubervilliers. Depuis 1935, un projet visait à transférer cet atelier,
mais la question restait en suspens depuis. A la mobilisation de 1939, l'ateliers
dénommé usine IV et rattaché au service des Fabrications d'armement, fut transporté à l'usine
Kuhlmann de Villers-Saint-Paul. Le personnel de l'usine IV, constitué des
11e, 12e et 13e compagnies du 22e BOA fut éclaté ainsi : la 11e Cie
rejoignit l'usine de Villers Saint Paul (80 hommes restèrent sur place à
Aubervilliers jusque mi-novembre pour démonter le matériel) et les deux
autres compagnies furent dirigées vers Lannemezan.
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Deux vues des ateliers de chargement du fort
d'Aubervilliers pendant le premier conflit Mondial. |
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On trouvait alors à
Lannemezan une ancienne usine électrique de la Poudrerie nationale de
Toulouse, qui devint en 1921 la Société des produits Azotés auprès de
laquelle une nouvelle usine productrice d'aluminium fut construite en
1939. La société était spécialisée dans la fabrication de cyanamide
calcique (base de la fabrication d'ammoniac, d'urée, de cyanure), puis de
dérivés fluorés organiques. Notons également que Lannemezan est situé
à 60 km de l'usine de Boussens. A partir de 1938, il s'y implante un
arsenal et un atelier de chargement de projectiles chimiques sur le quartier de la Hitolle
où se trouvait un hippodrome avec tribunes en dur et une piste de 2 000 mètres.
L'atelier de chargement de Lannemezan semblait spécialisé, probablement
en complément de l'atelier de l'Ecole Centrale de Pyrotechnie, dans le
chargement de différents modèles de munitions à DM (Adamsite), en
munitions à Ypérite et en bombes d'aviation de 200kg chargées en
phosgène. Il subsistait en juin 1940 à Lannemezan, 88 tonnes de DM, 320
tonnes d'Ypérite et 120 tonnes de munitions diverses chargées en DM.
L'atelier de chargement de Mauzac n'était pas
entré en production au moment de l'Armistice.
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Le devenir des travaux français
dans l'immédiat après-juin 1940 :
A
l'Armistice de juin 1940, tous les travaux, les chargements et les productions furent
stoppés (article 6 - La fabrication de nouveau matériel de guerre en
territoire non occupé devra cesser immédiatement. Article 13 - Le
gouvernement français s'engage à veiller à ce que, dans les territoires
à occuper par les troupes allemandes, toutes les installations,
établissements et stocks militaires soient remis intacts aux troupes
allemandes). Les conventions passées avec l'occupant stipulaient la
déclaration de l'ensemble de ce programme et des recherches menées
jusque là. Nous verrons qu'un débat fut engagé pour tenter de
préserver les travaux réalisés au Bouchet depuis les années 1920
jusqu'en 1940. Le gouvernement de Vichy, engagé dans la collaboration,
choisit de livrer les archives du Bouchet à l'Allemagne.
L'ampleur de la production de gaz de combat fut ainsi
révélée à l'Allemagne, mais il semble qu'une partie des
avancées et des recherches menées purent être préservée.
Les
Ypérites épaissies furent préparées ultérieurement par les Anglais et
les Allemands, laissant supposer que certains secrets furent transférés
jusqu'en Angleterre et que les armées d'occupation allemande aient pu
également mettre la main dessus.
La
trichloréthylamine fut également préparée par l'Allemagne après 1940
et après que les troupes allemandes aient mis la main sur une partie des
travaux français. Elle pris le nom de code de Stickstoff-Lost ; sa
production n'atteignit pas plus de 2000 tonnes. Elle fut chargée en obus
et en rockets.
Des
études sur la DM avaient également été entreprises par de nombreuses
nations, comme l'Allemagne, l'Angleterre, la Russie et les Etats-unis.
Mais l'efficacité et la facilité de production des engins Z5 fut
reconnue par l'Allemagne et l'Angleterre. Les anglais adoptèrent les
chandelles Z5 et leur mode de fabrication (Dm coulée à froid avec du
perchlorate d'ammoniaque et du sirop d'urée Nobel) et les Allemands
fabriquèrent des engins similaires de 3 et 16kg.
Sauvegarde de documents par le résistant
Norbert Casteret :
Dès novembre 1939, il a été chargé de mission secrète par
le colonel Fauveau, directeur de la poudrerie nationale de Toulouse,
aux fins d'indiquer des cavernes susceptibles d'abriter la
production et les stocks considérables de la poudrerie.
Après plusieurs entrevues à Saint Gaudens et à Toulouse, et
diverses visites de cavernes, la grande grotte de Bédeilhac (Ariège),
fut retenue comme étant la plus appropriée. En définitive, cette
grotte ne fut pas utilisée par la poudrerie, mais par l'usine
d'aviation Dewoitine, qui y effectua des travaux considérables.
En juin 1940, il fut chargé de mission par le Service des
Poudres (mission secrète émanant du Capitaine Robert Clavier,
adjoint au Directeur du Service central des Constructions des
Poudres de Montauban) qui lui remit trois grands sacs caoutchoutés, ne devant
absolument pas être détruits (documents secrets uniques), et ne
devant à aucun prix tomber aux mains de l'ennemi.
Ces documents très précieux furent cachés au fond du
gouffre d'Esparros, par Norbert Casteret et son ami Germain Gattet,
directeur de l'usine de chlore de Boussens (Haute Garonne). Cette
mission, confiée par le Capitaine Clavier, de Paris, fut exécutée
dans la nuit du vingt-cinq au vingt-six juin 1940.
Les dépôts furent surveillés, probablement à plusieurs
reprises ; "1er février 1941. En auto avec M Gattet et colonel
Carton. Les sacs en caoutchouc sont en parfait état (...)".
En février 1941, Norbert Casteret fut pressenti par les
officiers du 2° Hussards de Tarbes, désireux de cacher dans des
grottes un important stock d'armes et de munitions, pour les
soustraire à l'ennemi, et s'en servir au moment voulu. Après
plusieurs entrevues et visites de cavernes, le grotte de Montsaunès
fut retenue, et dans la nuit du dix-sept au dix-huit février 1941,
avec l'aide de vingt officiers en civil, quatre camions amenèrent
à pied d'œuvre les caisses d'armes et de munitions. Ces caisses
furent portées à bras et cachées dans la grotte, dont l'orifice
d'entrée, assez étroit, fut ensuite bouché et éboulé. Ce stock
de seize tonnes resta de longs mois sous terre, jusqu'au jour où il
fut exhumé pour l'armée de la Résistance.
En mars 1941, une opération analogue à la précédente a été
effectuée dans un gouffre de la région de Cahors, grâce à la
participation et au matériel d'échelles de corde de Norbert
Casteret (toujours pour le 2° Hussards).
En décembre 1943, Norbert Casteret fut sollicité d'indiquer
des grottes pouvant servir à entreposer des armes parachutées pour
le maquis. Il montra diverses grottes à Messieurs Cauchois et
Schneegans au cours d'une randonnée, destinée entre autres à
fixer divers emplacements pour le parachutage d'armes et de
munitions.
En outre, Norbert Casteret aida plusieurs jeunes gens réfractaires
au STO, par ses conseils judicieux (témoignage de Georges Fouet),
et il cacha et abrita certains maquisards (dont Marcel Loubens,
passeur de France en Espagne), chez sa propre mère, madame
Casteret, à Saint Gaudens.
A la Libération, Norbert Casteret, comme beaucoup de braves
gens à ce moment-là, fut importuné, et subit le fruit de la
jalousie de certaines personnes malveillantes. Il fut défendu et
protégé par Maître Armand de Bertrand Pibrac, avocat à Saint
Gaudens, et monsieur Dautrème, sous-préfet de Saint Gaudens
sous le régime de Vichy, mais en même temps grand résistant,
immatriculé à l'Armée Secrète. Norbert Casteret subit deux
incarcérations successives, sans vouloir trahir le secret des
documents qui lui avaient été confiés, et qui étaient toujours
cachés au fond du gouffre d'Esparros. Enfin, conseillé par ses défenseurs,
il finit par révéler ces missions secrètes. Accompagné du
sous-préfet et d'agents de police armés, ils descendirent au
fond du gouffre. Au vu des documents, en parfait état de
conservation, estampillés « Secret Défense », il fut immédiatement
libéré. Plus tard, à l'occasion de la remise de la décoration
de la Légion d'Honneur, octroyée par le Président Vincent Auriol,
il fut réhabilité par la ville de Saint Gaudens, dans une grande
liesse populaire.
Le procès-verbal permet de connaître succinctement la nature
des documents :
- 6 presses à filer de 1 100 tonnes (Ste Livrade)
-Dossier concernant la fabrication du produit n°5 et produit
G (gaz suffocant).
- Plan de meule
- Poudres et explosifs
- Plan de matériel de poudrerie
- Tolite et trinito-anisol
- Mélinite téthyle
- Penthirite - pentolite
- Hexogène
- (...)
Les documents furent récupérés le 25 mai 1945, en présence
du Colonel Carton et de Mr Gattet.
Source : http://norbertcasteret.net/le-patriote
et archives familiales Casteret.
|
La France et la paternité des recherches sur
l'arme atomique.
Les recherches concernant la fission atomique existaient très
probablement dans plusieurs pays, avant la seconde guerre mondiale.
Les recherches en France étaient menées par une équipe du
Collège de France, constituée par MM. Hans Heinrich von Halban,
Jean-Frédéric Joliot, Lew Kowarski et Francis Perrin.
Ils réussirent à mettre en évidence la fission de l'uranium
et la possibilité de produire une réaction en chaîne. Cinq
brevets furent déposés, entre le 30 avril 1939 et le 4 mai 1939,
qui couvraient le descriptif de différents types de réacteurs
atomiques, l'interruption de la réaction en chaîne, le calcul du
réseau au coeur des réacteurs hétérogènes, et particulièrement
un décrivait le principe d'une bombe atomique.
Rapidement, l'armée décida de financer les travaux en mettant
l'accent sur le développement "d'un
processus de libération brutale de l'énergie atomique avec des
effets dépassant infiniment ceux des explosifs puissants", une
bombe atomique. Le projet fut nommé "La grande
expérience" et avait comme but d'aboutir à l'explosion de la
première bombe à uranium dans un centre d'expérimentation secret,
nommé CESP de Béni-ounif, alias B2-Namous... Des essais
d'utilisation d'eau lourde devaient être entrepris quand
l'Armistice et la défaite mirent fin, provisoirement, au travaux
sur le sol français.
|

Documents :
Compte-rendu d'une visite au 4iem groupe Autonome
d'artillerie à Bruyères. |
 |
 |
 |
 |
Lettre du général d’armée Besson au Général
Commandant en chef, relative à l’emploi de substances toxiques (pages 1
à 3)
|
 |
|
|
L’Armistice signé le 22 juin 1940 entre le
gouvernement français de Pétain et le troisième Reich met fin aux
hostilités militaires. Un Armistice est également signé avec l’Italie
fasciste le 24 juin1940, et met fin à la déclaration de guerre de l’Italie
du 10 juin 1940.
La France est découpée en trois zones : la
zone d’occupation allemande, la zone d’occupation italienne et la zone
libre. Pratiquement tous les stocks d’armes chimiques se trouvent, après
parfois un déplacement précipité en mai-juin 1940, en zone dite libre
ou en zone Italienne (l’Italie ayant déclarée la guerre à la France
la 10 juin 1940, alors que la situation de cette dernière était perdue).

|
Selon les clauses de l’Armistice, les matériels et
les stocks d’armes chimiques sont à remettre aux autorités allemandes
et italiennes. Les discussions et négociations pour la mise en œuvre des
conditions imposées par l’ennemi, opposent la Commission Allemande d’Armistice
(CAA), la Commission Italienne d’Armistice (CIA), chargées de
l’application de la convention de l’Armistice (sous l’autorité du
Haut Commandement allemand) à une délégation française nommée par son
gouvernement et représentant ses intérêts.
Article 6 -
La fabrication de nouveau matériel de guerre en territoire non occupé
devra cesser immédiatement.
Article 13 -
Le gouvernement français s'engage à veiller à ce que, dans les
territoires à occuper par les troupes allemandes, toutes les
installations, établissements et stocks militaires soient remis intacts
aux troupes allemandes.
|
Le sort des
gaz de combat est réglé par la note 121/40 du 5 août 1940 ;
« La totalité des produits chimiques de guerre (munitions,
appareils et produits toxiques) y compris les produits bruts, devront être
livrés ». Cela inclut, malgré quelques protestations françaises,
l’ensemble des stocks existants et évidemment ceux qui avaient été
mis à l’abri en zone libre.
L’ensemble
des munitions toxiques et des produits spéciaux restent donc dans leurs
établissement, jusqu’à ce qu’une Commission de contrôle allemande
ou italienne vienne sur place et désigne les produits à livrer. La
Commission allemande demande ainsi que lui soit établi un inventaire des
dépôt existant, des stocks, des usines ayant fabriqué ces produits et
des appareils pouvant servir à leur usage, en territoire occupé et
non-occupé.
Cet
inventaire va être établis par les autorités françaises pour être
communiqué aux armées allemandes et italiennes. Il est intéressant de
noter que certains dépôt sont, très probablement, volontairement omis.
Par exemple, les stocks de produits nouveaux de la poudrerie de Boussens
seront découverts par les allemands fin septembre 1940 ; ils en
demanderont la livraison. Le Service des poudres expliquera ainsi qu’ils
avaient été considérés comme échantillons et donc non déclarés. Le
différentiel entre les quantités de munitions chimiques disponibles en
mai 1940 et celles déclarées après l’Armistice, laisse apparaître
parfois des quantités de munitions manquantes.
Etat des
stocks de munitions chimiques en Zone libre et Zone d’occupation
Italienne - différentiel |
Chargement |
Calibre |
Stock 1930 |
Stock Mai 1940 |
Déclaration à la CAA,
Post juin 1940 |
N°5 phosgène |
75 |
1.053.530 |
996.300 |
1.027.389 |
N°5 phosgène |
105 |
0 |
38.100 |
35.526 |
N°5 phosgène |
120 |
70.094 |
66.628 |
66.628 |
N°5 phosgène |
145 |
76.625 |
76.193 |
76.193 |
N°5 phosgène |
155 |
0 |
394.991 |
411.094 |
N°20 Ypérite
1914-1918
|
75 |
897.152 |
|
784.600 |
N°20 Ypérite
1939-1940
|
75 |
|
551.135 |
748.660
|
N°20 Ypérite
1914-1918
|
105 |
19.532 |
|
19.080 |
N°20 Ypérite
1939-1940
|
105 |
|
51.758 |
19.940* |
N°20 Ypérite
1914-1914
|
155 |
579.932 |
|
121.040 |
N°20 Ypérite
1939-1940
|
155 |
|
92.632 |
9.300* |
Divers |
75 |
233.882 |
|
108.391 |
Divers |
120 |
36.100 |
|
35.829 |
Divers |
155 |
62.721 |
|
62.716 |
Bombes d’aviation de
200kg |
|
|
16.100 |
18.089 |
Engins Z5 |
|
|
19.000
+36.000 en cours de livraison
|
20.296 |
Etat des
stocks de munitions chimiques en Zone d’occupation Allemande |
N°20 Ypérite 1939-1940 |
105 et 155 |
|
|
80.000 à 100.000 |
* il faut y ajouter les 80.000 à 100.000 obus de 105
et 155 du dépôt du bois de Leyde, situé en zone occupée. |
Etat des dépôts d'armes chimiques après juin
1940 |
Dépôt |
Calibres |
Quantité |
Tonnage |
|
La
Ferté-Hauterive |
Cartouches
de 75 n°5 (phosgène)
|
621.252 |
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
Obus de
75 n°5 (phosgène)
|
406.137 |
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
Obus de
105 n°5 (phosgène)
|
11.650 |
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
Obus de
120 n°5 (phosgène)
|
66.628 |
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
Obus de
145 n°5 (phosgène)
|
76.193 |
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
Obus de
155 n°5
|
326.038 |
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
Obus de
75 non encartouchés de 14-18
|
108.400 |
|
Une
partie noyées en mer à Toulon, une autre déchargée, une troisième
disparue.
|
|
Obus de
120 de 14-18
|
35.900 |
|
Une
partie noyées en mer à Toulon, une autre déchargée, une troisième
disparue.
|
|
Obus de
155 de 14-18
|
63.000 |
Total n°5 : 28.900 tonnes |
Une
partie noyées en mer à Toulon, une autre déchargée, une troisième
disparue.
|
|
Bouteilles
de 4l d’Ypérite |
17.676 |
86.9 tonnes |
Déchargées
et envoyées à Angoulême
|
Dépôt
de Pognat (Allier)
|
Obus de
105 n°5 (phosgène)
|
23 576
|
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
Obus de
155 n°5 (phosgène)
|
85 056
|
Tonnage :
4 300 tonnes soit 11 trains
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
Dépôt
de Chavanon (Corrèze)
|
Engins Z5
|
9 504
|
215
tonnes
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
Dépot
de Durbans par Assier (Lot)
|
Engins
Z5
|
9 293
|
210
tonnes
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
Grenades
d’aviation |
581 000
|
210 tonnes |
Noyées
en mer à Toulon
|
Dépot
de Plaisance (Landes)
|
Engins
Z5
|
1 499
|
35 tonnes |
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
Bombes
de 200kg (phosgène)
|
18 089
|
5 000
tonnes
|
? |
Pont de
Claix (Isère)
|
Grenades
d’aviation
|
247 300
|
|
Grenades
fuyardes enfermées dans une fosse cimentée étanche.
|
|
Obus de
75 n°20 (Ypérite)
|
10 150
|
|
Déchargés
sur place |
|
Obus de
155 GP n°20
|
3 400
|
|
Déchargés
sur place
|
|
Obus de
75 n°20 de 14-18
|
784 600
|
|
En
partie déchargés sur place.
|
|
Obus de
105 n°20 de 14-18
|
19 080 |
|
En
partie déchargés sur place
|
|
Obus de
155 n°20 de 14-18
|
121 040
|
Total 14-18 : environ
10.000 tonnes |
En
partie déchargés sur place
|
|
Fûts
d’Ypérite
|
1.693
|
260.6
tonnes
|
Envoyés
à Angoulême sauf 17t.
|
Dépôt
de Saint Ours les Roches
|
Obus de
75 n°20
|
650 000
|
Plus de
6.500 tonnes.
|
Noyés
en mer à Toulon.
|
Poudrerie
de Sainte- Livrade
|
Obus de
75 n°20
|
42 500 |
300
tonnes
|
Noyés
en mer à Toulon.
|
Poudrerie
de Boussens
|
Ypérite
1012
|
71 fûts
|
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
Ypérite
en provenance d’autres poudreries
|
24 fûts
|
12
tonnes d’Ypérite au total
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
V201
|
|
788kg
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
Sulfol
|
197 fûts
|
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
Marsite |
|
170
tonnes
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
886
|
|
467kg
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
Lannemezan
(atelier de chargement) |
Ypérite
|
|
320
tonnes
|
Noyés
en mer à Sète en août 1940 par le Prado.
|
|
DM
|
|
88
tonnes
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
Munitions
diverses chargées en DM
|
|
120
tonnes
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
|
Phosgène
en bouteilles de 33l.
|
|
|
|
Poudrerie
de Sorgues
|
DM
|
|
6 tonnes
|
Dirigés
vers l’Allemagne
|
Dépôt
du bois de Leyde (zone d’occupation allemande)
|
Ypérite
|
80.000
à 100.000 obus de 105 et 155
|
Environ 4.000 tonnes |
Restera
en l’état.
|
|
|
|
|
60.700 tonnes |
Selon les
chargements, les autorités d’occupation vont définir le sort à donner
aux différents stocks chimiques. La priorité fixée par les troupes
d’occupation est de faire rapidement disparaître les munitions présentant
un intérêt militaire, des régions de la zone libre.
Les stocks présentant
un possibilité de réutilisation par l’armée allemande seront dirigés
vers l’Allemagne. C’est le cas des stocks et des munitions chargées
en phosgène qui seront récupérées (à l’exclusion de 700 tonnes
destinées à l’industrie française, le restant représentant 1.616.530
coups soit 32 000 tonnes), comme ceux de DM (Admasite, 120 tonnes de
munitions diverses et 88 tonnes de DM à Lannemezan, 8 tonnes à la
poudrerie de Sorgues), ceux de V.201 (Lewisite), de 1031 (chloracétophénone)
et de 886 (trichloroéthylamine).
Initialement,
les stocks et les munitions chargées en Ypérite n’auront pas pour
fonction d’être récupérés (note 2308/40 du 19 décembre 1940), mais
d’être simplement détruits par immersion en mer.
Devant la
masse considérable de métal que ces munitions représentent et la
quantité de matières chimiques qu’ils renferment, le gouvernement français
va négocier un recyclage de la plus grande quantité possible des ces
obus, pour en récupérer le métal et
transformer l’Ypérite qu’ils contiennent en taurine, un
produit détersif inoffensif, ayant pour vocation d’être ensuite
transformé en savon (initialement prévu à la poudrerie de Sorgues).
Malgré les
efforts de la Délégation française, la Commission Allemande d’Armistice
voulu faire disparaître au plus vite les stocks et les munitions de la
zone libre. Suite à une réunion menée à Paris entre le colonel von
Horn et des représentants français (Inspecteur général Blanchard,
directeur des Industries chimiques, Monsieur Desmaroux et l’Inspecteur général
de Varine), elle ordonna ainsi, dans une note du 21 mars 1941, la
destruction de tous les obus de 75mm chargés en Ypérite de la zone
d’occupation allemande, par noyage à Toulon (46.072 coups de la Ferté
Hauterive, 650.000 de Saint-Ours-les-Roches et 42.500 de Sainte-Livrade).
Quand à la
transformation de l’Ypérite et aux déchargement des obus, elle
l’accepta sous réserve que cela se fasse en zone occupé, à la
poudrerie d’Angoulême, et non à Sorgues.
La Commission
italienne donna également son accord en avril 1941, pour le déchargement
des obus en Ypérite existant à Pont de Claix.
Les munitions
pour lesquelles un déchargement était envisageable seront déchargées
pour en récupérer leur contenu et le métal de leur enveloppe. Les
autorités d’occupation vont fixer une date butoir au 30 juin 1941. Au
delà de cette date, le restant devait être immergé en mer. Mais le
programme de transformation d’Ypérite va prendre énormément de retard
et les Allemands comme les Italiens accepteront que les stocks attendent
d’être traités, sous condition qu’ils soient rapatriés en zone
occupée. C’est ainsi que de nombreuses munitions et quasiment la
totalité des stocks non chargés de la zone sous contrôle allemand,
seront dirigés vers la poudrerie d’Angoulême dans l’attente de leur
traitement à partir d’avril 1941. Mais les retards vont continuer de
s’accumuler, si bien qu’une partie seulement sera transformée d’ici
la fin du conflit.
En juin 1941,
les obus n°20 de la Ferté Hauterive quittent le dépôt pour rejoindre
la poudrerie d’Angoulême, en vue de leur déchargement (19.920 105mm,
34.080 155mm non GP, 5.900 155mm GP). En janvier 1942, seulement 6.172
155mm et 4.440 105mm avaient été déchargés, quand des tensions
naissaient suite à la revendication de l’Allemagne sur le métal des
obus déchargés (350 tonnes) et leur enlèvement. La Commission allemande
décida de stopper les opérations de déchargement, et nous ignorons si
elles furent reprises par la suite. Un document datant du début de 1944
laisse à supposer que les stocks étaient toujours présent sur le site
d’Angoulême, qui fut bombardé et en partie détruit en mars 1944.
A l’atelier
de chargement de Pont de Claix, en zone d’occupation italienne, le
programme de déchargement avait déjà débuté en août 1941 (3.483 obus
de 155 et 11.592 obus de 75, pour 17,5 tonnes d’Ypérite). Il sera
finalisé quelques mois plus tard, pour les obus à chargement récent.
Puis, en avril 1942, débutait les essais de récupération de l’acier
des obus de 14-18 (900.000 obus). Les obus étaient passés, après démontage
des gaines, dans un four chauffé à 700°C dans lequel l’Ypérite était
brûlée. Des problèmes techniques se posèrent immédiatement avec les
gaz corrosifs qui s’échappaient du four et qui le rendait rapidement
hors d’usage. Le programme initial du traitement de 6000 obus par jour
(qui nécessitait la bagatelle de deux années pour arriver au bout des
900.000 coups) fut immédiatement jugé comme bien trop optimiste. Il
semble même qu’il ait été abandonné jusqu’en janvier 1944 où l’Italie
dépêcha sur place des ouvriers pour reprendre le travail de déchargement,
qui ne fut jamais conduit au bout.
Toutes les
munitions datant de la Première guerre mondiale, non chargées en Ypérite,
devaient être simplement détruites par noyage en mer (chargées en
produit 4B, chlorure de cyanogène et chlorure d’arsenic, en produit 7,
chloropicrine et produit 16, sulfate de diméthyle). Ne présentant aucune
valeur militaire, le gouvernement français demanda et obtint de pouvoir démonter
et récupérer le contenu des obus chargés en composé n°7
(chloropicrine et tétrachlorure d’étain) de moyen calibre, pour en récupérer
la chloropicrine à des fin de désinfection. La solution fut acceptée
pour les calibres supérieurs au 75mm et l’opération menée à l’ERG
de la Ferté-Hauterive. Sur le lot, près d’un millier de munitions ne
pourront être démontée et seront noyées à Toulon en février 1942. Au
final, les archives dont nous avons pu disposer, ne permettent de
constater l’immersion que de 91.613 projectiles chargés en 4B ;
nous ignorons le sort donné aux munitions chargées en n°16 et aux
calibres de 75mm chargées en n°7.
Devenir
des Munitions issues de la Première Guerre mondiale
|
Produit
|
Calibre
|
Quantité
|
|
N°4B
Chlorure de cyanogène et chlorure d’arsenic
|
75
|
91.613
|
Immergées
(réalisé en juillet 41) à Toulon
|
N°16
sulfate de diméthyle et chlorhydrine sulfurique
|
75
|
3.425
|
Initialement
destinées à être Immergées (?).
|
N°16
|
155
|
265
|
Initialement
destinées à être Immergées (?).
|
N°7
chloropicrine et tétrachlorure d’étain
|
75
|
5.433
|
Initialement
destinées à être Immergées (?).
|
N°7
|
120
|
35.829
|
Démontés
et déchargés
|
N°7
|
155
|
62.088
|
Démontés
et déchargés
|
N°20
|
75
|
784.600
|
Programme
de récupération à Pont de Claix.
|
N°20
|
105
|
19.080
|
Programme
de récupération à Pont de Claix.
|
N°20
|
155
|
121.040
|
Programme
de récupération à Pont de Claix.
|
Stocks d’Ypérite en vrac à l’Armistice
selon déclaration à la CAA.
|
|
|
Lieu
|
Kg
|
|
|
|
Ypérite
|
Fûts
|
Pont de Claix
|
149.280
|
1244 fûts de 110l
|
Au trichloréthylene
|
Tous vers Sorgues
|
|
|
|
33.120
|
138 f de 120l
|
A l’ortosol
|
|
|
|
|
67.200
|
278 de 220l
|
CCl4
|
|
|
|
|
8.000
|
33 de 220l
|
Allemands, résidus visqueux
|
5200kg
|
|
|
Boussens
|
12.000
|
fûts
|
Produits goudronneux
|
5000kg
|
|
|
Sorgues
|
279 t
|
|
|
|
Munitions chargées en
Ypérite à l'Armistice |
|
Chargement
|
Dépôt
|
Quantités
|
Poids d’Ypérite tonnes
|
|
|
Grenades d’aviation
|
0,14 Litres
|
Dépôt de Durban à Assier
|
581 000
|
100 tonnes
|
(y20)
|
immergés
|
Grenades d’aviation
|
0,14 Litres
|
Pont de Claix
(Isère
|
247 300
|
42,5 tonnes
|
(y20)
|
Conservées en cuve étanche.
|
Obus de 75
|
0,43 Litres
|
La Ferté
|
46 072
|
24,3
|
Encartouchés (y20)
|
Immergés
|
Obus de 75
|
|
Pont de Claix
|
10 160
|
5,3
|
Encartouchés (y20)
|
Sorgues
|
Obus de 75
|
|
Saint-Ours les Roches
|
650 000
|
343,7
|
Encartouchés (y20)
|
immergés
|
Obus de 75
|
|
Sainte-Livrade
|
42 500
|
22,3
|
Encartouchés (y20)
|
A détruire, Ypérite acide attaquant le fer.
Immergés
|
Obus de 105
|
1,175L
|
La Ferté
|
19 940
|
28,8
|
(y20)
|
Angoulême
|
Obus de 155 non GP
|
2,5L
|
La Ferté
|
34 100
|
104,8
|
(y20)
|
Angoulême
|
Obus de 155 GP
|
3L
|
La Ferté
|
5 900
|
21,7
|
(y20)
|
Angoulême
|
Obus de 155 GP
|
3L
|
Pont-de-Claix
|
3 400
|
12,5
|
(y20)
|
Angoulême
|
Bouteilles
|
4L
|
La Ferté Hauterive
|
17 676
|
86.9
|
(y20)
|
Angoulême
|
Obus de 14-18 : 75
|
|
Pont-de-Claix
|
784 600
|
415
|
|
|
Obus de 14-18 : 105
|
|
Pont-de-Claix
|
19 080
|
27
|
|
|
Obus de 14-18 : 155
|
|
Pont-de-Claix
|
121 040
|
370
|
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Les immersions :
Presque immédiatement après l’Armistice, dès le
29 juillet 1940, la destruction du stock d’Yperite de Lannemezan va être
envisagée par les autorités françaises, « en raison de l’état
dans lequel se présente aujourd’hui cette Ypérite, en raison des émanations
dangereuses provoquées par les grosses chaleurs ». Après avoir hésité
à faire disparaître le dépôt à l’insu des Commissions d’Armistice,
la délégation française en fit finalement la demande le 31 juillet
1940. La Commission allemande donna son approbation et dépêcha deux
officiers allemands pour faire des prélèvements et s’assurer de
l’immersion des 360 tonnes. La méthode d’immersion en mer avait été
utilisée après le Premier conflit, pour se débarrasser de stocks
encombrant ; c’est donc avec cette solution qu’on décida de
faire disparaître les stocks de 1940. Il n’existait évidemment aucun
frein écologique à cette époque, à immerger de la sorte des milliers
de tonnes de toxiques chimiques. Le 15 août, les deux officiers allemands
étaient sur place pour réaliser leur mission et l’immersion fut réalisée
avant la fin du mois.
La solution étant peu coûteuse, on décida de
traiter de la sorte tous les lots destinés à être détruits. La priorité
fut donné aux grenades d’aviation chargées en Ypérite, qui présentaient
des problèmes de fuite. Le premier stock était situé à l’atelier de
chargement de Pont de Claix. Le nombre de grenades fuyardes était
tellement important que l’on avait fini par les enfouir dans une
fosse en béton spécial étanche. 247.300 y étaient stockées et devant
le risque que présentait l’ouverture de la fosse, on décida purement
et simplement de les laisser sur place.
On traita donc le dépôt de Durbans par Assier où
l’on transporta 581.000 grenades (210 tonnes) vers Toulon en avril 1941.
Le problème des grenades fuyardes se présenta à nouveau, et il fallut
enfouir sur place, dans un sol rocheux, 100 caisses de deux chargeurs soit
11.000 grenades. Les premiers largages en mer révélèrent un problème sérieux ;
les caisses de chargeurs ne coulaient pas, elle flottaient, tout comme les
chargeurs extraits de leur caisse. Il fallait donc sortir les chargeurs
des caisses, les percer aux deux extrémités avec tous les risques que
cela représentait, pour s’assurer qu’ils coulent vers le fond. Les
caisses devaient ensuite être brûlées pour éviter toute contamination.
Finalement, l’opération qui devait prendre trois jours se poursuivi sur
près d’un mois.
Les immersions se poursuivirent mais dès le mois de
juin, un nouvel incident vint perturber le programme. Une pénurie de
chaland dans le port de Toulon, contraint à réduire les cadences de deux
à un convoi par semaine. Malgré tout, les chalands vont se relayer
jusqu’au mois d’octobre 1941 pour noyer l’ensemble des munitions prévu,
soit 650.000 obus de 75mm de Saint-Ours-Les-Roches (6.500 tonnes), 42.500
obus de 75mm de Saint-Livrade (300 tonnes), 46.072 obus de 75mm chargés
en Ypérite et 91.613 obus de 75mm chargés en 4B de La Ferté Hauterive
(350 tonnes et 700 tonnes). Si les 18.000 bombes de 200kg chargées en
phosgène du dépôt de Plaisance (5000 tonnes) figurent bien au programme
de destruction de 1941, nous n’avons pas pu trouver de document
attestant leur acheminement vers Toulon ; nous ignorons leur sort.
Finalement, les 924.720 obus de la Première guerre
chargés en Ypérite, représentant 10.000 tonnes, ne seront pas noyés.
En Avril 1941, sollicité par les autorités françaises, la Commission
d’Armistice Allemande autorisa des essais de déchargement des calibres
de 75, 105 et 155mm. L’opération fut programmées à Pont de Claix, qui
possèdait le matériel nécessaire pour les importants stocks laissés
sur place (zone sous contrôle italien), et toutes les munitions de la
Ferté Hauterive seront dirigées vers la poudrerie d’Angoulême (zone
sous contrôle allemand) pour y être déchargées. Cependant, en juin
1942, il semble que seulement 6.172 obus de 105 et 4.440 obus de 105,
provenant des chargements les plus récents, avaient été traités à
Angoulême, laissant envisager un énorme retard dans le programme.
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Ci-dessus : Arsenal de Toulon en 1942.
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Vue moderne de l'Arsenal de Toulon. |
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Immersion
de munitions réalisées à Toulon
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Origine
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Type
|
Chargement
|
Quantités
|
Poids
|
Durbans
par Assier
|
Grenades
d’aviation
|
Ypérite
|
581.000
|
210
tonnes
|
Saint
Ours les Roches
|
Obus de
75mm
|
Ypérite
|
650.000
|
6.500
tonnes
|
La Ferté
Hauterive
|
Obus de
75mm
|
Ypérite
|
46.072
|
350
tonnes
|
La Ferté
Hauterive
|
Obus de
75mm
|
4B
|
91.613
|
700
tonnes
|
Saint-Livrade
|
Obus de
75mm
|
Ypérite
|
42.500
|
300
tonnes
|
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8.060 tonnes |
La production secrète d'Ypérite belge rapatriée
sur le territoire français.
Le programme chimique belge est très peu connu. Il
a pourtant débuté au milieu des années 1920-1930. Son versant
offensif est encore pratiquement resté secret. Un atelier de
production avait été installé dans la forteresse de Steendorp,
qui rentra en phase de production probablement vers 1935. Il y fut
produit, de façon épisodique, de l'Ypérite, de l''adamsite (DM ou
marsite),de la chloropicrine. Les premières production d'Ypérite
utilisèrent la méthode de l'éthylène et du bichlorure de soufre,
puis ultérieurement, celle au thiodiglycol de provenance française
(ce qui laisse supposer une collaboration active entre les services
chimiques des deux pays). La dernière méthode présentait
l'avantage de produire une Ypérite qui résistait au temps une fois
chargée dans des projectiles. Les stocks chimiques étaient ensuite
transférés à la forteresse de Zwijndrecht où ils pouvaient être
chargés en projectiles. Des essais de projectiles chimiques à
dépotage et chargés en DM sont décrits sur le camps militaire de
Beverlo.
Quand l'Allemagne envahie la Belgique en 1940, les
stocks de Steendorp furent évacués en secret et en catastrophe par
train, pour rejoindre la France. Ils furent envoyés aussi loin que
possible de la ligne de front, de façon à garder le secret du
programme belge. Ils furent certainement cachés à Boussens ou à
Lannemezan. Pas pour longtemps, puisque la France envahie à son
tour fut contrainte à divulguer les lieux où des agressifs
chimiques se trouvaient sur son territoire. Mais selon les documents que nous avons pu
étudier, il ne semble pas que le secret du programme chimique belge
ait été connu des services allemands.
|
Les différents dépôts :
La plupart des dépôt furent vidés de leurs
contenus. Parfois, des munitions fuyardes intransportables furent enterrées
sur place, comme les 11.000 grenades à Durbans sur Assier, des bombes au
phosgène à Plaisance (une centaine), des engins Z5 à Chavanon et à
Plaisance. Des restes d’Ypérite à Lannemezan furent également détruits
à l’atelier de chargement (5 tonnes stockées dans des récipients non
étanches). Après l ‘occupation de la zone libre
par l’Allemagne en novembre 1942, les lieux de regroupement d’armes
chimiques semblent ne plus avoir fait l’objet de déplacement. Nous
avons vu que la poudrerie d’Angoulême fût détruite par bombardements
en 1944, dispersant probablement sur place les munitions d’Ypérite qui
s’y trouvaient. Le dépôt du bois de Leyde est resté en l’état et
il subsiste encore en partie aujourd’hui. Nous sommes incapable
aujourd’hui d’évaluer la quantité restante d’obus d’Ypérite
restant à Pont de Claix à la libération ; ils ont probablement
fait l’objet d’un noyage en mer dans les années 1960. Les grenades
chargées en Ypérite sont peut-être encore aujourd’hui dans leur fosse
étanche.
L’Entrepôt général de la Ferté Hauterive fut vidé de
ses munitions chimiques en 1941 ; il servit au déchargement des obus
n°7, au transvasement des bouteilles d’Ypérite de 4 litre, puis au
rassemblement des munitions fumigènes. En novembre 1942, suite à
l’occupation de la zone libre, les Allemands occupèrent à nouveau
l’entrepôt et continuèrent l'évacuation des munitions à chargement
spécial en créant un dépôt de ces munitions dans la forêt de JALIGNY.
L'ERG fut alors transformé en dépôt de munitions de toutes natures. Fin
Août 1944, les Allemands quittèrent l'entrepôt, firent sauter la
presque totalité des munitions allemandes alors entreposées. L'Etablissement
fut détruit à 80%.
Les autorités allemandes, constatant l’importance
du programme chimique français, vont tout faire pour se l’approprier,
pour récupérer ses stocks, sa production et même sa participation à la
production aux armes chimiques allemandes.
Le cas des travaux et des archives du Centre d’Etudes
du Bouchet.
Le Centre d’Etudes du Bouchet dirige l’ensemble
des études, des essais et des recherches sur les armes chimiques et bactériologiques
depuis les années 1920.
En 1940, à la mi-mai, devant la tournure tragique
prise par la campagne militaire, la décision fut prise d'évacuer le
centre d'études du Bouchet, les chercheurs, leur matériel et l’ensemble des archives
dans le sud de la France, en lieu sur. Deux centres de replis avaient
été définis par avance : la poudrerie de Toulouse ainsi que l'école
d'agriculture et l'institut de biologie de Montpellier. Le projet visait
à protéger les recherches hautement stratégiques sur l'arme chimique,
de l'ennemi.
Au 13 juin, la poudrerie et le centre d'étude
avaient quittés le Bouchet, les bâtiments étant abandonnés. Le service
de production avait été redéployé à Toulouse, les recherches à
Montpellier.
Le 23 juin 1940, dix jours après et lendemain de la signature de l’Armistice
avec l'Allemagne,
les troupes allemandes prennent possession du Centre d’Etudes du Bouchet
à Vert-le-Petit dans l’Essonne et pillent consciencieusement ses
locaux. Il est probable que ce ne fut qu'à partir de ce moment que les
autorités allemandes prirent conscience de l'intérêt du site.
Progressivement, au fur et à mesure de leurs découvertes, leur objectif
devint de mettre la main sur les recherches françaises
concernant la guerre chimique. Sur place, tout avait été soigneusement
épuré et l'occupant ne trouve que des
documents ne présentent aucun intérêt. Les autorités
allemandes ne souhaitent cependant pas en rester là et procèdent à différents
recoupement pour poursuivre leurs investigations. L'article 6 de la
convention d'Armistice signée le 22 juin leur permettait de mettre la
main sur le matériel emporté en zone libre : « les armes, munitions
et matériel de guerre de toute espèce restant en territoire français
non occupé, dans la mesure où ceux-ci n’auront pas été laissés à
la disposition du gouvernement français pour l’armement des unités
françaises autorisées, devront être entreposés ou mis en sécurité
respectivement sous contrôle allemand ou sous contrôle italien (...)»
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Ci-dessus : Pierre Gavaudan, directeur du Service
de biologie cellulaire des Services Chimiques de l'Etat au Centre
d'études du Bouchet en 1940, docteur en Pharmacie. |
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A cette époque troublée, personne du côté
français ne souhaite divulguer la destination prise par le matériel et
les archives du centre d'études.
Seulement, le 9 septembre 1940, une inspection
surprise de la Commission allemande d’Armistice, est menée à
Montpellier, à l’école d’Agriculture, et se dirige directement vers
le Centre du Bouchet qui y est dissimulé. L’ingénieur en chef Robin,
qui dirige le centre, est prévenu par téléphone quelques minutes plus tôt
et reçoit la Commission dans son bureau.
Les questions allemandes sont directes : où
sont les établissements occupés par le Bouchet, ses chercheurs, ses
travaux, son matériel et ses archives. Robin proteste mais la Commission
dirigé par l’hauptmann Opale, lui oppose le point de vue des
autorités allemandes ; tout le matériel destiné aux fabrications
de guerre faisant partie d’un établissement situé en zone occupée,
appartient ipso facto aux autorités allemandes d’occupation, même
si ce matériel a été transporté en zone libre. Les archives et le matériel
de laboratoire rentrent donc, selon l’hauptmann Opale, dans cette catégorie.
Par ailleurs, précise t-il, cette thèse n’est pas nouvelle et était
celle présentée après la Première guerre aux autorités allemandes par
l’Etat français.
Il faut effectivement se rappeler que les négociations
entre la France et l’Allemagne, après l’Armistice de 1919, avaient été
difficiles et que l’Etat français avait exigé du gouvernement allemand
qu’il divulgue les recherches et le mode de fabrication de toutes les préparations
chimiques et substances toxiques, préparées ou utilisées au cours du
conflit. De même que le fonctionnement de l’usine d’Oppau pour la
synthèse de l’azote et surtout, la destruction de toutes les usines
chimiques allemandes.
En 1919, la France tenait seule l’Allemagne comme
responsable de l’utilisation de l’arme chimique, réfutant toute
participation des armées françaises dans le développement de cette arme
prohibée. Selon les autorités françaises, l’Allemagne devait payer le
prix de cette violation unilatérale des traitées internationaux. Les
tensions avaient été très vives et malgré les légitimes protestations
allemandes, le texte avait été signé ainsi le 28 juin 1919.
Les négociations secrètes menées par la suite
entre les intérêts allemands et le gouvernement français, avaient débouchées
sur un accord entérinant la révélation des secrets de synthèse des
usines allemandes de synthèse de l’ammoniac aux seules autorités françaises,
contre l’abandon de l’exigence par les français de la destruction de
l’industrie chimique allemande. Au final, aucun procédé ni aucune
recherche sur l’arme chimique, autre que des banalités, ne furent révélés,
en dehors du fonctionnement de l’usine de synthèse de l’ammoniac.
Ce 9 septembre 1940 à Montpellier, la Commission
allemande manœuvre finement ; elle connaît parfaitement les limites
légales de sa requête et sait qu’elle risque d’essuyer un refus des
français ; c’est une esbroufe. L'article 6 de la convention est
relativement flou, et son champ d'action ne s'étend qu'aux "armes,
munitions et matériel de guerre", aucunement aux matériels
servant la recherche.
Pour arriver à ses fins et espérer
négocier un compromis, l'occupant décide donc la mise sous séquestre de
toutes les archives et de tous le matériel de laboratoire, en attendant
que la Commission d’Armistice statue sur leur devenir. Le matériel
scientifique du Bouchet est essentiellement composé d’appareils
modernes ultra-sophistiqués dont l’usage scientifique est fondamental
pour la recherche française. Cette mise sous séquestre par les autorités
allemande est évidemment complètement abusive, et n’a aucun autre but
que de faire pression sur les autorités françaises.
La Commission allemande va encore exiger, avec
insistance, pour procéder à l’inventaire de l’ensemble des archives,
de connaître la destination du matériel et des archives secrètes qui
ont quitté Montpellier par voie ferrée pour être mises en sécurité. Robin s’exécute et confie que
le restant des archives est parti à la poudrerie de Toulouse. La
Commission s’y rend expressément et le matériel et les archives de
Toulouse subissent le même sort.
Le 22 octobre, une délégation allemande de la
Commission d’Armistice, composée du capitaine Opale (Commission de
contrôle d’Avignon), du lieutenant-colonel von Horn (Inspection de
Bourges) et du professeur Jung se rend à Montpellier puis à Toulouse.
Les autorités allemandes se montrent, cette fois-ci, beaucoup plus
conciliantes et remettent à la disposition des français, tous les
appareils scientifiques non dévolus aux recherches sur la guerre
chimiques ainsi que toutes les archives administratives. Le lieutenant
colonel von Horn ne dissimule pas alors son très vif intérêt pour les
dossiers d’études du Bouchet conservés à Toulouse et propose alors,
de façon officieuse, un marché. Il rappel que la Commission allemande
d’Armistice n’a pas encore statué du devenir de ces archives mais que
selon lui, il ne fait aucun doute qu’elle en exigerait la livraison. Il
explique que l’intérêt qu’il porte à ces documents à pour origine
d’être renseigné sur l’orientation des recherches au moment de l’Armistice,
afin de prévoir dans quelle voie les Anglais pourraient chercher une arme
nouvelle. Enfin, il propose qu’en échange d’une libre communication
aux autorités allemandes, il puisse se porter garant du retour du
Laboratoire central et de ceux du Bouchet dans leurs locaux respectifs.
Mais il prévient que le temps presse, car la Commission allemande d’Armistice
ne tardera pas à prendre sa décision et qu’il ne sera alors plus
possible d’obtenir une contre-partie.
La proposition de von Horn remonte rapidement la voie
hiérarchique jusqu’au Gouvernement français. La question est délicate
car l’acceptation du marché irait à l’encontre des engagements
officiels français de ne pas prêter son concours sur le développement
de la guerre chimique ; il s’agirait d’un acte de collaboration
notoire, qui pourrait fournir à l’occupant allemand un avantage décisif
sur ses ennemies. Les archives du Bouchet sont d'un très haut intérêt
stratégique, le fruit de vingt années de recherches dans un secteur du
plus haut intérêt militaire.
L’ingénieur en chef Demougin, de la Commission de
la délégation française à Wiesbaden fait plusieurs remarques, dans son
compte rendu de la visite des 23 et 24 octobre, qui nous éclaire sur l’état
d’esprit qui entoure cette problématique. Car il faut bien comprendre
que sans le matériel de laboratoire et les locaux de recherche confisqués
par les allemands, les chercheurs des Services des poudres, se retrouvent
au chômage technique. Les ingénieurs du Bouchet consultés sur cette
question par le Gouvernement français,
vont livrer plusieurs informations dont les dernières paraissent
surprenantes.
En premier lieu, ils précisent que des mesures
exceptionnelles ont été prises pour préserver le secret absolu des rapports
chimiques ; les documents anglais que possédait le Bouchet ont tous
été détruit au moment de l’Armistice, comme ceux des recherches sur
la guerre bactériologique ; il n’en subsiste à priori
aucune copie. Les doubles conservés au Laboratoire Central des Poudres de
Paris, malgré leur importance, ont également été détruits au moment de l’évacuation. Seuls
les archives conservées à Toulouse subsistent. Elles sont censées y être
protégées envers et contre tout. Mais voilà, ils
précisent également que selon eux, les études sur les gaz nouveaux ont
portés sur des séries de corps qui, selon toute vraisemblance, ont également
été étudiés en Allemagne, minimisant toutes les recherches conduites
en France depuis vingt années. Toujours selon eux, les seules études qui
pourraient êtres utiles à l’occupant sont celles concernant les
perfectionnements pour la fabrication de produits agressifs et pour leur
militarisation et leur mise en œuvre. Pourquoi autant de précautions si
ces documents ne représentent que peu d’importance ?
Le 30 octobre, la Direction des services de l’Armistice
informe la délégation française à Wiesbaden que, devant une question
d’une telle gravité, une décision du gouvernement est nécessaire et
que le général Huntzinger, Ministre secrétaire d’Etat à la Guerre,
étant en déplacement, une décision sera prise seulement à son retour.
Du temps de gagné pour rien ; la décision du gouvernement tombe le
9 novembre 1940 ; la suggestion du colonel von Horn est retenue,
toutes les archives du centre d’Etude du Bouchet seront rapatriées au
Bouchet où les spécialistes allemands vont pouvoir les étudier. En
outre, le directeur du laboratoire du Bouchet, Monsieur Kovache, est
habilité par le gouvernement français pour répondre aux questions des
experts allemands et pour leur donner tous renseignement sur le matériel
de recherche et les comptes-rendus d’essais effectués. En échange, les
Allemands libèrent le Laboratoire des Poudres de Paris et les
laboratoires et bâtiments administratifs du Bouchet.
Le gouvernement de Vichy a t-il collaboré au réarmement chimique du
troisième Reich ?
Suite à la décision du Gouvernement français, en
novembre 1940,les Allemands mettent la main sur les vingt années
de recherches françaises sur les armes chimiques d’un des pays le plus avancé dans
le domaine, l’étude de plus de 1500 produits agressifs, de leur toxicité,
leur militarisation, leur chargement, leur dispersion, leur pertinence
tactique, leur synthèse et leur production industrielle. Egalement sur
toutes les avancées dans le domaine de la protection contre les gaz de
combat. Le tout avec le concours et l’appui du Gouvernement français.
Quelle est la valeur de cet apport pour les armées
du troisième Reich ? Même si nous ne connaissons pas la teneur
exacte des archives du Bouchet, un simple constat permet de répondre
partiellement : à l’exception d’un seul,
tous les projets aboutis, les développements, les programmes
industriels, les méthodes de synthèse, de production, de dispersion, mis
au point au Bouchet, vont être adoptés par l’Allemagne.
Toutes les
avancées sur l’Ypérite mises au point par le Centre d'étude du
Bouchet furent adoptées : Ypérites épaissies et Ypérite au 1012 ainsi
que leurs méthodes de synthèse et leurs méthodes d’épandage, pour
une production d’Ypérite totale de 27000 tonnes par l’Allemagne à la
fin du conflit.
A partir de 1943, l'Ypérite au 1012 fut adoptée par les
chimistes d'outre-Rhin à la place de celle au thiodiglycol sous le nom de
Direkt-Lost, code D. La chaîne de production alors réalisée possédait
une capacité deux fois supérieure à celles construites à partir de
1936 (1500 tonnes/mois au lieu de 600 à 800 tonnes). 4110 tonnes de
Direkt-Lost furent produits . Deux Ypérites
épaissie furent également adoptées, à base de polystyrène (Z-OA 396
Zählost ou Ypérite vicieuse) et à base de solution de caoutchouc (Z-OM
8), deux avancées du Bouchet.
Les travaux systématiques sur les
différents types d'Ypérite avaient probablement été réalisés en
Allemagne, mais il est troublant de s'apercevoir que les travaux du
Bouchet sur les sulfures aliphatiques halogénés, les polysulfures et les
sesqui-Ypérites (toutes de la famille des Ypérites au souffre)
trouvèrent tous des applications dans les différentes formes d'Ypérites
adoptées par les armées du Reich (Ypérite à l'oxygène O-Lost code OB,
Sesqui-Ypérite Sesquilost code DO, Propyl-Ypérite Propyllost et
Trichloréthylamine ou Stickstofflost, code T9).
L'Allemagne diversifia ses Ypérites pour en
militariser un dizaine de variétés différentes ; certaines restant
liquides jusque 6°C, d'autres jusque -16°C, -20°C et -30°C.
Variétés chimiques
d'Ypérites allemandes |
Nom allemand |
Nom français |
Code allemand |
Code Nato |
Remarques |
Oxolost et ses variantes S-Lost (Ypérites d'hivers) |
Ypérite au Thiodiglycol |
O et OL (Ypérite d'hivers) |
HD |
Méthode de synthèse allemande |
Direktlost et ses variantes D-Lost (Ypérites
d'hivers) |
Ypérite 1012, mise au point au Bouchet vers 1938. |
D et DL (Ypérite d'hivers). |
HD |
Procédé de synthèse français au 1012 ou
protochlorure de soufre, probablement adopté par l'Allemagne
suite à la communication des archives du Bouchet en 1940,
produite en Allemagne à partir de 1943. |
Sesquilost |
Sesqui-Ypérite, |
DO |
Q |
Etudiée au Bouchet dès les années 20. |
Propyllost |
|
|
|
Etudiée au Bouchet dès les années 20. |
O-Lost |
Ypérite à l'oxygène |
OB |
T |
Etudiée au Bouchet dès les années 20. |
Stickstofflost |
Ypérite à l'azote
Trichloréthylamine |
T9 |
HN-3 |
Découvert au Bouchet en 1930. |
L’Adamsite ou DM (Diphénylaminochlorasine)
a été étudiée par de nombreuses nations avant le conflit. Mais le
Service de Dispertion du Bouchet avait réalisé une avancée très
importante dans sa militarisation, au travers des engins coulés à froid
type Z5. La militarisation de la DM avait été extrêmement étudiée et
poussée par les chercheurs en France, si bien que de nombreuses
techniques élaborées au Bouchet ont suscitées un très vif intérêt de
la part des services chimiques allemands (synthèse, méthodes de
dispersion, études de dissémination, procédés en chandelle, coulage à
froid, obus à dépotage). L'Adamsite fut par ailleurs adoptée sous le
nom de code Azin en Allemagne et produite de 1940 à 1944 à hauteur de
3880 tonnes. L'Allemagne fit par ailleurs pression sur le gouvernement
français dès janvier 1941 et sur l'industrie française, pour la
livraison d'un composant essentiel à la fabrication des engins Z5, un
sirop d'urée tout à fait spécifique sans lequel il n'est pas possible
d'obtenir des chandelles de DM type Z5. Après plusieurs mois de
tergiversation, la volonté de ne pas collaborer au réarmement chimique
notamment portée par le Général d'Armée Huntziger (Ministre de la
Guerre du gouvernement de Vichy), en opposition au Secrétaire d'Etat à
la production Industrielle dirigée par le collaborateur Pierre Pucheu,
semblait s'affaiblir. Puis, après le décès de Huntziger en novembre
1941, la livraison du sirop Nobel fut autorisée à partir de janvier 1942
par le Ministre de la Défense Nationale, l'Amiral de la Flotte François
Darlan, appuyée par le Secrétaire d'Etat à la Production Industrielle,
.
La trichloroéthylamine est un agressif que
le Centre Technique du Bouchet a particulièrement étudié depuis le
début des années 30 ; c'était même un des programme phare du
réarmement chimique français, développé par des essais de tirs réels
dès ce même début des années 1930. L'Allemagne avait également
prévue l'utilisation de cet agressif et débutait sa synthèse expérimentale
dans l'hivers 1939-40. Mais de nombreux problèmes furent rencontrés dans
le démarrage de la production, notamment dans la synthèse de composés
intermédiaires. En France, le programme de synthèse en grand dans la
poudrerie de Boussens devait démarrer à hauteur de plus de 200
tonnes/mois à l'été 1940. Inutile de développer ici l'intérêt que
les études du Bouchet sur cet agressif pouvait représenter pour le
programme militaire allemand (synthèse, méthodes industrielles, dispersion,
militarisation). En 1942, le programme de synthèse allemand à hauteur de
50 tonnes/mois rencontrait encore des problèmes ; il fallut attendre 1943
pour que la synthèse soit progressivement portée à hauteur de 120
tonnes/mois. Au final, 1928 tonnes furent synthétisée par le troisième
Reich.
Toutes les archives du Bouchet ont-elles été livrées
à l’Allemagne ? Probablement pas… le témoignage livré par
Norbert Casteret sur la dissimulation de documents appartenant au Service
des poudres, laisse effectivement à supposer qu’un tri a été effectué
dès juin 1940. Par ailleurs, il semble que les autorités allemandes
furent confrontées à des difficultés pour la réalisation industrielle
de toxiques français. Pour preuve, leur demande de communication des
plans et schémas relatifs à la fabrication de l’Ypérite 1012 en
novembre 1942, tout comme la demande de livraison de sirop d’urée pour
la fabrication des chandelles type Z5, en janvier 1941.
Les locaux du centre d’Etudes du Bouchet seront
restitués aux autorités françaises le 24 avril 1941.
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Le centre d'étude du Bouchet en 1961. |
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1940-1945
Le spectre de la Guerre chimique ne devait pas tarder à réapparaître
sur le théâtre des opérations militaires, la tournure du conflit
balayant les dernières préoccupations morales qui pouvaient retenir ses
détracteurs.
Les autorités britanniques étudièrent dès l'été 1940 la
possibilité de bombardements massifs à l'Ypérite, des plages anglaises
en cas de débarquement allemand. Le programme chimique anglais fut ainsi
énergiquement relancé en juillet 1940. Dès 1941, l'Angleterre avait la
capacité de bombarder les principales villes allemandes, avec plus de 250
000 bombes chargées d'Ypérite ou de phosgène. Cette force de frappe
chimique devait être utilisée en terme de représailles contre
l'Allemagne si celle-ci s'aventurait à utiliser elle-même l'arme
chimique contre l'Angleterre ou l'un de ses alliés. Cette perspective fut
annoncée publiquement par Winston Churchill en mai 1942, par message
radiophonique.
A partir de 1943, la maîtrise de l'espace aérien au dessus de
l'Allemagne par les Alliés, ne fit qu'exacerber cette crainte auprès des
autorités militaires du Reich et devait annihiler toute perspective
d'utilisation d'arme chimique par les armées allemandes, jusqu'à la fin
du conflit. Hitler diffusa des ordres strictes pour interdire le stockage
d'arme chimique en dehors du territoire du Reich et éviter de donner un
prétexte aux Alliées pour initier une guerre chimique. Jusqu'à la
fin du conflit et même pendants les moments les plus critiques, les
ordres donnés par le Führer furent respectés de façon à ne donner
aucun prétexte au déclenchement d'hostilités chimiques.
- Préparation à la guerre chimique ; les agressifs produits en
39-45.
- Les anciens agressifs.
Nous passerons en revue les différents agressifs chimiques utilisés
pendant la Première Guerre mondiale et ceux qui étaient en voie de
développement au moment de la fin des hostilités.
L'Ypérite.
Elle reste la substance dont l'intérêt tactique comme vésicant à
action retardée est le plus marqué. Tous les belligérants qui se sont
préparés à une action offensive à l'aide d'armes non-conventionnelles,
ont produits de l'Ypérite pendant la Deuxième Guerre mondiale. Elle fut
chargée en obus, grenades, rockets, mines terrestres et bombes d'avion ;
l'Allemagne avait chargé la majeure partie de sa production en bombe
d'avion.
L'épandage par avion avait été utilisé par les Italiens, au cours
de la guerre d'Ethiopie, en 1935-1936 (malgré que l'Italie figure parmi
les nations signataires du Protocole de Genève de 1925). Les Anglais
avaient mis au point l'épandage direct par avion, à basse et haute
altitude, sans problème de contamination de l'appareil. La France avait
également travaillé ce mode de dispersion et des essais étaient menés
jusqu'en 1940. Elle avait également procédé au chargement de grenade
d'aviation qui étaient larguées de l'appareil et répandaient leur
contenu au sol. L'épandage au sol à l'aide de véhicules fut étudié
par les Russes, les Anglais et la France. La France chargeât des
bouteilles en verre de 4 litre destinées à infecter une large zone.
Une première innovation importante fut réalisée en France, grâce
aux travaux réalisés au Bouchet et à la poudrerie de Boussens, sur une
variété particulière d'Ypérite nommée 1012. Il s'agissait d'une
méthode de synthèse qui permettait une production considérable par des
opérations peu compliquées et avec un appareillage simple. L'Ypérite
1012 (Ypérite au protochlorure de soufre) était plus facile à épandre et se conservait bien mieux que les
autres variétés (l'Ypérite au bichlorure de soufre, procédé français
mis au point en 1918, attaquait le métal des obus dans lesquels elle
était enfermée pour donner naissance à des produits goudronneux). Le
procédé fut copié par l'Allemagne et la variété d'Ypérite nommée
Direktlost (code D ou DL).
Une deuxième
innovation fut également le fruit des travaux du Bouchet qui permit la
réalisation d'Ypérites épaissies ou Ypérites visqueuses. Ces Ypérites
avaient la particularité de persister sur le terrain beaucoup plus
longtemps que les classiques ; elles adhéraient à tous les matériaux et
résistaient aux agents classiques de décontamination. Les Allemands et
les Anglais, qui récupérèrent les travaux du Bouchet, réalisèrent
également ce type d'Ypérite.
Les chimistes allemands produisirent deux types d'Ypérites épaissies
à partir des travaux français. La première, Z-OA 396 Zählost ou
Ypérite vicieuse, était composée de 91% d'Ypérite OA (Ypérite
d'hivers combinant près de la moitié de sa formule à des arsines) ainsi
que du caoutchouc et de la cire. La deuxième, Z-OM 8, était formulée à
partir de 90% d'Ypérite OM (Ypérite d'hivers, constituée d'Ypérite
additionnée d'Oxy-Ypérite et de sesqui-Ypérite), de polystyrène et de
cire
L'Allemagne diversifia les formulations de ses
Ypérites pour qu'elles restent liquides à des températures très
basses, jusque -30°C.
La France s'était dotée d'une capacité de production devant
atteindre 1290 tonnes par mois en juillet 1940. En juin 1940, plus de 600
tonnes avaient été chargées dans des projectiles et 1700 tonnes
étaient stockées en réserve. L'Allemagne fabriqua 27.000 tonnes
d'Ypérite jusqu'à la fin du conflit. Elle fut synthétisée par
pratiquement toutes les nations belligérantes (Angleterre, USA, Japon,
France, Allemagne, Italie, Belgique...).
Nuage mortelle d’Ypérite à Bari – Italie
–1943.
2 décembre 1943, Werner Hahn, pilote son
Messerschmitt Me-210 de reconnaissance à plus de 7000 mètres
d’altitude, au-dessus du port de Bari, dans le sud-est de
l’Italie. Il repère de nombreux bateaux dans le port.
Bari
était une cité portuaire de près de 200 000 habitants. Ce 2 décembre
1943, plusieurs dizaines de navires alliés s’y trouvaient et ses
installations fonctionnaient à pleine capacité.
Parmi les navires ancrés dans le port, était
amarrée le John Harvey. Le cargo était arrivé quatre jours
plus tôt après un long voyage commencé à Baltimore et qui s’était
poursuivi avec des escales à Norfolk, Oran et Augusta. Comme des
U-boot allemands étaient présents dans l’Adriatique, des
chercheurs avaient conclu que « le navire était dans
l’endroit le plus sûr qu’il pouvait trouver à ce moment-là ».
Le John
Harvey, commandé par le capitaine Elwin F. Knowles, était un
Liberty Ship typique, à peine différent des autres amarrés dans
le port. La majorité de son chargement était également
conventionnel : munitions, nourriture et équipement. Mais le navire
transportait aussi un secret mortel.
Cachées dans la cargaison, se trouvaient 2000
bombes M47A1 chargées d’Ypérite. Ce toxique avait été envoyé
dans le plus grand secret au cas où les Allemands, en pleine déroute,
ne se mettent à utiliser cette arme contre les troupes Alliées.
Bien que plusieurs agents étaient au courant de la cargaison
inhabituelle et dangereuse, la priorité fut donnée à d’autres
navires transportant des fournitures médicales et des munitions
conventionnelles et le John Harvey attendait sur le quai à côté
de quatorze autres navires.
Les
bombes d’Ypérite avaient l’apparence de munitions
conventionnelles. Chaque bombe faisait 1,2 m de long et 20 cm de
diamètre, et contenait 27 à 31 kg de produit chimique.

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Bombe M47A2 (fumigène), similaire à la M47A1 (Ypérite).
La
cargaison fut emmenée dans le plus grand secret. Même Knowles, le
commandant, ignorait le contenu des bombes chimiques. Les membres
perspicaces de l’équipage avaient cependant deviné que le voyage
sortait de l’ordinaire ; le premier-lieutenant Howard D.
Beckstrom de la 701e compagnie de maintenance chimique se trouvait
à bord avec un détachement de 6 hommes. Tous étaient experts dans
le maniement de matériel toxique et étaient manifestement là dans
un but bien précis.
Beckstrom
aurait bien voulu décharger la cargaison secrète le plus tôt
possible, mais quand le navire arriva à Bari, le 26 novembre, ses
espérances furent anéanties. Le port était rempli de navires et
un autre convoi devait arriver sous peu. Des douzaines de vaisseaux
étaient empilés le long des jetées, chacun attendant son tour
pour le déchargement. Comme les bombes d’Ypérite n’avaient
aucune existence officielle, le John
Harvey n’avait
pas à recevoir une priorité spéciale.
Aussitôt
informé de la présence de nombreux navires dans le
port de Bari, la Luftwaffe décidait d’un raid surprise le
jour même. Les pilotes Allemands arrivèrent à Bari en fin de
journée, à 19h30 précise. Le premier-lieutenant Gustav Teuber,
leader de la première vague, ne pouvait en croire ses yeux : les
docks étaient brillamment allumés ; des grues se distinguaient
alors qu’elles déchargeaient les cargaisons depuis les cales
grandes ouvertes des navires, et la jetée est était pleine de
bateaux.
Les
Ju-88 descendirent sur Bari, leur attaque illuminée par les lumières
de la ville et les fusées éclairantes allemandes. Les premières
bombes frappèrent la cité elle-même, de grands geysers de fumée
et de flammes marquant chaque détonation, mais bientôt ce fut le
tour du port. Quelque 30 vaisseaux se dirigeaient vers leur lieu
d’ancrage cette nuit et les équipages eurent à répondre à
l’alerte du mieux qu’ils le pouvaient. La surprise était
totale, et quelques bateaux durent fonctionner sans tout leur
effectif, de nombreux matelots se trouvant à terre en permission.
Les bombes déchirèrent les pipelines de
carburant du port, et le pétrole se répandit partout ; un côté
du navire Joseph Wheeler fut éventré par une bombe, alors qu’une
explosion détruisit le pont du John Bascom. Les produits chimiques
utilisés en médecine présents dans ce navire prirent rapidement
feu, tout comme les amarres, ce qui entraîna une collision entre ce
navire et le John l. Motley, avec une cargaison de 5 000
tonnes de
munitions, qui avait déjà été touché par une bombe à la cinquième
porte.

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Le Motley en flammes explosa alors et entraîna
la mort de tout l'équipage qui comptait 64 membres. L’explosion démolit
le flanc gauche du Bascom, alors qu’une bombe explosa sur le pont
du marchand britannique Fort Athabaska, tuant 45 des 55 membres d’équipage.
Le Liberty Samuel J. Tilden, touché par un engin
explosif dans la salle des machines et ensuite mitraillé depuis un
avion allemand, coula touché par une torpille lancée par un navire
britannique pour éviter que le feu ne se répande aux autres
navires de fret. Le cargo polonais Lwów fut touché par deux bombes
et prit rapidement feu.
Environ une demi-heure plus tard, le dernier
avion allemand lâchait sa cargaison de bombes.
« Le port est en flammes, la surface de l’eau brûle
et les navires en flammes explosent » . Dans un premier temps,
le vent soufflait dans la direction opposée à la ville, ce qui
facilitait l'évacuation de la population, mais bientôt le vent
changea de direction et la zone autour du port fut envahie par
la fumée. La mer fut bientôt recouverte par les flammes ; le
carburant des navires et d'autres combustibles brûlaient sur sa
surface.

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Pendant
l’attaque, le John Harvey
pris feu et quelques minutes plus tard, explosa. Tout l’équipage
fut tués à bord et dans tout le port, la force de l'explosion
projeta des hommes à terre. Les hommes à bord du USS
Pumper, un pétrolier transportant du carburant pour avions,
furent les témoins des derniers moments du John
Harvey. L'air fut initialement happé par le vortex de
l'explosion, puis l'onde de choc déplaça le bateau de 35 degrés
par rapport au port.
Alors
que les marins attendaient d'être secourus, l'enseigne K. K. Vesole,
commandant le détachement de gardes armés du John
Bascom, ressentit des difficultés à respirer. Beaucoup
d'autres hommes avaient le souffle coupé, mais ce fut Vesole qui
nota quelque chose d'étrange à propos de la fumée. «
Je sens de l'ail », dit-il, sans réaliser les implications de
sa remarque. L’Ypérite avait été généreusement mélangé avec
l'huile qui flottait dans le port et se mêlait à la fumée qui se
répandait sur la zone.

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L’Ypérite
répandu dans l'huile avait recouvert le corps des marins alliés
qui se déplaçaient dans l'eau et certains avaient même avalé
cette mixture nocive. Même ceux qui ne se trouvaient pas dans l'eau
en avaient avalé de bonnes doses, tout comme des centaines, peut-être
des milliers de civils italiens
Le
raid allemand commença à 19h30 et finit 20 minutes plus tard. Les
pertes allemandes furent très faibles, et la Luftwaffe avait
réussi au-delà de ses attentes les plus optimistes. Dix-sept
navires alliés furent coulés et huit autres endommagés, donnant
à Bari le surnom de « second Pearl Harbor ». Les Américains
supportèrent les plus grosses pertes, perdant les Liberty Ships John
Bascom, John
L. Motley, Joseph
Wheeler, Samuel
J. Tilden et John
Harvey. Les Britanniques perdirent quatres navires, les Italiens
trois, les Norvégiens trois et les Polonais deux.
Le
lendemain, les survivants se réveillèrent sur une scène de
destruction totale. De larges parties de Bari étaient en décombres,
spécialement la ville médiévale. Des portions de la ville et du
port brûlaient encore, et un fin voile de fumée noire pendait dans
le ciel. Il y eut plus de 1000 blessés parmi les marins militaires
et marchands ; environ 800 furent admis dans les hôpitaux locaux.
Un nombre au moins aussi important de blessés civils était à dénombrer.

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Heureusement,
Bari était le site de nombreux hôpitaux militaires alliés. Les
blessés du raid commencèrent à se déverser dans les hôpitaux
jusqu’à ce que ceux-ci soient pleins à craquer. Presque immédiatement,
quelques-uns des blessés se plaignirent d’avoir des « poussières
» dans les yeux et leur état se dégrada en dépit du traitement
conventionnel. Leurs yeux étaient enflés, et des lésions de la
peau apparurent. Submergé par les blessés de tous genres et de
tous styles, le staff médical ne réalisa pas qu’il avait à
faire avec un toxique de combat et permit aux victimes de rester
avec leurs habits trempés de gaz et d’huile pendant une longue période.
Les
victimes n’étaient pas seulement sévèrement brûlées et
couvertes d’ampoules, mais leur système respiratoire était aussi
très irrité. Les blessés au gaz étaient saisis de toux et
avaient des difficultés à respirer, mais les équipes de l’hôpital
semblaient sans espoir face à cette maladie inconnue. Des hommes
moururent, et même ceux qui survécurent durent avoir une longue et
pénible convalescence. Des aveuglements temporaires, la douleur
atroce des brûlures et un terrible enflement des parties génitales
produisirent une angoisse tant physique que mentale chez tous les
malades.
Comme
les victimes commençaient à mourir, les médecins commencèrent à
suspecter qu’un quelconque agent chimique était en cause.
Quelques chimistes pointèrent le doigt sur les Allemands, spéculant
qu’ils avaient eu recours à une arme chimique. Un message fut
envoyé au quartier-général allié à Alger informant le
chirurgien général adjoint Fred Blesse que des patients mouraient
d’une maladie mystérieuse. Pour résoudre cette énigme, Blesse
envoya le lieutenant-colonel Francis Alexander, un expert des
traitements pour cause de guerre chimique, à Bari.
Alexander
examina les patients et les interrogea quand cela était possible.
Cela commençait à ressembler à une exposition à du gaz moutarde,
mais le médecin n’en était pas sûr. Ses suspicions furent
confirmées quand un fragment d’une bombe fut retrouvé au fond du
port. Le fragment fut identifié comme une bombe américaine M47A1,
qui avait été créée pour porter une charge possible de gaz
moutarde. Les Allemands pouvaient être éliminés comme suspects.
Alexander
ne savait toujours pas d’où émanait le gaz moutarde. Le médecin
compta les morts par gaz moutarde par navire, puis reconstitua la
position de chaque bateau dans le port. La plupart des victimes
venaient des navires ancrés près du John
Harvey. Les autorités britanniques du port admirent finalement
qu’ils savaient que le John
Harvey transportait
un gaz mortel. Alexander écrivit un rapport détaillant ses découvertes
qui fut approuvé par le Commandant suprême allié, le général
Eisenhower.
Le
secret couvrit néanmoins toute l’affaire. Finalement, les Américains
et les Britanniques furent informés du raid dévastateur de Bari,
mais la partie jouée par le gaz moutarde fut passée sous silence.
Le Premier ministre britannique Winston Churchill était particulièrement
inflexible sur le fait que la tragédie demeure secrète. Il était
déjà suffisamment embarrassant que le raid s’effectue sur un
port sous juridiction britannique. Churchill pensait que de publier
le fiasco donnerait un coup de pouce à la propagande allemande.
Même
si le gaz est mentionné dans les rapports officiels américains,
Churchill insista pour que les rapports médicaux britanniques
soient purgés de toute mention de gaz et pour que les morts dus à
l’Ypérite soient enregistrés comme « brûlés à cause de
l’action ennemie ». Les tentatives de Churchill de maintenir le
secret ont pu causer plus de victimes, car si l’information avait
circulé, davantage de personnes et spécialement les civils
italiens, auraient cherché un traitement adapté.

Bombes M47A1 chargées en Ypérite HS,
Ypérite simple au monochlorure de soufre. |
Il
y eut 628 blessés par gaz moutarde chez les militaires alliés et
le personnel de la marine marchande. 69 décédèrent dans les deux
semaines après le bombardement. La plupart des victimes, néanmoins,
comme le capitaine Heitmann du John
Bascom, retrouvèrent leur pleine santé après une longue
convalescence. Mais les chiffres ne comprennent pas les civils
italiens qui ont été exposés à l’agent chimique mortel. Il y
eut un exode massif des civils hors de la cité après le raid.
Quelques-uns étaient probablement des victimes du gaz et moururent
par manque d’un traitement approprié.
Source : Niderost, "Deadly Luftwaffe Strike in
the Adriatic", World
War II, March 2004.
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La Léwisite.
La Léwisite est un mélange de chlorovinyldichlorarsine (75 à 80%) et
de dichlorovinylchlorasine (20 à 25%). Elle a des propriétés
vésicantes et irritantes.
Elle fut l'objet d'études importantes en France et en Angleterre avant
1940, puis ultérieurement en Amérique. Elle fut fabriquée en France, en
Angleterre; aux Etats-Unis (qui l'abandonnèrent à la suite de la
découverte du BAL), en Russie, au Japon, chargée en obus, grenades et
bombes d'aviation, seul ou en mélange avec l'Ypérite (Ypérite HL en
Angleterre).
La Trichloréthylamine.
Elle fut préparée au Bouchet dès 1930, puis produite en petite
quantité à Boussens en 1940. Ultérieurement, l'Allemagne nazie qui
avait projeté son chargement probablement à partir de 1937 mais essuyé
des déboires dans sa production, après
avoir récupéré les études françaises en 1940, en produisit à hauteur
de 2000 tonnes sous le nom de Stickstoff-Lost ou T9, pour la charger en obus et
rockettes.
L'Ethyldichlorarsine.
Irritant respiratoire, suffocant et vésicant, utilisée par
l'Allemagne pendant la¨Première Guerre mondiale comme diluant actif de
l'Yperite, elle fut synthétisée en 39-45 par les américains.
La Diphénylchlorarsine ou CLARK I et la Diphénylcyanarsine ou CLARK
II.
Les USA considérèrent le Clark I comme un des meilleurs irritant et
le chargèrent en obus et bombes d'aviation. L'Allemagne produisit 12.600
tonnes d'huile d'Arsine, le produit brut, dont 3.000 tonnes de Clark I ont
été extraites. Elle fut mélangée à l'Ypérite dans certains
chargements.
La Diphénylaminochlorarsine ou DM.
La DM fut étudiée par l'Allemagne, la France, l'Angleterre, les USA,
et la Russie. Avant 1940, Anglais et Américains avaient mis au point la
vaporisation d'arsines à mélanges de poudres pour réaliser des
aérosols de particules de l'ordre du micron, non arrêtés par les
charbons actifs des cartouches de masques filtrants (nécessitant donc un
filtre spécial appelé filtre à arsines) et dont la portée pouvait
être considérable. Les essais conduits dans le nord de l'Ecosse avaient
porté sur une émission de 15 tonnes de DM, qui avaient diffusées sur
plus d'une dizaine de km.
L'avancé la plus marquante dans le domaine est à mettre au crédit
des laboratoires du Bouchet. Les travaux remarquables du laboratoire de
dispersion aboutirent à la mise au point des engins dit Z5 à
vaporisation de DM coulée à froid. Leur charge était constituée d'un
mélange de 4,850kg de DM, de perchlorate d'ammoniaque et de sirop d'urée
Nobel. Le mélange pâteux obtenu était d'une manipulation bien plus
facile que les mélanges de poudres utilisés par les Anglais. Une
émission d'éssais réalisée en Algérie à Béni-Ounif, en 1938-1939 à
l'aide de 320 engins Z5, produisit à 50km du point d'émission un nuage
de 5km de large rendant le port du masque obligatoire. Des
expérimentations de DM et d'huile d'anthracène menées avant 1940
permettaient de traverser les filtres spéciaux des masques en usage.
Après l'Armistice de juin 1940, les techniques de fabrication des
engins Z5 furent adoptées par l'Angleterre. L'Allemagne nazie, en
récupérant les travaux du Bouchet, adopta à son tour les engins Z5. Les
chimistes allemands essuyèrent, semble t-il, quelques revers lors de la
réalisation de leur engins. Ils exigèrent la livraison de sirop d'urée
Nobel fabriqué initialement en France, pour réaliser leurs chandelles de
DM. Ils finirent par produire 4.000 tonnes de DM chargées dans des
chandelles type Z5 de 3kg et 16kg.
La Chloracétophénone.
Elle fut synthétisée par la France, puis l'Allemagne. Initialement
synthétisée en 1916 par le pharmacien Jacques Bongrand, elle fut retenue
comme un puissant agent lacrymogène. La France en avait synthétisée une
petite quantité en 1940, qui fut récupérée par l'Allemagne après
l'Armistice. L'Allemagne en produisit par la suite 6.000 tonnes, chargées
en obus et bombes d'aviation.
Le Cyanure de benzyle bromé ou Camite.
Il fut étudié et produit en Angleterre.
L'Oxime de phosgène.
Fut étudié par la Russie et la France ; cette dernière le jugea
instable et l'abandonna.
La chloropicrine.
Fabriquée par les Américains et les Russes, elle fut chargée en
mélange avec du phosgène par les Anglais.
Le phosgène.
Il fut chargé par de nombreux belligérants, comme la France,
l'Allemagne, les Anglais, les Américains, les Russes.
L'acide cyanhydrique.
C'est un toxique redoutable mais difficile à militariser, en raison de
sa faible densité.
L'Allemagne étudia sa dispersion par temps froid et le chargea dans
des grenades frangibles. Il fut utilisé dans les chambres d'extermination
des camps allemands.
Les Etats-Unis réussirent à réduire sa fugacité et l'adoptèrent.
Les Russes le chargèrent en bombes d'aviation et en obus.
Le chlorure de cyanogène.
Fut étudié par l'Allemagne qui en produisit un vingtaine de tonnes.
Les USA et la Russie l'auraient chargés en obus, grenades et bombes
d'aviation.
L'hydrogène arsénié.
Il traverse les cartouches des masques de protection. L'Allemagne
l'étudia mais fut confrontée à des problèmes de stabilité. Ils
produisirent un produit nommé Aéroform T.300, mélange d'un arséniure
de magnésium et d'aluminium qui, répandu sur le sol, dégageait de
l'hydrogène arsénié à concentration mortelle. Le Bouchet étudia
également ce toxique.
- Les nouveaux agressifs.
Ils sont essentiellement issus des recherches allemandes. La toxicité
des substances élaborées dans les laboratoires de chimie du Reich et
particulièrement ceux de l'IG Farben, étaient systématiquement
déterminés. Si celle ci dépassait un certains seuil, la substance
était considérée comme potentièlement intéressante et signalée au
Ministère de la Guerre.
Ainsi, jusqu'en 1935, plus de 200 produits avaient été retenus et
étudiés par le Reich. Ces travaux conduirent à la préparation d'une
série d'agressifs inédits, dissimulés sous le nom de trilons, nom
déjà adopté pour désigner des substances destinées à décalcariser
l'eau. Ces trilons sont le Tabun, le Sarin et le Soman.
Le Tabun.
Il s'agit du diméthylaminocyanophosphite d'éthyle. C'est le docteur
Gerhard Schrader qui le découvrit en 1937 en cherchant à préparer des
insecticides et des anticryptogamiques et en reprenant des travaux datant
de 1902, par Michaelis dans les annales de Liebig.
Sa préparation se fait à partir de l'oxychlorure de phosphore sur la
diméthylamine, puis avec du cyanure de sodium et de l'alcool en présence
de chlorobenzène, on obtient le Tabun.
Il se présente sous l'aspect d'un produit incolore à légère odeur
cyanhydrique ; le produit industriel est brun et renferme 5 à 20% de
chlorobenzène. C'est une molécule fragile, qui se décompose facilement
à la chaleur et peu résistant à l'explosion. Il est légèrement
soluble dans l'eau et facilement hydrolysable, rapidement détruit par les
solutions alcalines.
Le Sarin.
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