L’organisation de la réplique française.
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Il n'y eu en France, aucun débat politique sur la
nécessité de répliquer aux agressions chimiques allemandes. Militaires et
politiques souscrivèrent unanimement à la décision d'une réplique
militaire chimique, sans concession, sans limite.
En quelques jours, une structure chargée de mettre
en place une riposte chimique fut créée (voir : la
genèse des premiers moyens de protection - l'organisation française au
lendemain de la première attaque aux gaz). Celle-ci se divisa en
trois structures, une commission chargée de l'étude des moyens
agressifs et des moyens de défense, une commission chargée de l'étude
des corps agressifs utilisés par l'ennemi et une structure chargée des
moyens de production.
C’est lors de la réunion
du 28 avril 1915 que l’on évalua les moyens de réplique dont la France
disposait (voir : la
genèse des premiers moyens de protection - l'organisation française au
lendemain de la première attaque aux gaz). On souhaitait aller vite,
mais déjà, on réalisait la difficulté à
laquelle il allait falloir faire face : la France ne disposait pas
d’industrie chimique, elle ne produisait pratiquement pas de chlore et ne
disposait pas de ressource en brome, des substances alors indispensables à la
synthèse de l’ensemble des substances agressives connues.
Le seul corps
dont on put disposer immédiatement était le tétrachlorure de titane, baptisé fumigérite,
en regard de ses propriétés principalement fumigènes. Il possédait néanmoins
une valeur irritante assez modeste. Les premiers essais de projectiles emplis de ce produit
eurent lieu le 30 avril 1915, à Satory, en présence des généraux
Curmer et Dumezil. On peut s'interroger sur la promptitude avec laquelle
ils furent réalisés, moins de deux jours après avoir décidé d'une
riposte. Le 2 mai, ces essais furent jugés satisfaisant, tout au moins
comme un premier moyen à adopter. Les livraisons en fumigérite, débutèrent le
7 mai, à compter de seulement 500 kg par jour, ce qui se révèlera
rapidement insuffisant.
Les premières recherches sur la création d'une
vague gazeuse agressive débuta le 1er mai, et le 4 mai eurent lieu les premiers essais de production de
nappe gazeuse de chlore, qui devaient se poursuivre par la suite (voir : Etudes
de la vague de chlore).
Ainsi, les
premières recherches en vue de riposter à l’attaque allemande, débutent
très rapidement, en quelques jours après le 22 avril 1915 et la vague
gazeuse d'Ypres (voir :
La vague gazeuse du 22 avril 1915). On s’attendait à disposer de moyens efficaces d’ici la fin
de l’été ; la réalité sera tout autre.
Pour réaliser ce dessein,
les responsabilités furent réparties
Voir : Les
munitions chimiques françaises, généralités.
Voir : La
genèse des premiers moyens de protection.
La recherche incomba à ce qui deviendra
la section des produits agressifs, présidée par le colonel Perret, secondé
par Charles Moureu. Ses 11 membres étaient tous d’éminents chimistes :
Gabriel Bertrand, Victor grignard, Job, André Kling, Paul Lebeau, Marcel Delépine
(qui remplaçait Maquenne au début de 1916), Simon, George Urbain et Terroine.
La logistique fut confiée à l’Etablissement Central du Matériel Chimique
de Guerre, sous la direction de monsieur Cuvelette. Ce dernier se vit en
charge de réaliser un véritable programme de développement industriel pour
réaliser la production des substances nécessaires à la riposte chimique
militaire.
Enfin, les études sur le
front furent confiées à André Kling, afin d’identifier rapidement les
nouvelles substances utilisées par l’ennemi. Immédiatement, il réussira à mettre en place une structure destinée à renseigner le G.Q.G. et
l’I.E.E.C., sur la nature des toxiques utilisés lors de chaque attaque
allemande et sur le type de munitions utilisées dans ce but. A chaque fois
qu’une attaque était signalée, Kling se rendait sur place, accompagné par le médecin
chef du centre médico-légal de la zone concernée, pour y effectuer une enquête
complète et récupérer des échantillons. Le nombre d’attaques chimiques
se multipliant rapidement, Kling ne fut plus en mesure d’effectuer toutes
ces enquêtes, et ce rôle fut dévolu aux centres médico-légaux. Tous les
projectiles supposés toxiques étaient envoyés au laboratoire municipal de
Paris pour y être démontés et examinés. Ainsi, on obtint des
renseignements très complets sur les agressifs allemands, leur méthode de
synthèse et sur les moyens de les disperser.
Deux voies de recherches furent explorées : la
production d’une vague gazeuse et le chargement de substances agressives
dans des projectiles. Il est impossible d’énumérer ici l’ensemble des
recherches menées, tant le nombre de substances étudiées est grand. Nous
nous bornerons à suivre celle ayant abouti dans les premiers mois du
programme.
I) Les munitions toxiques.
A) les premiers obus spéciaux français.
La France réalisa très rapidement les
perspectives offertes par l'artillerie comme moyen de dissémination de
substances toxiques.
voir : généralités
sur les munitions chimiques françaises
voir :
les substances chimiques chargées en projectiles d'artillerie
Le premier corps dont la synthèse apparut réalisable
avec les matières premières dont on disposait, fut proposé par Urbain Il
s’agissait du tétrachlorosulfure de carbone, aux propriétés suffocantes. Les
études de ce produit furent menées par Bertrand et Delépine, ce qui vaudra
aux obus emplis de ce produit de porter l’appellation BD1, des initiales de
leurs concepteurs. Les premiers essais d’éclatement des obus de 75 mm BD1,
eurent lieu à la fin du mois de juin, au puits d’éclatement de Vincennes.
L'activité des obus BD1 sembla intéressante et
fut confirmée par quelques essais d'éclatement d'obus qui parvinrent
à intoxiquer mortellement plusieurs lapins. On mis immédiatement en
production des munitions de 75mm chargées de chlorosulfure de carbone
et de phosphore, ou de chlorosulfure de carbone et de chlorure de titane. La volonté des Autorités françaises était alors de
prendre le dessus sur les armées allemandes en utilisant dès que
possible des munitions chimiques aux capacités suffocantes et létales.
Les premiers tirs réels eurent lieu entre la deuxième semaine de
juillet 1915 et jusqu'à la fin de ce mois, lors de plusieurs
opérations limités sur le champs de bataille et contre les troupes
allemandes. Les résultats furent très décevant et les munitions au
chlorosulfure de carbone seul et au chlorosulfure de carbone et
phosphore furent retirées. voir : Les
munitions chimiques françaises - Les
substances utilisées et leur historique,
juillet 1915, premiers tirs d'obus chimiques français.
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Lettre du Général Commandant en chef, Joffre, à
Monsieur le Ministre de la Guerre, 16 juillet 1915.
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Le
29 juillet, des essais réels furent effectués sur le polygone de tir de
Satory avec des munitions chargées de chlorosulfure de carbone et un
stabilisateur de nuage toxique, un fumigène. Le mélange était
maintenant constitué de sulfure de carbone, de chlorure de soufre, de
chlorosulfure de carbone et de tétrachlorure de carbone additionné de
chlorure de titane (note confidentiel n°27 du 3 août 1915). Les
procédés de synthèse du chlorosulfure de carbone varièrent durant le
mois d'août, alors que le remplissage des obus s'effectuait en
prévision des offensives de septembre. La note secrète du 13
août précisait l'instabilité du composé et tentait d'instaurer une
uniformité dans les produits fournis (pas de substance passant en distillation
au dessous de 100°C, ajout de soufre...) qui se révélaient comme
extrêmement hétérogènes. Le Chlorure de titane vint parfois à
manquer et pouvait être substitué par du chlorure d'étain, sans que
l'on sache s'il conservait ses propriétés agressives.
Les chercheurs semblaient, une fois de plus, enthousiastes devant les résultats obtenus,
mais négligèrent un aspect essentiel : la persistance du produit (ici
pratiquement nulle) associée à sa trop grande dispersion, liée à l’éclatement
du projectile.
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Note du Général commandant en chef Joffre du 2
août 1915 au sous secrétaire d'Etat à l'Artillerie, pour la
production URGENTE de munitions chimiques avant les offensives de
septembre. Joffre espérait beaucoup de l'arme chimique pour le
succès des offensives de Champagne en septembre.
Les Allemands avaient obtenus des résultats importants en
juin, juillet et août 1915 dans leurs offensives en Argonne, grâce
à l'appui de munitions chimiques. Joffre espérait jouer du même
stratagème.
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Les demandes de Joffre se faisant de plus en plus
pressantes pour l'obtention d'un stock considérable de munitions
chimiques pour septembre, l'aspect de la mise en place d'une doctrine de
tir pour pallier à la forte dispersion de la substance chargée passa
au second plan. Tout comme la finalisation du mélange exact qui devait
emplir les projectiles. L'optimisme du Général en chef était motivé
par les résultats des essais effectués sur le polygone de tir de
Satory, dont nous donnons ci-dessous un extrait du compte-rendu.
Nous reproduisons également ci-dessous un extrait
du rapport de la Commission d'agression en date du 24 août 1915,
faisant état des divisions qui régnaient entre chercheurs sur le
mélange à effectuer pour le chargement :
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Dénué de forte toxicité distribués à la hâte
et sans doctrine d'emploi, l’introduction des premiers obus
spéciaux français, lors de l’offensive de Champagne en septembre 1915, se
traduisit par un échec cuisant. voir : Les
munitions chimiques françaises - Les
substances utilisées et leur historique.
Choisis pour leur grande toxicité, deux autres corps
furent particulièrement étudiés, à partir du mois de juin 1915 :
l’acide cyanhydrique et le phosgène. Des essais, menés par Lebeau et
Urbain, furent rapidement effectués pour déterminer leur efficacité, et
l’on constat ainsi la nécessité d’alourdir leurs vapeurs pour obtenir
des atmosphères toxiques. Ces recherches se poursuivirent pour aboutir aux
premiers essais réels sur champ de tir, puis aux premières productions en août
1915. Le phosgène fut mélangé à un corps fumigène, le chlorure d’étain,
qui l’alourdissait et qui lui évitait de se disperser et de se diluer trop
rapidement à l’explosion de l’obus. Ces munitions porteront
l’appellation conventionnelle d’obus n°5. Les conditions techniques à réaliser
pour obtenir des obus emplis d’acide cyanhydrique efficaces, furent plus
difficile à maîtriser. La toxicité de ce produit étant, expérimentalement,
très grande, ces recherches furent menées jusqu’au bout par Lebeau. En
concentration suffisante, l’acide cyanhydrique était susceptible de provoquer
la mort en quelques instants, avant que le masque ne soit mis. C’est
seulement en décembre 1915, que Lebeau réussit à la stabiliser
suffisamment, en la mélangeant avec du chloroforme et du chlorure d’étain,
dans une composition appelée vincennite tertiaires. Les obus emplis de ce
produit portèrent l’appellation d’obus n°4. voir : Les
munitions chimiques françaises - Les
substances utilisées et leur historique
B) D’autres produits moins toxiques dans l’attente du futur.
Le gouvernement et les autorités militaires
repoussèrent l’utilisation de l’acide cyanhydrique et du phosgène, en raison de leur
trop forte toxicité, rejetant leur introduction jusqu’au moment ou
l’ennemi ferait usage des mêmes substances ou des substances de toxicité
similaire (voir :
les substances chimiques chargées en projectiles d'artillerie). Les obus chargés de palite, introduits par les Allemands depuis le
18 juin 1915, avaient pourtant une toxicité assez proche de celle du phosgène,
seulement, les chimistes français en prirent conscience bien plus tard (en
dehors d'André Kling).
La volonté des autorités militaires était de
disposer au plus tôt de projectiles aux capacités foudroyantes. Cela
signifiait de mettre en oeuvre des munitions les plus nocives possibles
- c'est à dire létales - au mépris de toutes les Conventions internationales
existantes. Les militaires avaient parfaitement conscience que le chlore
employé par les Allemands à Ypres n'avait qu'une faible toxicité et
que les projectiles chimiques qu'ils utilisaient avaient des
propriétés lacrymogènes en plus de leurs propriétés toxiques.
Aucune Convention n'interdisait l'emploi d'un projectile d'artillerie
qui, en plus d'effets brisants, avait des propriétés irritantes et
toxiques. Les accords internationaux interdisaient l'usage d'un
projectile aux seules capacités toxiques, dont les effets ne seraient
prévenus par aucun autre symptôme. La Convention de La Haye de 1899
prohibait l'utilisation de "projectiles dont le seul objectif
est de diffuser des gaz asphyxiants ou délétères".
En somme, la doctrine française ne devait pas se
laisser guider par des considérations de sentimentalité ou de respect
de Conventions, mais uniquement par les résultats attendus s'ils
s'avéraient possibles. Ce point est à plusieurs reprises mentionné
dans différents rapports, dont nous donnons un extrait ci-dessous
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Extraits du rapport de la Commission
d'agression du 17 août 1915, sur l'objection morale d'utiliser
des substances létales et sur l'objectif recherché. |
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En réalité, il n'y eut aucune objection à
utiliser des substances létales et à violer la Convention de La Haye.
Les autorités prirent cependant la précaution de n'utiliser ces
substances dans des munitions d'artillerie que quand la capacité de
production française fut jugée suffisante pour ne pas avoir à
souffrir de représailles allemandes plus importantes. Cet avis est
motivé dans un courrier de la Commission du 2 août 1915, approuvé par
le Général commandant en chef, que nous reproduisons :
En
attendant, la Commission se pencha sur l’utilisation de substances
moins toxiques.
Paradoxalement, la France qui avait la première introduit
l’usage de substances lacrymogènes, n’envisageât pas immédiatement
l’emploi de cette catégorie de toxiques. Il est vrai que la notion de
classement des agressifs, en fonction de leurs propriétés physiologiques,
n’existait pas, et les lacrymogènes ne paraissaient pas retenir l’attention
des chercheurs, étant souvent considérés comme des substances non toxiques,
donc inintéressantes. Répondre à l'agression allemande ne semblait
s'envisager, dans ces premiers mois de recherche, que par des substances
aux propriétés létales.
De nombreux produits, très efficaces, avaient pourtant été
proposés avant le 22 avril 1915. Par exemple, au début de la guerre,
monsieur Blanc, directeur des laboratoires d’analyses des conserves à
l’intendance, avait proposé d’utiliser les dérivés nitrés du chlorure
de benzyle. La chloropicrine, une substance suffocante et lacrymogène, avait
été étudiée pour le compte de l’armée, de 1906 à 1911, puis ces études
avaient été reprises par Bertrand en février 1915. Seulement, l’efficacité
de ces produits était alors jugée de façon subjective, en s’attachant
essentiellement aux propriétés irritantes qu’ils produisaient. Les
autorités militaires souhaitaient bien répondre à l'attaque du 22
avril par une agression au moins aussi meurtrière, et recherchaient des
composés mortels.
Cette
situation connut alors un net revirement à la fin du mois de juin 1915,
lorsque les Allemands se mirent à utiliser massivement ce genre de produits.
Les généraux demandèrent alors l’envoi d’obus ‘’suffocants’’
chargés de corps aux propriétés voisines de l’éther bromacétique.
On envisageait immédiatement le chargement d’obus avec les deux produits lacrymogènes
que l’on utilisait dans les grenades suffocantes : le bromacétate d’éthyle
(ou éther bromacétique) et la chloracétone. Seulement, les quantités de
ces substances, nécessaires à la production d’un nombre d’obus spéciaux
conséquent, étaient bien plus importantes que celles que l’on fabriquait. La
France ne disposant pas encore d’approvisionnement en brome et en chlore, il
fallait donc trouver autre chose. Les Anglais semblaient obtenir des résultats
intéressants avec des dérivés iodés, une alternative aussitôt envisagée
du côté français. A la fin du mois d’août, Moureu, secondé par le
pharmacien Dufraisse, débutèrent des recherches sur l’iodure de benzyle.
Dufraisse fut grièvement intoxiqué lors de ces recherches, et ce corps
chimique fut ainsi baptisé fraissite. L’iodacétone
fut également étudiée par Kling, Grignard et Bertrand. Ces produits, aux
propriétés lacrymogènes puissantes, furent chargés dans des projectiles de
tranchée, puis, la fraissite, en obus à la fin de l’année 1916. Il fallut
en effet plus d'une année pour réaliser leur synthèse et leur
production industrielle et résoudre les problèmes liés à leur
chargement en projectile. En raison
du prix élevé des dérivés iodés, utilisés également en masse par le
Service de santé, leur usage resta relativement restreint. La Fraissite fut
rapidement substituée par la bromacétone dans les chargement, en
raison de son coût de production bien plus raisonable, et de
l'approvisionnement en brome qui devint plus conséquent.
En juillet 1915, toujours à la suite de travaux anglais,
l’usage de l’acroléine fut envisagé et étudié par Lepape et Moureu.
C’était un lacrymogène très puissant, possédant des propriétés également
suffocantes et toxiques. Une forte concentration de ce produit était susceptible
de provoquer la mort en une minute. Son action assez fugace permettra son
chargement dans toutes les grenades suffocantes françaises à partir de 1916,
leur conférant ainsi une redoutable efficacité dans les espaces clos.
En octobre 1915, grâce aux études de Lebeau, on réalisa
que le nouveau masque allemand ne protégeait pas contre les substances lacrymogènes,
tel que la bromacétone, la bromométhyléthylcétone, le bromure de benzyle,
et que la palite traversait également son filtre. La production de ces
substances fut donc rapidement envisagée. Les substances lacrymogènes furent
étudiées au laboratoire de Moureu. La fabrication de bromure de benzyle et
de bromacétone fut au point au début de 1916, mais il faudra attendre que la
production de brome soit suffisante pour produire de grandes quantités de ces
produits. Le bromure de benzyle étant jugé peu toxique, il fut finalement réservé
à la production d’atmosphères toxiques pour l’entraînement des troupes.
La bromacétone fut utilisée chargée en obus à la fin de 1916.
La palite et ses dérivés plus chlorés furent étudiées
au laboratoire municipal de Kling, mais on préférera finalement l’usage du
phosgène, qui présentait plusieurs avantages. Contrairement à la palite,
qui nécessitait d’être isolée par une chemise en plomb dans le corps de
l’obus, le phosgène pouvait être chargé directement en contact avec l’acier
du projectile, et ne nécessitait donc pas la fabrication d’un obus
particulier. Le phosgène ayant en plus des propriétés particulièrement
insidieuses, il avait l’avantage, avec une toxicité légèrement supérieure à
celle de la palite, d’être une substance capable d’intoxiquer un individu
sans qu’il s’en aperçoive.
Enfin, à la fin de 1915, les études entamées depuis
fort longtemps sur la chloropicrine, furent reprise et rapidement menées à
bien ; elle fut chargée en obus dès 1916.
C) Une nouvelle innovation française et la première violation
indiscutable des conventions internationnales.
En juillet 1915 fut créé les premiers ateliers de
chargement d'obus toxiques : le premier au fort d'Aubervilliers pour les
obus toxiques et le second au fort de Vincennes pour les obus
lacrymogènes. Moins d'un an plus tard, 31 000 obus toxiques étaient
produits chaque jour dans l'atelier d'Aubervilliers.
En août 1915, les autorités militaires
décidèrent de suspendre l'utilisation des obus chargés en phosgène
jusqu'à l'utilisation de substances agressives jugées aussi toxiques
par les Allemands (voir :
les substances chimiques chargées en projectiles d'artillerie et
documents ci-dessus). Des
stocks furent ainsi progressivement constitués à partir de la fin de
l'année 1915 et les munitions purent être encore améliorées. L'obus
de 75mm n°5 marquait une nette progressions dans l'utilisation des obus
chimiques. Il avait un rendement supérieur aux munitions existantes,
étaient donc emplis d'un volume de toxique supérieur pour une
quantité d'explosif réduite, assurant une dispersion de son toxique
dans un volume plus faible pour obtenir une concentration supérieure.
Il était ainsi le premier projectile à violer indiscutablement La
Convention de La Haye de 1899, qui prohibait l'utilisation de projectile
dont le seul but était diffuser des gaz asphyxiants ou délétères,
bien que d'autres substances utilisées par les Allemands possédaient
des propriétés suffocantes identiques, mais des effets lacrymogènes
en plus avec un pouvoir brisant non négligeable.
L'introduction des projectiles français chargés
en phosgène est aujourd'hui impossible à dater précisément. Quelques
documents
laissent à croire que
des tirs sur
des objectifs limités se sont déroulés avec
des munitions chargées de phosgène entre fin novembre et début
décembre 1915. Ces informations sont à prendre au conditionnel. Nous
n'avons pas réussit à fixer
la date exacte d'introduction
des obus n°5 chargés en phosgène, mais une offensive chimique menée à l'aide d'obus au phosgène, appuyés par des obus au phosphore n°1 et n°2, est menée le 21 décembre 1915 à l'Hartmannswillerkopf (voir : Artillerie française, Substances).
Il est en
effet plus que probable que les archives françaises soient absolument
muettes sur cette introduction, en raison de cette violation des
conventions internationales dont les autorités avaient parfaitement
conscience.
II) Les vagues gazeuses dérivantes.
La France réalisa ses premiers essais de production de
vague gazeuse dès le 4 mai 1915. De premier abord, la création d’un nuage
gazeux de chlore ne paraît pas très complexe ; il suffit d’ouvrir les
robinets des cylindres de chlore et d’attendre qu’ils soient entièrement
vidangés. Si le sens et la vitesse du vent sont favorables, le nuage se
dirige tranquillement vers les lignes ennemies… Les chimistes français
réalisèrent rapidement qu’en réalité, la préparation d’une telle opération
est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.
Alors qu’au mois de mai
1915, l’émission de la première vague française était prévue pour le mois
de septembre, celle-ci ne devait finalement avoir lieu qu’en février 1916 !
Les difficultés à surmonter furent nombreuses, et tout d’abord d’ordre
industriel. Les premiers besoins en chlore liquide furent couverts principalement
par l’Angleterre, mais dès août 1915, ils se révélèrent nettement
insuffisants. Il fut alors nécessaire de développer un programme industriel pour la
construction d’usines de chlore liquide, dans un laps de temps le plus court
possible. La plus grosse difficulté fut que les principaux spécialistes
de ce problème travaillaient outre-Rhin ; personne d'autre que les chimistes
allemands ne maîtrisaient cet aspect. Tout restait donc à faire pour
la mise sur pied de cette industrie. Les efforts des chimistes et industriels
français furent colossaux pour réussir à lancer la production dès avril
1916.
Entre-temps, il fallut résoudre un par un, tous les
problèmes techniques liés à la production des vagues gazeuses. Les études
furent menées par les capitaines Bied-Charreton et Beccat, auxquels les
laboratoires de Delépine, Urbain et Kling participent. La réalisation
pratique de la vague fut étudiée en premier. La nature des gaz utilisés et
de leurs proportions nécessita de nombreux essais pour être déterminée
avec précision, en procédant aux essais de différents mélanges. Les
conditions météorologiques les plus favorables furent ensuite fixées, avec la
création d’ateliers météorologiques attachés aux équipes d’émission.
La procédure d’ouverture des cylindres fut analysée pour déterminer par
quel procédé obtenir les concentrations maximales. Enfin, il fallut répertorier
les secteurs se prêtant particulièrement géographiquement à ce type d’opérations.
voir : Les
vagues gazeuses - Etudes et Vagues
gazeuses - Technique
Pour assurer le maniement des cylindres de gaz et leur
mise en place en première ligne, on mis sur pied deux compagnies du génie chargées
de ces missions, sous les ordres du commandant de bataillon Winkler. Par la
suite, ce fut jusque 9 compagnies du génie qui seront
employés pour ce travail demandant beaucoup de sang froid (voir : les
vagues françaises). Ces compagnies spéciales furent commandées par un capitaine et
composées de trois sections de 125 hommes, soit au total pour une
compagnie: 5 officiers, 22 sous-officiers et de 369 sapeurs. Les
opérations planifiée pour la fin de l'année 1915 et le début de 1916
furent toutes annulées. La première opération d’émission à lieu finalement dans la nuit
du 13 au 14 février 1916, dans le secteur de La Neuville-Le Godat. Elle fut
responsable de nombreuses intoxications parmi les hommes des compagnies d’émission,
dues à des fuites de gaz et vraisemblablement à une mauvaise adaptation des
appareils protecteurs.
Entre-temps, le souhait d’obtenir une percée par
l’utilisation des vagues gazeuses semblait s’être évaporé. Les premières
opérations chimiques permirent d'appréhender la difficulté à combiner une opération d’émission chimique, fixée à des
impératifs d’ordre météorologique très stricts donc difficilement prévisibles,
à celle d’une offensive d’infanterie, nécessairement appuyée par une préparation
d’artillerie, dont le bon déroulement exigeait une minutie de préparation
incompatible aux imprévus météorologiques. Les premières opérations françaises
furent d’envergure modeste, sur des secteurs limités, avec un nombre
restreint de cylindres de gaz. Elles devinrent nettement plus importantes
par la suite, lorsque l’approvisionnement en chlore devenait suffisant.
Leurs effets sur les troupes allemandes restent, aujourd’hui encore, très
difficile à évaluer.
L’addition de phosgène dans les vagues gazeuses fut décidé
le 18 décembre 1915, suite à l’affaire des obus suffocants d’Avocourt.
Seulement, la réalisation d’émission de vagues au chlore et au phosgène
dut être repoussée, devant les nombreux accidents dont les compagnies Z étaient
victimes dans les opérations. Il fallut en effet attendre que le personnel Z ait
acquis une expérience suffisante dans le maniement des cylindres, et qu’un
appareil protecteur particulièrement efficace, le Tissot grand modèle, soit
distribué, pour utiliser un mélange aussi toxique sans risquer la vie du
personnel chargé de l’émission.
Au cours de l’année 1916, il semble que
des doutes soient apparus au sein des chimistes français, sur l’utilisation
du phosgène par les Allemands. A la fin de l’année 1915, un appareil de détection
et de prélèvement automatique, mis au point par Kling et Schmutz, fut mis en
place sur le front et permettait, en cas d’attaque chimique, de prélever des échantillons
de gaz et de caractériser avec certitude et sans ambiguïté, la présence
d’oxychlorure de carbone (ou phosgène). La méthode de caractérisation
était extrêmement sensible et permettait de doser le phosgène, même mélangé à
d’autres gaz, à des concentrations très faibles. Grâce à cet appareil,
les concentrations de chlore obtenues dans les vagues allemandes, furent fixées avec précision et d’ailleurs
corroboraient les suppositions faites
auparavant : ces concentrations avoisinaient les 1,5 g/m3.
Jusqu'à la fin de l’année 1916, les appareils Kling ne permirent pas de
mettre en évidence
la présence de phosgène dans les vagues allemandes. L’introduction par les
Français de ce gaz particulièrement toxique dans les vagues fut réalisée
en octobre 1916, et coïncidait avec celle de l’utilisation des Allemands, de
ce même agressif, dans la majeure partie de leurs vagues gazeuses et dans de
nouvelles munitions d’artillerie.
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