Enfin, on arrêta la composition des différentes
couches assurant la filtration dans la cartouche métallique :
1.
La première, composée d’oxyde de zinc, de carbonate de soude et de
charbon de bois, le tout aggloméré par de l’eau glycérinée.
2.
La deuxième, composée par un charbon spécial plus absorbant.
3.
La troisième faite de plusieurs couches de gaze imprégnées
d’urotropine pour neutraliser le phosgène.
Au tout début de l’année 1917, le nouveau masque
arrivera dans sa forme à peu près définitive. Le 17 janvier, la Commission
adopta enfin le masque MCG, rebaptisé appareil respiratoire spécial, et décida
de lancer sa fabrication. Sa distribution était souhaitée au printemps de la même
année.
B) Le contexte de la guerre des gaz durant les deux dernières années du
conflit.
En permanence, chaque belligérant cherchait à accroître
l'efficacité de ses systèmes d'armes chimique. Les conditions
d'utilisation, les moyens techniques, les vecteurs de dispersion, la
nature des substances chimiques étaient en permanence modifiés et en
constante évolution. Progressivement et à partir de 1916, l'artillerie
chimique prenait le pas sur les autres techniques. Le vecteur de
dissémination, la munition d'artillerie, fut profondément modifié pour
être adapté à ces nouveaux chargements, toujours dans l'objectif de
rendre les substances agressives plus efficaces et donc plus meurtrières.
Parallèlement, les substances chimiques utilisées étaient de plus en
plus toxiques, toujours dans l'objet de multiplier la puissance des
projectiles non conventionnels.

Depuis l'utilisation des obus français chargés en
phosgène et de leur surprenante efficacité, à la fin de l'année 1915 ou au
début de 1916 (voir Substances
dans Agression), la course à l'innovation technique et à la toxicité des
agressifs ne devait pas s'affaiblir. De nouveaux toxiques furent utilisés dans l’année
1916. Le 1er juillet 1916, durant l’offensive de la Somme, les Français
utilisèrent un nouvel obus spécial chargé en acide cyanhydrique.
Ce mélange leur parut très efficace, le toxique agissant expérimentalement très
rapidement et étant capable d’entraîner la mort avant que le masque ne soit
mis. L’usage de la Vincennite se généralisa donc dans les armées
françaises.
En réalité, son effet
fut probablement surévalué car la grande volatilité du mélange provoquait une
dilution trop rapide de l’acide cyanhydrique avec l’air et celui-ci perdait
alors sa forte toxicité ; le problème fut cependant en partie résolu par
l'application de techniques de tir extrêmement précises (voir : Doctrine
d'utilisation de l'artillerie chimique). Déjà dès le début de la bataille de Verdun, et à
partir de l’offensive franco-britannique de la Somme, l’usage des gaz de
combat commençait à se développer. Les quantités de toxiques dispersées par
l’artillerie étaient de plus en plus importante en comparaison aux mois précédant,
mais leur utilisation restait encore anecdotique. Si la dispersion par
munition semblait devoir prendre une place de plus en plus importante, le nombre
d'opérations appuyés par des tirs chimiques restent minime. A la fin
de l’année 1916, le phosgène reste le toxique le plus efficace aux mains des Alliés.
Les Allemands utilisaient également le phosgène chargé en
projectile depuis la nuit du 28 au 29 novembre 1916. Ils avaient décidé
pendant l’été et après le succès de l’utilisation de leurs obus à croix
verte, d’augmenter l’utilisation d’obus toxiques. L’utilisation de phosgène,
gaz très toxique, ainsi que celle de la surpalite se développe donc au début de
1917, ces gaz étant répandus uniquement à partir d’obus toxiques et de
projectiles de Minenwerfer. Cependant, les
effets ne sont pas ceux escomptés car la protection s’est beaucoup développée
et ces nouveaux gaz ne mettent pas les appareils de protection en défaut. Aucun
résultat notable n'est obtenu sur le champ de bataille par l'utilisation
de ces composés.

A
partir du mois d’avril 1917, les Allemands utilisent un nouveau mélange tiré
par des obus de 77 mm marqués d’une croix verte et d’un numéro 1. Le mélange
est composé de surpalite et de 35% de chloropicrine. Ce nouveau toxique a déjà
été utilisé par la Russie en 1916. La chloropicrine possède un effet
lacrymogène rapide et violent et des propriétés suffocantes proches de celles
du phosgène. Mais surtout, elle est difficilement retenue par le masque M2. A
partir du mois d’avril, l’usage d’obus et de mines toxiques par les
Allemands devient très fréquent sur le front. Une fois de plus, l’utilisation de
ces nouveaux toxiques ne permit pas aux Allemands d’obtenir un quelconque
avantage.
C’est aussi au début du mois d’avril 1917 que les
Anglais utilisèrent pour la première fois un moyen d’émission
redoutablement efficace. Il s’agissait d’un mortier rudimentaire lançant
des bombes chargées en toxique à plusieurs kilomètres de distance. Cet
appareil, nommé lanceur Livens, du nom de son inventeur ou encore projector, était
constitué par un tube d’acier de 21,5 cm de diamètre interne et de 5 cm d’épaisseur,
fermé et arrondi à son extrémité inférieure. Pour la mise en place, on
enterrait le tube, lequel reposait sur une plaque d’appui et on inclinait
l’ensemble vers 45°. La mise à feu était électrique et permettait
d’actionner plusieurs lanceurs simultanément. La bombe vide pesait 15,5 kg et
pouvait contenir 11 kg de toxiques. Le projector permettait de créer, en un
point précis des lignes ennemies, un nuage toxique très concentré (jusque 13
kg par mètre carré) grâce à l’utilisation de plusieurs centaines de tubes.
Cette concentration de toxique rendait l’utilisation des masques presque
inutile car ceux-ci se trouvaient rapidement saturés. L’effet de surprise était
maximal : après la détonation de départ, les mines tombaient sur
l’adversaire 15 à 20 secondes plus tard. Ernst Junger, dans son ouvrage
‘’Orage d’acier’’ relate l’utilisation des projectors : « Nous avions, par contre, le désagrément de fréquentes attaques par
mines à gaz, qui nous causaient de nombreuses pertes. Elles étaient projetées
par plusieurs centaines de tubes de fer, enfouis dans la terre, et qui se déchargeaient
au moyen d’une commande électrique, en une seule salve flamboyante. Dès que
cette bande de feu s’élevait, on annonçait l’alerte aux gaz, et celui qui
n’avait pas mis son masque lorsque pleuvaient les mines passait un mauvais
quart d’heure. A certains endroits, le gaz arrivait presque à la densité
absolue, de sorte que le masque même ne servait plus à rien, faute d’oxygène
qu’on pût respirer. C’est ainsi qu’il fit beaucoup de victimes ».
A partir du 4 avril 1917, les Anglais utilisent leurs
lanceurs Livens sur de nombreuses parties du front. Les Français l’utilisent
à leur tour à partir d’octobre 1917 (voir les détails de ces opération : Compagnie
Z 31/1). Les Allemands s’empressèrent de
copier ce procédé si efficace et si peu coûteux. Leur version, le gaswerfer
17, fit son apparition sur le front italien le 24 octobre 1917. Il tirait une
bombe de 180 mm remplie de toxique. La première apparition sur le front
occidental date de la nuit du 5 décembre 1917 à Réchicourt, au nord de l’étang
de Paroy (Meurthe-et-Moselle). L’utilisation du projector ne cessera de
s’amplifier jusqu'à la fin du conflit. Chez les Allemands, la redoutable
efficacité de ce mode de dispersion mit fin au procédé d’émission par
vague.
Ainsi, les Allemands semblent perdre l’avantage qu’ils
avaient obtenu dans l’escalade de la guerre chimique depuis l’apparition du
lanceur Livens. Cependant, ils ne tarderont pas à utiliser un nouvel agressif
leur permettant de reprendre le dessus. On sentait le besoin d’une nouvelle
munition d’attaque particulièrement efficace et en même temps d’une
munition toxique de défense. Pour la contamination durable d’un terrain, le
chimiste allemand Victor Meyer avait réussi dès 1886 la synthèse d’une
substance, le sulfure d’éthyle dichloré, qui provoquait chez les personnes
le manipulant des lésions cutanées inflammatoires gravissimes qui se déclaraient
seulement plusieurs heures, voire plusieurs jours plus tard. Le procédé de
Meyer utilisait la chlorhydrine du glycol comme matière première ; ce
corps était le point de départ de la synthèse de l’indigo, matière
colorante, ou de l’alcool phényléthylique, parfum synthétique, et était
fabriqué industriellement en Allemagne. En réalité, le sulfure d’éthyle
dichloré avait déjà été préparé en 1822 par le physicien français
Despretz par réaction de l’éthylène sur le chlorure de soufre. Puis, en
1860, Niemann reprit ces travaux, mais il considéra le produit comme une
combinaison mal définie et stoppa ses études. En 1916, Moureu,
du côté français, en prépara une petite quantité selon ce même procédé,
mais le Matériel chimique de guerre avait renoncé à son usage militaire,
considérant sa grande difficulté de préparation.
Dans l'objectif d'utiliser une substance chimique aux
effets remarquablement retardés, les chimistes allemands décidèrent
d'utiliser l'Ypérite (pour plus de détails : Ypérite).
Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1917, dans le secteur
d’Ypres,
les Allemands lancèrent ainsi une attaque surprise et utilisèrent les nouveaux obus
toxiques marqués d’une croix jaune et chargés de sulfure d’éthyle
dichloré ou Ypérite.
A l’explosion, aucune fumée suspecte et aucun nuage n’apparaissaient. Les
hommes n’observèrent aucun symptôme, juste une légère odeur piquante
comparable à celle de la moutarde ou du raifort. Certains suspectèrent une
faible coloration jaune du paysage avoisinant et appliquèrent leur masque.
Puis, au bout de quatre heures, voyant leurs camarades non protégés se porter
aussi bien qu’eux et supposant que, s’il y avait bien un agressif dans ces
obus, son effet avait disparu, ils l’enlevèrent. Ceux qui n’avaient pas mis
leurs masques devenaient aveugles au bout de huit heures, les autres quelques
heures plus tard. Puis, tous présentèrent des brûlures à différents
endroits du corps. Tous les hommes présents sur le lieu de l’attaque furent
intoxiqués, puis tous ceux qui traversèrent le terrain infecté. Le nombre
d’évacués fut très important, mais contre toute attente, peu d’entre eux
moururent. Les intoxiqués recouvrèrent la vue puis guérirent lentement en
plusieurs semaines.
Cet effet infernal de l'Ypérite, son pouvoir
vésicant, n'avait pas été exactement l'objet de son utilisation, il
était plus ou moins fortuit car c'est son effet retardé qui était
surtout recherché. Effets retardés et pouvoir vésicant rendant le
masque à gaz superflu et devaient changer à jamais les conditions de
combat en terrain infecté.
Les Allemands possédaient maintenant un redoutable
avantage sur leurs adversaires. L’ypérite ne faisait que peu de mort chez les
intoxiqués, mais le temps de l’organisation de la défense contre ce gaz
allait permettre aux Allemands de faire fondre les effectifs de leurs
adversaires. Ils allaient mettre en place une tactique d’utilisation de leur
nouvel agressif qui leur permettait de créer comme une barrière invisible et
infranchissable en contaminant certaines zones du champ de bataille. La
persistance de l’ypérite, qui pouvait dépasser une semaine, se prêtait
particulièrement à cet usage. Si les masques protégeaient de ses effets sur
l’appareil respiratoire, ses propriétés vésicantes ne pouvaient alors être
mises en défaut par aucun moyen de protection. Elle pouvait établir des
flanquements
le long d’un axe d’attaque, réduire au silence les batteries ennemies, mais
aussi les observatoires, les postes de commandement, les nids de mitrailleuses.
En défense, elle pouvait ralentir les poursuivants en créant derrière les
troupes en retraite des barrages toxiques. Dans les mois suivants, les Allemands
employèrent leurs obus à croix jaunes à grande échelle pour repousser les
attaques des deux côtés de la Meuse, réduisant toutes les tentatives de percée
des Alliés. Le nombre très élevé des gazés faisait fondre les effectifs et
des renforts de plus en plus importants étaient nécessaires. D’après
Hanslian, les pertes des alliés par l’ypérite furent huit fois plus élevées
que toutes les autres pertes provoquées par les autres gaz.
Parallèlement à l’utilisation de l’ypérite, les
Allemands introduisent sur le champ de bataille dans le secteur de Nieuport, la
nuit du 12 au 13 juillet, les premières arsines
chargées dans des obus à
croix bleue. Il s’agissait de diphénylchloroarsine, un produit solide qui nécessitait
une charge explosive suffisante pour assurer la mise en aérosol du produit.
Celui-ci était contenu dans une bouteille en verre noyée au milieu de
l’explosif dans le corps de l’obus. Le produit, pulvérisé par
l’explosion de la charge, se transformant momentanément en vapeur grâce à
la chaleur dégagée, était susceptible de traverser les filtres des masques
protecteurs. Ses effets incapacitants et sternuatoires devaient alors rendre
intolérable le port du masque. Utilisé avec d’autres toxiques, ses effets
devaient être redoutables.
En fait, l’explosion de la charge explosive détruisait
une forte partie de l’agressif et la valeur des nouvelles munitions n’était
pas à la hauteur de ce que l’on attendait. Les Allemands allaient bientôt
les utiliser selon un procédé posé par leurs plus éminents spécialistes en
artillerie. Ils étaient alors utilisés simultanément avec des obus suffocants
marqués d’une croix verte ou persistants marqués d’une croix jaune, ce qui
valut à la zone infectée de porter le nom de ‘’zone bariolée’’.
C’est d’ailleurs dans le but de n’utiliser qu’un seul type de munitions
qu’apparaît, en août 1917, un nouveau projectile baptisé ‘’croix verte 2’’, renfermant un mélange de 60% de phosgène,
25% de surpalite et 15% de diphénylchloroarsine. Puis en septembre 1917, les
obus à croix bleue seront modifiés en augmentant la charge explosive. La pulvérisation
de l’arsine devait s’en trouver améliorée et l’obus avait en plus un
pouvoir brisant supérieur. A la fin de l’année, au mois de novembre 1917,
une nouvelle arsine fait son apparition : la dichlorophénylarsine, vésicante
à l’état liquide et chargée dans des obus baptisés ‘’croix bleue
1’’. C’est un liquide qui, sous forme de vapeurs, est incapacitant et
provoque des vomissements. A forte concentration et à l’état de vapeurs, son
action vésicante provoque des lésions cutanées qui se manifestent sous forme
de cloques et de brûlures. Ce nouveau toxique provoqua une vive émotion chez
les Alliés, car il devenait momentanément plus redoutable que l’ypérite qui
ne provoquait que rarement la mort.
Jusqu'à la fin de l’année 1917, le solvant de l’ypérite
utilisé dans les obus à croix jaune ne permettait pas une bonne vaporisation
du produit, de telle sorte que l’action du toxique s’exerçait
principalement par voie transcutanée. Ce problème était d’autant plus marqué
que les munitions toxiques avaient la fâcheuse tendance, pour des problèmes de
conception et de déclenchement du détonateur, à n’exploser qu’une fois
enfoncées dans le sol. Ainsi, le toxique se répandait plutôt dans le sol
qu’il ne se disséminait dans l’air. Pour remédier à cet inconvénient, un
solvant plus volatil, le chlorobenzène, sera utilisé simultanément avec une
charge explosive plus importante. Cette charge était composée d’un explosif
particulièrement puissant, l’amatol, disposé à l’avant de l’obus. Au
moment de l’explosion, la charge faisait sauter le culot de l’obus, et
dispersait son contenu dans l’atmosphère. Désormais, la fine dispersion dans
l’air associée à une concentration plus élevée permettait à l’ypérite
d’atteindre le fond des alvéoles pulmonaires. Son action vésicante brûlait
alors la paroi des alvéoles et exposait le malheureux intoxiqué à de graves lésions
pulmonaires irréversibles, entraînant fréquemment la mort après parfois
plusieurs semaines d’une lente agonie. Cette modification de la munition, améliorant
son effet, se faisait tout de même au détriment de la persistance du produit
sur le terrain. Par contre, le nouveau solvant masquait l’odeur de l’ypérite
et l’augmentation de la charge explosive rendait alors indiscernable à
l’oreille la différence entre un obus toxique et un obus classique. Les Alliés
avaient lancé toutes les recherches nécessaires pour la protection contre ce
terrible gaz ainsi que sur sa production industrielle, cela dès l’apparition
de l’ypérite en juillet 1917. Seulement, à la fin de la même année, ces
recherches n’avaient pas encore abouti. Au début de l’année 1918,
l’avantage penche irrésistiblement du côté allemand.
A cette date, l’armée allemande possède encore tout son
potentiel de combat et son moral est excellent. Les Alliés, par contre, se sont
épuisés durant les quatre années de guerre dans des offensives qui ont toutes
échoué devant les solides positions défensives allemandes. L’année 1917 et
l’offensive Nivelle sur le Chemin des Dames finit de mettre à mal le moral
français. Pétain prend la place de Nivelle et lentement la confiance réapparaît.
Mais l’armée française reste hors de combat pour plusieurs mois et ce sera
l’armée anglaise qui supportera les offensives en 1917 de manière à empêcher
l’Allemagne de porter un coup décisif à la résistance française. Le 3 mars
1918, l’armistice entre l’Allemagne et la Russie vaincue est signé à
Brest-Litovsk. L’Allemagne peut récupérer 35 divisions et plus d’un
millier de canons alors immobilisés sur le front russe, lui conférant alors
l’avantage numérique sur les Alliés. Cette victoire semble être le prélude
pour les Allemands à une autre sur le front ouest ; leur moral est au plus
haut.
L'arme chimique et surtout l'artillerie chimique
allaient prendre un nouvel essor au cours de l'année 1918. Désormais,
leur utilisation devint massive, tant dans les actions offensives que défensives.
SI les tirs chimiques s'étaient réellement développés durant l'année
1917, ils allaient devenir absolument omniprésent en 1918, avec une
quantité de munitions chimiques utilisées augmentée de 1600 % ! 70% des
pertes par l'arme chimiques sont ainsi recensées sur les onzes derniers
mois du conflit (voir : Pertes).
Fort de ces nombreux avantages, Ludendorff, général en chef de l’armée
allemande, décide de frapper un grand coup en lançant une offensive surprise,
avant que les Alliés ne reprennent l’avantage numérique avec l’arrivée
des divisions américaines. La tactique est posée : l’artillerie
allemande procédera à une préparation massive et rapide du terrain, en
utilisant plus que jamais les munitions toxiques. On utilisera l’ypérite
plusieurs jours avant l’attaque en inondant les zones sensibles des flancs des
arrières de l’ennemi. Les points de résistance importants seront systématiquement
noyés durant la préparation d’artillerie sous un déluge de feu et de gaz,
puis les premières lignes seront séparées des arrières par un barrage
d’artillerie roulant, qui devra avancer à la même vitesse que les troupes
d’assaut de la première vague. La quantité de munitions toxiques utilisées
dépasse largement tout ce qui avait été entrepris jusqu'à maintenant ;
parfois plus du tiers des obus tirés. Ce sera la plus grande offensive jamais
menée durant la Première Guerre. Le jour J sera le 21 mars 1918 et l’attaque
portera sur un front de 70 km entre Arras et La Fère. Ernst Junger, alors en
première ligne allemande, décrit le début de l’offensive : « L’aiguille
avançait toujours ; nous comptâmes les minutes. Enfin, elle atteignit
cinq heures cinq. L’ouragan éclata. Un rideau flamboyant monta en l’air,
suivi d’un rugissement soudain, tel que nous n’en avions jamais entendu. Un
tonnerre à rendre fou, qui engloutissait dans son roulement jusqu’aux coups
de départ des plus grosses pièces, fit trembler le sol. Ce que nous n’avions
osé espérer se produisit : l’artillerie ennemie se tut ; elle
avait été annihilée d’un seul coup gigantesque. Nous ne tînmes plus dans
nos abris : debout sur les défenses, nous contemplâmes, éberlués, le
mur de feu haut comme une tour, dressé sur les tranchées anglaises, et qui se
voilait de nuées ondoyantes, rouges comme du sang. Ce spectacle fut gâché par
des larmoiements et une sensation de brûlures dans les muqueuses. Les vapeurs
de nos obus à gaz, refoulées par le vent contraire, nous enveloppaient d’une
violente odeur d’amande amère. Je remarquais, soucieux, que beaucoup de mes
hommes commençaient à tousser, à suffoquer, et, s’arrachaient finalement le
masque du visage. Je m’efforçai donc de retenir mes premières quintes de
toux et de ménager mon souffle.»
Le premier jour, les Allemands enregistrèrent un succès
considérable, au prix de pertes effroyables. L’avance continua les jours
suivants mais s’acheva sur la Somme par la prise manquée de
Villers-Bretonneux et par l’épuisement des troupes d’assaut. Le 5 avril, en
dépit des grands succès tactiques obtenus, l’offensive fut stoppée. Des
deux côtés, les pertes s’élevèrent à près de 200 000 hommes.
C’est durant ce mois de mars 1918 que deux nouvelles
arsines sont utilisées par les Allemands dans le secteur du Moulin de Laffaux
(Aisne). Il s’agit du dichlorure d’éthylarsine et du dibromure d’éthylarsine.
Ces deux substances sont caractérisées par des propriétés incapacitantes
importantes ainsi qu’une action vésicante faible. Leur persistance est modérée
et les Allemands les utiliseront comme toxique sur des zones de terrain que
leurs troupes pourront occuper rapidement après l’attaque. Puis, en avril
1918, apparaît sur le champ de bataille un nouveau type de gaz de combat ;
les éthers méthyliques dichlorés et dibromés, qui seront baptisés par les
Français ‘’labyrinthiques’’. Ces toxiques n’étaient pas destinés à
être utilisés seuls, mais plutôt à être mélangés à tous les produits vésicants
chargés dans les munitions à croix jaune. Les signes d’intoxication des
labyrinthiques sont assez hétérogènes mais se caractérisent par des troubles
de l’équilibre marqués à type de titubation, chancellement, désorientation.
On retrouve aussi des effets lacrymogènes, sternuatoires, suffocants, voire même
vésicants. Mais les chimistes allemands ne s’arrêteront pas à ce stade de
l’escalade chimique. En mai, ils introduisirent un nouveau sternuatoire,
certainement le plus efficace de tous, le cyanure de diphénylarsine.
Entre temps, Lüdendorff lancera une nouvelle offensive le
9 avril, la seconde bataille de la Lys, qui permet la prise du mont Kemmel et
qui se terminera le 29 avril. Encore une fois, le succès tactique de l’opération
est réussi mais elle n’apporte aucun succès stratégique et se solde par la
perte de 350 000 hommes du côté allemand. Au mois de mai, l’ensemble du
front redevient relativement calme. Les Allemands préparent une nouvelle
offensive éclair et, pour masquer leurs préparatifs, ils pilonnent les lignes
alliées en utilisant massivement les gaz. En effet, sur l’ensemble du front
se développent des attaques par obus toxiques dans lesquels l’ypérite a une
place de choix, mais aussi des attaques par projectors redoutablement efficaces.
Le 27 mai, l’offensive allemande se déclenche dans
l’Aisne, sur le Chemin des Dames, où l’année précédente les Français
avaient échoué dans une attaque meurtrière. La préparation d’artillerie
commence par un tir exclusif d’obus à gaz, puis devient mixte, mais avec plus
de cinquante pour cent d’obus toxiques. L’assaut enfonce le front qui finit
par percer et les troupes allemandes s’engouffrent dans la brèche.
L’offensive s’arrête pourtant dix jours plus tard par épuisement des
assaillants, mais ceux-ci ont parcouru 45 kilomètres derrière les lignes et se
fixent dans le Bois Belleau à 70 km de Paris ! C’est durant cette
offensive que les premières divisions américaines participèrent à la
bataille. Le 7 juin, elles enlèvent le Bois Belleau aux Allemands. Les troupes
de Lüdendorff se trouvent alors dans un saillant dangereusement exposé aux
contre-attaques et lancent deux nouvelles poussées en direction de
Noyon-Montdidier et de Soissons, mettant en danger Paris même. Une fois de
plus, les pertes sont énormes, mais cette fois-ci ils ne percent pas. Lüdendorff
pensait, qu’en faisant peser la menace sur la capitale, les Français se
seraient retirés des Flandres où les Anglais, restant seuls, auraient été
facilement vulnérables.
Les Allemands avaient perdu là leurs meilleures troupes,
les plus aguerries et les plus expérimentées, maintenant remplacées par de
jeunes soldats dont l’âge ne dépassait parfois pas 15 ans. Pourtant, le 15
juillet, la dernière offensive allemande est lancée sur le flanc du saillant
de Reims, toujours dans le but d’y attirer les Français pour attaquer les
Anglais dans les Flandres. Mais l’offensive baptisée Friedensturm
(offensive pour la paix) fut
rapidement enrayée, car Foch avait obtenu des informations sur les plans de Lüdendorff
et s’y était préparé. Le 17 juillet, l’offensive allemande s’arrête et
les Alliés reprennent l’initiative le lendemain en lançant la contre
offensive de la deuxième Bataille de la Marne. Désormais, l’initiative des
combats ne cessera de revenir aux Alliés jusqu'à la fin de la guerre. Les Alliés
disposaient depuis le mois de juin d’un moyen de riposter aux Allemands qui
s’avéra être un précieux atout pour endiguer les offensives sur la Marne.
Les Français possédaient maintenant l’ypérite dans leur arsenal chimique.
Lorsque celle-ci apparut sur le champ de bataille, elle fut identifiée en trois
jours par Kling et Moureu ; on s’aperçut que le produit allemand était
impur et contenait des corps à odeur d’ail et de moutarde qui en augmentaient
le pouvoir vésicant. En toute hâte, on étudia le procédé de synthèse de
Victor Meyer mais, Bertrand puis Job ensuite, reprenant le travail de Niemann
datant de 1860, montrèrent que le chlorure de soufre, se fixant sous pression
sur l’éthylène, conduisait à l’ypérite. Cette fabrication était trente
fois plus rapide que celle du procédé allemand. On installa à Péage-de-Roussillon
(dans les Usines du Rhône), à
Pont-de-Claix (dans les usine de Chlore
liquide) et à la poudrerie d’Angoulême, des chaînes de fabrication
d’ypérite. L’utilisation de ce redoutable toxique par les Français fut une
surprise totale pour les Allemands, leur causant de redoutables pertes et
amenant un affaiblissement de leurs forces combatantes. C’est certainement à
l’ypérite qu’un jeune caporal du nom d’Adolf Hitler à été gazé en
octobre 1918. Aveuglé, il recouvrera petit à petit la vue, mais rechutera à
l’annonce de la défaite allemande. Il décida qu’il se lancerait dans la
politique s’il recouvrait à nouveau la vue. Cela se produisit sur son lit
d’hôpital tandis qu’il entendait des voies lui ordonnant de « sauver
l’Allemagne », ce qu’il se promit solennellement ! Le dernier
sternuatoire allemand apparaîtra en septembre, le N-éthylcarbazol. Il était
dispersé grâce à une innovation technique qui consistait à placer le toxique
dans un cylindre d’acier, dans le corps de la munition, et à doubler le détonateur
d’une charge d’acide picrique pour provoquer la déflagration un bref
instant plus tôt. Le toxique devait ainsi se répandre en étant expulsé vers
l’arrière du corps de l’obus.
C) L’apparition de l’ARS.
Voir également : l'appareil
ARS
Le nouveau masque MCG, baptisé ARS, sera adopté le 20
janvier 1917. Mais la mise en route de la fabrication va demander plusieurs
mois. La réalisation industrielle de l’appareil se heurtera à plusieurs
reprises à des difficultés techniques qu’il faudra surmonter.
L’approvisionnement en matières premières, notamment en tissu caoutchouté,
sera aussi particulièrement problématique. Chacune de ces difficultés fut résolue
avec discernement de manière à éviter les erreurs du passé qui avaient
conduit à de nombreuses modifications sur les appareils une fois leur
distribution faite. Pour toutes ces raisons, la production prit un retard considérable,
si bien que les chaînes de montage du masque ne débutèrent les fabrications
qu’au mois de novembre 1917. Les prévisions du début de l’année étaient
beaucoup plus optimistes et prévoyaient la distribution au début du printemps.

Puis, on se mit d’accord pour garder en réserve le nouveau masque en stock,
pour le distribuer uniquement si l’ennemi employait des substances contre
lesquels les masques en dotation ne protégeaient pas. L’année 1917 montrera
à plusieurs reprises que le M2 devenait de moins en moins efficace au fur et à
mesure de l’apparition des nouveaux agressifs. Le 15 mars 1917, on décida de
doter de deux masques le personnel des batteries de tir. En effet, les
concentrations de toxiques employées et la durée des attaques arrivaient
parfois à épuiser le masque. Le 12 avril 1917, on supposa que les masques
retenaient à peine la chloropicrine, puis un mois plus tard, on conclut
qu’ils ne laissaient passer que faiblement le toxique et que les hommes en étaient
incommodés mais pas intoxiqués… Après l’apparition de l’ypérite puis
des arsines, la Commission prit la décision de distribuer l’ARS dès que
possible. De nombreux essais seront effectués durant les mois de décembre 1917
et janvier 1918. Le 24 janvier, 50 ARS seront envoyés à titre d’essai dans
chaque centre médico-légal. Puis les livraisons débuteront à partir du 18 février ;
les masques seront stockés dans des dépôts à l’arrière pour être
distribués massivement au début du mois d’avril. Ceci permettait de doter
l’ensemble de l’armée, en même temps, du nouvel appareil afin d’éviter
de privilégier certains corps. Le masque sera livré dans une boite métallique
cylindrique protégeant l’appareil. Au fond et sous un rond cartonné sera fixée
une enveloppe contenant un oculaire de rechange. Mais les attaques au gaz étant
devenues si fréquentes, le masque M2 sera conservé comme masque de secours, la
vie des combattants étant liée, sur le front, au bon fonctionnement de leur
appareil et à leur durée de protection.
Les recherches sur l’ARS ne s’arrêteront pas après sa
mise au point. Pour augmenter sa protection, Lebeau continua de travailler sans
cesse à perfectionner sa cartouche. Dès le début de l’année 1918, il étudia
et améliora un système de bonnettes, sortes de sac en toile que l’on fixait
sous la cartouche du masque, pour augmenter la protection contre les arsines et
l’ypérite. Dans ce but, il mit au point un tissu spécial avec lequel on
confectionnait la bonnette que l’on imprégnait d’huile de ricin. Le 10 février
1918, il conclut cependant que la protection de l’ARS était alors
satisfaisante contre les toxiques employés par les Allemands. L’apparition
des nouvelles arsines au printemps 1918 devait changer cette position. Le
premier juillet, la bonnette était prête et on décida de la produire et de la
distribuer avant l’hiver, saison pendant laquelle les températures basses
faciliteraient l’action des arsines. Mais surtout, de nouveaux agressifs français
et américains étaient presque au point et on supposait pouvoir les utiliser
d’ici la fin de l’année. Les Français préparaient une nouvelle arsine, la
Sternite, un mélange de dichlorophénylarsine et de chlorodiphénylarsine. Les
Américains avaient synthétisé l’Adamsite,
un puissant irritant ainsi que la Lewisite,
puissamment vésicante et irritante. Le 31 août, 500 000 bonnettes pour ARS étaient
en cours de confection. ‘’Elle est
constituée par une gaine cylindrique en molleton, fermée à l’une de ses
extrémités, et à l’intérieur de laquelle est cousu un croisillon en ruban,
destiné à être appuyé contre la face antérieure de la cartouche. Cette
gaine est doublée extérieurement par un pare-pluie en tissu imperméable, sauf
au centre du fond de celle-ci, et se prolonge du côté opposé, entièrement
ouvert, par une partie tronconique en même tissu pourvue d’œillets métalliques.
Un ruban de serrage est cousu sur la partie cylindrique du pare-pluie’’.
Vraisemblablement, elles apparurent au début de novembre 1918, mais
l’Armistice survenant le 11 novembre, on s’empressa de dissimuler cette
avancée de la protection pour la conserver secrète.
Lebeau travailla aussi à rendre le charbon actif plus
performant. Le 4 mai 1918, il proposa une nouvelle formule qui augmentait la
protection contre le phosgène, et contre le chlorure de cyanogène qui pouvait
être utilisé par les Allemands à tout moment. Il substitua la soude à une
partie de carbonate de sodium et ajouta du permangante de potassium en petite
quantité, selon la formule :
·
ZnO : 20 parties
·
Carbonate de sodium : 15 parties
·
Charbon pulvérisé : 15 parties
·
NaOH : 5 parties
·
Permanganate de potassium : 1 partie
·
Eau : Q.S.P. obtenir une pâte.
La nouvelle formule sera mise en place immédiatement. On
ajoutera également, suite au travail de Lebeau, une couche de coton hydrophile
au fond de la cartouche pour arrêter les arsines.
Le travail de Lebeau ne se bornera pas uniquement à la
mise au point des substances de protection. En mars 1918, il proposa de mettre
au point une pochette de protection permettant de conserver une cartouche de
rechange de l’ARS. L’ECMCG en proposera, un mois plus tard, deux types différents
confectionnés avec des anciens sacs S2 et des étuis pour tampon TN. Les modèles
semblaient satisfaisants, mais le système d’attache fut jugé défectueux.
Les études seront reprises par Lebeau et furent menées à bien. L’ECMCG
souleva aussi un problème en mai 1918 : les tôles servant à
confectionner les étuis métalliques protégeant l’ARS étaient trop fines et
la rigidité de la boîte n’était pas suffisante. Lebeau, en coordination
avec l’ECMCG, proposa le 31 mai l’ajout d’une ceinture de 35 mm de largeur
sur le sommet du cylindre, sur laquelle étaient agrafés les passants des
charnières et du couvercle. La modification qui apportait la rigidité nécessaire
sera adoptée.
L’ARS fut reconnu comme le meilleur de tous les appareils
de protection de l’époque. Pendant la période des hostilités, 5 270 000
exemplaires seront manufacturés, et la production continuera après guerre.