Chapitre 9
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L’Appareil Respiratoire Spécial.

 

A) Les essais menant à un nouvel appareil respiratoire.

A l'automne 1915, les Allemands adoptent un nouveau masque dont la caractéristique essentielle réside dans sa cartouche filtrante, indépendante et interchangeable.

 

L'appareil fut connut par la Commission de protection en France très rapidement, un rapport provenant d’un espion et daté du 18 septembre 1915 décrivait déjà le nouvel appareil allemand en détail. Vers le 15 octobre 1915, le commandement fit parvenir à la Section de protection un exemplaire de ce nouveau masque récupéré sur le front. Celui-ci fut confié à Lebeau en vue de mener plusieurs essais.

Ci-dessus : appareil allemand récupéré sur le front et analysé par André Kling et Paul Lebeau en ocotbre 1915 ; il s'agit du Gummimaske Premier type (voir : Le Gummimaske).

 

Il le décrivit comme s’adaptant parfaitement bien au visage et ne semblant pas provoquer de gêne respiratoire. Pour tester son efficacité, un expérimentateur pénétra dans une chambre remplie de chlore où il put rester une heure sans être incommodé. En revanche, sa protection contre le phosgène était nulle et les expérimentateurs rentrant dans l’atmosphère contaminée, durent ressortire immédiatement, très incommodés. Lebeau analysa la matière constituant la cartouche et conclut qu’il s’agissait de charbon végétal imprégné de bicarbonate de soude.

Le charbon présentait un pouvoir absorbant intéressant et Lebeau réalisa rapidement l’intérêt qu’il pourrait avoir dans un nouvel appareil. En effet, en neutralisant les gaz par des compresses imprégnées, on se heurtait rapidement à un problème insoluble : a chaque fois que l’on voulait obtenir la neutralisation d’un nouveau gaz, il fallait rajouter une couche de compresses et la respiration devenait de plus en plus difficile au fur et à mesure que le nombre des couches augmentait. Par contre, la neutralisation physique avec du charbon semblait intervenir sur plusieurs types de gaz. Il restait cependant à déterminer quels étaient les gaz absorbés et comment obtenir le charbon le plus efficace possible. Lebeau se lança immédiatement dans ces recherches avec l’aide de plusieurs de ses collaborateurs et la participation de plusieurs membres de l’ECMCG.

La première constatation concernera la nature des gaz absorbés : presque tous l’étaient, mis à part l’hydrogène arsénié, le monoxyde de carbone et l’acide cyanhydrique. Le phosgène n’était pas entièrement filtré et les fortes concentrations de chlore finissaient également par traverser. Les gaz étaient d’autant mieux absorbés qu’ils étaient peu volatils, persistants, que leur vitesse de passage au travers du charbon était faible et enfin que la température était basse. La nature du charbon avait aussi une importance capitale : il devait être le plus poreux possible pour augmenter la surface de contact avec le gaz et présenter à sa surface le maximum de capillaires, tout en restant très homogène.

Pour obtenir la fabrication de ce genre de charbon, on procéda à de nombreux tâtonnements et de nombreuses expérimentations. On obtenait des charbons efficaces en incorporant aux copeaux de bois un réactif de gélification, puis en menant une oxydation progressive par la chaleur, transformant le bois en une masse poreuse très homogène. Le premier gélifiant utilisé fut l’acide sulfurique et le charbon produit appelé charbon S. Les premiers essais industriels seront menés à l’usine Camus & Duchemin à Ivry-sur-Seine. Le charbon de bois était alors chauffé dans des pots de terre à des températures oscillants entre 800 et 750 °C. Puis, en juin 1917, un nouveau procédé fut mis au point en utilisant des creusets poreux pour l’oxydation. On modifia le traitement à l’acide sulfurique pour le remplacer par une carbonatation au carbonate de soude. Enfin, en portant la température de cuisson de 850 à 900 °C, on obtint un charbon de meilleure qualité, appelé charbon N. Deux granulation seront retenues : une comprise entre le tamis n°8 et le n°16, donnant le charbon 8/16 et utilisée dans l’appareil Tissot ; l’autre comprise entre le tamis n°16 et le n°25, donnant le charbon 16/25, destinée à l’appareil ARS.

Ensuite, il fallut trouver le compromis entre la hauteur de filtration assurant le plus grand contact du gaz avec le maximum de surface de charbon absorbant et entre le volume minimum de la cartouche au travers de laquelle l’effort respiratoire restait confortable. Puis, il fallut ajouter des substances neutralisantes au charbon pour transformer les produits de décomposition chimique provoquée par la vapeur d’eau absorbée par le charbon. Lebeau s’aperçut rapidement que cette décomposition était très précieuse en ce sens que la fixation de ces toxiques devenait alors irréversible, à l’inverse de l’absorption par le charbon qui pouvait se saturer. On ajouta alors de l’eau glycérinée et des alcalis pour neutraliser les gaz facilement hydrolysables.

Ensuite on tenta la réalisation pratique du masque proprement dit. La forme générale sera empruntée au modèle allemand avec quelques modifications. Les viseurs seront enchâssés dans des œilletons proéminents comme sur le masque M2. Le Matériel chimique de guerre annonça à la Commission son projet de proposer le nouveau masque le 20 avril 1916. Lebeau le présenta le 29 à la Commission. Les différents membres seront enthousiastes et 1000 exemplaires du masque baptisé MCG seront commandés.

Masque MCG

 

Mais il restait encore quelques points à fixer avant d’adopter le modèle définitif. Des essais seront donc périodiquement réalisés, pour décider en premier lieu de la nature du tissu caoutchouté à utiliser et ensuite le nombre de tailles à fabriquer selon la morphologie des visages. Le compte-rendu de l’ensemble des essais sera discuté le 13 août 1916 à la Commission. Grâce à Lebeau, l’ensemble des points posant des problèmes semblait résolus. On adopta trois tailles différentes et on fixa le nombre de masques à produire dans chacune d’elle : 5% de grande taille, 60% de taille ordinaire et 35% de petite taille. Avant de commencer sa fabrication, on proposa de commander 9000 exemplaires et de les mettre à l’essai dans un corps de troupe.

L’appareil donna de bons résultats, mais deux inconvénients subsistaient. En premier lieu, les oculaires censés empêcher la formation de buée ne fonctionnaient pas. Lebeau décida donc de modifier le masque pour adopter le système du masque Tissot où l’air inspiré arrivait juste en dessous des oculaires et les refroidissait en permanence. Il fallait aussi remplacer la nature de l’enveloppe du masque qui n’était toujours pas imperméable aux lacrymogènes. Dans ce but, on conclut qu’il fallait superposer deux couches de tissus : la première externe sera constituée par un tissu caoutchouté et la deuxième à l’intérieur par une toile enduite d’huile de lin cuite qui absorbait les substances lacrymogènes.

On modifia par la suite le système d’attache en ajoutant, cousu au centre du bord supérieur du masque, un élastique relié aux deux autres qui passait l’un sur le haut de la tête et l’autre sur la nuque. Puis, comme sur les masques M2, on ajouta un élastique serre-nuque avec une attache rapide à crochet. On modifia l’embase métallique pour y loger un système à deux soupapes : une soupape en mica et une en caoutchouc particulièrement ingénieuse pour l’expiration, toutes les deux inventées par le médecin aide-major Saulnier.

 

Enfin, on arrêta la composition des différentes couches assurant la filtration dans la cartouche métallique :

1.        La première, composée d’oxyde de zinc, de carbonate de soude et de charbon de bois, le tout aggloméré par de l’eau glycérinée.

2.        La deuxième, composée par un charbon spécial plus absorbant.

3.        La troisième faite de plusieurs couches de gaze imprégnées d’urotropine pour neutraliser le phosgène.

Au tout début de l’année 1917, le nouveau masque arrivera dans sa forme à peu près définitive. Le 17 janvier, la Commission adopta enfin le masque MCG, rebaptisé appareil respiratoire spécial, et décida de lancer sa fabrication. Sa distribution était souhaitée au printemps de la même année.


B) Le contexte de la guerre des gaz durant les deux dernières années du conflit.

 

En permanence, chaque belligérant cherchait à accroître l'efficacité de ses systèmes d'armes chimique. Les conditions d'utilisation, les moyens techniques, les vecteurs de dispersion, la nature des substances chimiques étaient en permanence modifiés et en constante évolution. Progressivement et à partir de 1916, l'artillerie chimique prenait le pas sur les autres techniques. Le vecteur de dissémination, la munition d'artillerie, fut profondément modifié pour être adapté à ces nouveaux chargements, toujours dans l'objectif de rendre les substances agressives plus efficaces et donc plus meurtrières. Parallèlement, les substances chimiques utilisées étaient de plus en plus toxiques, toujours dans l'objet de multiplier la puissance des projectiles non conventionnels.

Depuis l'utilisation des obus français chargés en phosgène et de leur surprenante efficacité, à la fin de l'année 1915 ou au début de 1916 (voir Substances dans Agression), la course à l'innovation technique et à la toxicité des agressifs ne devait pas s'affaiblir. De nouveaux toxiques furent utilisés dans l’année 1916. Le 1er juillet 1916, durant l’offensive de la Somme, les Français utilisèrent un nouvel obus spécial chargé en acide cyanhydrique1. Ce mélange leur parut très efficace, le toxique agissant expérimentalement très rapidement et étant capable d’entraîner la mort avant que le masque ne soit mis. L’usage de la Vincennite se généralisa donc dans les armées françaises.

En réalité, son effet fut probablement surévalué car la grande volatilité du mélange provoquait une dilution trop rapide de l’acide cyanhydrique avec l’air et celui-ci perdait alors sa forte toxicité ; le problème fut cependant en partie résolu par l'application de techniques de tir extrêmement précises (voir : Doctrine d'utilisation de l'artillerie chimique). Déjà dès le début de la bataille de Verdun, et à partir de l’offensive franco-britannique de la Somme, l’usage des gaz de combat commençait à se développer. Les quantités de toxiques dispersées par l’artillerie étaient de plus en plus importante en comparaison aux mois précédant, mais leur utilisation restait encore anecdotique. Si la dispersion par munition semblait devoir prendre une place de plus en plus importante, le nombre d'opérations appuyés par des tirs chimiques restent minime. A la fin de l’année 1916, le phosgène reste le toxique le plus efficace aux mains des Alliés.

Les Allemands utilisaient également le phosgène chargé en projectile depuis la nuit du 28 au 29 novembre 1916. Ils avaient décidé pendant l’été et après le succès de l’utilisation de leurs obus à croix verte, d’augmenter l’utilisation d’obus toxiques. L’utilisation de phosgène, gaz très toxique, ainsi que celle de la surpalite se développe donc au début de 1917, ces gaz étant répandus uniquement à partir d’obus toxiques et de projectiles de Minenwerfer. Cependant, les effets ne sont pas ceux escomptés car la protection s’est beaucoup développée et ces nouveaux gaz ne mettent pas les appareils de protection en défaut. Aucun résultat notable n'est obtenu sur le champ de bataille par l'utilisation de ces composés.

 

A partir du mois d’avril 1917, les Allemands utilisent un nouveau mélange tiré par des obus de 77 mm marqués d’une croix verte et d’un numéro 1. Le mélange est composé de surpalite et de 35% de chloropicrine. Ce nouveau toxique a déjà été utilisé par la Russie en 1916. La chloropicrine possède un effet lacrymogène rapide et violent et des propriétés suffocantes proches de celles du phosgène. Mais surtout, elle est difficilement retenue par le masque M2. A partir du mois d’avril, l’usage d’obus et de mines toxiques par les Allemands devient très fréquent sur le front. Une fois de plus, l’utilisation de ces nouveaux toxiques ne permit pas aux Allemands d’obtenir un quelconque avantage.

C’est aussi au début du mois d’avril 1917 que les Anglais utilisèrent pour la première fois un moyen d’émission redoutablement efficace. Il s’agissait d’un mortier rudimentaire lançant des bombes chargées en toxique à plusieurs kilomètres de distance. Cet appareil, nommé lanceur Livens, du nom de son inventeur ou encore projector, était constitué par un tube d’acier de 21,5 cm de diamètre interne et de 5 cm d’épaisseur, fermé et arrondi à son extrémité inférieure. Pour la mise en place, on enterrait le tube, lequel reposait sur une plaque d’appui et on inclinait l’ensemble vers 45°. La mise à feu était électrique et permettait d’actionner plusieurs lanceurs simultanément. La bombe vide pesait 15,5 kg et pouvait contenir 11 kg de toxiques. Le projector permettait de créer, en un point précis des lignes ennemies, un nuage toxique très concentré (jusque 13 kg par mètre carré) grâce à l’utilisation de plusieurs centaines de tubes.

Cette concentration de toxique rendait l’utilisation des masques presque inutile car ceux-ci se trouvaient rapidement saturés. L’effet de surprise était maximal : après la détonation de départ, les mines tombaient sur l’adversaire 15 à 20 secondes plus tard. Ernst Junger, dans son ouvrage ‘’Orage d’acier’’ relate l’utilisation des projectors : « Nous avions, par contre, le désagrément de fréquentes attaques par mines à gaz, qui nous causaient de nombreuses pertes. Elles étaient projetées par plusieurs centaines de tubes de fer, enfouis dans la terre, et qui se déchargeaient au moyen d’une commande électrique, en une seule salve flamboyante. Dès que cette bande de feu s’élevait, on annonçait l’alerte aux gaz, et celui qui n’avait pas mis son masque lorsque pleuvaient les mines passait un mauvais quart d’heure. A certains endroits, le gaz arrivait presque à la densité absolue, de sorte que le masque même ne servait plus à rien, faute d’oxygène qu’on pût respirer. C’est ainsi qu’il fit beaucoup de victimes ».

A partir du 4 avril 1917, les Anglais utilisent leurs lanceurs Livens sur de nombreuses parties du front. Les Français l’utilisent à leur tour à partir d’octobre 1917 (voir les détails de ces opération : Compagnie Z 31/1). Les Allemands s’empressèrent de copier ce procédé si efficace et si peu coûteux. Leur version, le gaswerfer 17, fit son apparition sur le front italien le 24 octobre 1917. Il tirait une bombe de 180 mm remplie de toxique. La première apparition sur le front occidental date de la nuit du 5 décembre 1917 à Réchicourt, au nord de l’étang de Paroy (Meurthe-et-Moselle). L’utilisation du projector ne cessera de s’amplifier jusqu'à la fin du conflit. Chez les Allemands, la redoutable efficacité de ce mode de dispersion mit fin au procédé d’émission par vague.

Ainsi, les Allemands semblent perdre l’avantage qu’ils avaient obtenu dans l’escalade de la guerre chimique depuis l’apparition du lanceur Livens. Cependant, ils ne tarderont pas à utiliser un nouvel agressif leur permettant de reprendre le dessus. On sentait le besoin d’une nouvelle munition d’attaque particulièrement efficace et en même temps d’une munition toxique de défense. Pour la contamination durable d’un terrain, le chimiste allemand Victor Meyer avait réussi dès 1886 la synthèse d’une substance, le sulfure d’éthyle dichloré, qui provoquait chez les personnes le manipulant des lésions cutanées inflammatoires gravissimes qui se déclaraient seulement plusieurs heures, voire plusieurs jours plus tard. Le procédé de Meyer utilisait la chlorhydrine du glycol comme matière première ; ce corps était le point de départ de la synthèse de l’indigo, matière colorante, ou de l’alcool phényléthylique, parfum synthétique, et était fabriqué industriellement en Allemagne. En réalité, le sulfure d’éthyle dichloré avait déjà été préparé en 1822 par le physicien français Despretz par réaction de l’éthylène sur le chlorure de soufre. Puis, en 1860, Niemann reprit ces travaux, mais il considéra le produit comme une combinaison mal définie et stoppa ses études. En 1916, Moureu1, du côté français, en prépara une petite quantité selon ce même procédé, mais le Matériel chimique de guerre avait renoncé à son usage militaire, considérant sa grande difficulté de préparation.

Dans l'objectif d'utiliser une substance chimique aux effets remarquablement retardés, les chimistes allemands décidèrent d'utiliser l'Ypérite (pour plus de détails : Ypérite). 

Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1917, dans le secteur d’Ypres2, les Allemands lancèrent ainsi une attaque surprise et utilisèrent les nouveaux obus toxiques marqués d’une croix jaune et chargés de sulfure d’éthyle dichloré ou Ypérite. A l’explosion, aucune fumée suspecte et aucun nuage n’apparaissaient. Les hommes n’observèrent aucun symptôme, juste une légère odeur piquante comparable à celle de la moutarde ou du raifort. Certains suspectèrent une faible coloration jaune du paysage avoisinant et appliquèrent leur masque. Puis, au bout de quatre heures, voyant leurs camarades non protégés se porter aussi bien qu’eux et supposant que, s’il y avait bien un agressif dans ces obus, son effet avait disparu, ils l’enlevèrent. Ceux qui n’avaient pas mis leurs masques devenaient aveugles au bout de huit heures, les autres quelques heures plus tard. Puis, tous présentèrent des brûlures à différents endroits du corps. Tous les hommes présents sur le lieu de l’attaque furent intoxiqués, puis tous ceux qui traversèrent le terrain infecté. Le nombre d’évacués fut très important, mais contre toute attente, peu d’entre eux moururent. Les intoxiqués recouvrèrent la vue puis guérirent lentement en plusieurs semaines.

Cet effet infernal de l'Ypérite, son pouvoir vésicant, n'avait pas été exactement l'objet de son utilisation, il était plus ou moins fortuit car c'est son effet retardé qui était surtout recherché. Effets retardés et pouvoir vésicant rendant le masque à gaz superflu et devaient changer à jamais les conditions de combat en terrain infecté.

Les Allemands possédaient maintenant un redoutable avantage sur leurs adversaires. L’ypérite ne faisait que peu de mort chez les intoxiqués, mais le temps de l’organisation de la défense contre ce gaz allait permettre aux Allemands de faire fondre les effectifs de leurs adversaires. Ils allaient mettre en place une tactique d’utilisation de leur nouvel agressif qui leur permettait de créer comme une barrière invisible et infranchissable en contaminant certaines zones du champ de bataille. La persistance de l’ypérite, qui pouvait dépasser une semaine, se prêtait particulièrement à cet usage. Si les masques protégeaient de ses effets sur l’appareil respiratoire, ses propriétés vésicantes ne pouvaient alors être mises en défaut par aucun moyen de protection. Elle pouvait établir des flanquements3 le long d’un axe d’attaque, réduire au silence les batteries ennemies, mais aussi les observatoires, les postes de commandement, les nids de mitrailleuses. En défense, elle pouvait ralentir les poursuivants en créant derrière les troupes en retraite des barrages toxiques. Dans les mois suivants, les Allemands employèrent leurs obus à croix jaunes à grande échelle pour repousser les attaques des deux côtés de la Meuse, réduisant toutes les tentatives de percée des Alliés. Le nombre très élevé des gazés faisait fondre les effectifs et des renforts de plus en plus importants étaient nécessaires. D’après Hanslian, les pertes des alliés par l’ypérite furent huit fois plus élevées que toutes les autres pertes provoquées par les autres gaz.

Parallèlement à l’utilisation de l’ypérite, les Allemands introduisent sur le champ de bataille dans le secteur de Nieuport, la nuit du 12 au 13 juillet, les premières arsines chargées dans des obus à croix bleue. Il s’agissait de diphénylchloroarsine, un produit solide qui nécessitait une charge explosive suffisante pour assurer la mise en aérosol du produit. Celui-ci était contenu dans une bouteille en verre noyée au milieu de l’explosif dans le corps de l’obus. Le produit, pulvérisé par l’explosion de la charge, se transformant momentanément en vapeur grâce à la chaleur dégagée, était susceptible de traverser les filtres des masques protecteurs. Ses effets incapacitants et sternuatoires devaient alors rendre intolérable le port du masque. Utilisé avec d’autres toxiques, ses effets devaient être redoutables.

En fait, l’explosion de la charge explosive détruisait une forte partie de l’agressif et la valeur des nouvelles munitions n’était pas à la hauteur de ce que l’on attendait. Les Allemands allaient bientôt les utiliser selon un procédé posé par leurs plus éminents spécialistes en artillerie. Ils étaient alors utilisés simultanément avec des obus suffocants marqués d’une croix verte ou persistants marqués d’une croix jaune, ce qui valut à la zone infectée de porter le nom de ‘’zone bariolée’’. C’est d’ailleurs dans le but de n’utiliser qu’un seul type de munitions qu’apparaît, en août 1917, un nouveau projectile baptisé         ‘’croix verte 2’’, renfermant un mélange de 60% de phosgène, 25% de surpalite et 15% de diphénylchloroarsine. Puis en septembre 1917, les obus à croix bleue seront modifiés en augmentant la charge explosive. La pulvérisation de l’arsine devait s’en trouver améliorée et l’obus avait en plus un pouvoir brisant supérieur. A la fin de l’année, au mois de novembre 1917, une nouvelle arsine fait son apparition : la dichlorophénylarsine, vésicante à l’état liquide et chargée dans des obus baptisés ‘’croix bleue 1’’. C’est un liquide qui, sous forme de vapeurs, est incapacitant et provoque des vomissements. A forte concentration et à l’état de vapeurs, son action vésicante provoque des lésions cutanées qui se manifestent sous forme de cloques et de brûlures. Ce nouveau toxique provoqua une vive émotion chez les Alliés, car il devenait momentanément plus redoutable que l’ypérite qui ne provoquait que rarement la mort.

Jusqu'à la fin de l’année 1917, le solvant de l’ypérite utilisé dans les obus à croix jaune ne permettait pas une bonne vaporisation du produit, de telle sorte que l’action du toxique s’exerçait principalement par voie transcutanée. Ce problème était d’autant plus marqué que les munitions toxiques avaient la fâcheuse tendance, pour des problèmes de conception et de déclenchement du détonateur, à n’exploser qu’une fois enfoncées dans le sol. Ainsi, le toxique se répandait plutôt dans le sol qu’il ne se disséminait dans l’air. Pour remédier à cet inconvénient, un solvant plus volatil, le chlorobenzène, sera utilisé simultanément avec une charge explosive plus importante. Cette charge était composée d’un explosif particulièrement puissant, l’amatol, disposé à l’avant de l’obus. Au moment de l’explosion, la charge faisait sauter le culot de l’obus, et dispersait son contenu dans l’atmosphère. Désormais, la fine dispersion dans l’air associée à une concentration plus élevée permettait à l’ypérite d’atteindre le fond des alvéoles pulmonaires. Son action vésicante brûlait alors la paroi des alvéoles et exposait le malheureux intoxiqué à de graves lésions pulmonaires irréversibles, entraînant fréquemment la mort après parfois plusieurs semaines d’une lente agonie. Cette modification de la munition, améliorant son effet, se faisait tout de même au détriment de la persistance du produit sur le terrain. Par contre, le nouveau solvant masquait l’odeur de l’ypérite et l’augmentation de la charge explosive rendait alors indiscernable à l’oreille la différence entre un obus toxique et un obus classique. Les Alliés avaient lancé toutes les recherches nécessaires pour la protection contre ce terrible gaz ainsi que sur sa production industrielle, cela dès l’apparition de l’ypérite en juillet 1917. Seulement, à la fin de la même année, ces recherches n’avaient pas encore abouti. Au début de l’année 1918, l’avantage penche irrésistiblement du côté allemand.

A cette date, l’armée allemande possède encore tout son potentiel de combat et son moral est excellent. Les Alliés, par contre, se sont épuisés durant les quatre années de guerre dans des offensives qui ont toutes échoué devant les solides positions défensives allemandes. L’année 1917 et l’offensive Nivelle sur le Chemin des Dames finit de mettre à mal le moral français. Pétain prend la place de Nivelle et lentement la confiance réapparaît. Mais l’armée française reste hors de combat pour plusieurs mois et ce sera l’armée anglaise qui supportera les offensives en 1917 de manière à empêcher l’Allemagne de porter un coup décisif à la résistance française. Le 3 mars 1918, l’armistice entre l’Allemagne et la Russie vaincue est signé à Brest-Litovsk. L’Allemagne peut récupérer 35 divisions et plus d’un millier de canons alors immobilisés sur le front russe, lui conférant alors l’avantage numérique sur les Alliés. Cette victoire semble être le prélude pour les Allemands à une autre sur le front ouest ; leur moral est au plus haut.

L'arme chimique et surtout l'artillerie chimique allaient prendre un nouvel essor au cours de l'année 1918. Désormais, leur utilisation devint massive, tant dans les actions offensives que défensives. SI les tirs chimiques s'étaient réellement développés durant l'année 1917, ils allaient devenir absolument omniprésent en 1918, avec une quantité de munitions chimiques utilisées augmentée de 1600 % ! 70% des pertes par l'arme chimiques sont ainsi recensées sur les onzes derniers mois du conflit (voir : Pertes).

Fort de ces nombreux avantages, Ludendorff, général en chef de l’armée allemande, décide de frapper un grand coup en lançant une offensive surprise, avant que les Alliés ne reprennent l’avantage numérique avec l’arrivée des divisions américaines. La tactique est posée : l’artillerie allemande procédera à une préparation massive et rapide du terrain, en utilisant plus que jamais les munitions toxiques. On utilisera l’ypérite plusieurs jours avant l’attaque en inondant les zones sensibles des flancs des arrières de l’ennemi. Les points de résistance importants seront systématiquement noyés durant la préparation d’artillerie sous un déluge de feu et de gaz, puis les premières lignes seront séparées des arrières par un barrage d’artillerie roulant, qui devra avancer à la même vitesse que les troupes d’assaut de la première vague. La quantité de munitions toxiques utilisées dépasse largement tout ce qui avait été entrepris jusqu'à maintenant ; parfois plus du tiers des obus tirés. Ce sera la plus grande offensive jamais menée durant la Première Guerre. Le jour J sera le 21 mars 1918 et l’attaque portera sur un front de 70 km entre Arras et La Fère. Ernst Junger, alors en première ligne allemande, décrit le début de l’offensive : « L’aiguille avançait toujours ; nous comptâmes les minutes. Enfin, elle atteignit cinq heures cinq. L’ouragan éclata. Un rideau flamboyant monta en l’air, suivi d’un rugissement soudain, tel que nous n’en avions jamais entendu. Un tonnerre à rendre fou, qui engloutissait dans son roulement jusqu’aux coups de départ des plus grosses pièces, fit trembler le sol. Ce que nous n’avions osé espérer se produisit : l’artillerie ennemie se tut ; elle avait été annihilée d’un seul coup gigantesque. Nous ne tînmes plus dans nos abris : debout sur les défenses, nous contemplâmes, éberlués, le mur de feu haut comme une tour, dressé sur les tranchées anglaises, et qui se voilait de nuées ondoyantes, rouges comme du sang. Ce spectacle fut gâché par des larmoiements et une sensation de brûlures dans les muqueuses. Les vapeurs de nos obus à gaz, refoulées par le vent contraire, nous enveloppaient d’une violente odeur d’amande amère. Je remarquais, soucieux, que beaucoup de mes hommes commençaient à tousser, à suffoquer, et, s’arrachaient finalement le masque du visage. Je m’efforçai donc de retenir mes premières quintes de toux et de ménager mon souffle

Le premier jour, les Allemands enregistrèrent un succès considérable, au prix de pertes effroyables. L’avance continua les jours suivants mais s’acheva sur la Somme par la prise manquée de Villers-Bretonneux et par l’épuisement des troupes d’assaut. Le 5 avril, en dépit des grands succès tactiques obtenus, l’offensive fut stoppée. Des deux côtés, les pertes s’élevèrent à près de 200 000 hommes.

C’est durant ce mois de mars 1918 que deux nouvelles arsines sont utilisées par les Allemands dans le secteur du Moulin de Laffaux (Aisne). Il s’agit du dichlorure d’éthylarsine et du dibromure d’éthylarsine. Ces deux substances sont caractérisées par des propriétés incapacitantes importantes ainsi qu’une action vésicante faible. Leur persistance est modérée et les Allemands les utiliseront comme toxique sur des zones de terrain que leurs troupes pourront occuper rapidement après l’attaque. Puis, en avril 1918, apparaît sur le champ de bataille un nouveau type de gaz de combat ; les éthers méthyliques dichlorés et dibromés, qui seront baptisés par les Français ‘’labyrinthiques’’. Ces toxiques n’étaient pas destinés à être utilisés seuls, mais plutôt à être mélangés à tous les produits vésicants chargés dans les munitions à croix jaune. Les signes d’intoxication des labyrinthiques sont assez hétérogènes mais se caractérisent par des troubles de l’équilibre marqués à type de titubation, chancellement, désorientation. On retrouve aussi des effets lacrymogènes, sternuatoires, suffocants, voire même vésicants. Mais les chimistes allemands ne s’arrêteront pas à ce stade de l’escalade chimique. En mai, ils introduisirent un nouveau sternuatoire, certainement le plus efficace de tous, le cyanure de diphénylarsine.

Entre temps, Lüdendorff lancera une nouvelle offensive le 9 avril, la seconde bataille de la Lys, qui permet la prise du mont Kemmel et qui se terminera le 29 avril. Encore une fois, le succès tactique de l’opération est réussi mais elle n’apporte aucun succès stratégique et se solde par la perte de 350 000 hommes du côté allemand. Au mois de mai, l’ensemble du front redevient relativement calme. Les Allemands préparent une nouvelle offensive éclair et, pour masquer leurs préparatifs, ils pilonnent les lignes alliées en utilisant massivement les gaz. En effet, sur l’ensemble du front se développent des attaques par obus toxiques dans lesquels l’ypérite a une place de choix, mais aussi des attaques par projectors redoutablement efficaces.

Le 27 mai, l’offensive allemande se déclenche dans l’Aisne, sur le Chemin des Dames, où l’année précédente les Français avaient échoué dans une attaque meurtrière. La préparation d’artillerie commence par un tir exclusif d’obus à gaz, puis devient mixte, mais avec plus de cinquante pour cent d’obus toxiques. L’assaut enfonce le front qui finit par percer et les troupes allemandes s’engouffrent dans la brèche. L’offensive s’arrête pourtant dix jours plus tard par épuisement des assaillants, mais ceux-ci ont parcouru 45 kilomètres derrière les lignes et se fixent dans le Bois Belleau à 70 km de Paris ! C’est durant cette offensive que les premières divisions américaines participèrent à la bataille. Le 7 juin, elles enlèvent le Bois Belleau aux Allemands. Les troupes de Lüdendorff se trouvent alors dans un saillant dangereusement exposé aux contre-attaques et lancent deux nouvelles poussées en direction de Noyon-Montdidier et de Soissons, mettant en danger Paris même. Une fois de plus, les pertes sont énormes, mais cette fois-ci ils ne percent pas. Lüdendorff pensait, qu’en faisant peser la menace sur la capitale, les Français se seraient retirés des Flandres où les Anglais, restant seuls, auraient été facilement vulnérables.

Les Allemands avaient perdu là leurs meilleures troupes, les plus aguerries et les plus expérimentées, maintenant remplacées par de jeunes soldats dont l’âge ne dépassait parfois pas 15 ans. Pourtant, le 15 juillet, la dernière offensive allemande est lancée sur le flanc du saillant de Reims, toujours dans le but d’y attirer les Français pour attaquer les Anglais dans les Flandres. Mais l’offensive baptisée Friedensturm (offensive pour la paix) fut rapidement enrayée, car Foch avait obtenu des informations sur les plans de Lüdendorff et s’y était préparé. Le 17 juillet, l’offensive allemande s’arrête et les Alliés reprennent l’initiative le lendemain en lançant la contre offensive de la deuxième Bataille de la Marne. Désormais, l’initiative des combats ne cessera de revenir aux Alliés jusqu'à la fin de la guerre. Les Alliés disposaient depuis le mois de juin d’un moyen de riposter aux Allemands qui s’avéra être un précieux atout pour endiguer les offensives sur la Marne. Les Français possédaient maintenant l’ypérite dans leur arsenal chimique. Lorsque celle-ci apparut sur le champ de bataille, elle fut identifiée en trois jours par Kling et Moureu ; on s’aperçut que le produit allemand était impur et contenait des corps à odeur d’ail et de moutarde qui en augmentaient le pouvoir vésicant. En toute hâte, on étudia le procédé de synthèse de Victor Meyer mais, Bertrand puis Job ensuite, reprenant le travail de Niemann datant de 1860, montrèrent que le chlorure de soufre, se fixant sous pression sur l’éthylène, conduisait à l’ypérite. Cette fabrication était trente fois plus rapide que celle du procédé allemand. On installa à Péage-de-Roussillon (dans les Usines du Rhône), à Pont-de-Claix (dans les usine de Chlore liquide) et à la poudrerie d’Angoulême, des chaînes de fabrication d’ypérite. L’utilisation de ce redoutable toxique par les Français fut une surprise totale pour les Allemands, leur causant de redoutables pertes et amenant un affaiblissement de leurs forces combatantes. C’est certainement à l’ypérite qu’un jeune caporal du nom d’Adolf Hitler à été gazé en octobre 1918. Aveuglé, il recouvrera petit à petit la vue, mais rechutera à l’annonce de la défaite allemande. Il décida qu’il se lancerait dans la politique s’il recouvrait à nouveau la vue. Cela se produisit sur son lit d’hôpital tandis qu’il entendait des voies lui ordonnant de « sauver l’Allemagne », ce qu’il se promit solennellement ! Le dernier sternuatoire allemand apparaîtra en septembre, le N-éthylcarbazol. Il était dispersé grâce à une innovation technique qui consistait à placer le toxique dans un cylindre d’acier, dans le corps de la munition, et à doubler le détonateur d’une charge d’acide picrique pour provoquer la déflagration un bref instant plus tôt. Le toxique devait ainsi se répandre en étant expulsé vers l’arrière du corps de l’obus.

 

 

C) L’apparition de l’ARS.

 

Voir également : l'appareil ARS 

Le nouveau masque MCG, baptisé ARS, sera adopté le 20 janvier 1917. Mais la mise en route de la fabrication va demander plusieurs mois. La réalisation industrielle de l’appareil se heurtera à plusieurs reprises à des difficultés techniques qu’il faudra surmonter. L’approvisionnement en matières premières, notamment en tissu caoutchouté, sera aussi particulièrement problématique. Chacune de ces difficultés fut résolue avec discernement de manière à éviter les erreurs du passé qui avaient conduit à de nombreuses modifications sur les appareils une fois leur distribution faite. Pour toutes ces raisons, la production prit un retard considérable, si bien que les chaînes de montage du masque ne débutèrent les fabrications qu’au mois de novembre 1917. Les prévisions du début de l’année étaient beaucoup plus optimistes et prévoyaient la distribution au début du printemps.

Puis, on se mit d’accord pour garder en réserve le nouveau masque en stock, pour le distribuer uniquement si l’ennemi employait des substances contre lesquels les masques en dotation ne protégeaient pas. L’année 1917 montrera à plusieurs reprises que le M2 devenait de moins en moins efficace au fur et à mesure de l’apparition des nouveaux agressifs. Le 15 mars 1917, on décida de doter de deux masques le personnel des batteries de tir. En effet, les concentrations de toxiques employées et la durée des attaques arrivaient parfois à épuiser le masque. Le 12 avril 1917, on supposa que les masques retenaient à peine la chloropicrine, puis un mois plus tard, on conclut qu’ils ne laissaient passer que faiblement le toxique et que les hommes en étaient incommodés mais pas intoxiqués… Après l’apparition de l’ypérite puis des arsines, la Commission prit la décision de distribuer l’ARS dès que possible. De nombreux essais seront effectués durant les mois de décembre 1917 et janvier 1918. Le 24 janvier, 50 ARS seront envoyés à titre d’essai dans chaque centre médico-légal. Puis les livraisons débuteront à partir du 18 février ; les masques seront stockés dans des dépôts à l’arrière pour être distribués massivement au début du mois d’avril. Ceci permettait de doter l’ensemble de l’armée, en même temps, du nouvel appareil afin d’éviter de privilégier certains corps. Le masque sera livré dans une boite métallique cylindrique protégeant l’appareil. Au fond et sous un rond cartonné sera fixée une enveloppe contenant un oculaire de rechange. Mais les attaques au gaz étant devenues si fréquentes, le masque M2 sera conservé comme masque de secours, la vie des combattants étant liée, sur le front, au bon fonctionnement de leur appareil et à leur durée de protection.

Les recherches sur l’ARS ne s’arrêteront pas après sa mise au point. Pour augmenter sa protection, Lebeau continua de travailler sans cesse à perfectionner sa cartouche. Dès le début de l’année 1918, il étudia et améliora un système de bonnettes, sortes de sac en toile que l’on fixait sous la cartouche du masque, pour augmenter la protection contre les arsines et l’ypérite. Dans ce but, il mit au point un tissu spécial avec lequel on confectionnait la bonnette que l’on imprégnait d’huile de ricin. Le 10 février 1918, il conclut cependant que la protection de l’ARS était alors satisfaisante contre les toxiques employés par les Allemands. L’apparition des nouvelles arsines au printemps 1918 devait changer cette position. Le premier juillet, la bonnette était prête et on décida de la produire et de la distribuer avant l’hiver, saison pendant laquelle les températures basses faciliteraient l’action des arsines. Mais surtout, de nouveaux agressifs français et américains étaient presque au point et on supposait pouvoir les utiliser d’ici la fin de l’année. Les Français préparaient une nouvelle arsine, la Sternite, un mélange de dichlorophénylarsine et de chlorodiphénylarsine. Les Américains avaient synthétisé l’Adamsite1, un puissant irritant ainsi que la Lewisite2, puissamment vésicante et irritante. Le 31 août, 500 000 bonnettes pour ARS étaient en cours de confection. ‘’Elle est constituée par une gaine cylindrique en molleton, fermée à l’une de ses extrémités, et à l’intérieur de laquelle est cousu un croisillon en ruban, destiné à être appuyé contre la face antérieure de la cartouche. Cette gaine est doublée extérieurement par un pare-pluie en tissu imperméable, sauf au centre du fond de celle-ci, et se prolonge du côté opposé, entièrement ouvert, par une partie tronconique en même tissu pourvue d’œillets métalliques. Un ruban de serrage est cousu sur la partie cylindrique du pare-pluie’’. Vraisemblablement, elles apparurent au début de novembre 1918, mais l’Armistice survenant le 11 novembre, on s’empressa de dissimuler cette avancée de la protection pour la conserver secrète.

Lebeau travailla aussi à rendre le charbon actif plus performant. Le 4 mai 1918, il proposa une nouvelle formule qui augmentait la protection contre le phosgène, et contre le chlorure de cyanogène qui pouvait être utilisé par les Allemands à tout moment. Il substitua la soude à une partie de carbonate de sodium et ajouta du permangante de potassium en petite quantité, selon la formule :

·         ZnO : 20 parties

·         Carbonate de sodium : 15 parties

·         Charbon pulvérisé : 15 parties

·         NaOH : 5 parties

·         Permanganate de potassium : 1 partie

·         Eau : Q.S.P. obtenir une pâte.

La nouvelle formule sera mise en place immédiatement. On ajoutera également, suite au travail de Lebeau, une couche de coton hydrophile au fond de la cartouche pour arrêter les arsines.

Le travail de Lebeau ne se bornera pas uniquement à la mise au point des substances de protection. En mars 1918, il proposa de mettre au point une pochette de protection permettant de conserver une cartouche de rechange de l’ARS. L’ECMCG en proposera, un mois plus tard, deux types différents confectionnés avec des anciens sacs S2 et des étuis pour tampon TN. Les modèles semblaient satisfaisants, mais le système d’attache fut jugé défectueux. Les études seront reprises par Lebeau et furent menées à bien. L’ECMCG souleva aussi un problème en mai 1918 : les tôles servant à confectionner les étuis métalliques protégeant l’ARS étaient trop fines et la rigidité de la boîte n’était pas suffisante. Lebeau, en coordination avec l’ECMCG, proposa le 31 mai l’ajout d’une ceinture de 35 mm de largeur sur le sommet du cylindre, sur laquelle étaient agrafés les passants des charnières et du couvercle. La modification qui apportait la rigidité nécessaire sera adoptée.

L’ARS fut reconnu comme le meilleur de tous les appareils de protection de l’époque. Pendant la période des hostilités, 5 270 000 exemplaires seront manufacturés, et la production continuera après guerre.

 


1 Il s’agit en vérité d’un mélange d’acide cyanhydrique, de fumigènes et de chloroforme. L’ensemble est dénommé Vincennite.

1 Charles Moureu, professeur de pharmacie, était le vice-président de la Commission d’agression.

2 Pour cette raison, le sulfure d’éthyle dichloré fut baptisé ‘’ypérite’’ par les Français.

3 Positions défensives établies sur les côtés.

1 Chlorure de diphénylaminarsine, synthétisé à l’Université d’Illinois par l’équipe de Roger Adam.

2 Chlorovinyldichloroarsine, synthétisée par l’équipe de W. Lee Lewis de la Northwestern University.

 

 

 

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