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Le masque M2
A) La genèse.
Vers la fin de l’année 1915, la tactique d’utilisation
de l’arme chimique annonçait un revirement. Depuis le début de la guerre,
toutes les tentatives de percée avaient échoué et les espoirs allemands de
briser le front en utilisant les gaz de combat avaient été balayés. Les
opérations offensives allemandes de l’été 1915, menées en introduisant
et en employant massivement de nouvelles substances toxiques, puis les vagues
gazeuses de la fin du mois d’octobre en Champagne, semblaient avoir
démontré aux militaires allemands, l’inaptitude de ces nouvelles armes
pour obtenir un puissant avantage sur l’adversaire. A cette époque, chez
chaque belligérant, on constatait alors qu’obtenir la rupture du front par un
assaut, aussi fulgurant soit-il, était fort peu probable.
Pour briser le front,
on imagina un nouveau concept offensif : ‘’user’’
l’ennemi, le ‘’grignoter’’,
pour reprendre une formule fréquemment utilisée. C’est donc une nouvelle
forme de combat qui se préparait, dans laquelle il ne s’agissait plus uniquement
de neutraliser l’adversaire, mais plutôt de le tuer, de l’affaiblir
physiquement et moralement, de briser sa confiance et de lui infliger un
maximum de pertes. La guerre d’usure allait naître de l’échec des
tentatives de percée de l’année 1915, et les agressifs chimiques allaient
devenir un nouveau et puissant vecteur dans cette nouvelle guerre.
A l’inverse des
combats d’infanterie du début du conflit, la guerre de matériel, opposant
des masses d’artillerie de plus en plus colossales, devait s’imposer.
Ernst Junger, dans son ouvrage ''Orages d’acier'', écrivait : « Nous entrions
désormais en quelque sorte dans une guerre nouvelle. Ce que nous avions connu
jusqu'à présent, sans d’ailleurs le savoir, c’était la tentative de
gagner la guerre par des batailles rangées d’ancien style et l’enlisement
de cette tentative dans la guerre de position. Maintenant, c’était la
bataille de matériel qui nous attendait, avec son déploiement de moyens
titanesques ».
A la fin de l’année 1915, le rapport des forces, tant
matérielles que militaires, avantageait incontestablement l’Allemagne, si bien
qu’après son immobilité relative sur le front Ouest durant l’année
1915, le Grand Quartier Général français s’attendait à une offensive massive durant l’année 1916
et imaginaient que les gaz y auraient une place de choix. Dans ce contexte
délicat, l’I.E.E.C. recherchait toujours un moyen de protection plus
efficace, qui pourrait remplacer le tampon TN, conçu dans l’urgence, en à
peine un mois. Il fallut attendre que celui-ci soit distribué en masse, pour
se rendre compte que, si sa protection chimique était satisfaisante, son mode de
fixation était constamment rejeté par ses utilisateurs. Il n'était déjà
plus envisageable de laisser cet appareil en dotation.
En septembre 1915, les Allemands introduisent un nouveau masque de
protection extrêmement élaboré, doté d'une cartouche filtrante
interchangeable, qui préfigure les masques de protection modernes.
L'avancée technique est considérable, mais il souffre encore de
nombreux défauts. |
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En septembre 1915, les Allemands semblèrent prendre une
distance d'avance dans le domaine de la protection, en introduisant un nouveau
masque à gaz doté d’une cartouche filtrante interchangeable. C’était un
masque complet, réunissant la protection des yeux à celle des voies
respiratoires, constitué d’une fine enveloppe de toile caoutchoutée. L’adhérence
sur le visage était obtenue par un double élastique entourant la tête. A la
hauteur des yeux se trouvaient deux oculaires en acétylcellulose, entourés d’un
anneau de métal, ligaturé par un fil de coton sur l’enveloppe. Sous le
menton était fixé, d’une manière analogue, un plateau qui recevait la
cartouche filtrante, fixée par emboîtement et rotation d’un quart de tour.
La neutralisation des substances toxiques était obtenue, à la fois par un
procédé chimique grâce à la présence de carbonate et d’hyposulfite de
soude, et à la fois par un procédé absorbant, constitué de charbon actif
aggloméré avec des fragments de ponce très poreuse. Ce masque paru
remarquablement élaboré et particulièrement ingénieux ; il constituait
même une véritable prouesse industrielle, dans la mesure ou il fut fabriqué
en grand nombre d'exemplaire en un temps record. Il semblait être
la solution la plus rationnelle pour la conception d’un appareil complet,
sur laquelle, en France, les membres de la Commission butaient alors. Lebeau allait rapidement mener des recherches dans le but de concevoir un appareil inspiré
du modèle allemand, mais exempt de ses défauts. Car la cartouche du masque
était loin d’être un modèle d’efficacité. Elle assurait une protection
contre le chlore assez médiocre, de l’ordre d’une heure dans une
concentration de 1,6g/m3. Surtout, l’ensemble des autres
agressifs n'étaient pratiquement pas arrêtés, ou perçait carrément l’enveloppe
caoutchoutée constituant le masque.
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En septembre 1915, la protection française est encore
constituée d'un simple tampon que l'on applique devant les voies
respiratoire. Malgré son aspect extrêmement rudimentaire, cette
protection est finalement plus efficace que le masque allemand d'allure
bien plus moderne. |
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La séparation de la protection des voies respiratoires
(réalisée par le tampon) de celle des yeux, apparaissait maintenant inutile et
même préjudiciable, car la rapidité de mise en place de l’appareil devenait
un impératif, depuis la multiplication des attaques fulgurantes par
obus toxiques. De nombreuses propositions de masques complets, réunissant
lunettes et tampons, avaient été adressées à la Commission, mais aucune n’avait
été retenue. Plusieurs de ces masques apparaissaient dès mai 1915 dans
certaines formations de l’avant. Par exemple, le pharmacien Piedalu en
proposa un qui sera produit sur le front en petite quantité (voir
précédemment). Un modèle d’avant-garde fut également proposé par le
médecin-major de première classe Gaston Haury, médecin chef du Groupe de
brancardiers de la 63e D.I.. Malheureusement, la conception de ces
appareils ne garantissait pas une bonne étanchéité du masque sur le visage et
ils furent rapidement abandonnés. La Commission de protection avait elle-même
expérimenté, puis produit, un masque complet, le S.T.G., mais la
défectuosité de son mode d’attache conduira certains membres à rejeter en
bloc toute proposition concernant les masques complets. Ainsi, Bertrand
déclarait en réunion, le 20 juillet 1915 : « Il ne faut
pas protéger en un seul appareil la bouche et les yeux ; les mouvements
respiratoires soulèvent les lunettes et laissent passer le gaz ».
Le manque d’étanchéité des lunettes et le risque d’éjection des
viseurs confortaient alors cette thèse.
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Masque
du médecin major de première classe Gaston Haury, médecin chef du
groupe de brancardier de la 63e D.I.. Il s’agit d’un des premiers
masques proposés qui réunissait en un même appareil la protection des
yeux et celle des voies respiratoires. La partie supérieure en coutil
porte deux lames de mica assurant la vision. La partie inférieure est
en flanelle, imbibée de la solution d’hyposulfite de soude. |
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En septembre 1915, l’établissement Graveraux proposa
un masque ressemblant de près à celui du docteur Haury mais présentant une
étanchéité correcte. Seul, Lebeau sembla comprendre l’intérêt du
prototype, et il le développa, en parallèle à des recherches menées sur l’imprégnation
et sur la conception du masque Banzet qui devait devenir le tampon Tambuté. A
ce stade des recherches sur les appareils complets, un problème essentiel
subsistait : l’insuffisance de la neutralisation chimique, au travers des
compresses, de certains agressifs comme la bromacétone et la
bromométhyléthylcétone. Ces substances passaient en faible quantité au
travers des compresses, sans provoquer de réactions au niveau des voies
respiratoires. Seulement, dans un masque complet, l’air inspiré entrait en
contact avec les yeux, et cette faible quantité suffisait à déclencher un
très vive irritation oculaire.
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Le masque Gravereaux fut l'un des premiers masque complet
développé parallèlement à la mise au point des compresses
neutralisantes polyvalentes, à partir de septembre 1915. Il ne put
être adopté avant que la filtration ne permit de neutraliser
intégralement certaines substances lacrymogènes qui passaient en
quantité minime au travers des compresses. Leur passage n'était pas
susceptible de provoquer des troubles respiratoires, mais suffisait à
irriter les yeux. |
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Après quelques modifications sur le masque Graveraux et
l'adoption des compresses polyvalentes, Lebeau le présenta à nouveau dès le
mois d’octobre 1915. La Commission admit que le masque Graveraux présentait
un très grand intérêt, mais privilégiait toujours l’alternative consistant
à séparer la protection des yeux à celle des voies respiratoires. Le
docteur Haury proposa à nouveau son masque à la Commission, après quelques
modifications, le 18 octobre 1915. Le compte-rendu de celle-ci fut le
suivant : « Ce
masque recouvre toute la face. La partie supérieure est constituée par un
tissu très serré, la partie inférieure par une poche en flanelle dans
laquelle se trouvent deux morceaux de tissu-éponge. Ce tissu-éponge a été
imprégné à l’aide de ricinate de soude et en a fixé 11 grammes. L’expérimentateur
muni du masque Haury et qui pénètre dans une atmosphère contenant 1 litre
de chlore pour 1500 litres en sort incommodé au bout d’une minute ».
Le masque fut donc rejeté, mais l’idée du docteur Haury allait suivre son
chemin. Lebeau et son équipe continuaient à étudier les substances
neutralisantes et procèdaient à de nombreux essais sur le masque Graveraux.
Des expériences furent faites sur des masques imprégnés au ricin-ricinate et
à la nouvelle formule à la Néociane, les masques comportant 6, 7, 8 et 10
épaisseurs de gaze pour chacune des compresses. Pour réaliser ces essais,
les membres de la Commission, accompagnés de différents expérimentateurs, s’enfermaient
dans une pièce étanche dans laquelle on libérait une quantité connue de
gaz toxique.
Ils y restaient ensuite jusqu'à ce que leur séjour soit devenu impossible,
lorsque le masque était entièrement épuisé. Tous les essais d’appareils de
protection, qu’ils soient des prototypes français ou des masques pris à l’ennemi,
furent testés dans ces conditions, parfois même dans des concentrations
particulièrement élevées de substances très toxiques. Les résultats du
masque Graveraux furent à nouveau discutés le 3 et le 16 novembre et, devant
les excellents résultats obtenus, la nouvelle formule à la Néociane fut
adoptée pour tous les masques. Le masque Graveraux, unanimement considéré
comme la meilleure solution de protection du moment, fut finalement adopté le
16 novembre 1915, sans pour autant que le problème de la neutralisation de la
bromacétone et de la bromométhyléthylcétone ne soit résolu.
Les conditions d'utilisations des gaz toxiques sur le
front connurent un changement à la fin de l'été 1915. En effet, sur le
front de l'Ouest et sur le front tenu par les armées françaises, on ne
dénombrait que peu d'actions militaires utilisant des gaz toxiques. Il y eu
les attaques sur le front de l'Yser en avril et mai 1915, puis les offensives
en Argonne en juin, juillet et août 1915. Jusque là, les tirs de munitions
chimiques étaient relativement limités en dehors de ces opérations. Mais à
partir de septembre 1915 et de façon croissante, les actions vont se
succéder : tirs chimiques à nouveau en Argonne, puis dans les Vosges, en
Champagne (Munitions
chimiques allemandes 1915), et enfin vagues gazeuses dérivantes (Les
vagues allemandes) de Champagne en octobre 1915 (près de 6000 victimes)
et de la Meuse en novembre, cette dernière combinée à un bombardement
chimique meurtrier et inquiétant. La rapidité de mise en place de la
protection sur le visage devint dès lors une priorité tout comme la nécessité
de trouver une solution à la fois technique et industrielle pour fournir, en
masse et dans des délais très courts, un appareil de protection efficace à
toutes les armées.
Depuis l’apparition de la solution polyvalente au
début du mois d’août, la plupart des armées tentaient de réunir tampon et
lunettes en un seul appareil. La 1ère armée fabriqua un masque
très proche du S.T.G., qui sera testé par la Commission le 18 octobre 1915
et jugé comme inférieur aux tampons. Le Détachement d’Armée de Lorraine
fit fabriquer à Nancy 60 000 tampon-masques d’un modèle indéterminé. Le
16e
C.A. commande à Châlons-sur-Marne 30 000 cagoules en gaze qui réunissaient le
tampon et la cagoule. Le 9e C.A. passa un marché pour 25 000
engins protecteurs formés d’un masque et de lunettes réunis…Les
demi-cagoules du 1er C.A.C. et celles de la 4e armée
eurent également le même rôle ; réunir les lunettes et le masque en un
seul appareil pour faciliter autant que possible la mise en place de celui-ci.
A la fin du mois d’octobre 1915, devant l’inefficacité de ce genre d’engin
de protection, le G.Q.G. décidait d’interdire ce genre d’initiatives. Les
armées tentèrent alors de réunir le tampon P2 et la cagoule en un seul
appareil. Nous avons vu que ce type de modification sera finalement toléré.
Au début du mois de décembre 1915, le général Pétain, commandant la 2e
armée, envoyait au G.Q.G. un rapport demandant la mise en place rapide d’appareils
de protection complets et performants. D’après lui, « ceux-ci devraient être
munis de clapets de nature à permettre l’expulsion de l’acide carbonique
produit par la respiration ». Enfin, il proposait un appareil, mis en
place dans son armée (au 20e C.A.) réunissant à l’aide de
toile cirée les lunettes et le bâillon. 2000 de ces appareils avaient déjà
été confectionnés et 580 étaient à l’essai depuis quelques temps
La
Commission, à qui le dossier fut transmis par le G.Q.G. qui souhaitait
réaliser le projet de Pétain, réagit très défavorablement à cette
initiative : « La 2e armée prend elle-même des décisions relatives à la
constitution d’appareils de protection qui se révèlent défectueux (…).
En outre, aucun appareil de protection ne devra être muni de clapets. Très défectueux,
il expose au plus grand danger par les irrégularités de son fonctionnement
». La demande croissante des armées pour un masque complet ne pouvait plus
rester sans réponse.
Lebeau, s’appuyant sur la demande de Pétain, proposa
l’adoption du masque Graveraux, en étendant la surface filtrante à la
totalité du masque et en le munissant, comme le masque de la 2e
armée, d’un pare-pluie sur toute la face extérieure du masque. Ce masque,
dans sa version quasi-définitive, fut adopté le 6 décembre et
vraisemblablement baptisé M2 par analogie avec Masque
de la 2e armée. Il
était
constitué de deux pièces de gaze, imprégnées et cousues ensemble, qui n'étaient en contact avec la peau que par leur contour. La première
recouvrait tout
le visage et permettait la vision au travers d’une vitre de cellophane qui
empêchait, théoriquement, la formation de buée en absorbant l’humidité. La
seconde forme une cavité qui englobait le menton et les joues. Le maintien sur
le visage était assuré par deux sangles élastiques, fixées aux coins
supérieurs du masque, et se positionnant derrière et au-dessus de la tête.
Une sangle permettait de porter le masque autour du cou en position d’attente.
Une boîte métallique était prévue pour y ranger le masque.
Le 15 décembre
1915, alors que le M2 était adopté, la Commission justifiait sa condamnation des
masques complets : « Parmi
les desirata exprimés aux armées , celui que masque et lunettes soient
réunis en un objet unique, d’une adaptation facile et rapide, est celui qui
est le plus général. Il est certain que le masque protégeant à la fois les
yeux et les voies respiratoires présente de grands avantages; mais il a
aussi des inconvénients ; les lacrymogènes peuvent ne nécessiter,
quand la densité est faible, que la protection des yeux. D’autre part, la
neutralisation chimique de la bromacétone est, à l’heure actuelle, encore
insuffisante du point de vue de la protection des yeux s’il s’agit d’un
masque. Pour ce corps particulier, des lunettes séparées seraient
préférables. Il pourrait en être de même à l’avenir pour de nouveaux
produits employés. Des arguments subsistent donc encore pour l’emploi des
lunettes séparées qu’il ne faut pas condamner d’une façon absolue ».
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Masque M2 premier type, adopté en décembre
1915. La distribution d'un masque complet réunissant protection des
voies respiratoires et des yeux, permettant une adaptation rapide sur le
visage, était devenue urgente. Tout fut mis en oeuvre pour assurer une
production massive et rapide, si bien que l'appareil commença à
apparaître au front à partir de mars 1916. Relativement rudimentaire
d'aspect, il fut cependant l'une des meilleures protections respiratoire
du moment, tous belligérants confondus (Le
masque M2 - efficacité du masque M2, Le
Gummimaske, Les
cartouches allemandes). |
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La nouvelle formule à la néociane se révélant bien
plus efficace que les précédentes, Bertrand proposa le 16 novembre 1915, de
diminuer l’épaisseur de gaze en étant imprégné, pour augmenter la couche
de gaze imbibée de solution au ricin-ricinate, de façon à neutraliser plus
efficacement la bromacétone, sans augmenter la gène respiratoire. Lebeau
détermina les paramètres assurant la meilleur neutralisation au travers des
compresses, de façon empirique et en procédant à de nombreux essais, et
réussit à apporter une protection de quelques minutes contre de fortes
concentrations de bromacétone et de bromométhyléthylcétone. La fabrication
du M2 fut immédiatement lancée, mais une première modification intervint
rapidement. En effet, le masque était logé dans un étui métallique du même
genre que celui du TN, mais plus large et de forme rectangulaire. Pour y faire
entrer l’appareil, il fallait le plier en deux, suivant un axe transversal
passant par son milieu : cette opération devenait délicate lorsque
celui-ci venait d’être utilisé et que la cellophane était humide ; on
risquait ainsi de l’endommager. D’ailleurs, la grande taille de la plaque de
vision la rendait trop fragile.
C’est pourquoi l’E.C.M.C.G. proposa le 24
janvier 1916, une modification du masque en remplaçant la lame unique par
deux œilletons comme ceux utilisés dans la fabrication des lunettes, et
fixés sur un rectangle de caoutchouc. Les œilletons furent constitués, comme
dans les lunettes, d'une lame de cellophane et d'une lame de verre. La lame de
cellophane fut placée à l’intérieur du masque ; elle était destinée
à absorber l’humidité qui s’y déposait et y formait de la buée. La plaque
de verre servait à protéger celle de cellophane. Cette modification du viseur
du masque interviendra, dès que l’écartement entre les deux œilletons
sera déterminé. Lebeau s'en chargea et la modification définitive fut
adoptée le 2 mars 1916.
A la demande du G.Q.G., le masque M2 fut essayé le 22
février 1916 à Satory par trois compagnies Z
sous la direction du capitaine Bied-Charreton et du pharmacien aide-major
Damiens. Les essais furent très concluants et les premiers masques furent
envoyés aux armées le 2 mars 1916, à raison de 50 000 par armée. Ils
permettaient de se protéger, dans une atmosphère concentrée en chlore et en
phosgène, pendant 5 heures (contre 3 pour le TN) continues.
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Masque M2, modification du 2 mars 1916. |
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Au front, le M2 fut distribué en priorité aux troupes
qui stationnaient en première ligne. Il sera rapidement considéré comme un
bon masque par les hommes qui l’utilisaient. Grâce à son système de double
sangle, il se mettai en place très rapidement. La protection qu’il confèrait
était large (il était polyvalent vis-à-vis des gaz employés par l’ennemi et
contre ceux potentiellement utilisables), et prolongée (il était prévu pour
protéger, pendant au moins 4 heures, de tous les gaz).

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Fig 1 – Position des mains pour la mise en place du
masque.
Fig 2 – Masque M2.
Fig 3 – Mise en place du masque.
Fig 4 – Masque M2 bien mis.
a.
Elastique supérieur.
b.
Elastique postérieur.
c.
Ruban frontal médian.
d.
Ruban pour le port du masque en position d’attente.
e.
Fixe-vitres.
f.
Vitre en cellophane (dont on voit la sertissure métallique à
bord dentelé sur la Fig 1).
g.
Pare-pluie en tissu imperméable.
h.
Poche mentonnière.
i.
Ruban d’attache du pare-pluie.
Fig
5 – Masque M2 mal mis.
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Voir également :
Masque M2
B) La transformation des tampons TN en masques TNH et LTN.
Il paraissait intéressant de transformer les tampons TN
en appareils complets. Cette solution permettrait de rendre plus performante l’énorme
quantité de tampons TN distribuée depuis peu de temps, et éviterait de la
mettre au rebut. La solution est envisagée avant même la livraison du masque
M2 aux armées. Le 24 janvier 1916, la maison Hutchinson propose à la
Commission différents types de masque de sa conception. L’appareil n°4 est
constitué par la réunion du tampon TN et des lunettes en caoutchouc. L’étanchéité
est obtenue en cousant des bandes de molleton le long des lunettes. Le
système semble ingénieux et Lebeau, qui avait mené des essais en chambre
infectée, conclut que le masque doit être adopté. Par la suite, un
prototype du pharmacien aide-major Rodier est remis à la Commission, qui le
juge alors aussi intéressant que le précédent. Sur ce dernier, l’étanchéité,
au niveau des lunettes, est obtenue par une pièce d’étoffe caoutchoutée
et molletonnée qui prolonge en arrière les lunettes avec la partie
correspondante du masque. Le Matériel chimique de guerre fait donc réaliser
le type Rodier par l’établissement Dehesdin qui remet son prototype à
Lebeau, en vue de le soumettre à l’approbation de la Section de protection.
Le professeur fait ensuite divers essais sur le modèle, concernant le chlore
et le phosgène, où il se montre d’une étanchéité parfaite. Quant au
bromure de benzyle, il le traverse, comme tout appareil qui comporte de la
toile caoutchoutée, après 35 à 40 minutes ; mais Lebeau conclut que c’est
là une protection parfaitement suffisante : les hommes n’étant jamais
exposés à une concentration de bromure de benzyle suffisante pour traverser
le masque. Le 3 avril, la Commission adopte à l’unanimité le masque
baptisé TNH (masque TN et
transformation Hutchinson). Les
premiers appareils sont livrés aux armées à compter du 20 avril 1916,
presque deux mois après les masques M2.
Comparé au tampon
TN, le masque TNH présente l’intérêt d’une mise en place plus rapide.
Bien sûr, beaucoup moins que le M2, mais il a aussi l’avantage de séparer
les voies respiratoires de la cavité créée par les lunettes, devant les
yeux. Ainsi, la vapeur d’eau engendrée par la respiration ne se condense
pas sur les viseurs et ceux-ci se couvrent beaucoup moins facilement de buée.
Cet avantage sera mis à profit dans l’artillerie où les hommes avaient
besoin de conserver une bonne acuité visuelle. Les artilleurs sont d’ailleurs
préférentiellement dotés de TNH et de tampons TN, car la séparation entre
les voies respiratoires et les lunettes offre une sécurité supplémentaire.
En effet, la surpression engendrée par le départ du coup de la pièce arrive
parfois à déplacer les viseurs de leur logement et le masque perd son
étanchéité.
Pour ces raisons, le 15 août 1916, la Commission décide
que tous les tampons TN neufs des armées seront renvoyés à l’E.C.M.C.G.
pour y être transformés en TNH. Ainsi, environ 510 000 TNH sont produits. La
production cessera vers l’automne 1916 quand le nombre de M2 sera suffisant.
Le 23 mars 1917, la Commission tiend une séance spéciale à la suite d’une
importante vague ayant eu lieu le 31 janvier 1917 à Premay en Champagne. Le
nombre d’intoxiqués ayant été très important (1531 intoxiqués dont 531
trouveront la mort), on envisage de modifier la protection. A l’issue de la
séance, il est décidé par les membres de retirer les TNH, d’efficacité
inférieure, comparé au masque M2. Le G.Q.G. en décidera autrement, et le vœu
de la Commission sera à nouveau formulé le 6 juillet
1917 : « nous pensons qu’il
y a lieu de pourvoir au remplacement des TNH encore existants aux armées ».
En réalité, cela se réalisera seulement lorsque leur usure les enverra à
la réforme.
Quelque temps après l’arrivée du TNH, on essaye de
modifier le système d’attache en le simplifiant, pour permettre une mise en
place encore plus simple et plus rapide. Pour simplifier la fabrication du
nouvel appareil, on modifie la toile caoutchoutée qui recouvre les lunettes
du TNH, pour coudre directement les lunettes au tampon selon un modèle
expérimenté à la 1ère armée et proposé à la Commission le 29
décembre 1915. Le nouveau masque s’appelle LTN (pour TN
+ Lunettes) et est expérimenté aux armées à la fin du mois de juin
1916. Mais il ne donne pas la même satisfaction que le TNH. Le 15 août 1916,
Leclercq, du centre médico-légal de Chalons, signale un inconvénient du
nouvel appareil. Il ne tient pas en place sur le visage et glisse. Il propose
alors d'ajouter au LTN, une attache médiane antéro-postérieure, fixée à l’angle
de la mâchoire et passant derrière la nuque. La modification est réalisée
sur tous les LTN existants, mais la production de ce masque est stoppée
après fabrication de 100 000 exemplaires. Le 21 juillet 1916, la Commission
laisse à l’initiative de l’E.C.M.C.G. la décision de produire un nouveau
masque réunissant le tampon TN et les lunettes, suivant un modèle proposé
par Tambuté. Celui-ci cherchait à modifier son tampon depuis décembre 1915
pour en faire un appareil complet et avait régulièrement proposé ses
prototypes à la Commission. Le nouveau Tambuté ressemble à s’y méprendre
au M2. Vraisemblablement, après production de plusieurs milliers d’exemplaires,
on jugea sa fabrication trop coûteuse et il fut abandonné. Le 29 juin 1916,
on expérimente aussi le masque proposé par les établissements Boussac ; il
semblait être un excellent compromis entre tous les différents masques
réunissant tampon TN et lunettes, mais la production de M2 devenant
suffisante, le projet ne se concrétisa pas et cela mit fin aux recherches de
modification des tampons.
C) les modifications apportées au masque M2.
Les viseurs des masques
TNH et M2 avaient une fâcheuse tendance à s'échapper de leur logement en
caoutchouc. Le 21 juillet 1916, le Docteur Banzet propose de les enserrer dans
une armature métallique à griffe. Puis, le 13 août 1916, Lebeau fait
supprimer la couche de gaze paraffinée, placée sur le pourtour du M2, visant
à éviter le contact des sels de nickel avec la peau.
Depuis la distribution
du M2, beaucoup se plaignaient de la taille unique du masque. Certain ne
pouvaient trouver de masque s’ajustant parfaitement à leur visage (une
épingle à nourrice est placée sur la sangle partant du sommet du masque et
permet de tendre cette sangle au besoin). L’opinion de la Commission reste
ferme sur ce sujet et l’initiative de proposer différentes tailles de
masques reviend à la maison Gravereaux. Celle-ci fera fabriquer des M2 de
taille plus grande et ils seront essayés par les hommes qui avaient des
problèmes à l’adapter. L’expérience fut concluante et Lebeau, qui
entreprenait la mise au point d’un nouvel appareil, se trouva très
intéressé. Il fallait cependant déterminer combien de personnes
nécessitaient d'avoir un masque de dimensions différentes, et combien de
tailles il fallait fabriquer. Plusieurs essais à grande échelle sont
réalisés, puis on décide le 21 décembre 1916 de mettre en fabrication, à
titre d’essai, 40 000 masques de petite taille et 20 000 de grande taille.
Elle est marquée en toutes lettres, à l’envers du pare-pluie. Grâce à
cette mesure, les hommes qui se trouvaient obligés d’adopter un tampon TN,
pour des raisons de morphologie du visage, allaient pouvoir se munir d’un
masque M2.
Une autre initiative
intéressante revient aussi au fabricant Gravereaux, et à Seligman. Le 21
juillet 1916, ils proposent une nouvelle façon de fabriquer le M2, en une
seule pièce. Malheureusement, aucun prototype de masque n’étant fabriqué,
personne ne peut se prononcer sur le procédé, et la section s’en remet à
la D.M.C.G.. La question reste en suspens jusqu’au 10 mars 1917 lorsque
Lebeau, ayant essayé différents masques modifiés, en atmosphère
contaminée, conclut que le procédé assure une homogénéité aussi
complète que possible, des parties filtrantes du masque. Enfin adopté, le
nouveau type de fabrication du M2 entre immédiatement dans les chaînes de
fabrication.
Enfin, toujours le 10
mars 1917, la Section de protection adopte une autre modification proposée
dès 1916 par Leclercq et dont la mise au point et les essais incombent à
Lebeau. Leclercq avait proposé d’ajouter au M2 l’attache, passant
derrière la tête, qui existait sur les tampons TN et sur les TNH. Lebeau
fait donc réaliser la modification et plusieurs expérimentateurs pourront l’essayer
à Satory en effectuant des travaux pénibles et en subissant différents
chocs. Le système assurant une meilleure sécurité dans le port de l’engin,
la modification sera adoptée. Le nouveau masque, fabriqué en une seule
pièce et avec la sangle antéro-postérieure, est dénommé M2B.
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L’efficacité du
masque M2 est vérifiée tout au long de sa fabrication. Tous les jours, un
officier de l’ECMCG, chargé de la surveillance des usines de production, se
rend dans l’une de celles-ci, et préleve le nombre de masques qu’il juge
nécessaire. On teste alors quotidiennement la durée de vie de ceux-ci, en
atmosphère viciée, chargée en concentration connue de toxique. Plusieurs
expérimentateurs y séjournent pendant une heure, chacun à leur tour,
jusqu'à épuisement du masque. Le pharmacien de première classe Gin, chargé
de la direction des essais physiologiques, vérifie lui-même si le masque est
réellement épuisé, en entrant dans la chambre d’essai. On vérifie
également l’ensemble des matériaux de confection, et on réalise plusieurs
essais à différentes phases de fabrication. La protection chimique
conférée par le masque M2 est excellente, jusqu’au milieu de l’année
1917 ; l’introduction de nouveaux agressifs allait remettre en cause sa
polyvalence. Jusqu'à cette date, le
masque français reste le plus performant, en terme de durée de protection,
comparé aux appareils des autres belligérants. La quantité de substances
neutralisantes retenues dans les compresses est supérieure à celle que l’on
pouvait introduire à l’intérieur d’une cartouche filtrante, sans
entraver la facilité avec laquelle l’air inspiré peut la traverser. La
neutralisation qui s’opére au travers des compresses se fait sur la surface
entière du masque et diminue ainsi la gène respiratoire. Celle s’effectuant
dans une cartouche filtrante se fait dans une section plus réduite, dont la
taille est limitée par des contraintes qui empêchent d’obtenir une
meilleure efficacité en augmentant le volume de substances neutralisantes.
Par contre, la simplicité du masque M2 a pour contrepartie un certain
inconfort, lors de son port durant de longues périodes. Le contact des
compresses imprégnées sur la peau, et l’odeur qui s’en dégage,
associés à son manque d’étanchéité sur le pourtour du visage, en font,
dès 1917, un appareil déclassé, par rapport à ceux des autres
belligérants.
Le M2 réussit, à son
apparition et contrairement aux autres appareils utilisés, à assurer une durée de
protection qu'aucune vague ne pouvait mettre en défaut. Lebeau arriva à
optimiser la fabrication des compresses constituant le masque, pour aboutir,
dès mars 1916, à des résultats remarquables : la durée de protection
atteint 4 heures et 30 minutes dans une atmosphère comprenant du chlore à
une concentration de 6,4 g/m3, et du phosgène à une concentration
de 0,2 g/m3. Les perfectionnements apportés par Lebeau permettent
également d'obtenir une protection contre la bromacétone et la
bromométhyléthylcétone, qui arrivaient à traverser les compresses en
quelques minutes, et provoquaient alors une légère irritation oculaire. Le
problème ne sera jamais complètement résolu, mais on finit par obtenir une
protection d'une heure dans une atmosphère à 1%.
La production totale de
masques M2, de début 1916 au 11 novembre 1918, approchait les 29 300 000
exemplaires.

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